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signe de sa qualité de juge au tribunal, ou qui, par lettre ainsi signée, adhère à un article de ce journal contenant des doctrines inconciliables avec les devoirs de son état, et spécialement avec le serment qu'il a prêté, encourt la censure avec réprimande de indigne d'un citoyen, plus notablement encore indigne d'un magistrat. M. le procureur général passe au second chef de la plainte relatif au gouvernement occulte dont M. Madier a dénoncé l'existence, et aux deux circulaires qu'il a désignées sous les n° 54 et 35. Il fait sentir d'abord la gravité d'une pareille dénonciation; il s'attache ensuite à montrer que M. Madier de Montjau n'a pu se dispenser de nommer les personnes qui lui avaient révélé les complots par lui dénoncés à la chambre des députés et à toute la France. Et de quel droit, continue-t-il, un citoyen vientil dicter des lois à un gouvernement, et fait-il dépendre l'accomplissement d'un devoir, des conditions qu'il impose? Quel que soit le caractere de ces conditions, bonnes ou mauvaises en elles-mêmes, licites ou illicites, utiles ou dangereuses, elles se courbent et s'anéantissent devant le devoir le plus absolu. Nous l'avons dit: quand il s'agit de contrats ou de testaments, on examine la nature des conditions, parce que la loi laisse le droit d'en apposer, et qu'elle prohibe seulement celles qui sont contraires à l'ordre public, aux bonnes mœurs, ou qui sont impossibles; mais ici la loi et l'ordre public commandent au citoyen; et, lorsqu'il n'est pas le maître de faire ou de ne pas faire, il n'est pas le maître non plus de n'offrir qu'une obéissance conditionnelle. - Parlerons-nous de ce serment extraordinaire par lequel M. Madier a prétendu qu'il était lié? Un magistrat qui s'enfonce dans de ténébreuses confidences! qui jure comme jurent les conspirateurs! ce serment ne lie pas. Juramentum non ob hoc fuisse institutum ut esset vinculum iniquitatis. Telle est la maxime qu'on ne trouve pas seulement dans les lois canoniques, mais dans tous les livres du droit public.

En terminant, M. le procureur général a appelé l'attention de la cour sur un écrit imprimé sous le titre de Pièces et documents que M. Madier de Montjau a publié depuis sa citation à comparaitre devant la cour de cassation, et dans lequel il revient sur l'existence de ce gouvernement occulte qui a fait l'objet de sa dénonciation.-Dans ses pétitions, M. Madier n'avait parlé que de l'impunité des excès de 1815; mais, dans cette dernière brochure, il révèle que la même impunité existe pour des crimes récents; et, à cet égard, il rend publics les rapports par lui adressés en qualité de président des cours d'assises des départements du Gard et de Vaucluse, au ministre de la justice; il public aussi ses dénonciations contre des jurés, dont il désigne plusieurs par des lettres initiales. Que M. Madier ait cru que les jurés avaient manqué de courage, et que leur lâcheté avait laissé les crimes impunis: qu'il l'ait cru et qu'il l'ait dit au ministre de la justice, c'est une confidence dont personne n'a le droit de se mêler; mais que M. Madier accuse devant la France entière tel et tel jury nommément, tels et lels jurés assez clairement désignés, d'avoir menti à leur conscience, d'avoir laissé crier le sang des victimes, c'est une diffamation qui n'a pas d'exemple. De quel droit M. Madier se rend-il juge de la conscience des jurés, se croit-il le maître de disposer de leur réputation? C'est un tort qui aggrave tous ceux que nous avons à lui reprocher....Conclusion à la suspension.

M. Madier de Montjau a répondu dans ces termes : « J'ai dit la condition qui m'avait été imposée, les efforts que j'avais faits pour en être affranchi, et l'insistance que les révélateurs avaient mise à me rappeler le serment sous lequel je leur avais promis de taire leurs noms et leurs preuves, jusqu'à ce que le ministère public eût prouvé lui-même par sa vigueur à poursuivre le crime de la note secrète, la vigueur qu'il saurait mettre à poursuivre les nouveaux crimes dont les mêmes hommes s'étaient rendus coupables; j'ai gardé mon serment. Mais, me dit-on, vous ne deviez pas promettre ce secret; vous ne deviez pas prêter serment de le garder.-Je l'ai déjà dit, il me fallait opter entre une révélation en partie conditionnelle et un silence absolu. Dans ce dernier cas, je n'aurais rien su, absolument rien, et je ne vois pas ce que la justice et le gouvernement y auraient gagné; au lieu qu'en acceptant la condition, j'obtenais au moins le droit de porter le fait principal à la connaissance du gouvernement. Sans doute, dans cette hypothèse, je ne faisais pas connaître les criminels, mais je faisais connaître le crime; j'avertissais de son existence; je mettais le gouvernement sur ses gardes; enfin, je lui indiquais, dans la condition même, le moyen d'acquérir, s'il le voulait, les preuves dont la production était subordonnée à cette condition. Quel est le citoyen qui, entendant dire que le roi serait assassiné tel jour, s'il allait à tel spectacle, ne s'empresserait pas d'accueillir une telle révélation, lors inême qu'elle serait accompagnée de restrictions sur le nom des criminels on sur les preuves matérielles du crime? Il s'empresserait d'écrire comme autrefois le sénat romain à Pyrrhus: Tu, nisi caveas, jacebis. Le roi serait averti, l'attentat serait prévenu, le crime ne serait pas puni peutétre; mais l'Etat serait-il moins sauvé? Voilà ce qui m'a fait penser qu'en prêtant le serment de garder le secret sur certaines circonstances, pour lesquelles on l'a exigé de moi, j'ai cru encore servir mon prince et mon pays. - Qu'on me dise à présent que ma promesse a été vaine et mon serment nul; que j'ai pu m'en dégager, et que la conscience doit se taire en présence de la raison d'état. Je réponds que je n'admets point

la cour suprême, encore bien qu'il n'ait point fait cette publication à raison de l'exercice de ses fonctions, et lors même que, poursuivi devant la cour d'assises pour le même fait, il a été acquitté par le jury (ch. réun., 30 mai 1832) (1).

de semblables capitulations... Peut-être me trompé-je; mais je n'aime point à lutter avec ma tête contre mon cœur ; je n'aime point à établir de combat entre la dialectique et l'honneur. Dès qu'un scrupule s'élève dans mon âme, quand je sais ma parole engagée, quand j'ai promis surtout sous la foi du serment, je ne sais point me dégager de mes promesses par des restrictions mentales et des distinctions jésuitiques. Pour moi, cette question n'est qu'une thèse d'honneur, de conscience et de sentiment. Je consens cependant à en faire une thèse de droit, et à examiner si, dans le cas donné, la prétendue raison d'état a pu me dégager de mes serments. Cette thèse de droit n'est pas nouvelle. Plus d'une fois le ministère public a essayé de la faire consacrer par la jurisprudence; plus d'une fois aussi ses efforts sont restés impuissants. Entre plusieurs arrêts que je pourrais citer, je me contenterai d'en rappeler un seul, parce qu'il est émané de vous, et que votre jurisprudence passée m'est un garant de votre jurisprudence actuelle.-M. Madier invoque un arrêt, duquel il résulte qu'un prêtre appelé comme témoin en justice, ne peut être contraint à déposer sur des faits dont il n'a acquis la connaissance qu'en sa qualité de confesseur.

