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émanées de l'auteur même, faisait défaut. Il n'y avait pas à songer à rétablir la langue de Ville-Hardouin dans sa graphie originale, mais du moins le nouvel éditeur eut-il le mérite de restituer, avec une certitude à peu près complète, les leçons de son auteur par un classement préalable des manuscrits, sur la valeur relative desquels les opinions les plus divergentes avaient été émises. Peut-être eût-il été possible de conduire plus loin l'amélioration du texte, en corrigeant davantage la graphie du ms. A, qui a été écrit à Venise, mais M. de Wailly était le plus prudent des éditeurs et il aimait mieux laisser subsister une forme suspecte que de recourir à une correction en apparence arbitraire. Après avoir renouvelé le texte de Joinville et de Ville-Hardouin, M. de Wailly s'attacha à une chronique dont il s'était occupé une première fois en publiant le t. XXII des Historiens de France, et qui, sans lui inspirer la même considération que les deux historiens champenois, lui avait plu par des qualités purement littéraires: il s'agit de la chronique connue jusqu'alors sous le nom de Chronique de Reims et à laquelle il attribua le titre fort bien trouvé de « Récits d'un ménestrel de Reims. » L'édition qu'il en publia en 1876 pour la Société de l'Histoire de France avait été, comme les autres, préparée par de consciencieuses études sur les mss. de cette chronique et sur la langue de Reims au xe siècle. C'est ainsi que M. de Wailly avait été amené peu à peu à s'occuper de linguistique romane, plus peut-être qu'il ne l'avait prévu. Il rendit à ces études un dernier service en publiant, en 1878, un précieux recueil des Actes en langue vulgaire du XIIIe siècle, contenus dans la Collection de Lorraine, à la Bibliothèque Nationale, bientôt suivi d'Observations grammaticales sur les actes des amans de Metz, contenus dans la Collection de Lorraine 1. Ce dernier travail date de 1881. La même année, il publia, chez Hachette, une petite édition de Joinville, à l'usage des classes. Il y mit à profit plusieurs des observations présentées ici-mêmes par G. Paris (Rom. III, 401 et suiv.), mais il se refusa à régulariser la graphie. Il exposa deux ans plus tard les motifs de son opinion dans un court article plein de ces recherches minutieuses et de ces relevés rigoureux qu'il savait si bien faire. Depuis lors, sa vue allant toujours s'affaiblissant, il renonça aux études qui, depuis ses premiers travaux sur Joinville, l'avaient tant occupé et intéressé. Il ne restait cependant pas oisif. En 1885, il publiait une traduction, à proprement parler une nouvelle édition d'une ancienne traduction, révisée par lui, de l'Imitation.

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1. Notices et Extraits des mss., XXIV. 2o partie. M. de Wailly n'en a connu que six, et il en existe au moins douze, voy. Riant, Arch. de l'Or. latin, I, 255-6; mais il ne paraît pas probable que les mss. non utilisés fournissent aucune variante bien importante. Cf. Rom., VIII, 429.

2. Mém. de l'Acad. des Insc, XXVIII, 2e partie.

3. Notices et Extraits, XXVIII, 2e partie.

4. Mém. de l'Acad. des Insc., XXX, Ire partie.

5 Addition au mémoire sur la langue de Joinville, dans la Bibl. de l'Ec. des Ch., XLIV, 12-25.

Il avait voulu faire œuvre d'édification. Mais le goût de la recherche critique se réveilla encore une fois à cette occasion. On appela son attention sur les recherches dont Th. A Kempis et l'Imitation ont été l'objet dans ces dernières années. M. de Wailly s'éprit de ces études nouvelles pour lui, et lorsqu'il mourut, il projetait une édition savante du texte de l'Imitation.

