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(1) Espèce (Dutard, Faffe, etc. C. Pardé.) — MM. Dutard, Descaries, Faffe et soixante-dix autres habitants composant toutes les notabilités de la commune, avaient, le 9 oct. 1830, présenté à M. le préfet du département (le Loiret) une plainte contre le sieur Pardé, alors leur maire, et dont ils demandaient la révocation, en se fondant sur un assez grand nombre d'abus qu'ils soutenaient avoir été commis par ce fonctionnaire dans l'exercice de sa charge, ou même sur des torts dont il s'était rendu coupable comme particulier. A la fin de leur mémoire, ils offraient la preuve de toutes leurs allégations, si elles venaient à être déniées. Le préfet fit droit à leur demande, et, par une lettre du 13 déc. 1830, il chargea le sous-préfet de l'arrondissement de demander au sieur Pardé sa démission, qui fut donnée. Parmi les faits reprochés à celui-ci, se trouvaient, entre autres, ceux d'avoir bénéficié personnellement sur des réquisitions et cotisations que la commune avait eues à supporter à l'occasion du passage de corps de troupes françaises et étrangères. Pour ces faits, et autres semblables touchant à la probité, M. le préfet déclara qu'il les regardait comme mal fondés ; et il appuya uniquement sa demande d'une démission forcée sur les circonstances d'une collision entre le maire et la garde nationale, circonstances dans lesquelles cet officier municipal avait montré une violence de caractère et une témérité de conduite tout à fait incompatibles avec la charge dont il était revêtu. Armé de cette lettre, le sieur Pardé cite devant le tribunal de Montargis, non pas les soixantetreize signataires de la plainte, mais trois seulement d'entre eux (les sieurs Dutard, Faffe, Descaries). Une fin de non-recevoir, tirée de la forme de sa citation, donna lieu à une première instance terminée par un arrêt de la cour suprême, en suite duquel on revint devant la cour d'Orléans. Là, on dut plaider au fond, c'est-à-dire discuter les deux questions de savoir, l'une, s'il y avait vraiment eu imputations non conformes à la vérité; l'autre, si ces imputations avaient eu lieu méchamment et de mauvaise foi. Mais, avant d'en venir à l'examen de la seconde, MM. Dutard et consorts soutinrent qu'il fallait d'abord résoudre la première, c'est-à-dire vérifier l'exactitude des imputations. Or, leur adversaire prétendit que celte question était toute résolue par la lettre du préfet; et la cour, par arrêt du 3 déc. 1831, admit cette doctrine en ces termes : Considérant qu'aucune disposition de loi, si ce n'est en matière contentieuse proprement dite, ne prescrit de forme dans laquelle les chefs de l'autorité administrative doivent rendre leurs décisions, et que ne s'agissant ici que de faits de pure administration ou qui se rattachaient à la vie privée du sieur Pardé, M. le préfet du Loiret a pu valablement rendre la sienne par une simple lettre; -Considérant qu'il résulte de celle que ce magistrat a adressée le 13 déc. 1830 à M. le sous-préfet de Montargis, qu'il s'est prononcé sur chacun de ces mêmes faits; d'où il suit que sa juridiction est épuisée et qu'il n'y a plus lieu à aucune instruction ultérieure de sa part; La cour, sans avoir égard aux conclusions subsidiaires, ordonne que les parties plaideront au fond, etc.

Pourvoi des sieurs Dutard et autres pour violation des art. 48, 49, 53 et 54 de la charte, et du droit de la défense. On a dit pour eux: 1° Le préfet était incompétent pour statuer sur l'exactitude des imputations (art. 48, 49, 53, 54 de la charte). Ces règles sont générales, et s'appliquent aux matières criminelles, non moins qu'aux matières civiles. Il y aurait même, on le sent aisément, plus de raisons encore pour les maintenir sévèrement en ce qui concerne les premières qu'en ce qui touche les secondes. Or, l'exercice du pouvoir de juger au criminel comporte une double opération il faut d'abord reconnaitre l'existence du fait imputé au prévenu; il faut apprécier ensuite l'intention du fait qui y a présidé. Le fait est-il constant? A-t-il eu lieu avec dessein de nuire? Voilà les deux questions que doit s'adresser tout magistrat avant de rendre une sentence de condamnation ou d'acquittement. Ainsi, quand le prévenu est un fonctionnaire administratif poursuivi à raison d'un acte de sa charge, reconnaître à l'administration le droit de prononcer sur l'existence du fait, c'est lui transporter la première et peut-être la meilleure moitié de l'autorité des tribunaux. C'est donc se mettre en opposition directe avec les maximes fondamentales de notre nouvelle constitution, formulées dans les articles cités. Sans doute, c'est aux fonctionnaires supérieurs de l'ordre administratif qu'il appartient de juger les actes de leurs inférieurs. La chose est vraie. Mais en quel sens? En celui-ci, que les magistrats, devant s'abstenir de toute invasion dans l'administration, ne sont pas compétents pour ordonner ou pour interdire à un fonctionnaire administratif un fait de son office. Ce droit n'appartient qu'au gouvernement représenté par les supérieurs du fonctionnaire, parce qu'il est seul dépositaire du pouvoir d'administrer à l'aide des employés qu'il nomme. Mais les juges empiéteralent-ils sur le terrain de la puissance exécutive, administreraientils, en constatant un fait qui serait uniquement celui de savoir si un préposé du gouvernement a été ou non l'auteur de certains actes? Évidemment non et cela est trop clair pour avoir besoin d'être démontré. Cette distinction élémentaire répond en même temps à la seconde raison donnée par l'adversaire, et consistant à dire que les tribunaux administreraient, s'ils pouvaient décider de la vérité des faits attribués à un agent de l'administration. Encore une fois, c'est là une erreur palpable. Dire

admet les prévenus de calomnie envers les fonctionnaires publics à prouver par témoins la vérité des faits imputés, ne peut rece

