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RÉPERTOIRE

MÉTHODIQUE ET ALPHABÉTIQUE

DE LÉGISLATION, DE DOCTRINE

ET DE JURISPRUDENCE.

APPEL.-C'est le recours à un tribunal supérieur contre une décision rendue par un tribunal ou par un juge inférieur. Ce recours a pour objet de faire réformer ou modifier la décision du premier juge, à raison des vices ou de l'injustice dont l'appelant la dit entachée; de là cette expression d'Hermogénien: Appellatio quidem, iniquitatis sententiæ querela (ff., lib. 4, tit. 4, l. 17). On entend encore par appel l'action même par laquelle on a recours au juge supérieur.

Dans l'économie de la loi, tout jugement rendu dans une affaire que le juge a eu le droit de décider en dernier ressort, est tout aussi inattaquable, par la voie de l'appel, que celui qui est intervenu sur une affaire qui, étant soumise aux deux degrés de juridiction, les aurait parcourus l'un et l'autre. Ce n'est pas à dire, cependant, que ces jugements soient désormais irrefragables; l'erreur de fait ou de droit peut les faire infirmer et détruire cette salutaire présomption de vérité que l'autorité de la chose jugée leur avait momentanément imprimée. Mais c'est par une voie extraordinaire que la partie condamnée doit alors se pourvoir, et cette voie est celle de la cassation ou de la requête civile qui feront l'objet de deux articles spéciaux. V. encore, pour la prise à partie et la tierce opposition qui complètent les voies extraordinaires de recours contre les jugements, vis Jugement, Prise à partie.

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L'appel est l'une des voies ordinaires de recours, et il ne peut être interjeté que contre les jugements qui ont été rendus en premier ressort dans les affaires susceptibles des deux degrés de juridiction, encore même faut-il que ces jugements n'aient pas acquis l'autorité de la chose jugée, qu'ils n'aient pas été acquiescés et n'aient pas reçu leur exécution.

D'ailleurs l'appel est un moyen de recours qui s'applique aux matières civiles comme aux matières criminelles. En matière civile, il peut, en général, être exercé dans toutes les contestations de droit civil et de droit commercial non susceptibles d'être jugées en dernier ressort. En matière criminelle, il est restreint aux jugements de simple police et à ceux de police correctionnelle : les arrêts rendus en matière criminelle proprement dite en sont exempts; nul témoignage ne peut infirmer la décision des jurés ; et quant aux cours d'assises, juges souveraines des affaires de leur compétence, les décisions qui en émanent ne donnent ouverture qu'au recours en cassation. Mais ajoutons qu'en matière civile comme en matière criminelle, on distingue deux sortes d'appel : l'appel principal et l'appel incident. L'appel principal est toujours celui qui a été interjeté le premier; l'appel incident est celui qui est interjeté contre le même jugement par la partie intimée sur l'appel principal, lorsque, par exemple, elle a succombé elle-même sur quelques chefs.

L'appel civil, l'appel criminel ou correctionnel, et l'appel incident feront l'objet des trois articles qui vont suivre.

Quant à l'opposition, qui forme la seconde voie ordinaire de reccurs contre les jugements et complète la nomenclature des TOME IV.

moyens tant ordinaires qu'extraordinaires d'attaquer les jugements, il en sera traité vo Jugement par défaut.

APPEL CIVIL. 1. C'est le recours à un juge supérieur contre le jugement émané d'une juridiction inférieure statuant en matière civile ou commerciale.-On nomme acte d'appel l'exploit signifié à la partie qui a obtenu gain de cause pour lui déclarer que l'on est appelant du jugement rendu à son profit. — V. infrà, chap. 4.

2. L'appel civil, ainsi que nous l'avons indiqué déjà vo Appel, est ou principal, ou incident. Ajoutons ici que ce n'est pas le nombre ou la valeur des dispositions attaquées qui caractérise l'appel et doit le faire considérer, soit comme incident, soit comme principal, c'est uniquement la priorité du recours. Ainsi le second appel interjeté dans le cours de l'instance par celui qui aurait été intimé sur le premier appel pourrait avoir trait à des chefs plus importants que ce dernier; toutefois, celui-ci n'en serait pas moins l'appel principal, parce que, relativement au juge supérieur, c'est cet appel qui constitue la demande primitive, celle qui a soumis à son appréciation le jugement rendu en première instance.