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Opposerait-on que là il ne s'agissait que d'un vol, au lieu que, dans mon affaire, il s'agirait d'un crime d'état? Ici, ma défense va devenir plus glorieuse encore. Le plus noble des exemples, la plus imposante des autorités vont servir à la décision du procès. Cet exemple, je le trouve dans la vie de Lamoignon; cette autorité sera celle de Louis XIV. — Ici M. Madier de Montjau cite l'exemple rappelé v° Dépôt, no 4, puis il termine ainsi : - « Voilà ma cause, vous pouvez désormais me juger. Votre arrêt fera connaitre si les principes ont changé avec le temps, et si un magistrat de cour souveraine a pu encourir votre censure, parce qu'il aura pensé qu'il était de son honneur de tenir à sa parole et de garder ses serments! >> LA COUR; Vu l'art. 82 de l'acte du gouvernement du 16 therm. an 10;-Attendu que le sieur Madier de Montjau, dans des pétitions adressées à la chambre des députés, a dénoncé l'existence d'un gouvernement occulte qui contrariait par des manœuvres ténébreuses l'action du gouvernement légitime; qu'il a dénoncé particulièrement une circulaire sous le n° 54, qui aurait eu pour objet d'organiser l'assassinat dans la ville de Nimes; qu'il a aflirmé, dans ces pétitions, connaitre les anteurs de cette circulaire; qu'il y a aussi dénoncé des concilabules qui se seraient tenus à Nimes, dans la nuit du 7 au 9 janvier, pour l'inspection secrète de la garde nationale qui était alors dissoute par l'autorité du gouvernement, pour y remplacer les officiers décédés, et enfin pour arrêter un plan d'attaque et de calomnie contre la garnison, à l'effet d'en obtenir la translation; qu'appelé devant la justice pour donner sur ces faits et sur leurs auteurs les renseignements qui seuls pouvaient diriger l'action des magistrats chargés de la poursuite des crimes, il a refusé de les faire connattre; que, pour motiver ce refus, il a allégué un prétendu serment, dont il n'avait jusque-là parlé dans aucun de ses écrits, par lequel il se serait lié envers ceux qui lui avaient révélé les crimes par lui dénoncés; que, sur les questions qui lui ont été faites devant la cour, il a persisté à soutenir l'existence d'un prétendu gouvernement occulte, celle des circulaires émanées de lui, il a déclaré de nouveau connaître les noms de ceux qui avaient rédigé ces circulaires, et qui faisaient partie de ce gouvernement; qu'il a également allégué le prétendu serment par lui prêté, pour justifier son refus de les faire connaitre à la justice; mais qu'un serment prêté volontairement, hors la nécessité de fonctions civiles ou religieuses, ne peut être un motif légitime de refuser à la justice les révélations qu'elle requiert dans l'intérêt de la société; que le refus de M. Madier de Montjau de répondre a donc été une infraction à la loi, une désobéissance à la justice; que si, dans l'erreur de sa conscience, il croyait que le serment qu'il dit avoir prêté devait avoir pour lui plus d'autorité que la volonté de la loi et l'intérêt de la chose publique, il devait s'abstenir de publier des crimes dont il voulait aussi refuser de produire les preuves, eu même temps qu'il affirmait les avoir en main; que sa conduite a été d'autant plus répréhensible, que son caractère de magistrat en rendait l'exemple plus dangereux; qu'il a aggravé ses torts depuis la citation qui lui a été donnée pour comparaître devant la cour, par la publication d'écrits propres à entretenir les méfiances et les baines parmi les citoyens, par la publication surtout de rapports faits, en sa qualité de président de cours d'assises, au chef de la justice, à qui seul il appartient de juger s'ils devaient être publiés ou demeurer secrets; que, par tous ces faits, le sieur Madier de Montjau a manqué essentiellement aux devoirs que lui imposait la dignité de ses fonctions et gravement compromis celle de la cour dont il est membre; Par ces motifs, censure avec réprimande le sieur Madier de Montjau et le condamne aux frais de la citation, ainsi qu'à ceux de la notification et expédition du présent arrét.

Du 30 nov. 1820.-C. C., sect. réun. -MM. de Serre, min. de la justZangiacomi, rap.-Nicod, av.

(1) Espèce (Min. pub. C. Fouquet.) La Gazette de France, or

148. Le fait de la part d'un magistrat, d'un juge, par exemple, d'avoir signé un article de journal, en forme de pro

gane du parti légitimiste, publia, le 28 mars 1852, une déclaration de ses doctrines politiques. M. Fouquet, juge au tribunal de la Seine, envoya une lettre d'adhésion qui fut insérée dans le numéro du 24 avril. La lettre portait, en substance, «que la France ne trouverait le repos, le bonheur et la gloire qu'en revenant aux principes dont elle s'est si malheureusement éloignée; que, dans les cahiers de 1788 sculement, se trouve la solution du problème de l'alliance du pouvoir et de la liberté; qu'un retour vers le passé effacera les maux qui accable: t la France, comme cela était déjà arrivé durant seize années, malgré bien des fautes; que c'était un devoir pour quiconque aime son pays, de faire tout pour l'amener, par sa propre conviction, à changer lui-même son sort. » Des poursuites furent dirigées devant la cour d'assises contre M. Fouquet et le gérant de la Gazette, l'un à raison de la déclaration de principes, l'autre à raison de son adhésion; en même temps la conduite de M. Fouquet fut déférée à la censure de la cour de cassation par le ministre de la justice. Les jurés, en condamcant le gérant du journal, acquittèrent M. Fouquet; mais il n'en a pas moins été cité à comparaître devant la cour, par forme de mesure disciplinaire.