comment un agent administratif s'est comporté en une certaine occasion, ce n'est point administrer soi-même. Il faut, ajoute-t-on que l'administration soit indépendante des tribunaux; et pour cela, que ceux-ci ne puissent pas prononcer après elle sur les choses où elle a déjà statué. Certes, l'indépendance est un droit de l'administration, et personne ne songe à le lui contester. Mais il en est de celle des gouvernements comme de la liberté des particuliers, qui devient de la licence, et cesse de mériter respect, quand elle sort des bornes qui lui ont été fixées par la loi. Si le pouvoir exécutif se permet des actes placés en dehors de sa compétence, alors il n'use pas de son indépendance, il attente à celle d'autrui : et réprimer cet abus, ce n'est pas commettre un empiétement, c'est corriger celui qui avait été commis. La jurisprudence, il est vrai, en a fourni une autre plus spécieuse. Elle a dit que la contestation des faits exigerait la connaissance de documents qui sont, le plus souvent, dans la possession exclusive de l'administration. On ne peut nier qu'au premier abord ce motif n'ait quelque chose de plausible. Mais, malgré notre juste respect pour le haut suffrage qu'il a obtenu, nous devons déclarer qu'il est bien loin à nos yeux d'avoir toute la force qu'on lui prête. L'administration, dit-on, possède seule les documents dont les tribunaux auraient besoin pour s'éclairer? Hé bien! elle les leur prétera. Elle sera comme un témoin, qui est obligé de venir déposer quand il est cité, et de fournir, sur le fait du procès, tous les renseignements qui se trouvent en son pouvoir. La loi commande à tous et les gouvernements, en particulier, doivent l'exemple de l'obéissance à ses ordres.

Oh! continue-t-on, l'obéissance ici aurait trop d'inconvénients. Elle livrerait à la publicité de l'audience des détails qu'il faut envelopper de secret et de mystère. Du secret et du mystère ! Que l'administration s'en entoure quand elle procède seulement à l'accomplissement de ses fonctions habituelles et normales: à la bonne heure. Il en est peut-être de ses affaires comme de celles des particuliers, qui veulent éviter les indiscrétions pour être menées à bien. Mais qu'il y ait encore quelque chose d'occulte et de silencieux quand il s'agit de décider de l'honneur, de la liberté, de la vie d'un citoyen! voilà, certes, ce qu'on a peine à comprendre, et qui répugne bien violemment à toutes les notions actuelles sur les droits et les garanties accordées à l'homme par la société. Entre l'inconvénient quelconque de permettre au public la connaissance rare et partielle do quelques ordres administratifs, de quelque correspondance entre fonctionnaires, et l'inconvénient énorme de donner pour juges à des citoyens des hommes qui n'en ont ni le caractère, ni les habitudes, ni les règles, il nous semble qu'il n'y a pas à balancer. C'est ici la question entre l'ancien ordre de choses et le nouveau; entre le droit de faire juger à huis-clos et par des commissions, et l'obligation de faire rendre la justice par des tribunaux indépendants, procédant sous l'œil du public.

D'ailleurs où conduirait la doctrine de l'extension? Le préfet pourrait statuer sur les dénonciations dirigées contre le sous-préfet; celui-ci, sur celles qui attaqueraient le maire; le maire, à son tour, sur celles dont le garde champêtre aurait été l'objet; et ainsi de suite. La même compétence hiérarchique se retrouverait dans toutes les administrations civiles ou militaires, directions générales des domaines, des ponts et chaussées, des douanes, intendances, etc. Partout, le fonctionnaire supérieur serait le jury de son inférieur immédiat. Conçoit-on un pareil régime, et les innombrables abus qu'il pourrait introduire dans l'administration de la justice? Se figure-t-on, par exemple, une plainte portée administrativement contre un conducteur des ponts et chaussées, jugée inexacte par l'ingénieur ordinaire; et puis devenant, par cela seul, la matière d'une action en dénonciation calomnieuse devant un tribunal correctionnel, à qui il serait interdit de connaître de l'existence des faits et qui ne pourrait plus qu'apprécier leur moralité, c'est-à-dire se livrer à l'investigation la plus difficile, et la plus habituellement trompeuse? - Non : on le sent. Cela ne peut pas être à moins de vouloir bouleverser tout notre système judiciaire, en matière correctionnelle.

Le défenseur s'attache ensuite à réfuter l'argument d'analogie qu'on pourrait tirer des deux arrêts rendus dans l'affaire Marcadier. Puis il continue au nombre des accusations portées contre l'ex-maire, jugées inexactes par le préfet, devenues le fondement de la plainte, et sur la vérité desquelles la cour royale n'a pas permis qu'on s'expliquât, parce que l'administration avait prononcé, il s'en trouvait d'exclusivement relatives à des actions du maire comme particulier; telles étaient, par exemple, celles qui concernaient des exactions qu'il aurait exercées sur un de ses débiteurs, et des manœuvres à l'aide desquelles il aurait dépouillé son frère d'une partie de l'héritage commun. Pour celles-ci, il ne resterait donc pas même l'ombre d'un bon motif à la décision de la cour royale; et, sous ce rapport, la cassation de son arrêt devrait incontestablement être prononcée.

2o En admettant même la compétence du préfet, sa décision manquerait, en tout cas, des caractères essentiellement constitutifs de toute décision. Si le préfet a eu les pouvoirs du juge, il en a dû avoir aussi les obligations. Devant lui, pas plus que devant un tribunal régulier, nul n'a pu être condamné sans avoir été entendu : et si on lit les arrêts Mar

voir son application en matière de dénonciation calomnieuse (Liége, 9 mai 1844) (1); — 7° Qu'enfin, le refus du conseil d'État d'autoriser des poursuites contre un fonctionnaire public dénoncé, à raison de crimes ou délits qu'il aurait commis dans ses fonctions, n'empêche pas que l'action en dénonciation calomnieuse intentée par ce fonctionnaire ne soit recevable, sauf au tribunal de répression à apprécier les moyens de défense du cadier, on y voit comment le garde des sceaux comprenait la nécessité d'une instruction contradictoire, et d'une discussion aussi semblable que possible à celle qui s'ouvre dans les juridictions ordinaires. On y voit que le ministre a ordonné une enquête; qu'il a soumis l'examen du procèsverbal d'audition des témoins au conseil d'administration existant près de la chancellerie, et que c'est ensuite d'une délibération expresse de ce conseil, que les faits allégués par le président Marcadier ayant été reconnus faux, ce magistrat a été renvoyé devant la cour d'Amiens. Ici rien de semblable; point d'instruction, ou du moins nulle instruction contradictoirement suivie. Les demandeurs n'ont point été entendus, point appelés; et, cependant, ils avaient expressément offert la preuve de la vérité de leurs dires. Ainsi, si la lettre du préfet leur était opposable, ils pourraient être condamnés sans avoir pu se défendre.-Arrêt (apr. dél. en ch. du cons.). LA COUR; Attendu que l'arrêt attaqué déclare, en fait, qu'il résulte de la lettre du préfet, adressée le 13 déc. 1830 au sous-préfet de Montargis, que ce fonctionnaire s'est prononcé sur chacun des faits spécifiés dans la dénonciation; Que, de là, cet arrêt a conclu que la juridiction du préfet était épuisée, et qu'il n'y avait plus lieu à aucune instruction ultérieure de sa part; Qu'en ordonnant, par ces motifs, que les parties plaideraient au fond, et en continuant la cause à quinzaine, tous droits et moyens réservés, la cour royale d'Orléans n'a violé aucune loi; - Rejette, etc.

