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fier « réservoir », mais il est à remarquer qu'il ne se trouve jamais seul, et que, si le moulin a choisel est sûrement un moulin mû de l'eau amassée dans un réservoir, il ne s'en suit pas par que choisel signifie « réservoir »; il peut désigner une particularité de construction du moulin ainsi mû, et plus spécialement de la roue. Le sens du mot percheron, recueilli par M. Godefroy, semblerait même l'indiquer. D'autre part, les Bénédictins, dans leur édition de Du Cange, citent le breton milin coazell, « cujus rota aquaria perpendiculariter vertitur, » qui appuie encore cette hypothèse.

En attendant que le sens du mot soit mieux éclairci, je crois déjà pouvoir en indiquer l'étymologie avec vraisemblance. Carpentier et M. Le Héricher la cherchent dans clusa ou clausum, ce qui est phonétiquement impossible. Caucellum, diminutif de cauculum, lui-même diminutif de caucum, répond, pour la forme, si parfaitement au mot français qu'il paraît difficile de croice que ce n'est pas le même. Caucellum est attesté en bas-latin (voy. Du Cange); il n'y présente, il est vrai, que le sens de « coupe, vase à boire », mais on peut imaginer diverses voies par lesquelles il en sera venu à désigner une pièce caractéristique d'une certaine espèce de moulin. L'alternance entre les formes coisel et choisel indique un c initial suivi d'un au; pour la fin du mot, cf. oisel aucellum.

G. P.

III.

LE CONTE DES TROIS PERROQUETS.

Le conte dont je vais rapporter une rédaction intéressante à divers égards et, je crois, inconnue, offre une assez grande ressemblance avec un récit des Gesta Romanorum dont voici le texte :

Gordianus regnavit, in cujus regno erat quidam miles generosus qui · pulchram uxorem habebat, que sub viro sepius erat adulterata. Accidit semel quod maritus ad peregrinandum perrexit. Illa vero in continenti vocavit amasium suum. Domina illa quandam ancillam habebat que cantus avium intellexit. Cum vero amasius veniret, erant tunc temporis tres galli in curia. Media nocte, cum amasius juxta dominam jacuisset, primus gallus cantare cepit. Domina, cum hoc audisset, aït ancille : « Dic michi, carissima, quid

dicit gallus in cantu? » Illa respondit : « Gallus dicit in cantu suo quod tu facis injuriam domino tuo. » Aït domina : « Occidatur gallus iste! » Et sic factum est. Tempore debito, post hec, secundus gallus cantavit. Aït domina ancille : « Quid dicit gallus in cantu suo? » Aït ancilla : « Socius meus mortuus est pro veritate, et ego paratus sum mori pro ejus veritate. » Aït domina: «< Occidatur gallus! » Et sic factum est. Post hoc tercius gallus cantavit. Domina, cum audisset, dixit ancille : « Quid dicit gallus in cantu suo? » Illa respondit : « Audi, vide, tace si tu1 vis vivere in pace.» Aït domina : <«< Non occidatur gallus iste! » et sic factum est.

(Ed. Esterley, ch. 68; cf. Le Violier des histoires romaines, ch. LXVI) *.

Le même récit se retrouve, étrangement dénaturé, dans le Dialogus creaturarum (ch. 21), dont Græsse a donné, il y a quelques années, une assez mauvaise réimpression 3.

Quidam paterfamilias habebat tres gallos in curia sua et domo, in qua habitavit, inter alios, servus quidam inhonestam vitam ducens. Quod considerantes galli, unus ex iis cantavit dicens : « Tale opus operatur in hoc quod non placebit domino nostro. » Hoc autem audiens inhonestus dixit : « Hic gallus non debet vivere; » et fecit eum occidi. Altera autem die alius levavit vocem suam et cantavit, dicens : « Pro dicendo veritatem, frater noster est jugulatus. » Protinus malefactor ipsum interemit. Tertius autem sapiens fuit; ideoque cantare cepit et dicere: Audi, vide, tace, si tu vis vivere in pace. Propter quod in vita servabatur.

Malgré la substitution assez gauche d'un serviteur à l'épouse adultère des Gesta, il n'est pas douteux que ces deux récits ont la même source. L'identité du proverbe final suffit à le démon

trer 5.

1. Je rétablis tu omis par M. Esterley, d'après une édition de Lyon, 1555. 2. M. Esterley, dans l'appendice de son édition, renvoie à une histoire semblable qui se trouverait dans Vincent de Beauvais, Spec. mor., 3, 6, 6, p. 1222. La p. 1222 de l'édition de Douai (1621) correspond en effet à la troisième partie, livre 6, mais l'histoire indiquée ne se trouve ni là ni, que je sache, dans aucun autre endroit de l'ouvrage.

