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IV.

PROVENÇAL UGONENC.

On lit dans Arnaut Daniel (éd. Canello, p. 106, pièce IX, vers 22-24):

Non pretz
Necs

Mans dos aigonencs.

L'éditeur fait à propos du dernier vers une note si touffue et si difficile à résumer que je me vois forcé de la traduire littéralement pour mettre le lecteur au courant :

Bartsch lit avec V: don ai gonencs, et il traduit : « dont (desquels messages secrets) j'ai lamentations; » mais je ne trouve pas ce mot gonenc dans les lexiques; je ne le rencontre que dans Diez, Gram. (trad. fr.), II, 348, qui probablement l'a pris à Bartsch; en fait il manque dans la seconde édition (1858)*de la Gram., et je ne saurais lui trouver une base étymologique satisfaisante (grondir? gronir?). Si nous examinons les autres leçons, nous trouvons très claire celle de R: dos aguilens. Cette même expression, pour dire peu de chose, rien, se trouve dans G. de Bornelh (Lex. rom., I, 39; Mahn, Ged., 1381, 5), et un aguilen, avec le même sens, est dans P. d'Alvernha, Mahn, Werke, I, 95 (Chantarai) et dans le Moine de Montaudon, et précisément dans la strophe de sa satire contre les troubadours du temps qui vise Arnaut Daniel, Werke, II, 61 (no valc sos chans un aguilens). Malheureusement, la clarté même de cette leçon semble devoir l'exclure absolument, car il n'est pas possible de voir pour quelle raison on l'aurait altérée. Considérons donc les autres, et d'abord la plus éloignée, celle de a (amouencz), qui plus d'une fois sous d'apparentes bizarreries cache la bonne leçon. Amovencz pourrait être un dérivé de amover, « faire mouvoir, » et le mot dos ne serait plus alors le dérivé de duos, mais le subst. dons; le sens du passage serait alors : «< dons, sollicitations », ou bien « dons sollicitants. » Et si maintenant nous revenons à aigonencs, agonencs des autres manuscrits, nous dirons ou bien que c'est une variante phonétique de aguilens, ou bien qu'il se cache là dessous quelque chose de semblable à amovencz qui aura en quelque sorte été glosé par le copiste de a. Il est vrai qu'on ne trouve dans les lexiques ni un verbe agonar, ni un substantif agon-s, dérivés de acus, mais nous avons les analogues agulion, agulionamen, et l'on peut bien admettre un mot agon-enc, avec le sens de «< piquant » ou celui de « sollicitation, incitation. » Et puisque, dans une si grande incertitude de construction et de sens, le parti le plus convenable

paraît être de suivre la majorité des manuscrits, nous écrivons dans notre texte dos aigonencs, leçon qui a encore sur les autres l'avantage d'être la plus obscure. >>

Il faut avouer que voilà bien des efforts pour un mince résultat. Les quelques mots que M. Chabaneau a ajoutés à cette note valent mieux que la note tout entière. « Je ne comprends. « pas ce vers. Aigonencs ne serait-il pas la corruption d'un nom « de monnaie, peut-être raimonencs? Cf. amouencs (peut-être « amonencz) du ms. a. »

Il est certain que le sens indiqué est : « Je ne prise pas deux liards les messages secrets. » La difficulté est de trouver un mot provençal connu que l'on puisse raisonnablement entrevoir sous les altérations des manuscrits. Ramonenc n'existe pas, que je sache on ne trouve que la forme ramondenc, dont le d ne saurait disparaître. D'autre part, il ne faut pas oublier la statistique des formes qu'offrent les manuscrits: 5 aigonencs, 1 aigonecx, I agonencs, I agonecs, I ogonencs, I aguilens, 1 amouencz, Dans ces conditions le mot cherché me paraît être : ugonenc. A la vérité, ce mot n'est pas dans Raynouard raison de plus pour l'y ajouter, et sans aller chercher dans les chartes méridionales des exemples nouveaux, je puis me borner, doctus cum libro, à transcrire cet article des Bénédictins dans Du Cange, éd. Henschel, IV, 524:

:

Hugonenses, moneta comitum Ruthenensium, ab Hugone, ut videtur, qui ab anno circiter 1010 usque ad annum 1056 comitatum Ruthenensem obtinuit sic dicta. Hugonenci in charta anni 1095, tom. II Hist. Occitan., inter Probationes, col. 337; .... ibid., col. 338 (anno 1095) et in chartis anni 1125, col. 429, 431. Hugonenqui in charta anni 1101: vide in voce Marteror. Eorumdem mentio rursum occurrit in charta manumissionis anni 1251.

V.

A. THOMAS.

HENRI VII ET FRANCESCO DA BARBERINO.

Sous ce titre, M. Novati a publié dans l'Archivio storico italiano (dispensa 2a del 1887) un intéressant article que je n'ai malheureusement pas connu à temps pour en parler dans l'introduction aux lettres latines de Barberino publiées dans le

dernier numéro de la Romania. Le savant critique a signalé dans les Acta Henrici VII de Doenniges (Berlin, 1839) et publié de nouveau, d'après l'original conservé aux archives de Turin, la citation faite le 30 mai 1313, au nom de l'empereur, aux Florentins en résidence à Venise d'avoir à se rendre en armes auprès du souverain pour le servir dans sa guerre de Toscane : le premier Florentin cité est dominus Franciscus de Barberino, cum quinque equis, inventus in persona. Que Barberino se soit trouvé à Venise précisément le 30 mai 1313, c'est ce que les documents publiés dans la Romania expliquent fort bien; qu'il ait été plus guibelin que je ne l'avais cru d'abord, c'est ce que j'ai dit dans l'introduction mise en tête de ces documents. Mais M. N. ne va-t-il pas trop loin lorsqu'il s'écrie d'un ton oratoire. << Non, Barberino n'a pas assisté, comme le veut Thomas, négligent et indifférent aux grands évènements qui, de son vivant, agitèrent l'Italie; il les suivit d'un œil attentif et anxieux; il y eut sa part d'espérances et de douleurs. Reconnaissons lui donc l'honneur auquel il a droit, au moins en partie celui d'avoir combattu pour la noble cause, pour les rêves généreux qui eurent pour défenseurs un prince comme Henri, un poète comme Alighieri. » Je crains, en voyant éclater un pareil guibelinisme chez M. N. lui-même, que la concession que j'ai cru devoir faire ne lui suffise pas, surtout lorsqu'il aura lu la lettre de Barberino à Henri VII. Pourtant le document qu'il a signalé ne me paraît pas autoriser toutes les conclusions qu'il en tire. Rien ne prouve que Barberino ait obéi à la citation qu'on lui faisait sous peine d'être mis au ban de l'empire; bien plus, cette citation même ne semble-t-elle pas indiquer chez lui une certaine tiédeur? Je continue donc à croire, tant que l'on n'aura pas produit d'autres documents que ceux qui sont connus actuellement, qu'il ne faut pas regarder Barberino comme un guibelin militant.

Ant. THOMAS.

VI.

UNE QUESTION BIOGRAPHIQUE SUR VILLON.

Tous les biographes de Villon, et notamment le seul qui compte aujourd'hui, M. Auguste Longnon, sont d'accord pour placer entre les Lais (ou Petit Testament), écrits en 1456, et le Grand Testament, rédigé en 1461 ou 14621, la condamnation à mort, dont il appela, comme on sait, au Parlement, et qui fut commuée en bannissement. Cette opinion me paraît contestable, et, sans me prononcer encore positivement, je veux résumer les faits et demander un nouvel examen de cette question. fort importante pour l'appréciation de l'oeuvre capitale du poète.