Du 26 mai 1832.-C. C., ch. crim.-MM. Ollivier, pr.-Rives, rap.-Fréteau, av. gén., c. contr.-Dalloz et Teysseyrre, av.

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(1) Espèce: (Lismonde et consorts C. Louis.) - Six habitants de la commune de G................. ayant cru apercevoir des abus dans l'administration communale, les signalèrent au gouverneur de la province par deux plaintes, dans lesquelles ils imputèrent au bourgmestre de prétendus faits de malversation. La députation du conseil provincial fit une instruction à cet égard, et par une dépêche elle informa le bourgmestre que les imputations dirigées contre lui étaient dénuées de fondement. Ce fonctionnaire erut ne pas devoir şe contenter de cette satisfaction; il fit en conséquence assigner les signataires de la plainte devant le tribunal correctionnel de Liége, pour qu'ils y fussent condamnés aux peines comminées par l'art. 373 c. pen. et à 10,000 fr. de dommages-intérêts. Jugement qui fait droit à cette demande. Appel. - Arrêt.

-

LA COUR; — Attendu qu'il n'est point contesté que l'autorité administrative supérieure a reconnu la fausseté des faits qui sont consignés dans les diverses dénonciations adressées successivement par les prévenus au gouverneur de la province de Liége; qu'il ne s'agit donc plus, pour les tribunaux répressifs, que d'examiner ces mêmes dénonciations sous le point de vue moral et intentionnel; - Attendu que les prévenus ont demandé en première instance que les témoins par eux produits fussent entendus sur tous les faits qui pouvaient être à leur connaissance; que la demande à preuve, ainsi formulée, ne se bornait pas à établir qu'ils n'avaient pas agi avec méchanceté, de mauvaise foi et à dessein de nuire, mais qu'elle s'étendait nécessairement aux faits mêmes par eux dénoncés, et avaient pour but de revenir sur la décision de la députation permanente du conseil provincial, qui avait déclaré que ces faits n'existaient pas; Attendu que si l'art. 5 du décret du 20 juill. 1831 admet les prévenus de calomnie envers les fonctionnaires publics à raison des faits relatifs à leurs fonctions à prouver par témoins la vérité des faits imputés et prétendus calomnieux, ce décret ne statue rien de semblable à l'égard des prévenus de dénonciation calomnieuse; qu'aussi les motifs qui ont dicté cette disposition ne militent pas également en faveur des dénonciateurs qui, d'après la doctrine et d'après une jurisprudence constante, ne peuvent être poursuivis qu'après que ces faits ont été reconnus faux par l'autorité à laquelle ils ont été dénoncés; Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les premiers juges ont dù rejeter la preuve sollicitée ; Confirme.

Du 9 mai 1844.-C. de Liége, ch. corr.

(2) Espèce (Min. pub. C. Saboureau et autres.) Le maire de Saint-Ciers-Campagne a été dénoncé par plusieurs conseillers municipaux au procureur du roi de Jonzac, comme coupable de concussions et d'enchères illicites, crime et délit prévus et punis par les art. 174 et 175 c. pén. Après enquête administrative et un commencement d'information judiciaire, une ordonnance du conseil d'État, du 4 sept. 1841, n'a pas autorisé la continuation des poursuites. Par suite, ordonnance du 29 oct. de la chambre du conseil qui déclare n'y avoir lieu à suivre. Toutefois, le maire dénoncé porte plainte en dénonciation calomnieuse, et le ministère public demande l'application de l'art. 573 c. pén. Mais, sur une fin de nonrecevoir opposée par les prévenus, jugement du tribunal correctionnel de

On voit que

dénonciateur (Crim. cass., 10 mars 1842) (2). ces arrêts, et notamment le dernier, sont tout à fait dans le sens de la théorie que nous avons développée.

104. Ce que nous venons de dire fait déjà pressentir que les décisions ou actes administratifs qui refusent d'autoriser la poursuite des faits dénoncés contre un agent du gouvernement, à supposer qu'on ne puisse les regarder comme des décisions véJonzac qui déclare non recevable l'action du ministère public et renvoie les prévenus sans frais. Il est ainsi conçu : « Attendu que les faits imputés par les prévenus au maire de Saint-Ciers-Campagne ont le caractère de crime ou de délit; qu'ainsi l'autorité judiciaire pouvait seule constater légalement leur vérité ou leur fausseté; Attendu que, dans l'espèce,

il n'est intervenu aucune décision judiciaire qui ait apprécié les faits dénoncés; qu'on ne saurait considérer comme décision ayant ce caractère, l'ordonnance de non-lieu du 29 oct., puisqu'il était interdit au tribunal de s'immiscer dans l'examen des faits et circonstances de la cause, et de donner cours à la procédure commencée... » — Ce jugement a été confirmé, sur l'appel, le 20 janv. 1842, par le tribunal supérieur do Saintes.