Du reste, les règles qui vont être exposées dans ce traité de l'appel civil gouvernent, en général, l'appel incident et l'appel principal; il existe seulement quelques différences de détail: ce sont ces différences qui feront, en partie, l'objet de notre traité de l'appel incident.

3. Il y avait en outre, dans l'ancienne jurisprudence, d'autres distinctions dont les unes subsistent encore et dont les autres, au contraire, sont désormais sans objet. Ainsi l'appel se divisait en appel simple et en appel qualifié : il était simple lorsque l'appelant se plaignait seulement que le juge s'était trompé ou qu'il avait jugé contre le droit et l'équité; il était qualifié lorsque l'appelant attaquait la compétence du juge, ou qu'il se fondait sur l'abus de son autorité. Dans cette dernière branche de la distinction venaient se placer les appels comme d'abus, c'est-à-dire le recours au parlement contre l'abus que les juridictions ecclésiastiques, ou, en général, toute puissance ecclésiastique séculière ou régulière, avait fait de son pouvoir, matière des plus épineuses, que la suppression des juridictions ecclésiastiques a fait disparaître, et dont l'appel comme d'abus institué par la loi du 28 germ. an 10 diffère essentiellement. V. du reste, pour le recours comme d'abus, et les conditions dans lesquelles il peut avoir lieu aujourd'hui, vo Culte. 4. On distinguait aussi, au palais, les appels, en appel ou appellation verbale, et en appel par écrit. Le premier était l'appel des jugements rendus à l'audience ou sur délibéré; le second était celui qui était interjeté d'un jugement rendu sur les productions respectives des parties, dans un appointement à mettre ou dans un appointement en droit. Les règles établies par le code de procédure n'admettent pas une semblable distinction: l'appel verbal n'est plus admis aujourd'hui.

5. Enfin, tout appel pouvait être indéfini ou limité; il était in

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6. Le droit d'appel a eu nécessairement son principe, non
dans la présomption, mais dans la possibilité de l'erreur du pre-
mier juge. Indiquer cette cause de l'institution, c'est en faire
pressentir l'antiquité et la généralité de son usage. Le tribun Al-
bisson l'a dit avec raison, dans son rapport au corps législatif:
« Les juges et les plaideurs sont des hommes tous peuvent se
tromper ou être trompés; et, dans la vaste carrière sociale, le
croisement perpétuel et la collision hostile des passions humaines
ouvrent chaque jour de nouveaux sentiers aux nombreuses diva-
gations de l'erreur. L'institution salutaire d'un ordre hiérar-
chique dans l'organisation du pouvoir judiciaire est le fruit de
cette triste expérience; et comme toujours et partout, les hommes
réunis en société sont en butte aux mêmes passions, on trouve
dans tous les temps et chez toutes les nations policées des tribu-
naux établis pour écouter les plaideurs qui ont ou croient avoir à
se plaindre d'un jugement, et pour prononcer sur la justice ou la
témérité de leurs recours. »-V. infrà, no 101, à la note.

7. Dans tous les temps, en effet, et chez toutes les nations,
la garantie de l'appel a été accordée par le législateur dans des
limites diverses. La force même des choses amènerait à cette con-
viction, si l'histoire ne venait pas, d'ailleurs, la fixer par d'irré-
cusables témoignages. On peut donc contester, a priori, l'assertion
contraire qui a été émise par l'honorable M. Bérenger, dans un savant
mémoire sur la Statistique civile (V. Mém. de l'acad. des sciences
mor. et polit., t. 1, 2° série), et dans lequel on lit que la théorie
des appels a été généralement inconnue, « que ce fut seulement
lorsqu'il y eut des rois qu'on recourut à eux, dans quelques cas
rares où l'on avait à se plaindre de la prévarication des juges, et
quelquefois de l'insuffisance des lois. Le prince, continue M. Bé-
renger, prononçait seul. Plus tard, le nombre de ces recours
croissant, il fut obligé d'instituer auprès de lui un conseil pour les
examiner plus tard encore, le même motif fit multiplier des con
seils semblables dans les provinces, et c'est ainsi qu'avec le
temps l'usage des appels et des divers degrés de juridiction
s'établit. » - Sans doute, on peut et l'on doit admettre que la
théorie des appels ne s'est complétement développée que par suc
cession de temps, et que l'organisation qu'ils ont progressivement
reçue a suivi la marche des institutions elles-mêmes. Mais con-
tester que le droit ait existé à l'origine même des institutions,
c'est, ce nous semble, méconnaître aussi tous les témoignages
de l'histoire; On va essayer de le démontrer.