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M. Dupin, procureur général, dit que le système commun de toutes ces gazettes à titre suranné, en tèle desquelles on remarque la Gazette dite de France, a été de décrier le présent, de vanter le passé, de prédire la chute de l'un et de choyer le retour de l'autre. Cependant on a senti qu'il ne fallait pas laisser flotter les esprits dans le vague; on a voulu, pour fixer l'incertitude du parti, lui proposer une sorte de symbole que chacun put croire et enseigner. On sait quel sera le roi légitime, le roi jure divino! Ce sera le duc de Bordeaux sous le titre de Henri V; mais quelle sera la forme du gouvernement qui viendra à sa suite? Rassurezvous, vieux royalistes, ce ne sera pas même la charte de 1814, blessante pour les uns, parce qu'elle fut octroyée, odieuse aux autres, parce qu'elle était une dérogation à l'ancien régime; ce sera cet ancien régime pur, exprimé par les états généraux! Voilà ce qu'on appelle l'ancienne constitution française, la constitution qui est, qui n'a pas cessé d'étre, à laquelle rien n'a pu déroger depuis quarante ans. — On ment à l'histoire ellemême; on oublie, on feint de méconnaître que cette prétendue constitution fat, dans tous les temps, la chose la plus contestée. Ouvrez Montlosier, de la Monarchie française: selon lui, là France n'a jamais eu de constitution véritable que la constitution féodale avec ses parlements de barons, ses Champs-de-Mai, et le jugement par pairs, constitution battue en brèche depuis le siècle de saint Louis, et démembrée par une foule d'innovations successives, où les lois se montrèrent souvent en opposition avec les vieilles mœurs. Selon Lanjuinais, Histoire des constitutions de la nation française, «ce qu'on a vu s'écrouler en 1789 n'était pas l'ancienne constitution française, mais la dernière des formes incertaines du despotisme et de l'anarchie, substituées à l'ancien gouvernement représentatif. >> Quoi qu'il en soit, la Gazette de France met au jour sa pretendue constitution; elle la réduit en articles, elle la promulgue comme ayant été délibérée par un grand nombre de royalistes présents à Paris, et elle provoque les adhésions des hommes de son parti. · Les gazettes de province se båtent de déclarer que cette constitution leur plait infiniment; qu'elle est la seule vraie, la seule qui ne soit pas une déception; elles déclarent y adhérer avec empressement; elles parlent même au nom de leurs abonnés.

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>>... La lettre d'adhésion de M. Fouquet a été insérée dans la Gazette de France, à la date du 24 avril, six jours avant l'échauffourée de Marseille, elle est signée en sa qualité de juge au tribunal de Paris. Aussitôt M. le garde des sceaux vous a déféré la conduite de ce magistrat, pour exercer à son égard la juridiction de haute censure attribuee à la cour de cassation. - Un incident est venu suspendre cette poursuite. Le procureur général a fait renvoyer devant la cour d'assises le gérant de la Gazelle de France, et M. Fouquet. Le gérant s'est défendu en disant << qu'il s'était renfermé dans les limites du raisonnement, en ne s'adressant qu'aux intelligences qu'il voulait convaincre ;... que le mouvement qu'il provoquait devait s'accomplir par l'effet de la raison et non par des secousses et des violences;... que répondre, en effet, si la France le voulait ainsi?»-Quant à M. Fouquet, accusé de complicité, sans répéter les raisonnements de l'accusé principal, il a seulement déclaré qu'il s'y référait. Il a fait remarquer ensuite qu'il y avait eu beaucoup d'adhésions autres que la sienne; que cependant il était le seul qu'ont eût poursuivi par une sorte de préférence; que c'était apparemment parce qu'il était magistrat, mais qu'en cette qualité il était déjà déféré à la cour de cassation. «< Ainsi, Messieurs, disait-il aux jurés, celui-là qui serait descendu du siége où l'on juge, sur le banc où l'on est jugé, ne peut, en sortant de cette enceinte, obtenir de votre équité qu'une inculpabilité suspensive, une absolution provisoire. » — On intéressait ainsi le jury à l'acquittement en lui présentant une accusation subsidiaire constituant une sorte de bis in idem.

Ici M. Dupin fait observer que M. Fouquet ayant été acquitté, la décision du jury a force de chose jugée et qu'il ne peut plus être question du délit, lequel, à son égard, est réputé ne point exister. Mais « il n'en est pas moins certain, dit-il, qu'il a manqué à tous ses devoirs du magistrat en publiant sa lettre du 24 avril, et qu'il demeure, à ce titre, TOME XV.

testation, contenant les énonciations suivantes : « C'est qu'en parlant des troubles de Lyon des 13 et 14 avril 1834, ils n'étaient

passible de peines dont l'application est réservée au pouvoir censorial. » Ici empressons-nous de rectifier une fausse interprétation donnée à la poursuite. On veut distinguer entre le citoyen et le magistrat, et soulenir que le magistrat (st inattaquable, s'il n'a fait que ce que pouvait faire tout autre citoyen. Mais on fait en cela une confusion manifeste. Sans doute la qualité de magistrat ne porte pas atteinte aux droits du citoyen; le magistrat, comme tout autre citoyen, peut user de la presse, mais toujours à la charge, dont nul n'est affranchi, de ne point dépasser les limites posées par la loi. Et c'est ainsi que, dans l'espèce même, M. de Fleury, simple citoyen, a trouvé sa condamnation.-Mais la proposition que nous examinons ici est fausse surtout dans ce qu'elle a d'absolu et de trop général. Non, il n'est pas exact de dire qu'un magistrat peut se permettre impunément tout ce qu'un simple citoyen pourrait faire sans encourir de répression.-Le citoyen qui reçoit le titre de magistrat n'en revet pas seulement les prérogatives; il contracte aussi des obligations. Il prête serment; il doit y rester fidèle; il ne doit rien faire, rien dire, rien publier qui compromette l'indépendance ou la dignité de son caractère, et qui soit en opposition avec les devoirs spéciaux qu'il est appelé à remplir. Sous ce rapport, il a moins de liberté que les autres citoyens. - Un simple citoyen, avec ce qu'il appellera ses convictions, n'offre ni pour l'exemple, ni pour l'entraînement le danger d'un fonctionnaire, délégataire d'une portion de la puissance publique, qui la paralyse ou qui la combat, et qui emploie à saper et à détruire le gouvernement la force qui ne lui a été donnée que pour défendre et préserver l'ordre public.