Pourvoi. Le conseil d'État était ici, a-t-on dit, la seule autorité compétente pour apprécier les faits dénoncés ; c'est sur son avis que l'ordonnance du roi a refusé d'autoriser la continuation de la poursuite; il n'en fallait pas davantage pour rendre l'action en dénonciation calomnieuse recevable; autrement la condition des fonctionnaires publics serait intolérable....Les prévenus n'ont pas soutenu que la fausseté des faits dénoncés ne saurait résulter que d'un arrêt ou d'un jugement; mais ils ont fait une distinction entre les ordonnances de non-lieu et les ordonnances royales portant interdiction de poursuites contre les fonctionnaires, en ce que les premières supposent nécessairement la fausseté des faits, tandis que les autres peuvent être déterminées par des motifs politiques ou autres, sans que les faits dénoncés cessent d'être l'expression de la vérité. Mais cette objection est sans force, car les ordonnances de nonlieu peuvent être, comme les ordonnances royales, basées sur des considérations de fait, d'intention et de moralité. Il faut donc reconnaitro qu'une ordonnance rendue en conseil d'État, après de scrupuleuses informations, présente au moins autant de garanties que la décision d'une chambre du conseil. Si donc elles sont l'une et l'autre légales, régulières, compétemment rendues, comment refuserait-on à la première l'effet que, de l'aveu général, la seconde peut produire ? Ainsi le tribunal de Jonzac et le tribunal supérieur de Saintes ont violé l'art. 575 c. pén., en déclarant non recevable l'action du ministère public; ils devaient recevoir sa plainte, sauf à eux à en apprécier ultérieurement le mérite et la moralité. - On a répondu, dans l'intérêt des défendeurs, qu'il dépend du gouvernement de procurer au fonctionnaire la satisfaction qu'il demande, en évitant ou levant cette interdiction d'instruire sur la dénonciation, et s'il ne l'obtient pas, sa position ne sera que la conséquence d'un privilége qui couvre tous les actes, licites ou non, des fonctionnaires. D'ailleurs, avant de poursuivre, il faut une déclaration préalable de la fausseté des faits dénoncés. La vérité des faits entraîne l'innocence des prévenus. Or il est interdit aux tribunaux, par le conseil d'État, de vérifier ces faits, et les prévenus, assurément, ne sont pas cause de cet obstacle. Il suit donc de là que la poursuite n'est plus recevable. M. l'avocat général Delapalme a reconnu qu'une ordonnance du conseil d'Etat, refusant l'autorisation d'instruire, n'équivaut pas à une ordonnance de non-lieu, déclarant faux les faits dénoncés, mais il a pensé que la poursuite en dénonciation calomnieuse est recevable, tous moyens de défense réservés. - Arrêt.

LA COUR; - Vu l'art. 373 c. pén.; Attendu que si, en général, le tribunal correctionnel, saisi d'une plainte en dénonciation calomnieuse, doit n'y statuer qu'après que la fausseté des faits dénoncés a été reconnue par l'autorité compétente, cette marche ne peut plus être suivie, lorsque, s'agissant d'une dénonciation contre un fonctionnaire public, à raison de crimes ou délits commis dans ses fonctions, une ordonnance du roi, rendue en vertu de l'art. 75 de l'acte constitutionnel du 22 frim. an 8, a refusé d'autoriser la poursuite, et a, dès lors, interdit à l'autorité judiciaire de rendre sur ces faits aucune décision; - Qu'on ne peut cependant attribuer à cette ordonnance l'effet d'affranchir le dénonciateur qui aurait agi méchamment, des peines dont l'art. 373 c. pén. punit les faits de cette espèce, et de priver celui qui a été dénoncé du droit de poursuivre la réparation qui peut lui être due; Que l'on doit, dans cette position, donner suite à l'action en dénonciation calomnieuse, sauf au tribunal saisi à apprécier les moyens de défense qui seront opposés par le prévenu; Qu'ainsi, dans l'espèce, le tribunal de Saintes, en refusant de recevoir l'action du ministère public contre Saboureau et consorts, sous le préteste qu'il n'existait point encore de décision de l'autorité judiciaire sur la fausseté des faits par eux dénoncés, lorsqu'une ordonnance du roi avait refusé d'autoriser la continuation des poursuites sur ces mêmes faits, a méconnu les règles de sa propre compétence, et formellement violé l'art. 373 c. pén.: Casse.

Du 10 mars 1842.-C. C., ch. crim.-MM. de Bastard, pr.-Vincens-SaintLaurent, rap.-Delapalme, av. gén., c. conf.-Morin, av.

ritables touchant les faits, c'est-à-dire comme des jugements ce qui, dans la doctrine que nous combattons, modifie singulièsusceptibles de passer en force de chose jugée, suffisent néan-rement la compétence du préfet pour en constater la fausseté, moins pour rendre son action à la justice répressive et pour faire lever le sursis qui s'opposerait à ce qu'il fût statué sur la poursuite en dénonciation calomnieuse.

105. Toutefois la jurisprudence n'est pas d'accord sur ce point. Elle a d'abord décidé que la lettre d'un préfet et même celle d'un ministre reconnaissant la fausseté de la dénonciation ne peut avoir d'autorité ni être assimilée à une décision judiciaire (Nimes, 27 nov. 1829, aff. Roux, V, no102-1°; Cr. rej., 25 fév. 1826, aff. Allix, V. no 101).

106. Mais il a été jugé depuis: 1° qu'on doit regarder comme une décision une simple lettre par laquelle le préfet, tout en accordant aux habitants d'une commune la révocation de leur maire par eux sollicitée, dit, en passant, que quelques-unes des allégations contenues dans leur plainte ne paraissent pas fondées, encore bien que ces habitants n'aient pas été mis en mesure de fournir la preuve par eux expressément offerte dans cette même plainte il suffit que la décision contienne des motifs sur chaque chef de la plainte (Crim. rej., 26 mai 1852, aff. Dulard, V. n° 105-5°);