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S. Chez les peuples les plus anciens, on trouve, dans l'orga-
nisation du pouvoir judiciaire, cette institution salutaire d'un ordre
hiérarchique dont parlait le tribun Albisson au corps législatif.
Chez les Egyptiens, dont les institutions ne nous sont que très-
imparfaitement connues, on sait, cependant, qu'il existait des
tribunaux d'un ordre différent en tête desquels était placée une
cour suprême formée de trente membres (Nicolaï, De syn. ægypt.,
p. 4 et 5). Pour les Hébreux, une hiérarchie semblable est atles-
tée dans l'Exode, ch. 18, v. 15, 14, 21, 22, 25, 26. On y voit
que Moïse s'étant assis pour rendre la justice au peuple qui se
présentait devant lui depuis le matin jusqu'au soir, Jethro, son al-
lié, lui dit: D'où vient que vous agissez ainsi à l'égard du peuple?
Pourquoi êtes-vous seul assis pour le juger, et que tout le peuple
altend ainsi depuis le matin jusqu'au soir?... Choisissez d'entre
tout le peuple des hommes fermes et courageux qui craignent

Dieu, qui aiment la vérité et qui soient ennemis de l'avarice: et donnez la conduite aux uns de mille hommes, aux autres de cent, aux autres de cinquante et aux autres de dix. - Qu'ils soient occupés à rendre la justice au peuple en tout temps; mais qu'ils réservent pour vous les plus grandes affaires, et qu'ils jugent seulement les plus petites... Moïse ayant entendu son beau-père parler de la sorte, fit tout ce qu'il lui avait conseillé. Et ayant choisi d'entre tout le peuple d'Israël des hommes fermes et courageux, il les établit princes du peuple, pour commander les uns mille hommes, les autres cent, les autres cinquante et les autres dix. Ils rendaient la justice au peuple en tout temps; mais ils rapportaient à Moïse toutes les affaires les plus difficiles, jugeant seulement les plus aisées (V. la sainte Bible traduite par le Maistre de Sacy, p. 66 et 67). Ajoutons à cette indication que, d'après Menochius, De repub. hebr., lib. 1, cap. 6, no 4, on appelait du chef de dix hommes au chef de cinquante, de ce dernier chef à celui de cent, et des centeniers aux tribuns, et qu'au sommet de la hiérarchie se trouvait le sanhédrin, conseil des seplante, ayant pour mission de statuer sur les affaires importantes (graviores causas) en premier et en dernier ressort, et sur la généralité des autres par appel.

9. A Athènes, le droit d'appel existe également, quoiqu'il se produise sous une autre forme : c'est à l'assemblée du peuple que l'on appelait des jugements rendus par les tribunaux; la vie de Solon, dans Plutarque, en fournit la preuve. Solon, voulant laisser les riches en possession des magistratures et donner aux pauvres quelque part au gouvernement dont ils étaient exclus, fit une division du peuple en classes suivant le revenu. Il plaça dans la dernière, sous la dénomination de Thètes, tous ceux dont le revenu était au-dessous de deux cents mines, et, dit Plutarque, « il ne permit pas à ces derniers l'entrée dans les magistratures, et ne leur donna d'autre part au gouvernement que le droit de voter dans les assemblées et dans les jugements; droit qui ne parut rien d'abord, mais qui, dans la suite, devint très-considérable; car la plupart des procès étaient portés devant les juges, et l'on appelait au peuple de tous les jugements que rendaient les magistrats. D'ailleurs, l'obscurité des lois de Solon, les sens contradictoires qu'elles présentaient souvent, accrurent beaucoup l'autorité des tribunaux. Comme on ne pouvait pas décider les affaires par le texte même des lois, on avait toujours besoin des juges, à qui l'on portait en dernier appel la décision de tous les différents, ce qui les mettait en quelque sorte au-dessus même des lois... » (Vie de Solon, no 23, trad. de Ricard.) — Le même système d'appel à l'assemblée du peuple était établi à Sparte, où les procès étaient fort rares et les tribunaux, par conséquent, peu nombreux.