M. de Wailly a traité surtout les matières linguistiques comme un moyen de pourvoir à l'amélioration des textes. Il s'était appliqué tard, étant presque sexagénaire, à la philologie romane, et ne pouvait, au milieu d'occupations variées, et ayant une tâche considérable à accomplir en un temps limité, s'assimiler les procédés compliqués de la nouvelle école philologique qui se formait dans une génération beaucoup plus jeune que la sienne. Sans doute on peut remarquer des imperfections et des lacunes dans la méthode qu'il s'était formée, mais il convient bien plutôt d'admirer la sûreté des résultats qu'il a obtenus. A tout ce qu'il a fait, sans excepter même les polémiques auxquelles, en plus d'une occasion, le besoin de défendre la vérité, et aussi son caractère passionné sous une apparence froide, l'ont entraîné, M. de Wailly a su imprimer une marque personnelle et distinguée.

M. de Wailly était par excellence l'homme juste et droit. Ceux qui ne le connaissaient pas lui trouvaient l'abord sévère. Plusieurs de ceux à qui, dans le cours de sa longue vie, il a prodigué sa bienveillance se rappellent avec quel sentiment de crainte on se présentait devant les commissions d'examen de l'École des Chartes qu'il présidait avec une impartialité glaciale. Nul cependant n'était plus sincèrement dévoué, plus profondément affectueux que ce grand savant dont l'enjouement naturel contrastait parfois avec la vie austère, et qui résistait à une tristesse ancienne et profonde en travaillant et en faisant le bien. P. M.

M. Francisque Michel est mort le 18 mai de cette année, à l'âge de 78 ans. Son œuvre scientifique consiste en une série de publications relatives, pour la plupart, à notre ancienne littérature, et trop nombreuses pour qu'il soit possible d'en faire ici l'énumération. Les premières remontent à 1830, époque où Fr. Michel publia la chronique en prose de Bertran du Guesclin, sa première édition (inachevée) de Joinville, et les chansons du Châtelain de Coucy; la dernière est le t. I des Rôles gascons, publié dans les Documents inédits en 1885. C'est surtout par des éditions de textes inédits que Michel a rendu à nos études de réels services, à une époque où quelques érudits à peine s'occupaient de notre ancienne littérature. Ces éditions sont ordinairement la copie approximativement exacte d'un seul ms. Il était difficile de faire plus en 1830. Disons cependant que Michel atteignit du premier coup le degré de perfection jusqu'auquel il lui fut donné de s'élever. Ses premières publica

1. M. Fr. Michel a donné une bibliographie sommaire de ses écrits, de 1830 à 1869, à la fin de son édition du psautier d'Oxford (1860).

tions ne sont aucunement inférieures, pour l'exactitude de la copie ou pour la valeur des introductions ou des commentaires, à celles qu'il faisait dans ses dernières années. Plusieurs de ces publications ont été faites pour le public anglais, et en anglais, langue que Michel aimait à parler, et qu'il écrivait comme il la parlait. Il a fait aussi diverses compilations historiques, où on remarque une érudition fort étendue : Histoire des races maudites (1847), Recherches sur le commerce, la fabrication et l'usage des étoffes de soie (1852-4), Etudes de philologie comparée sur l'argot (1856), Le Pays Basque (1857), etc. Mais dans ces compilations comme dans les préfaces de ses éditions de textes, il excellait plus à recueillir des matériaux qu'à les classer et à en tirer des conclusions. Il avait été professeur de littérature étrangère à la Faculté des lettres de Bordeaux, et était correspondant de l'Académie des inscriptions depuis 1854.

- La Société des anciens textes français vient de mettre en distribution, pour l'exercice 1886, le tome I des Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par M. Maurice Roy. Les deux volumes du Roman de Merlin, édité par MM. G. PARIS et J. ULRICH, ne se feront pas attendre, et complèteront l'exercice de 1886.