107. 2o Que la fausseté des faits dénoncés peut être établie par la lettre d'un préfet, écrite à la suite de l'enquête administrative à laquelle il a été procédé contre l'officier à qui ils étaient imputés (Paris, 23 août 1841) (1). — Dans cette dernière espèce, il y avait eu, à la vérité, comme on le voit, une enquête administrative; ce qui donnait plus d'autorité à la lettre du préfet. Il importe de remarquer également que, dans l'espèce des arrêts qui se sont prononcés en sens contraire, les faits dénoncés constituaient des crimes ou délits, tandis qu'ici on suppose qu'ils ne constituent que des actes purement administratifs; (1) Espèce: (Clauset C. Joyeux.) Le 8 mars 1840, le sieur Clauset, sous-lieutenant de la garde nationale d'une commune de Seineet-Oise, adressa au préfet et au maire un rapport sur des faits qu'il disait s'être passés dans le corps de garde d'un poste dont il était le chef, et qu'il imputait au sieur Joyeux, commandant de la garde nationale. Le rapport exprimait toutefois que celui-ci n'était pas de service, ni revêtu des insignes de son grade. Une enquête administrative eut lieu, et elle établit la fausseté des faits attribués au sieur Joyeux. Celui-ci, regardant comme diffamatoires les imputations dont il avait été l'objet, porta une plainte en dénonciation calomnieuse, contre le sieur Clauset, devant le tribunal correctionnel de Versailles. Le prévenu décline la compétence du tribunal. A l'appui du déclinatoire, on a dit: Les imputations contenues dans le rapport dressé par le sieur Clauset, et que le sieur Joyeux a prétendu avoir un caractere diffamatoire, constituent tout au plus une simple injure, sans publicité, commise par un garde national dans l'exercice de ses fonctions, et appartenant dès lors à l'appréciation du conseil de discipline, chargé de réprimer les délits d'offense envers un officier supérieur. D'un autre coté, en admettant même que ces imputations constituassent un véritable délit, passible, si elles étaient démontrées fausses, de peines correctionnelles, comme le rapport qui les constate fait foi jusqu'à preuve contraire, il aurait fallu, préalablement aux poursuites, attaquer et détruire les énonciations de ce rapport devant le conseil de discipline, seule autorité compétente. Pour atteindre ce but, et dans la prévision qu'une suspension administrative pourrait être prononcée contre lo sieur Joyeux, l'administration a provoqué une espèce d'enquête où les témoins ont été entendus sans contradicteur, sans même prêter serment, et à la suite de laquelle est intervenue une lettre du préfet qui a déclaré la fausseté des faits reprochés au sieur Joyeux; mais outre que cette enquête émane d'une autorité incompétente, on a procédé irrégulièrement, car le sieur Joyeux n'eût-il dû encourir qu'une suspension administrative, la loi n'en aurait pas moins été violée, puisqu'elle exige alors, pour statuer sur cette suspension, une décision du conseil de préfecture. Enfin, ajoutait-on, le sieur Clauset, ayant fait le rapport incriminé comme comandant de poste, se trouvait assimilé à un agent de l'autorité qui ne pouvait être poursuivi sans l'autorisation préalable du conseil d'Etat. Dans l'intérêt du sieur Joyeux, on a répondu : Le tribunal correctionnel est compétent pour connaître d'une dénonciation calomnieuse dirigée contre un rapport dressé par un garde national et renfermant des fails diffamatoires. Il s'agit là, en effet, d'un délit ordinaire, soumis aux règles générales de la compétence en cette matière, et non d'un délit relatif au service, même de la garde nationale, ce qui eût été nécessaire pour appliquer la juridiction exceptionnelle du conseil de discipline. Il n'appartenait pas davantage au conseil de discipline de prononcer, préalablement à l'action correctionnelle, la fausseté des faits mentionnés dans le rapport du sieur Clauset : le sieur Joyeux s'était présenté au poste commandé par celui ci comme simple citoyen, et nullement comme officier, dans cette situation, il n'eût pas été justiciable du conseil de discipline pour les délits par

108. La même difficulté se présente dans un autre ordre d'idées. Il existe, pour certaines corporations, telles que celles des avocats, avoués, notaires, huissiers, etc., des juridictions disciplinaires qui sont appelées à statuer sur les fautes et prévarications de leurs membres. Lorsqu'elles ont prononcé, leur décision suffit-elle pour établir la preuve de la fausseté des faits et autoriser, par suite, le dénoncé à actionner le dénonciateur devant le tribunal correctionnel? Ici, il faut, ce semble, faire la distinction dont on a parlé ci-dessus: ou les faits imputés à l'avocat ou officier ministériel constituent des crimes ou délits du droit commun, ou bien ils ne constituent que des fautes disciplinaires. Au premier cas, le conseil de l'ordre ou la chambre de discipline seront incompétents pour apprécier, sous le rapport de la juridiction répressive, la criminalité des faits, et c'est en vain qu'ils auront disculpé celui de leurs membres qui avait été dénoncé. Ce dernier n'aura pas le droit de poursuivre son dénonciateur devant le tribunal correctionnel, tant que l'existence ou la non-existence du crime ou délit à lui imputé n'aura pas été constatée par l'autorité compétente ou que le ministère public n'aura pas refusé de les poursuivre. Il a été jugé en ce sens que lorsque, sur la dénonciation d'un avocat devant le conseil de l'ordre, formée par un de ses clients, comme coupable de tentative d'escroquerie, il est intervenu une décision du con. seil de discipline pleinement justificative de la conduite de l'avocat, celui-ci ni le ministère public ne peuvent poursuivre le dénonciateur devant le tribunal correctionnel, avant que les fails n'aient été reconnus faux par l'autorité compétente (C. d'app. de Bruxelles, 6 nov. 1841) (2).

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109. Dans la seconde hypothèse, et comme les conseils lui commis, et à plus forte raison si les faits qui lui étaient faussement attribués ne constituaient même pas un délit. Ces faits auraient eu pour unique résultat de compromettre la considération du sieur Joyeux comme officier, de lui faire subir une suspension administrative; c'est donc avec raison qu'ils ont été recherchés administrativement, et la décision du préfet qui les a déclarés faux et mensongers forme un droit acquis en faveur de celui à qui ils étaient imputés, et lui permet d'intenter les poursuites correctionnelles qui peuvent naître de cette décision. Quant à la dernière exception, tirée de la nécessité d'une autorisation préalable du conseil d'Etat, il est inutile d'y insister, le bénéfice de cette autorisation étant spécialement réservé aux fonctionnaires publics, et ne pouvant évidemment être étendu aux officiers de la garde nationale.

Jugement qui rejette le déclinatoire par les motifs suivants :

«Attendu que Joyeux a porté plainte contre Clauset en dénonciation calomnieuse, par suite du rapport adressé par celui-ci à M. le préfet et à M. le maire, le 8 mars dernier; - Qu'il résulte de ce rapport lui-même, que Joyeux n'était pas dans l'exercice de ses fonctions et n'avait pas visité le poste comme commandant de la garde nationale et en cours de ronde; - Qu'il n'était pas, dès lors, justiciable du conseil de discipline, et que les faits qui lui étaient attribués pouvaient seulement être appréciés par l'autorité administrative, aux termes des art. 6 et 61 de la loi sur la garde nationale; Qu'il résulte d'une enquête faite à la diligence de cette autorité et de la lettre émanée du préfet, à la date du 3 avril 1841, que l'autorité administrative a déclaré ces faits faux et mensongers; - Qu'il n'y a plus, dès lors, à statuer que sur le mérite de la plainte en dénonciation calomnicuse, qui est évidemment de la compétence des tribunaux correc tionnels...;» Appel. Arrêt.