10. Mais c'est à Rome que l'institution d'appel a reçu son organisation la plus complète et la plus vaste. Chez ce peuple de l'antiquité, où le droit parvint à son expression la plus savante, on finit par allacher à l'appel une importance qui se révèle, ainsi que l'a fait remarquer le tribun Albisson au corps législatif, par nombre même des titres qui y sont nominativement affectés dans le Digeste, dans le Code ou les Novelles: on y en compte jusqu'à vingt-huit, indépendamment d'une foule de décisions fugitives, éparses dans cette immense collection.

11. Il est juste de le dire, toutefois : ce fut seulement sous les empereurs que l'institution reçut ses développements. Mais il faut reconnaître que son origine, à Rome, est tout entourée d'obscurités. De même qu'à Sparte et Athènes, la souveraineté du peuple avait été consacrée à Rome dans les premiers temps de la monarchie par suite, c'est une opinion généralement reçue qu'à Rome comme dans les républiques dont nous venons de parler, on pouvait appeler au peuple de toutes les décisions, de celles mêmes qui étaient rendues par le roi. Mais ce droit disparut plus tard, ou du moins les décemvirs, lorsqu'ils cherchèrent à se perpétuer dans leur autorité, formèrent un tribunal souverain qui ne reconnaissait pas de juge d'appel : « Placuit creari decemviros sine provocatione » ( Tile-Live, liv. 5, chap. 52). Il fallut ensuite la révolution qui éclata contre les décemvirs pour rendre au peuple le droit d'appel qui lui avait été ravi. Retiré sur le mont Sacré, le peuple réclama ce droit: « Potestatem enim tribunitiam, dit Tite-Live, loc. cit., cap. 53, provocationemque repetebant, quæ ante decemviros creatos auxilia plebis fuerant. » Le droit fut rétabli; il fut défendu de créer au

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cune magistrature jugeant sans appel, et on alla jusqu'à permettre de tuer celui qui en proposerait la création.

12. Mais comment le droit d'appel fut-il exercé? Quelle fut la manière de juger les appels? Dans quels cas étaient-ils admis et dans quels cas ne l'étaient-ils pas, au contraire? Ce sont autant de points sur lesquels on ne peut espérer de se fixer d'une manière précise. Toutefois, Zimmern, dans son Traité des actions chez les Romains (V. trad. de M. Étienne, p. 490 et suiv.), exprime à cet égard une opinion dont nous indiquerons la substance.

Comme tout magistrat revêtu de l'imperium ou de la potestas pouvait, en vertu d'un ancien principe de roit politique, opposer son veto à la décision émanée d'un magistrat égal ou inférieur, l'homme privé qui avait à se plaindre d'une décision rendue par un magistrat pouvait s'adresser à son égal ou à son supérieur (eum appellare) pour faire paralyser les effets de la décision. En règle générale, c'était aux tribuns du peuple qui avaient le droit d'intervenir partout avec leur veto, que l'on s'adressait dans les affaires judiciaires. D'ailleurs, le veto n'était pas facilement accordé. Lorsqu'il était réclamé, les tribuns auxquels on s'était adressé réunissaient leurs collègues; ils écoulaient les parties dans leurs moyens; puis intervenait leur décret rendu en commun, comme résolution d'un collége, avec les noms de ceux qui avaient voté. Toutefois, il ne faut pas conclure de là que le veto ne pouvait être interposé qu'en vertu de cette résolution; la délibération du tribun servait à éclairer chacun d'eux, et chacun conservait le jus intercedendi, et cette intercessio ou intervention d'un seul tribun était aussi un décret. C'est ce qui fait dire à TiteLive, en parlant de l'intervention de Tiberius Gracchus contre le décret de ses huit collègues: Tib. Gracchus ita decrevit, etc...L'intervention des tribuns pouvait être fondée non-seulement sur la violation des principes, mais encore sur l'inobservation des formalités de la procédure; aussi les décrets des tribuns devinrent une source importante de droit.