Le nombre de recueils consacrés à ce qu'on appelle d'un nom devenu courant le Folk-lore, c'est-à-dire à la littérature populaire, chantée ou contée, aux superstitions, aux croyances, aux usages du peuple, va s'accroissant outre mesure. Après Mélusine, qui s'attache surtout à susciter des enquêtes, et à publier des textes recueillis par voie orale, ont paru successivement la Revue des traditions populaires et La Tradition. Ces deux recueils, qui sont en dépôt chez le même libraire (A. Dupret, rue de Médicis), sont les organes de deux sociétés poursuivant indépendamment les mêmes études, « la Société des traditions populaires » et la « Société des traditionnistes ». La seconde en date de ces revues (La Tradition) justifie sa venue au monde par un programme assez ambitieux où on lit qu'il a manqué aux recueils jusqu'à ce jour consacrés aux mêmes études : « 1o la variété sans parti pris et toute l'universalité pos«<sible dans les recherches; 20 le contrôle et le choix des matériaux, c'est-à<< dire la méthode sélective qui peut seule en garantir l'authenticité et la «< valeur; 3o la critique, la philosophie et l'interprétation des documents << ainsi obtenus, c'est-à-dire le développement normal des forces et des «< formes qu'ils contiennent en germe. Ces attributions, nous entendons les «< conférer à notre Revue, qui, à côté et comme complément naturel et néces« saire de sa partie documentaire, aura ainsi une portée spéculative non << moins importante ». Nous ne pouvons que souhaiter «< ces attributions » à La Tradition. Nous devons confesser, toutefois, que la lecture de son premier numéro nous confirme dans l'opinion qu'il n'y a pas encore maintenant en France un nombre suffisant d'hommes réellement compétents pour alimenter trois recueils consacrés à la publication et à l'étude des connaissances et

traditions populaires. Nous croyons que les deux Sociétés des traditions populaires et des traditionnistes auraient tout avantage à se fondre en une seule, et à mettre à leur tête un comité de publication capable d'éliminer certains articles qui seraient mieux à leur place dans les journaux à cinq centimes.

Nous avons annoncé (XIV, 166-7) le commencement de la publication du cartulaire seigneurial de Montpellier, connu sous le nom de Mémorial des Nobles, par les soins de M. Germain, dans le recueil de la Société archéologique de Montpellier. Cette publication est maintenant achevée. Elle se compose, pour le texte, de trois fascicules contenant 850 pages et d'un fascicule de LXX pages qui renferme une courte notice préliminaire, une introduction historique concernant les Guillem de Montpellier, par M. Germain, des remarques sur le texte du Mémorial, par M. Chabaneau. Tout cela ne constitue pas encore une introduction complète, il resterait assurément beaucoup à dire au sujet de la chronologie et de la diplomatique de ce cartulaire. Mais, en somme, le texte paraît en général bien copié, et, telle qu'elle se présente, la publication est très louable. Son principal défaut est de n'être point pourvue d'une table alphabétique. Un cartulaire qui n'a pas de table perd singulièrement de son utilité. Mais c'est un défaut auquel on pourra remédier et nous espérons que la Société n'y manquera pas. Nous avons le regret d'annoncer, en terminant, que le savant laborieux et distingué à qui est due cette utile publication, M. Germain, est décédé le 27 janvier de cette année. Ses travaux échappent à la compétence de la Romania; nous pouvons dire toutefois que, bien qu'il ne fût pas du Midi, il a, plus que personne, en ce siècle, par ses histoires de la commune et du commerce de Montpellier, et par ses nombreux mémoires, dont quelques-uns sont de véritables livres, contribué à établir sur de solides bases l'histoire de nos provinces méridionales, et particulièrement du Bas-Languedoc.

Le vingt-cinquième anniversaire de la nomination de M. Ascoli à la chaire qu'il occupe avec tant de distinction, a été célébré le 25 novembre dernier à Milan. A cette occasion, diverses brochures ont été publiées par des amis et élèves du célèbre professeur. Nous citerons de M. Flechia: Nel 25° anniversario cattedratico di G. I. Ascoli, gratulando e augurando all' amico e collega, G. FLECHIA (Torino, Bona, 1886, 10 p. in-12), étymologie de frana (v or agine) et de palmento (pigmentum). De M. Monaci : L'assedio di Milano nel M.C.LVIII, extrait d'un poème latin qui va paraître dans le t. I des Fonti per la storia d'Italia (Rome, 16 p. in-8o). De M. Salvioni : Lamentazione metrica sulla passione di N. S. in antico dialetto pedemontano (Turin, Bona, 27 pages in-8°), texte du xve siècle, accompagné de bonnes remarques philologiques.