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LA COUR; Adoptant les motifs des premiers juges, et attendu que les officiers de la garde nationale ne peuvent être assimilés aux fonctionnaires publics, qui ne peuvent être poursuivis qu'après une autorisation du conseil d'Etat; - Confirme, etc.

Du 25 août 1841.-C. de Paris, ch. cor.-MM. Espivent, pr.-Bresson, av. gén., c. conf.-Quétand et Landrin, av.

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(2) Espèce (B... C. Denambruide.) L. Denambruide, qui avait dirigé une plainte en tentative d'escroquerie contre l'avocat B..., fut traduit devant le tribunal correctionnel de Bruxelles du chef de dénonciation calomnieuse, avant qu'aucun jugement fût intervenu sur le mérite de sa plainte. Le conseil de discipline de l'ordre des avocats ayant, par décision, pleinement disculpé le sieur B..., le ministère public se prévalut de cette décision, et demanda à ce qu'il fût passé outre à la poursuite contre DeDambruide.

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de l'ordre ou les chambres de discipline sont seules compétentes sauf quelques cas (V. Avoué, nos 282) pour statuer sur les faits dénoncés, leur décision sur ce point établit parfaitement la preuve de la vérité ou de la fausseté de ces faits. C'est dans ce sens qu'il a été jugé que la dénonciation adressée au ministère public contre un officier ministériel, pour fails passibles d'une répression disciplinaire, et par exemple, pour procédures frustratoires, ne peut donner lieu à une plainte en dénonciation calomnieuse, qu'autant que la constatation de la fausseté de ces faits a été faite par le pouvoir disciplinaire compétént pour apprécier les faits dénoncés: et cette constatation ne résulte pas du refus écrit du procureur général de poursuivre sur ces faits (Crim. cass., 18 déc. 1846, aff. Coquard, D. P. 47. 4. 158). Qu'arrivera-t-il si le conseil refuse de statuer ? V. n° 91.

110. Quel est l'effet, relativement au tribunal saisi de la dénonciation calomnieuse, des décisions qui ont déclaré calomnieux ou faux les faits dénoncés? Ce tribunal est-il tellement enchaîné par cette déclaration qu'il n'ait plus désormais qu'à prononcer des peines contre le dénonciateur? On a pu déjà pressentir que telie n'est point sa mission. La question préjudicielle vidée, c'est-à-dire les faits dénoncés mis désormais à l'abri de toute incrimination, le juge devra rechercher si c'est méchamment et de mauvaise foi que la dénonciation a été faite dans cette appréciation, les fails jugés ou dont l'autorité n'a point voulu laisser l'examen, sous le rapport de la criminalité, aux tribunaux de répression, pourront sans doute être reproduits par le prévenu de dénonciation calomnieuse et présentés pour justifier ses intentions; mais de même que la décision à laquelle ils ont donné lieu ne suffit pas pour faire condamner ce dernier, de même aussi ils ne sont plus susceptibles de donner lieu à une investigation judiciaire dont le but serait d'apprécier leur criminalité ou même leur moralité. Le jugement qui leur donnerait une qualification propre à incri⚫ miner le dénoncé, contiendrait ou une atteinte à la chose jugée, ou un excès de pouvoir.-V. ce qui est dit n° 85.

111. Il a été jugé, en conséquence: 1° que, dans le cas où les faits signalés dans une dénonciation ont été déclarés calomnieux par l'autorité compétente, le juge correctionnel, devant lequel une plainte en calomnie est formée, n'a point à examiner de-nouveau si les faits dénoncés sont vrais ou faux; il a seulement à juger si, d'après les circonstances, la dénonciation a été faite de mauvaise foi et à dessein de nuire (Crim. cass., 25 oct. 1816, aff. Maury, V. no 103-1o);-2° Que l'auteur d'une dénonciation contre un fonctionnaire, laquelle a été suivie d'une ordonnance de non-lieu, ne peut plus, au cas où il est poursuivi, que se défendre sur la question intentionnelle, sans qu'il lui soit permis de discuter de nouveau les faits (Crim. rej., 2 mai 1854, aff, Coudray, V. Inst. crim., Témoins).

112. Enfin, il est bien entendu que l'appréciation souveraine de l'autre élément du délit de dénonciation calomnieuse, à savoir la mauvaise foi ou l'intention de nuire du dénonciateur, reviendra au tribunal correctionnel lorsque l'autorité compétente aura vérifié la fausseté des faits dénoncés. - V. Crim. rej., 22 déc. de tentative d'escroquerie, et que le tribunal n'est pas saisi de l'appréciation et de la véracité du fait contenu dans la plainte; Déclare le ministère public hic et nunc non recevable. » - Appel.

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Arrêt.

LA COUR; Attendu qu'on ne peut reconnaitre le caractère calomnieux d'une dénonciation sans une décision préalable de l'autorité compétente, et que cette décision ne se rencontre pas dans la délibération du conseil de l'ordre des avocats, une juridiction purement disciplinaire étant incompétente à l'effet de statuer sur une inculpation de la nature de celle consignée dans la dénonciation du prévenu; Par ces motifs et ceux du premier juge, confirme, etc.

Du 6 nov. 1841.-C. d'app. de Bruxelles, 4 ch.

(1) Espèce : — (Maire de la com. de Frazé C. N.....) Le maire et l'adjoint de la commune de Frazé avaient cité en police correctionnelle plusieurs habitants de la même commune, à l'occasion d'une dénonciation calomnieuse, consignée dans un écrit par eux signé et adressé au préfet. --Ces habitants déclinèrent la juridiction du tribunal correctionnel, prétendant que ce fait rentrait dans la classe des délits de diffamation, dont la connaissance avait été attribuée aux cours d'assises par l'art. 15 de la loi du 26 mai 1819. Le renvoi fut prononcé par le tribunal de Chartres, jugeant sur l'appel porté devant lui. Pourvoi en cassation. - Arrêt. LA COUR; Attendu que la loi du 26 mai 1819 n'a point abrogé l'art. 375 c. pén. qui n'a pas cessé d'être en vigueur; que la citation avait

1827, aff. Marcadier, no 40; yo Cassation, nos 1224 et suiv., et Crim. rej., 7 fév. 1835, aff. Roques, V. no 102-3o.