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» Il est vrai que M. Fouquet s'est fait des idées à part sur le serment qu'il a prêté au gouvernement de juillet. Mais le serment imposé par la loi ne dépend pas des interprétations de la subtilité, des restrictions mentales d'une fausse conscience, ou des dispenses que se donne trop souvent la mauvaise foi. — Qu'est-ce à dire que cette phrase que j'extrais littéralement de la défense de M. Fouquet? « J'ose le croire, Messieurs les jurés, sous l'empire des circonstances et des principes qui régissent aujourd'hui la France, le serment qui me lie, ainsi que tous les fonctionnaires publics, n'est pas empreint du même caractère qu'autrefcis. » — - Le serment d'aujourd'hui n'est plus empreint des mêmes caractères qu'autrefois! El quoi! le serment n'est-il plus une chose sacrée ? N'est-il plus un engagement où l'on prend Dieu à témoin des promesses que l'on fait aux hommes? et ne croit-on plus aux peines réservées aux parjures?-Réduit même à une question de mots, à une interprétation littérale, le sens des termes a-t-il donc changé? Quoi! le serment de fidélité à Louis-Philippe, roi des Français, ne signifie pas la même chose que fidélité à Louis XVIII ou à Charles X? Obéissance à la charte de 1850 et aux lois de l'État n'a pas le même sens que fidélité à la charte de 1814 et aux lois du royaume? ---Sans doute il ne s'agit pas de cette fidélité purement individuelle qui se croit obligée de suivre des princes en pays étrangers; de cette obséquiosité passive, personnelle, et qui tient des maximes féodales de la domesticité de telles obligations ne peuvent pas de nos jours résider au fond d'un serment politique. Mais, dans le serment constitutionnel de 1830, il s'agit incontestablement pour tous les hommes de bonne foi, de fidélité au chef monarchique de l'ordre constitutionnel, au gardien héréditaire de nos institutions, au roi à qui nous sommes tenus d'obéir selon les lois, au même titre qu'il a droit de commander lui-même au nom des lois. - Fidélité à l'ancienne dynastie signifiait très-clairement qu'on ne pouvait pas travailler à son renversement pour en substituer une autre à sa place; mais fidélité à Louis Philippe, élevé sur le trône de juillet n'empêche pas qu'on ne puisse rappeler le duc de Bordeaux sous le titre de Henri V! Fidélité à la charte de 1814 signifiait très-distinctement qu'on ne pouvait pas remettre en vigueur les constitutions de l'an 5 et de l'an 8, avec un directoire ou des consuls; mais fidélité à la charte de 1830 n'empêche pas qu'on ne puisse invoquer toute autre constitution antérieure même à nos quarante années de révolution, et en appeler, par exemple, aux états-généraux? - La preuve que c'est ainsi que M. Fouquet entend le serment qu'il a prêté au gouvernement de juillet, c'est que, par sa lettre, il adhère au rappel de l'ancienne dynastie; il adhère à la prétendue constitution de la Gazette, à cette constitution délibérée par un grand nombre de royalistes présents à Paris; en un mot, il adhère à tout ce qui, bien loin d'etre l'ordre de choses actuel, en serait évidemment le renversement le plus complet. Et que M. Fouquet ne dise pas qu'en jugeant son écrit sous ce point de vue, on rentre dans les termes de l'accusation dont il a été libéré par le jury; car lui-même l'a dit aux jurés « Ce n'est pas pour avoir manqué à la dignité de ma profession, ce n'est pas pour une prétendue violation de serment que je parais devant vous; cette question est restée en dehors du procès qui vous est soumis ; vous n'avez, Messieurs, à juger en moi que le citoyen.»- - Et ceci était essentiel à bien constater: car, après avoir éludé le jury en alléguant qu'on était traduit devant vous comme magistrat, on voudrait aussi éluder votre juridiction, en se prévalant de ce qu'on a déjà été traduit devant le jury comme citoyen.-Eh bien! cette question que le jury n'avait pas à juger, cette question dont la solution vous est réservée, pourriez-vous balancer à la décider contre M. Fouquet? Pensez-vous que ce magistrat 82

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qu'un complot imaginaire... que l'accusation frappe avec l'arbitraire dont la loi l'investit, au milieu du chaos des lois dont elle dispose... que les procureurs généraux sont des commissaires de la convention... que l'autorité judiciaire est convaincue qu'elle poursuit un délit idéal... qu'on met en avant la chambre des pairs pour instituer une singerie de procédure... » un tel fait constitue, de la part du signataire, un manquement aux devoirs et à la dignité du caractère de juge, passible des peines de la suspension temporaire (pendant trois mois) avec privation du traitement (ch. réun., 5 août 1834) (1).

149. De même il a été jugé que le fait de la part d'un juge et d'un juge suppléant de s'être inscrits à la suite d'une liste de

n'a pas manqué essentiellement à ses devoirs, en niant les obligations qui dérivent de son serment, et en lui donnant la plus fausse de toutes les interprétations?-Pensez-vous qu'il ne s est point placé dans une position à ne pouvoir exercer librement ses fonctions de juge, en professant de telles maximes, et en y conformant sa conduite ?

» Restera une objection : — « Je n'ai point manqué ouvertement à une obligation et à mes devoirs envers le gouvernement. Je n'appelle point une révolte,« j'exprime des regrets, des craintes et des vœux!» Mais exprimer des vœux pour le gouvernement qui n'est plus, et faire des vœux pour le rétablissement de ce gouvernement, qu'est-ce autre chose que déserter ses devoirs envers le gouvernement établi? C'est à la France qu'il s'adresse! « Et je crois, dit-il dans sa lettre, que c'est un devoir pour quiconque aime son pays, de faire tout pour l'amener, par sa propre conviction, à changer lui-même son sort. » Cela rentre parfaitement dans la théorie du sieur Fleury qui, pour s'excuser, disait : « Je me renferme dans les limites du raisonnement, je ne m'adresse qu'aux intelligences que je veux convaincre. » Ainsi, à l'aide de cette tournure, qui revient presque à ce que certains casuistes ont appelé une bonne direction d'intention, il n'est pas une loi qu'on ne pût méconnaître, pas une loi qu'on ne put proposer impunément de violer, pas une règle de morale qu'on ne put facilement corrompre et détourner de son application! Je ne vole pas mais je fais l'éloge du vol, je l'excuse, je veux persuader aux propriétaires qu'ils ont tort de s'en plaindre, parce que c'est un moyen naturel de réparer l'inégale répartition des richesses, consacrée pourtant par le droit civil. Je me garderai bien de proposer la loi agraire, mais j'attaquerai le principe mème de la propriété ; je l'appellerai usurpation, abus; et puis, je resterai juge impassible des voleurs et des questions de propriété, parce que, dans tout ce que j'ai dit, je n'ai pas passé les limites du raisonnement, et que je me suis seulement adressé à l'intelligence des propriétaires que je voulais convaincre. De pareilles évasions ne sont pas permises. Je voudrais du moins qu'on eût le courage d'avouer ses opinions, et de dire ouvertement, trente jours après le 1er mai, ce que l'on faisait entendre si clairement six jours auparavant.-Pourquoi ne répéterait-on pas devant vous avec la même assurance ces propositions que je trouve dans la lettre du 24 avril?-« La France ne sera heureuse qu'en revenant aux principes dont elle s'est si malheureusement éloignée (ceux de la légitimité.)-Je joins ma voix à celle de la Gazette, pour amener un résultat si nécessaire. La solution de notre situation n'est pas dans la charte de 1850; elle est dans les cahiers de 1788.- Un retour vers le passé a suffi pour effacer nos maux. En 1814, le rappel de nos anciens rois nous a sauvés. Ce qui arriva alors ne peut-il arriver encore?» C'est-àdire clairement Pourquoi ne pas faire une contre-révolution? pourquoi pas une troisième restauration? Et puis, avec de telles opinions écrites et publiées dans un journal légitimiste, on sera juge de juillet! on exercera les fonctions de la magistrature, on rendra la justice au nom du roi de juillet! -La nation française, dont le nom exprime si heureusement le caractère loyal, se montre justement indignée de ces duplicités.... On se plaint habituellement de la faiblesse du gouvernement! Mais où peut être sa force, si ce n'est dans l'action simultanée, dans le concours énergique de tous les fonctionnaires auxquels la loi l'oblige de déléguer l'exereice des pouvoirs publics, et dans l'opinion publique qui se range toujours du côté de ceux qui ont fait courageusement leur devoir? Sachez donc user avec la fermeté qui vous distingue du pouvoir qui vous est remis, afin de faire sortir de votre arrêt un utile avertissement pour toute la magistrature française, à la tête de laquelle vous êtes placés. Dans les circonstances présentes, et vu la qualité des faits, il nous a semblé qu'une censure avec réprimande ne serait pas suffisante pour un juge qui, après avoir manqué si essentiellement au premier de ses devoirs, remonterait le lendemain sur son siége, et qu'une suspension était indispensable pour qu'on pût croire plus tard que de mûres réflexions avaient réconcilié ce magistrat avec son serment... M. Fouquet a présenté sa défense.-Arrêt (après un long délibéré des chambres réunies).