13. Tel était l'état des choses, selon l'opinion de Zimmern, durant la république. Mais, continue cet auteur, tout cela fut changé sous les empereurs. Ceux-ci, en effet, avaient la tribunitia potestas; et quoique l'on rencontre parfois encore, sous les empereurs, d'autres tribuns et des intercessiones, il est certain que les empereurs ne puisaient pas dans la puissance tribunitienne, dont ils avaient été investis avec les autres pouvoirs, leur droit de juger en dernier ressort; car ils ne se contentaient pas de casser les jugements, ils les réformaient par conséquent, ils substituaient leur décision à la décision réformée. Cette réformation, d'ailleurs, avait eu lieu de tout temps dans les affaires criminelles où, sur la provocatio ad populum, la condamnation pouvait être revisée. Ce fut Auguste qui fit passer cette conséquence de l'appel aux affaires civiles en créant un præfectus urbis à Rome, eldes consulares dans les provinces: en même temps, Auguste permit d'appeler de ces derniers à lui-même. Appellare devint dès lors le synonyme de provocare, et c'est dans ce nouveau sens que l'appel peut être considéré comme une institution d'Auguste. Il est probable que cette innovation fut opérée par la loi Julia judiciaria (V. aussi l'Histoire du droit romain d'Hugo, trad. de Jourdan, t. 2, p. 50). Puis, sous l'influence des jurisconsultes et des rescrits impériaux, la doctrine sur l'appel prit les développements qu'elle a reçus dans le Digeste, où elle occupe le liv. 49 tout entier, dans le Code, où elle embrasse tout le tit. 62 du liv. 7, et dans le code théodosien, qui lui a consacré le tit. 30 du liv. 11.

14. A ne consulter que la première des dispositions que contient le Digeste, on pourrait penser que, tout en organisant, comme ils l'ont fait, d'une manière complète et savante, l'institution de l'appel, les jurisconsultes eux-mêmes n'étaient pas pleinement convaincus de la sûreté et du mérite de ce moyen de re cours. Ulpien dit, en effet, en tête des lois qui forment le titre De appellat. et relat. au Digeste : « Appellandi usus quàm sit frequens, quàmque necessarius nemo est qui nesciat: quippe cùm iniquitatem judicantium vel imperitiam corrigat, licet nonnunquam bene latas sententias in pejus reformet: neque enim utique melius pronuntiat, qui novissimus sententiam laturus est.Depuis, nous le verrons bientôt, cette dernière proposition a servi de texte à tous les adversaires de l'appel. Mais l'induction manifestement trop générale qu'on a tirée trouve son objection la plus puissante dans le nombre même de dispositions

dont cette voie de recours a été l'objet. La législation romaine est assurément l'une de celles qui a le moins sacrifié aux théories de pure spéculation; et si Ulpien n'avait pas limité sa pensée; si, en proclamant non-seulement la grande utilité, mais encore la nécessité de l'appel, il n'avait pas fait clairement entendre que sa dernière proposition s'appliquait seulement à une hypothèse qui, alors, comme aujourd'hui d'ailleurs, était susceptible, quoique très exceptionnellement, de se réaliser, on pourrait encore affirmer que les jurisconsultes romains n'auraient pas pris tant de soins pour organiser l'appel, si cette institution n'avait pas présenté, à leurs yeux, une garantie réelle et sérieuse.

15. Nous n'entreprendrons pas d'exposer ici, dans toute son étendue et dans ses détails si nombreux, la théorie de la loi romaine sur le droit d'appel. Ce travail nous conduirait trop loin, et il trouvera plus utilement sa place dans les diverses parties de ce traité, lorsque nous aurons à rapprocher de notre législation les objets correspondants de la législation romaine pour faire ressortir les rapports ou les différences existant entre les deux législations. Il n'est pas, cependant, sans importance d'en indiquer, dès à présent, l'économie générale: nous le ferons aussi succinctement que possible.