СНАР. 5.

Qualité

Tribunal compétent pour juger le délit. pour intenter l'action.- Peine.- Dommages-intérêts. 113. La dénonciation calomnieuse est un délit, aux termes de l'art. 373 c. pén.-Par conséquent, c'est au tribunal de police correctionnelle que la connaissance en est déférée. Cela est de la dernière évidence et se trouve, d'ailleurs, établi par tout ce qui a été dit précédemment. Nous ne rappelons donc cette proposition que pour la forme. Et ici, il n'y a pas à distinguer, sous le point de vue de la compétence, comme en matière de diffamation, la qualité des personnes contre lesquelles la dénonciation a été faite; qu'elles soient revêtues de fonctions publiques ou qu'elles soient de simples citoyens, le délit est toujours de la compétence de la police correctionnelle, la loi du 26 mai 1819, sur la diffamation, n'ayant point abrogé l'art. 373 c, pén. (Crim. cass., 7 mars 1823) (1).— Jugé dans le même sens, que les dénonciations calomnieuses ressortissent de la juridiction correctionnelle, bien qu'elles soient dirigées contre des fonctionnaires publics et pour des faits relatifs à leurs fonctions; et cette compétence est applicable, alors même qu'à raison de la publicité donnée, par la voie de la presse, aux imputations incriminées, ces imputations auraient pu motiver une poursuite en diffamation devant la cour d'assises : « Attendu qu'aucune disposition de la loi du 8 oct. 1830 ne met au nombre des délits politiques, dont elle attribue la connaissance aux cours d'assises, la dénonciation calomnieuse contre des fonctionnaires publics pour des délits relatifs à leurs fonctions, et que l'art. 375 c. pén., dont l'application appartient, d'après la nature des peines qu'ii prononce, à la juridiction correctionnelle, ne fait aucune distinction, relativement aux dénonciations calomnieuses, entre celles dirigées contre les personnes privées et celles dirigées contre des fonctionnaires publics; que si les faits qui servaient de base à la dénonciation avaient été publiés par la voie. de la presse et auraient pu motiver une poursuite en diffamation, cette circonstance ne mettait aucun obstacle légal à la poursuite pour le délit spécial et distinct de dénonciation calomnieuse >> (Crim. rej., 19 janv. 1848, M. Nicias Gaillard, c. conf., aff. Warnery, D. P. 48, 1. 62.-Conf. Paris, 19 nov. 1841, aff. Paganel).

114. Jugé, d'après le même principe, que la plainte en dénonciation calomnieuse dirigée contre un officier de la garde nationale, qui, étant de service, a dressé, en cette qualité, un rapport contenant des faits de nature à compromettre la considération d'un autre officier, non alors de service, est de la compétence des tribunaux correctionnels, et non de celle des conseils de discipline (Paris, 25 août 1841, aff. Clauset, V. n° 107-2°). 13. Par suite, le tribunal de simple police auquel sont soumis des faits pouvant constituer une dénonciation calomnieuse ne peut se borner à renvoyer devant qui de droit l'appréciation du caractère de la dénonciation; il doit se déclarer incompétent (Crim. cass., 9 août 1844) (2).

évidemment pour objet le délit de dénonciation calomnieuse prévu par cet article; que, d'ailleurs et surabondamment, il n'y a point de diffamation sans publicité, et qu'il n'était ni constaté ni même allégué dans l'instance Casse. que l'acte contenant la dénonciation eût été rendu public;

Du 7 mars 1823.-C. C., sect. crim.-MM. Barris, pr.-Aumont, rap. (2) (Min. pub. C. Hubert.) LA COUR; - Vu les art. 408 et 413 c. inst. crim.; Ensemble l'art. 160 du même code et l'art. 175 c. pén.; - Attendu que le tribunal de simple police des Andelys a reconnu, dans l'espèce, que les lettres adressées au ministre secrétaire d'État de la guerre par Julien-Damascène Hubert contre le maire de la commune de Fresnel'Archevêque, et contre le conseil de révision du département de l'Eure, à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, constitueraient une véritable dénonciation calomnieuse, et rendraient ledit Hubert passible de la peine que prononce l'art. 375 c. pén., si l'autorité administrative à laquelle il appartient d'apprécier les faits inculpés déclarait cette plainte mal fondée; - Que ce tribunal devait dès lors, aux termes de l'art. 160 c. inst. crim., se déclarer incompétent, et renvoyer les parties devant le procureur du roi; Qu'en se bornant à renvoyer devant qui de droit l'appréciation du caractère de la dénonciation dont il s'agit, ledit tribunal a virtuellement retenu la cause, et commis par suite une violation expresse des règles de la compétence; Casse.

Du 9 août 1844.-C. C., ch. crim.-MM. Laplagne, pr.-Rives, rap.

116. Qualité pour intenter l'action. - Du moment que la dénonciation calomnieuse est un délit ordinaire et non pas un délit privé ou spécial, comme la diffamation ou l'adultère, il n'est pas besoin que la personne qui se prétend lésée prenne l'initiative de la poursuite. Le ministère public a le droit, en vertu de la règle générale inscrite dans l'art. 22 c. inst. crim., de poursuivre lui-même d'office et directement le prévenu d'un pareil délit. C'est ce qui a été jugé par la cour d'appel de Paris (4 fév. 1842) (1). — Et la prévention, c'est-à-dire la preuve de la fausseté des faits dénoncés résulte, ainsi que cela a été dit plus haut, nos 79 et suiv., de la déclaration de non lieu à suivre rendue par les chambres d'accusation.

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117. Peine. On a vu dans l'historique ci-dessus la sévérité de la loi péuale, du droit romain et de notre ancienne législation contre les dénonciateurs calomnieux. Le législateur moderne s'est beaucoup relâché de la rigueur antique. Aujourd'hui, en effet, aux termes de l'art. 373, le dénonciateur calomnieux est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 100 fr. à 3,000 fr.-L'art. 374 ajoutait : « Dans tous les cas, le calomniateur sera, à compter du jour où il aura subi sa peine, interdit, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, des droits mentionnés en l'art. 42 du présent code >> (des droits civiques et civils). »— Cette aggravation de la pénalité qui s'appliquait au délit de dénonciation calomnieuse comme à la calomnie proprement dite, a disparu du code par suite de l'abrogation de cet art. 374 par la loi du 17 mai 1819.—C'est en ce sens qu'il a été jugé que le délit de dénonciation calomnieuse, prévu par l'art. 373, ne peut être puni, outre les peines d'emprisonnement et d'amende portées par cet article, de la peine accessoire de l'interdiction des droits civiques que prononçait l'art. 374, ce dernier article ayant été abrogé par l'art. 26 de la loi du 17 mai 1819 (Crim. cass., 12 août 1842 (2). · Conf. Crim. cass., 7 déc. 1833, aff. Holleaux, V. n° 24).