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LA COUR; Vu l'art. 82 du sénatus-consulte du 16 therm. an 10;Attendu que le sieur Fouquet, juge au tribunal civil de première instance du département de la Seine, a compromis la dignité de son caractère, en publiant, dans la Gazette de France du 24 avril dernier, une lettre contenant des doctrines inconciliables avec les devoirs de son état; - Que,

souscription pour le payement de l'amende prononcée par arrét de la cour des pairs du 10 déc. 1834 contre le gérant du National, laquelle liste était précédée d'un préambule ainsi conçu: « Les patriotes de la ville de... protestent hautement contre la condamnation monstrueuse prononcée par la chambre des pairs dans sa propre cause. Que leur faible offrande, en servant au secours de la presse opprimée, flétrisse le nouvel attentat qui a rouvert la blessure faite à la patrie par l'assassinat juridique du maréchal Ney!!!... » que ce fait rend les magistrats signataires passibles de la peine de la censure avec réprimande, alors même qu'il résulterait de leurs aveux qu'ils ont ignoré le contenu du préambule sus-mentionné (ch. réun., 23 avril 1835) (2).

quoiqu'il ait été déclaré par le jury, devant la cour d'assises du département de la Seine, que cette publication ne constituait pas un délit, elle n'en constitue pas moins une faute grave portant atteinte à la dignité de la magistrature;-Censure le sieur Fouquet avec réprimande. >>

Du 50 mai 1852.-C. C., ch. réun.-MM. Portalis, 1 pr.-Vergés, rap.

(1) Espèce (Min. pub. C. Chaley.) - M. Chaley, juge au tribunal de première instance de iyon, avait signé comme membre de la commission de surveillance du Précurseur, journal de Lyon, une protestation insérée dans la feuille du 9 mai 1854, au sujet des poursuites dirigées contre les rédacteurs et le gérant de ce journal, à l'occasion des évenements du mois d'avril précédent. Traduit pour ce fait devant la coor de cassation, chambres réunies, M. Chaley se récria en disant qu'on exerçait un pouvoir disciplinaire sur les opinions politiques; qu'il avait fait de l'opposition, mais qu'il n'avait fait que cela et qu'il en avait le droit. -M. le procureur général Dupin, après avoir démontré que l'article, objet de l'action disciplinaire, attaquait: 1° le gouvernement, en ce qu'il qualifiait de complot imaginaire, même après son exécution, les attaques concertées par les factieux contre la ville de Lyon; qu'il en accusait le gouvernement, et qu'il l'imputait à sa police; 2° l'ordre judiciaire en général, en disant que l'accusation frappe avec l'arbitraire dont la loi l'investit au milieu du chaos des lois dont elle dispose; et les procureurs généraux du royaume en particulier, en les comparant aux commissaires de la convention, et les accusant d'immoralité; 3° l'autorité judiciaire encore, en lui portant un défi d'arriver à aucune preuve et en lui prêtant la conviction qu'elle poursuit un délit idéal; 4° enfin la cour des pairs elle-même, en lui donnant le titre d'instrument, et en disant d'elle qu'on la met en avant pour instituer une singerie de procédure; M. le procureur général soutient que ces assertions sont inconciliables avec le serment et les devoirs du magistrat.« A l'objection du prévenu, dit-il, j'adresserai la réponse que j'ai toujours faite: c'est qu'il faut distinguer entre la liberté du citoyen qui n'est génée que par la loi pénale, et les devoirs qui imposent une gêne plus étroite au magistrat.-La société attaquée par ses ennemis n'a pas trop de l'union de tous les pouvoirs publics pour leur résister. Et comment pourrait-elle y réussir, si parmi les dépositaires de ces pouvoirs il existe des transfuges? Quelle action attendre de la justice, si la magistrature est calomniée même par des magistrats?- Remarquez qu'il ne s'agit pas ici d'une rédaction fugitive, d'un article ordinaire de journal, construit à la bâte et sans réflexion; c'est une protestation, un acte délibéré en commission, arrêté, signé nominativement; en un mot, c'est un acte personnel, un acte de volonté, un acte réfléchi... » — M. le procureur général, par ces considérations et plusieurs autres, concluait à la suspension pour deux ans avec privation du traitement et à la condamnation aux dépens. Arrêt (après délib. en ch. du cons.). LA COUR ; Vu les art. 82 du sénatus-consulte du 16 therm. an 10, et 56 de la loi du 20 avril 1810;-Vu un article inséré dans le n° 2284 du Précurseur, journal publié à Lyon, à la date du vendredi 9 mai 1834, signé Quantin, Chaley, Prudhon, Jules Favre et Castelan:- Attendu que cet article, rédigé sous forme de protestation contre certains actes d'instruction judiciaire et de poursuites, intervenus à l'occasion des attentats des 15 et 14 avril dernier, porte atteinte au respect dà aux lois en vigueur; qu'il est injurieux à l'honneur des magistrats chargés de leur exécution, outrageant pour la cour des pairs et pour le gouvernement du roi; Attendu qu'en apposant sa signature à cet article, en qualité d'actionnaire et de membre du conseil de surveillance du journal le Précurseur, ce qu'il a reconnu, le sieur Chaley, juge au tribunal civil de Lyon, a manqué aux devoirs de son état el a gravement compromis la dignité de son caractère ; Suspend, pour trois mois, le sieur Chaley de ses fonctions de juge au tribunal de première instance à Lyon, avec privation de traitement, conformément à la loi, et le condamne aux dépens de la citation, liquidés à la somme de 37 fr. 10 c., ainsi qu'à ceux de l'expédition et de la notification du présent arrêt.

Du 5 août 1854.-C. C., ch. réun.-MM. Portalis, 1 pr.-Jourde, rap.