16. Par le droit des Pandectes, jusqu'à l'empereur Dioclétien, l'appellatio ou la provocatio, considérée comme moyen de se pourvoir contre une sentence inique, était déférée à un juge supérieur à celui de qui était émanée la sentence. Ce fut d'abord, comme nous l'avons vu, le préfet de la ville, pour Rome, et les consulares pour les provinces: toutefois, la loi 1, § 3, ff., De app., fournit l'exemple d'un jugement rendu dans les provinces et dont l'appel a pu être porté devant le préfet de la ville. L'appel des sentences rendues par les magistrats municipaux était porté aux magistrats placés immédiatement au-dessus de ces derniers et, conséquemment, tantôt aux juridici, tantôt au prêteur urbain; l'appel de la sentence rendue par un juge que le préfet avait nommé était porté au préfet qui avait fait la nomination, et, dans les provinces, l'appel de la sentence rendue par un judex datus était soumis au magistrat dont il avait reçu la mission (ff., L. 21, § 1, tit. 1, De app.; L. 1 princ., tit. 3, Quis a quo app.).—Lorsqu'on avait franchi un degré, par erreur, l'appel n'était pas moins bien interjeté, parce qu'en définitive on s'était adressé à un magistrat supérieur; mais l'appel était nul s'il avait été soumis à un juge inférieur (L. 1, § 3; L. 21, § 1, ff., De app.); c'est d'après les mêmes règles que l'on se prononçait à l'égard de l'appel interjeté sur le rejet d'un appel (L. 5, § 1 et suiv., ff., De app. rec. vel non). L'empereur était le juge suprême; il avait le dernier ressort et l'on ne pouvait jamais interjeter appel de la décision qu'il avait rendue (L. 1, § 1, ff., A quib. app. non lic; L. 1, § Quis a quo app.); l'appel n'était pas non plus recevable d'une décision rendue par un juge que l'empereur avait nommé avec déclaration que l'on ne pourrait pas appeler, ou lorsque les parties s'étaient interdit elles-mêmes le droit d'appel (ibid., § 3 et 4).

17. On pouvait appeler des jugements interlocutoires comme des jugements définitifs; mais non contre l'exécution d'une sentence ou une décision préparatoire qui ne souffrait pas de délai, comme une ouverture de testament ou l'envoi en possession d'un héritier institué (f., L. 1, § 2, et L. 4 princ., De app.; L. 7 pr., § 1 et 2, et L. 29, De app. recip.).- Du reste, l'appel était recevable quant aux questions accessoires aussi bien que relativement aux questions principales; et le taux de la condamnation n'était pas pris en considération, excepté dans les appels soumis à l'empereur (ff., L. 10, § 1, De app. ;C., L. 20, De app., et L. 13, De usur.). 18. Quant aux formes de l'appel, voici en quoi elles consistaient: D'abord, l'appel pouvait être déclaré de vive voix au moment où la sentence était rendue; sinon, l'appelant devait manifester son intention par écrit au juge qui avait rendu la sentence, et il devait le faire dans les trois jours s'il avait plaidé pour lui, et dans les deux jours s'il avait plaidé pour un autre (V. ff., les tit. 4 et 6 du liv. 49; ibid. L. 2 et 5, § 5, De app.). Les libelli, c'est-à-dire la manifestation écrite dont nous venons de parler, devaient indiquer le juge dont était appel, le nom de l'appelant et celui de son adversaire, et désigner la sentence attaquée : toutefois l'omission de l'une de ces énonciations n'entraînait que difacilement la nullité (L. 1, § ult.; L. 3 et 13, ff., De app.). — On

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verra, infrà, chap. 4, que le code de procédure s'est montré plus exigeant en ce qui concerne le nombre des énonciations et plus sévère en ce qui concerne la sanction.