3. Dans le volume 148 de la collection du cercle littéraire de Stuttgart, 1880. On sait que cet ouvrage a été récemment étudié par M. Rajna dans le Giornale storico della letteratura italiana; voy. Romania, XIV, 161 et 615.

4. M. Rajna (Giorn. stor., IV, 346) cite des mss. qui portent in curtino suo. 5. Ce proverbe, dont nous allons retrouver tout à l'heure la forme originale en langue vulgaire, a été mis, à peu de frais, en forme d'hexamètre, comme suit: Audi, cerne, tace, si cum vis vivere pace (Proverbialia dicteria... per Andream Gartnerum Mariamontanum, 1575, in-8o, fol 110 ro).

I

J'arrive maintenant à la rédaction nouvelle qui est l'objet de cette note. Mais d'abord je crois utile de donner quelques renseignements sur l'ouvrage où je l'ai trouvée. Elle m'est fournie par le livre des Cy nous dit. On désigne sous ce titre un recueil français d'histoires pieuses accompagnées chacune de sa moralité, et commençant toutes par les mots Cy nous dit, d'où le nom sous lequel l'ouvrage a été connu depuis l'époque de sa composition. On lit par exemple dans l'inventaire de la librairie du Louvre « 110. Compilacions de plusieurs escriptures «< saintes par manieres de paraboles et d'enseignemens; et fu <«< fait a l'exemple d'un livre qui fu de la roïne Jehanne « d'Evreux, et s'appelle Cy nous dit ; et y a trés grant quantité << d'histoires, et est signé du roi Jehan. III. Cy nous dit, e « est signé Charles. 112. Un livre qui fu de feue la roïne « Jehanne de Bourbon, appelé Cy nous dit. » Et dans l'inventaire de la librairie du duc de Berry 2: « 41. Un livre appelé « Cy nous dit, escript en françois, de lettre de forme, que Mon«< seigneur acheta a Paris en fevrier 1404... » Cette brève et claire désignation s'est heureusement substituée dans l'usage au titre laborieux que nous offrent les manuscrits: «< Vés cy un livre

-

qui est appelé une composicion de la sainte escripture, lequel <«<est pris ou viel Testament et ou nouvel, et en la legende <«< des sains et en la vie des Peres, pris ou Dyalogue saint « Gregoire. » Telle est la rubrique qui se lit en tête du ms. fr. 425, et de la plupart des autres mss. du même ouvrage. L'auteur et la date de cette «< composition » n'ont pas encore été déterminés et ne le seront peut-être jamais. Tout ce qu'on peut dire c'est que l'ouvrage est antérieur à 1364, puisque, comme on vient de le voir, la librairie du Louvre en possédait un exemplaire qui portait la signature du roi Jean. Ce même exemplaire avait été fait « a l'exemple d'un livre qui fu de la roïne Jehanne d'Evreux ». Jeanne d'Evreux, restée fort jeune encore veuve de Charles IV, avait le goût des livres 3; il n'est pas impossible que le Cy nous dit ait été composé pour elle. Quoi qu'il en soit, il est certain que cette compilation a obtenu

1. Je cite d'après l'édition de M. Delisle, Cabinet des manuscrits, III, 121. 2. Ibid., p. 174.

3. Voy. Delisle, Cabinet des manuscrits, I, 13.

jusqu'aux premières années du xvIe siècle, un succès attesté par le nombre considérable des manuscrits qu'on en possède 1. Le Cy nous dit n'est pas un ouvrage inconnu. P. Paris a décrit dans ses Manuscrits françois (IV, 77 et 99) deux des exemplaires qu'on en possède, et publiée quelques-uns des exemples que renferme cette compilation. On en trouvera d'autres dans les notes des contes de Bozon, dont j'achève en ce moment l'édition pour la Société des anciens textes français. Mais je dois dire, pour qu'on ne s'exagère pas l'importance de l'ouvrage, que la plupart des exemples que renferme le Cy nous dit sont empruntés à des sources connues et en général facilement accessibles beaucoup, notamment, sont tirés de la Bible ou des Vies des Saints et qu'en outre ils sont contés sous une forme très abrégée et peu littéraire. Celui dont le texte suit est assurément l'un des plus intéressants. Je cite d'après le ms. fr. 425 qui a appartenu à Jean, duc de Berry (fol. 46 d et 47 a), avec quelques variantes empruntées aux mss. fr. 436 (fol. 36 d) et 9576 (fol. 52 d).