— A l'occasion du compte rendu que M. Wilmotte a publié ci-dessus, pp. 118 et suiv., de l'édition du Poème moral due à M. Cloetta, il peut n'être pas sans intérêt de signaler une dixième copie, jusqu'ici inconnue, de la vie de sainte Thaïs. Cette copie qui, selon toute apparence, n'apporterait à la consti

tution du texte aucun élément nouveau, occupe les feuillets 53 vo à 61 du manuscrit de la Bibliothèque royale de Belgique, coté 9229-30. C'est le ms. qui contient la Vie des Pères, et qui a été mentionné à ce propos par M. Schwan dans la Romania, XIII, 239. M. Schwan, du reste, n'a pas vu ce ms. et ne le connaît vraisemblablement que par la notice très incomplète du catalogue imprimé. Bornons-nous à dire pour le moment, sauf à donner ultérieurement une notice plus détaillée, s'il y a lieu, que ce ms. est très analogue, on pourrait presque dire identique, au ms. de La Haye décrit ici même par M. Van Hamel. C'est, comme ce dernier, un grand livre à trois colonnes par page. Il provient de l'ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne, et est décrit comme suit dans l'un des anciens inventaires de cette bibliothèque : « Ung <«< autre grant volume couvert de cuir rouge, atout deux cloans de leton, << historié, et intitulé Les miracles de Nostre Dame en rigme; comenchant ou << second feuillet: Or serons pris et mar requis, et finissant ou derrenier : Pour » nostre vray repoz trouver. » (Barrois, Bibliothèque protypographique, no 1745.)

Puisque nous venons de mentionner un ms. ayant appartenu à l'ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne, il peut n'être pas sans intérêt de noter ici que, le 29 mars de cette année (1887), il a été vendu, par les soins du libraire Labitte, une Vie de Jésus-Christ, qui est correctement indiquée dans le catalogue1 comme ayant été faite pour Philippe le Bon, duc de Bourgogne. On

y

lit l'intéressant explicit que nous allons reproduire : « Cy fine le livre appellé « Vita Christi, jadis translaté de latin en cler françois par Jehan Aubert, <«< conseiller et maistre de la chambre des comptes a Dijon et depuis a Lille « de trés hault, trés excellent et très puissant prince Phelippe, par la grace << de Dieu duc de Bourgoingne... Et en l'an de l'incarnation nostre Seigneur «< Jhesucrist mil. cccc. soixante et ung, par l'ordonnance et commandement d'icelluy tryumphant et trés redoubté magnifique, par raison appellé prince <«< de paix en chrestienté comme par ses trés haulx fais plainement appert, fu <«< mis au net, comme l'en peult icy veoir, par David Aubert, en l'an dessuz « dit. » Le ms., que j'ai vu avant la vente, est en effet de l'écriture bien connue de David Aubert ou des copistes qu'il employait et qui avaient à peu près la même écriture que lui. L'ornementation, dont la valeur a été très surfaite dans le catalogue de vente, est inférieure à celle de la plupart des mss. avec enluminures qui ont été exécutés pour Philippe le Bon. Voici maintenant ce que je sais sur l'histoire de ce précieux livre. Il figure sur l'inventaire de Bruges, 1468, en ces termes : « Ung autre livre en parchemin couvert d'ais << noirs, intitulé au dehors: La vie, la passion et la resurrection de J.-C. nostre « Seigneur, comançant au second feuillet après la table : De lui songneusement, <«< et au dernier feuillet amen, amen. » (Barrois, Bibl. protypogr., no 776.) Le

1. Catalogue de livres précieux, anciens et modernes, manuscrits et imprimés. Paris, Labitte, 1887. 89 pages, pet. in-8°.

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