19. Lorsque l'appel se trouvait ainsi déclaré, l'appelant de< vait, dans les cinq jours, à peine de déchéance, solliciter du juge auquel la déclaration avait été faite une attestation que l'on désignait sous le nom de libelli dimissorii ou apostoli (s. uni., De lib. dimiss. pr. et § 1, 1. 9, De jur. fisc.). L'attestation obtenue, l'appelant devait donner caution dans un nouveau délai de cinq jours qui, si l'appelant n'était pas domicilié au lieu où il avait déclaró son appel, était augmenté en raison de la distance. Mais cette obligation de fournir caution fut supprimée plus tard, et le juge fut tenu d'accorder sans délai l'attestation de la déclaration d'appel (ff., L. 6, § 5, De app.), en sorte que les deux délais de cinq jours disparurent.

20. Arrivé devant le juge d'appel, l'appelant devait exposer les causes ou la cause de son recours. On pouvait changer les griefs contre le jugement attaqué ( L. 3, § ult., ff., De app.); on pouvait même faire valoir des moyens nouveaux, le but principal étant d'arriver à rendre la justice (L. 6, § 1, C., De app.). Lorsque le juge supérieur rejetait l'appel, il le faisait par une décision orale; et quand il l'admettait, il déclarait d'abord la justice de l'appellation, puis il prononçait un nouveau jugement.

21. La déclaration d'appel avait pour effet de suspendro l'exécution du jugement, que le juge eût voulu ou non admettre cette déclaration. Toutefois, lorsque l'appelant possesseur de l'objet litigieux avait été condamné à le restituer, s'il y avait danger pour les fruits ou insolvabilité, on les séquestrait. La loi 4, 5 3, au Dig., offre un exemple d'une mesure analogue prise dans l'intérêt de la partie. Si l'appel était rejeté, le jugement produisait tous ses effets à partir du jour où il avait été prononcé. L'appelant qui succombait devait payer au quadruple les frais occasionnés par son appel. Mais cela fut supprimé plus tard, et il fut accordé au juge le droit de punir, en général, celui qui avait formé un appel téméraire (L. 6, § 4, C., De app.).

22. Telles étaient les règles, dans leur ensemble, jusqu'à Dioclétien; mais à partir de cet empereur, des modifications de détail y furent successivement faites; les juges compétents pour statuer sur l'appel ne furent pas exactement les mêmes; l'établissement d'un préfet à Constantinople et la séparation de l'empire d'Occident amenèrent, sous ce rapport, d'inévitables changements. L'empereur continua de juger en dernier ressort; mais les préfets du prétoire, dont la compétence avait été constituée, reçurent aussi ce pouvoir d'une constitution de Constantin. Les cas d'appel à l'empereur furent restreints par Théodose et Valentinien dans une limite que Justinien resserra encore sous le rapport de la valeur de l'objet litigieux. L'on ne put plus franchir un degré, et Justinien défendit plus de trois appels. Ces modifications indiquées notamment dans le code et dans le code théodosien, loc. cit., ont été très-nettement résumées dans le traité des actions déjà cité de Zimmern (V. p. 501 et suiv.).

23. Indiquons ici une disposition particulière qui fut déterminée par des circonstances qui se sont reproduites, comme nous le verrons bientôt, dans notre propre histoire. Les appels qui étaient irrecevables, d'après les règles que nous avons rappelées continuèrent de l'être, puisque le droit d'appel était restreint plutôt qu'étendu. Mais, les juges eux-mêmes tentèrent souvent de le restreindre encore par l'arbitraire: nombre de lois attestent la violence employée par les gouverneurs des provinces contre ceux qui voulaient appeler de leurs jugements; quelquefois ils remettaient indéfiniment les appels pour en référer à l'empereur; d'autres fois, ils intimidaient les appelants par l'injure; d'autres fois encore ils les soumettaient aux plus rigoureux traitements. Ce fut contre ces excès, dont il y avait déjà anciennement quelques exemples (ff., L. 25, De app.), que les empereurs chrétiens, et notamment Constantin, établirent des peines. Minimè fas est, dit ce dernier empereur (C., L. 12, De app ), ut in civili negotio libellis appellatoriis oblatis aut carceris cruciatus, aut cujuslibet injuriæ genus, seu tormenta, vel etiam contumelias perferat appellator...

24. Quant à la procédure, elle est restée au fond ce qu'elle était avant Dioclétien; nous avons déjà indiqué quelques-unes des rares modifications qu'elle avait subies. Ajoutons encore qu'un

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