Nous savons, grâce aux habiles et heureuses recherches de M. Longnon, que François de Moncorbier, dit Villon, maître es arts, eut, le 5 juin 1455, le malheur de tuer dans une rixe un prêtre nommé Philippe Sermoise. Il prit la fuite, fut condamné par contumace à être banni du royaume, et mena sans doute quelque temps une vie errante. En janvier 1456, on obtint pour lui des lettres de rémission de Charles VII, et il rentra à Paris. Il y écrivit ses Lais vers la Noël de cette même année. En terminant ce petit poème, qui devait fonder sa réputution, il dit qu'il part pour Angers. Il n'est pas douteux qu'il ne se soit réellement rendu dans cette ville, comme le prouvent les faits suivants.

Le 17 mai 1457, un prêtre du diocèse de Chartres, Pierre

1. L'an soixante et un, dit le poète (huit. xt), mais on sait que l'année 1461 s'étendait alors jusqu'à Pâques de 1462. La délivrance de Villon des prisons de Meun doit être du mois d'octobre 1461 (Longnon, p. 89). Il est vrai que Villon, étant né dans l'été de 1431 (Longnon, p. 28), ne pouvait dire en 1462 qu'il était «< en l'an trentiesme de son aage »; mais il ne l'aurait pu davantage en novembre 1461. Ce vers, imité du premier vers du Roman de la Rose, ne doit pas être pris à la rigueur. Dans le Débat du corps et du cœur, qui me paraît avoir été fait dans la prison de Meun, par conséquent avant octobre 1461, Villon se fait dire plus exactement: Tu as trente ans.

Marchand, reçut, dans une taverne, des confidences fort compromettantes d'un certain maître Gui Tabarie, au sujet d'un vol important commis au collège de Navarre, peu avant la Noël de 1456; il vint les raconter au Châtelet de Paris. Gui Tabarie avait parlé à Pierre Marchand, entre autres complices de ce vol, d'un « nommé maistre François Villon », qui, en ce moment même, se trouvait à Angers, où il avait un oncle religieux, pour y suivre une piste qui devait mener à une nouvelle bonne affaire. Recherché sans doute à la suite de cette déposition, Gui Tabarie ne fut arrêté qu'au mois de juillet 1458; il fut mis à la question, et fit des aveux d'où il ressortait non seulement que Villon avait, en effet, pris part au vol du collège de Navarre, mais qu'il était l'un des membres les plus actifs et comme le chef d'une bande qui exploitait systématiquement les coffres-forts des maisons religieuses et des simples moines.

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«< Villon, dit M. Longnon (p. 63), qui était parti pour Angers vers la fin de décembre 1456, ne devait pas encore être rentré à Paris au mois de juillet 1458, époque à laquelle Tabarie comparaissait devant ses juges, car il n'aurait pu échapper à la police parisienne, qui le recherchait depuis le 17 mai 1457. Un jour vint néanmoins, soit en 1458, soit en 1459, soit même en 1460, -que Villon tomba aux mains de la justice dans des circonstances que nous ignorons. Justiciable de l'Église, en sa qualité de clerc, il dut répondre de ses méfaits devant des juges ecclésiastiques, et probablement devant la cour de l'évêque de Paris. » On sait que Villon, après s'être cru certain de mourir au gibet, fit appel au Parlement, et que le Parlement changea la peine de mort en celle de bannissement. Le poète aurait donc quitté de nouveau Paris, et, au printemps de 1461, aurait été,

1. M. Longnon ajoute: «Rien n'est moins certain toutefois que le lieu où Villon fut jugé.>> Il pourrait, d'après cela, l'avoir été dans n'importe quel lieu duressort du Parlement. Cependant les vers (cités p. 65) où il demande au Parlement de lui accorder trois jours pour embrasser les siens et obtenir d'eux quelque argent semblent indiquer qu'il se trouvait à Paris. D'autre part, si on accepte l'interprétation reçue d'un vers de la Ballade de l'Appel, « Pieç'a je fusse ou est Clotaire, » c'est à Montfaucon que devait être pendu Villon, et cela s'accorde bien avec la Ballade sur la pendaison. Il est donc extrêmement probable que ce fut à Paris qu'eurent lieu la condamnation de Villon et sa commutation de peine.

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