Ci nous dist comment il fu un Prouvencel qui avoit trois papegaulz, et amoit sa femme par amours. Si demanda a ces papegaux en ceste maniere :

O mi oisel, comme vous estat?

Que no donne aqueil vituperade 2.

A la mie foy, seignar, en no chambre entrade

Lors si bati sa femme, et elle tua le papegaut. Après revint de hors:

O mi oisel, comme vous estat? A la mie foy, seignar, pour dire veritade a esté mort no fraire".

Encore la rebati, et ele retua l'oisel. Après revint de hors et ala veoir les oysiaux :

O mi oisel, comme vous estat? pache: oie et voie et me tache.

A la moie foy, seignar, si veul vivre en

1. Bibl. Nat. fr. 425, 436, 9576, 17050, 17051, 17059, 17060, 19233 (ce ms. contient deux exemplaires incomplets reliés en un), 20110, 24285. Il y en avait dans la bibliothèque de Monmerqué deux exemplaires, l'un incomplet, que le catalogue de vente (nos 2775 et 2776) attribue au xive siècle. P. Paris a dit un mot de ces deux mss. dans ses Manuscrits françois, IV, 89. 2. Ms. 436: O my oisel, comment vous estat. Li uns respondy: A la mye fey, seignyr, en vo cambre est entrade qui no done vituperade, Ms. 9579 : O mi oisel, comment vous estat? Li uns respondi: A la mie foy, seignar, en no chambre entrade qui no done aqueil vituperade.

3. Ms. 436 seigni... veritat... nostre. Ms. 9579 coment... fratre.

4. Ms. 436: com... seigni, se vueille v. en paice ne voye et me tace. Ms. 9576 se vuelle.

Et pour ce dist le proverbe : « Qui de tout se taist, de tout a paix1. » Mais on doit adès blasmer le mal et louer le bien, ou autrement l'en vit sans charité qui treuve a qui'.

Cette petite histoire est plus curieuse encore par sa rédaction semi-provençale que par le fonds du récit. On voit qu'il s'agit, comme dans les Gesta, d'une épouse adultère, et comme dans les deux textes précités la narration aboutit à un proverbe dont le sens est qu'il faut savoir entendre, voir et se taire. Mais le reste est bien différent. Ici il ne s'agit plus de coqs conversant entre eux et dont une servante réussit à interpréter le langage : le narrateur met en scène trois perroquets capables de renseigner leur maître sur ce qui se passe chez lui en son absence, absolument comme la pie dans le roman des Sept sages. Le récit du Cy nous dit est parallèle à ceux des Gesta et des Dialogues : les uns et les autres ont une source commune que je ne connais pas, mais assurément fort éloignée.

:

La façon dont l'histoire est narrée dans le Cy nous dit semble indiquer un récit recueilli de la tradition orale. Cette formule, trois fois répétée, et qui, la troisième fois, n'a plus de raison d'être O mi oisel, com vos estai? a quelque chose de populaire. Il est bien possible que l'auteur du Cy nous dit ait recueilli une histoire qu'on attribuait à un Provençal, et qu'on se plaisait à conter, comme on fait de notre temps pour certaines histoires marseillaises, en mélangeant le français et le provençal 3. Mais il est possible aussi que nous ayons ici le résumé d'une nouvelle provençale perdue.

P. M.

1. Même proverbe, Le Roux de Lincy, Livre des proverbes, II, 388, et Hist. litter., XXIX, 561.

2. Les mots qui treuve a qui manquent dans plusieurs mss.

3. Ce qui donnerait quelque consistance à cette hypothèse, c'est que les phrases provençales sont fort incorrectes dans tous les mss., et les fautes sont assez constantes pour qu'on soit porté à les attribuer au compilateur. Voici comme on aurait pu dire : O mi aucel com vos estai? — A la mia fe, senher, en nostra cambra es entratz qui nostra domna a vituperada... — per dire veritat es estal mortz nostre fraire. Si vuell viure en patz: Aug e vei e me taze. Il y a, comme dans beaucoup de formules, des apparences de rimes, mais le texte ne se laisse pas mettre en vers. La forme seignar, qui se rencontre en plusieurs mss. (voir par ex. fr. 20110, fol. 44 vo) paraît avoir été courante en France pour figurer la prononciation provençale de ce mot. Elle est employée par Philippe Mousket (v. 18707), et par une ancienne chronique en prose française: Voy. Notices et extraits des manuscrits, XXXI, 2o partie, p. 64, 68 (note) et 70.

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