(2) (Min. pub. C. Dugone et Mathieu.)—LA COUR (après délib. cnch. du cons.); Vu les art. 82 du sénatus consulte du 16 therm. an 10, et 56 de la loi du 20 avril 1810; - Vu un acte manuscrit intitulé: Souscription pour le payement de l'amende du National de 1834, et revêtu de diverses signatures, au nombre desquelles se trouvent celle du sieur Dugone, juge

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au tribunal de première instance du Puy (Haute-Loire), et celle du sieur Edouard Mathieu, avocat, juge suppléant au même tribunal; - Attendu que cet écrit, rédigé en forme de protestation contre la décision rendue par la chambre des pairs, le 16 déc. 1854, portant condamnation du gérant responsable du journal intitulé: le National de 1854, est injurieux a la chambre des pairs et attaque à la fois l'autorité de la chose jugée et la juridiction des chambres législatives, telle qu'elle est établie par les art. 15 et 16 de la loi du 25 mars 1822, et reconnue par l'art. 3 de la loi du 8 oct. 1850, et que les sieurs Dugone et Mathieu n'ont pu signer cet écrit sans manquer à leurs devoirs de magistrats et compromettre la dignité de leur caractère;- Mais attendu que les sieurs Dugone et Mathieu ont déclaré devant la cour qu'ils avaient apposé leurs signatures sur le projet de souscription en faveur du National, sans avoir pris connaissance de la teneur de cet écrit; qu'ils en désavouaient le contenu et qu'ils ont également fait connaître qu'ils n'avaient nullement entendu apposer leurs signatures au pied d'un écrit destiné à être placardé et affiché dans un lieu public; Attendu que ces explications et rétractations allénuent la faute commise par les magistrals cités devant la cour; censure, avec réprimande, les sieurs Dugone et Edouard Mathieu, et les condamne aux dépens, etc.

Du 25 avril 1835.-Ch. réun.-MM. Portalis, 1er pr.-Bresson, rap.-Dupin, av. gén., c. conf.-Crémieux, av.

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(1) Espèce (Ceyras.) — M. Ceyras, juge au tribunal civil de Tulle, ayant été cité devant la cour royale de Limoges comme ayant conpromis sa dignité et manqué à son serment en s'associant à la société Aide-toi, le ciel t'aidera, et à une association dite Corrézienne en faveur de la presse, soutint que, n'ayant pas reçu d'avis préalable, il ne pouvait être passible d'aucune peine (loi 20 avril 1810, art. 49 et 50); de plus, que cette loi était inapplicable sous nos institutions actuelles, qui laissent aux magistrats, comme aux autres citoyens, la faculté de faire ce ce qui n'est pas prohibé. M. le procureur général soutenait contre M. Ceyras, d'abord que la formalité de l'avertissement était purement facultative; ensuite que, s'il est vrai que le magistrat doit jouir d'une entière indépendance, il n'est pas moins vrai que l'on ne peut distinguer deux personnes en lui; que, dès lors, il trahit ses serments et encourt des peines disciplinaires, quand même les faits ne seraient pas susceptibles de poursuitee criminelles ou correctionnelles, s'il s'affilie à des société dont le but est de changer la forme du gouvernement, ou s'il contribue à des publications qui l'attaquent dans son essence. - Arrêt.

LA COUR;

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- Attendu qu'il résulte de la loi du 20 avril 1810 et de la jurisprudence de la cour de cassation, que les peines de discipline peuvent être appliquées à un magistrat, sans qu'il lui ait été donné d'avis préalable; Attendu, relativement à la lettre datée de Tulle le 15 mai 1832, et insérée dans le supplément au journal la Tribune, du 20 du même mois, que le sieur Ceyras, à qui cette lettre était imputée, a formellement dénié qu'il en fût l'auteur ou le signataire; qu'il a soutenu que la liste des souscripteurs pour l'amende encourue par la Tribune u'avait rien de commun avec cette lettre, et n'y était jointe qu'a son insu et sans sa participation; que cette dénégation et cette assertion ont paru franches et sinceres, et qu'il en résulte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'enquête demandée par le procuseur géuéral du roi; - Mais, attendu que le sieur Ceyras a compromis la dignité de son caractère en s'affiniant à des sociétés qui peuvent être regardées comme en opposition avec le gouvernement et nos institutions constitutionnelles ; Sans s'arrêter à l'exception proposée par le sieur Ceyras, et prise de ce que l'avertissement prescrit par l'art. 49 de la loi du 20 avril 1810 ne lui a point été donné; Sans s'arrêter aussi à la demande en preuve formée par le procureur général du roi, prononce contre ledit Ceyras la peine disciplinaire de la censure simple, et le condamne aux frais.

Du 19 avril 1833.-C. de Limoges.-MM. Berny et Coraly, av.

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(2) Espèce (Min. pub. C. Baudouin.) M. Baudouin, conseiller à la cour de Rennes, avait apposé sa signature au bas d'une adresse de quelques habitants de Rennes à la duchesse de Berri, récemment captive. Après l'interrogatoire de M. Baudouin, qui comparaissait, pour ce fait, à l'audience à huis clos de la cour de cassation, assisté de Me Garnier, avocat à la cour,

M. Dupin, procureur général, rappelle à la cour que, par un arrêt rendu le 50 mai précédent, elle a reprimandé un magistrat de première instance pour avoir a béré, par lettre, à des doctrines inconciliables avec les devoirs de son état. « Aujourd'hui, des choses on a passé aux personnes; de l'ancienne constitution on est venu à l'ancienne dynastie !

au bas d'une adresse exprimant des vœux inconciliables avec les devoirs de magistrat, telle que serait, par exemple, une adresse à une princesse détenue pour avoir porté la guerre civile sur le sol dont elle a été expulsée, compromet, par ce fait, la dignité de son caractère et méconnaît les obligations que lui impose le serment qu'il a prêté; par suite, il encourt une suspension de ses fonctions pendant six mois (ch. réun., 14 janv. 1833) (2).

152. Le fait par un magistrat de quitter son poste et de sor.

Ce

M. Baudouin est magistral; il a juré fidélité à la personne de LouisPhilippe, roi des Français; et il signe une adresse de félicitation à l'auguste princesse (la duchesse de Berri) qui est venue en France pour lui disputer la couronne, en essayant d'exciter la guerre civile ! qu'il admire en elle, c'est qu'elle est mère de Henri de France! -Ce qu'il admire dans Henri de France, c'est que l'ancienne constitution et la charte l'appelaient au tróne! Il salue la duchesse de Berri du nom de MarieTherese, restée célèbre, surtout pour avoir reconquis ses états, et replacé la couronne sur sa tête et sur celle de son fils. On plaint son malheur: mais ce malheur n'est autre que celui de n'avoir pas réussi dans ses efforts pour opérer une contre-révolution à son profit. C'est donc l'ancienne dynastie qu'il salue, c'est à elle qu'il adresse son amour, son hommage et sa fidélité. Toute cette conduite est-elle conciliable avec les devoirs de M. Baudouin, et avec le caractere dont il est revêtu? Vous ne sauriez le penser, messieurs, et son interrogatoire ne nous a rien appris qui pui-se allénuer sa faute à nos yeux. Voyez, au contraire, combien de circonstances viennent aggraver l'imprudence de sa conduite? C'est au sein d'un pays tourmenté par la guerre civile qu'il encourage, par son concours, les signataires de l'adresse à la duchesse de Berri! Et quand ces populations, désolées par les assassinats, les tortures et les brigandages de la chouannerie, ont eu la force, et, il faut le dire, la vertu de ne point user de représailles envers leurs ennemis, lorsqu'elles attendent une répression régulière de la légitime action des lois, si les citoyens viennent à porter leurs regards vers la cour dont ils invoquent la protection, quelle ne doit pas être leur douleur en voyant un de leurs juges féliciter le principal auteur de la guerre civile, sympathiser avec ses complices, signer des pétitions en commun avec eux, avec des chouans, avec des condamnés, et saluer la duchesse comme la mère de son légitime souverain! Faudra-t-il donc qu'ils désespèrent d'obtenir justice de la justice ellemême ?...

>> Dans les cas graves, et c'est ici le cas le plus grave que vous puissiez rencontrer, votre droit procede uniquement du sénatus-consulte de thermidor an 10. Or, ce sénatus-consulte ne parle point de censure simple ou de réprimande; il prononce la suspension.- La loi du 20 avril 1810, loin de déroger à cette disposition, la confirme. Si elle prononce des peines plus légères pour les cas ordinaires, pour les cas graves elle renvoie uniquement au droit de haute censure qui vous est attribué par le sénatus-consulte. Considérez que cette peine de suspension est un remede bien léger pour un si grand mal. Elle pouvait suffire sous le régime impérial, parce qu'alors les juges n'étaient pas inamovibles, et que la destitution offrait au gouvernement un dernier moyen pour délivrer le pays des mauvais juges. Si, quant à présent, il ne reste qu'une peine disciplinaire, n'hésitez pas du moins à la prononcer. Pour que les factions soient contenues, il faut que le pays ait confiance aux lois, et surtout qu'il ait confiance dans les magistrats qui sont chargés de les appliquer. M. Baudouin n'est pas seulement coupable envers lui-même, puisqu'il a manqué à la dignité et à la sincérité de son caractère; coupable envers la cour, au sein de laquelle il ajeté le trouble et la division, il est coupable envers toute la magistrature française car les actes qui lui sont reprochés sont précisément ceux dont l'esprit de parti s'autorise avec le plus de violence et de spéciosité pour les imputer au corps entier de la magistrature. - Que tout le monde sache du moins qu'au centre de l'empire réside un sénat incorruptible, qui a compris toute l'étendue de sa mission, et qui saura ramener avec fermeté dans la ligne du devoir quiconque serait tenté de s'en écarter. - Pour nous la révolution de juillet n'est pas un gouvernement de fait; c'est un gouvernement de droit. Sa légitimité ne saurait être contestée; elle a pour base le vœu national, le consentement énergique de ce peuple magnanime qui, après avoir vaincu Charles X et l'avoir conduit hors de France avec tous les siens, sans qu'aucun royaliste ait fait mine de s'y opposer, a reporté ses acclamations victorieuses sur Louis-Philippe, et l'a salué du titre de roi des Français ! Concluons à la suspension pendant deux ans, avec privation de traitement et aux dépens. »

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La défense de M. Baudouin a été présentée ensuite par lui-même et par Me Garnier, son avocat. Arrêt (ap. délibéré des chamb. réunies). LA COUR; - Vu l'art. 82 du sénatus-consulte du 16 therm. an 10; Attendu que le sieur Baudouin, conseiller à la cour royale de Rennes, reconnaît avoir signé une adresse destinée à la duchesse de Berri; que cette adresse exprime des vœux inconciliables avec les devoirs de magistrat; Qu'en la signant, il a, dès lors, gravement compromis la dignité de son caractère, et méconnu les obligations que lui imposait son serment;Le suspend pour six mois, et le condamne aux dépens de la

lir du royaume sans congé ni permission pour aller porter ses hommages à un prétendant au trône, constitue une violation de son serment et une atteinte à la dignité du caractère de ce magistrat qui le rendent passible d'une peine disciplinaire (ch. réun., 12 janv. 1844) (1).

153. Le magistrat (un juge suppléant) qui, dans un écrit public, avec énonciation de sa qualité de juge, qualifie de dérisoire et d'antipathique à la majorité de ses concitoyens un légitime hommage adressé au roi des Français, et qui, sous prétexte de réformation, dirige contre les lois en vigueur des attaques violentes, manque à la dignité de son caractère, viole son serment et encourt une peine disciplinaire (ch. réun., 2 déc. 1847, aff. Gambon, D. P. 47. 1. 379).

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154. La solidarité morale qui unit plus particulièrement les membres d'un même corps de judicature fait de chaque tribunal le surveillant intéressé et par suite le censeur naturel des magistrats qui le composent. Il était donc conforme à la raison et à la justice de conférer à chaque tribunal le pouvoir de réprimer par voie disciplinaire les écarts de ses propres membres. C'est ce que le législateur a fait par la loi du 20 av. 1810.-Quant à l'esprit dans lequel ce pouvoir doit être exercé, nous ne pouvons mieux faire, pour l'indiquer, que de rappeler ici les paroles si connues, si souvent citées de d'Aguesseau, dans sa 18 mercuriale: « Savoir tout ce qui se passe dans le secret de la compagnie et ne pas tout révéler, maintenir le joug de la discipline sans l'appesantir, l'adoucir même par son uniformité, et le rendre léger en le faisant porter à tous également; recourir rarement à la peine, se contenter plus souvent du repentir, et ne perdre ni l'autorité par trop d'indulgence, ni l'affection par un excès de sévérité telle doit être la noble fonction des arbitres et des vengeurs de la discipline. Voyons maintenant quelles sont les règles par lesquelles le législateur a déterminé l'exercice de celle juridiction.

155. Les présidents des cours d'appel et ceux des tribunaux

citation, ainsi qu'à ceux de l'expédition et de la notification du pré

sent arrêt.

Du 14 janv. 1833.-C. C., ch. réun.-MM. Portalis, 1" pr.-Jourde, rap. (1) Espèce: (Min. public C. D...) — Cette affaire ayant été jugée à huis-clos, nous croyons devoir nous borner à rapporter le prononcé de P'arrêt, en regrettant, pour la science du droit, que la loi, générale et absolue dans sa prohibition, nous interdise de reproduire le réquisitoire de M. le procureur général Dupin. Les faits sont, au surplus, très-connus. -Arrêt.

LA COUR; Vu l'art. 82 du sénatus-consulte du 16 therm. an 10 et la disposition finale de l'art. 56 de la loi du 20 avril 1810; - Attendu que le sieur D.... qui, en qualité de juge suppléant, avait prêté le serment prescrit par les lois, quitté son poste, et s'est rendu en pays étranger, sans congé ni permission expresse de sortir du royaume ; Que, de son aveu, il n'est parti, au commencement du mois de décembre dernier, que pour aller à Londres auprès du duc de Bordeaux; - Qu'il est notoire qu'à cette époque, des manifestations hostiles au gouvernement du roi, et rendues publiques, ont eu lieu autour de la personne du duc de Bordeaux; - Attendu que le serment prêté par le sieur D... lui imposait deux obligations formelles : la fidélité au roi des Français, et l'obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume; Que toute visite au duc de Bordeaux, de la part d'un magistrat, dans les circonstances ci-dessus rappelées, était évidemment incompatible avec l'une et l'autre de ces obligations; qu'il a, dès lors, par sa conduite, gravement compromis la di gnité de son caractère, et méconnu les devoirs que lui imposait son serment; Censure le sieur D... avec réprimande, et le condamne aux dépens liquidés à 76 fr. 55 c., en ce non compris ceux de l'expédition et de la notification du présent arrêt.

Du 12 janv. 1844.-C. C., ch. réun. en ch. du cons.-MM. Portalis, 1er pr. (M. le garde des sceaux s'abstenant).-Bresson, rap.-Dupin, pr.-gén., c. conf.-Mandaroux-Vertamy, av.

(2) Espèce (Min. pub. C. trib. de Th...)- En 1854, les membres du tribunal civil de..., se réunirent en chambre du conseil et delibérerent sur des faits qui leur semblaient motiver l'exercice du pouvoir disciplinaire contre le président du même tribunal. Ils rédigérent, les 12 août et 9 sept. 1854, sous le titre de délibération du tribunal, deux actes qu'ils transmirent au premier président et au procureur général de la cour

de première instance doivent avertir d'office, ou sur la réquisition du ministère public, tout membre de la cour ou du tribunal qui compromet la dignité de son caractère (L. 20 avr. 1810, art. 49).

156. Le ministère public ne peut adresser directement aucun avertissement à un magistrat : il peut seulement, à raison de la mission qui lui appartient de veiller à l'exacte administration de la justice, requérir le président de donner cet avertissement. Mais le président n'est pas obligé d'obtempérer à cette réquisition. La rendre obligatoire, c'eût été conférer indirectement au ministère public le droit d'avertir les juges. Il faut que l'avertissement soit le résultat de la conviction personnelle du magistrat qui le donne, autrement il n'aurait pas l'autorité morale que le législateur a dû vouloir lui assurer. Mais le ministère public peut, si le président refuse de déférer à son réquisitoire, donner connaissance de ce qui s'est passé au garde des sceaux, qui peut agir alors en vertu du droit que lui confère le sénatusconsulte de l'an 10.-V. en ce sens Carré, Org. et comp., nos 98 et 99.

157. Du reste, la réquisition du ministère public, de même que l'avertissement du président, ne doivent être faits que par lettres missives.- Carré, ibid.

158. Lorsque c'est le président lui-même qui compromet la dignité de son caractère, par qui l'avertissement doit-il lui être donné? Évidemment ce ne peut être par lui; ce ne peut être non plus par un des juges du tribunal, car l'avertissement dans ce cas serait dépourvu d'autorité morale; ni par le tribunal entier, cela serait en dehors de toute disposition légale; nous croyons qu'il est plus conforme à l'ordre hiérarchique et à l'esprit même de la loi du 20 avr. 1810 de décider avec M. Ach. Morin, t. 1, no 35, et M. Arm. Dalloz, Dict. gén., v° Discipline, no 31, que c'est par le président de la cour d'appel que l'avertissement doit, dans ce cas, être donné.- Jugé qu'il y a excès de pouvoirs dans la réunion de quelques membres d'un tribunal ayant pour objet de formuler une plainte contre le président de ce tribunal, si l'acte contenant les griefs de la plainte est qualifié de délibération, et s'il est en outre transcrit sur les registres du tribunal (Req., 5 mai 1855) (2).

royale de M..., pour qu'il fût avisé, par ces magistrats, aux moyens d'empêcher le retour de différents faits signalés dans ces actes, comme des écarts blåmables.-Ces deux prétendues délibérations furent en outre transcrites en entier sur le registre des délibérations du tribunal. — Le 20 décembre suivant, M. le premier président prit un arrêté par lequel il prononça l'avertissement disciplinaire contre tous les membres du tribunal, et justifia, sur presque tous les points, la conduite du président. Cet arrété était terminé par l'invitation donnée à ce président d'en faire connaître le contenu à ses collegues; et la lettre d'envoi, en date du 24 du même mois de décembre, prescrivait en outre de faire porter cet arrêté sur le registre des délibérations du tribunal. Sur les difficultés que les membres du tribunal de... élevèrent, relativement à cette transcription, le premier president, par une seconde lettre du 29 décembre, persista à vouloir qu'elle fût opérée. Le tribunal se pourvut contre l'arrêté du premier président, et nonobstant ce recours, le président du tribunal de... rendit une ordonnance, le 25 janvier 1855, qu'il transcrivit lui-même sur les registres du tribunal, et portant que l'arrêté du 20 décembre serait inséré sur ces mêmes registres. Sur le refus motivé du greffier d'opérer cette transcription, le président l'effectua également de sa propre main.

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Le garde des sceaux ayant eu connaissance de ces divers actes, et frappé de leur illégalité, a chargé M. le procureur général d'en demander l'annulation pour excès de pouvoir, conformément à l'art. 80 de la loi du 27 vent. an 8.- Le réquisitoire était fondé sur les considérations suivantes :- Les juges du tribunal de Th..... ont évidemment excédé leurs pouvoirs en se réunissant pour délibérer sur les griefs qu'ils croyaient avoir à reprocher à leur président; en qualifiant de délibérations les actes des 12 août et 9 sept. 1854, dans lesquels ils avaient consigné ces griefs, et, surtout, en faisant transcrire ces actes sur les registres du tribunal. Les délibérations d'un tribunal ne sont valables que lorsqu'elles sont prises dans les limites des attributions qui lui sont légalement conférées. Par exemple, il lui est permis de prendre des déliberations en ce qui concerne la tenue des audiences, l'ordre et la discipline intérieure, les poursuites à exercer, par voie disciplinaire, contre l'un de ses membres. Dans l'espèce, il ne s'agissait point d'une mesure relative à la tenue des audiences, à l'ordre et à la police intérieure. Ce n'étaient pas non plus des poursuites disciplinaires qui étaient exercées. Il s'agissait uniquement d'une plainte en nom collectif, portée contre le président du tribunal, par

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