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118. De ce que le code pénal, s'écartant de l'ancien système, ne porte, contre le dénonciateur calomnieux, que la peine

(1) Espèce: (Min. pub. C. Paganel.) Depuis longues années le sieur Paganel n'a cessé, dans plusieurs écrits et dans des pétitons adressées aux chambres, d'accuser l'ancien archevêque d'une soustraction de plus de 2 millions. Toutes ces inculpations ont eu le même résultat : elles ont été repoussées, on peut le dire, par l'indignation publique.

Après la mort de l'archevêque, le sieur Paganel a reporté l'accusation sur deux chanoines. Pour mettre un terme à ces outrages, MM. Quentin et Tresvaulx pouvaient porter plainte, et si l'on veut qu'ils fussent revêtus d'un caractère public, ils pouvaient prendre l'initiative et appeler le diffamateur devant la cour d'assises, c'est-à-dire devant la juridiction que la loi de 1819 a instituée pour juger les diffamations dont peuvent avoir à se plaindre des fonctionnaires publics. Mais on comprend la réserve qui était imposée à deux ccclésiastiques honorables: chacun peut se demander si l'on devait attendre que ceux-là à qui leur religion impose le pardon des injures appelleraient devant la cour d'assises un audacieux et infatigable calomniateur. MM. Quentin et Tresvaulx ne le pouvaient pas; ils ne l'ont pas fait ; ils ont gardé le silence; ils ont laissé au mepris et à l'indignation du public le soin de les venger de ces outrages. Mais la justice avait un autre rôle à remplir, elle ne pouvait laisser plus longtemps continuer un tel scandale. Qu'a-t-elle fait? elle a dit à Paganel: Sortez de vos accusations publiques; au lieu de pétitions à la chambre des députés, portez une plainte, l'instruction commencera aussitôt et suivra son cours. C'est là le langage que tenait à Paganel le chef de la justice. M. le garde des sceaux a averti Paganel de toutes les conséquences de la voie dans laquelle il se proposait d'entrer. Paganel, malgré ces avis, a porté sa plainte, il a indiqué des témoins; il y a eu une ordonnance de non-lieu. C'est alors que le ministère public a poursuivi Paganel pour le délit de dénonciation calomnieuse, prévu et puni par l'art. 373 c. pén.-Jugement du tribunal correctionnel, par défaut, confirmé par arrêt du 19 nov. 1841, également par défaut, qui rejette le déclinatoire de Paganel tendant à être renvoyé devant la cour d'assises, pour faire la preuve des faits par lui avancés. — Opposition. Le prévenu renouvelle son déclinatoire et prétend, en outre, que le ministère public n'avait pas le droit, dans le silence des deux chanoines dénoncés, de poursuivre d'office. - Arrêt.

LA COUR; Statuant sur la nouvelle exception présentée à l'audience par Paganel, exception fondée sur le défaut de qualité dans la personne du procureur du roi, à l'effet de poursuivre Paganel devant la juridiction correctionnelle :-Considérant que l'instance sur laquelle s'élève la question d'incompétence, rejetée par le jugement dont est appel, est fondée sur une plainte en dénonciation calomnicuse dirigée par M. le procu

d'un mois à un an de prison et une amende de 100 à 3,000 fr. et non plus la peine qui aurait été applicable au crime ou délit par lui dénoncé, par application de la loi du talion, il ne s'ensuit pas qu'on ne puisse diriger contre lui d'autres poursuites, par exemple, pour faux témoignage ou pour subornation de témoins, s'il a employé de pareilles manœuvres et si l'accusation contre le dénoncé a été soutenue au moyen de fausses dépositions (V. Conf. Legraverend, t. 1, p. 403). Le tout, sans préjudice, en outre, des dommages-intérêts auxquels il pourra être condamné, ainsi qu'on va l'expliquer.

La récidive, d'après Farinacius (Quest. 16, no 6) contribuait, sous l'ancienne législation, à rendre le coupable plus criminel et l'exposait, par conséquent, à une peine plus sévère. Aujourd'hui et d'après l'art. 58 c. pén., il n'y a lieu, dans ce cas, qu'à l'application du maximum de la peine.-V. Peine, Récidive. 119. Dommages-intérêts. Outre la peine due à son délit, le dénonciateur calomnieux peut, suivant les conditions et circonstances qu'on va examiner ci-après, être condamné à des dommages-intérêts au profit du dénoncé. Et une telle condamnation est indépendante de la condamnation à la peine et ne fait pas obstacle à l'application de celle-ci (Crim. cass., 12 nov. 1813, aff. Maillezac, V. no 49). Et, réciproquement, le dénoncé peut se borner à demander des dommages-intérêts par application de l'art. 1382 c. civ. C'est ainsi qu'il a été jugé que lorsque des lettres adressées par un avoué à son client, dans la vue de l'engager à empêcher, par ses démarches auprès des hommes du pouvoir, la nomination d'un magistrat, ont été rendues publiques par ce client, les tribunaux ont pu, sur l'action du magistrat dénoncé, en ordonner la suppression, et condamner le dénonciateur à des dommages-intérêts: dans ce cas, les lettres n'ayant pas été envisagées sous le rapport du délit de diffamation, il serait inexact de prétendre que l'auteur seul de la publicalion, et, par suite, de la diffamation, aurait dû être condamné aux réparations civiles (Crim. rej., 16 fév. 1829) (3).

A l'égard des dommages-intérêts dus au dénoncé, ils sont ré

reur du roi contre Paganel; Que la dénonciation calomnieuse est un délit prévu par l'art. 373 c. pén., et que le procureur du roi, aux termes de l'art. 22 c. inst. crim., est investi du droit de poursuivre d'office et de soumettre à la juridiction correctionnelle les délits qui viennent à sa connaissance; que le délit de dénonciation calomnieuse ne se trouve pas dans les cas prévus par la loi dans lesquels l'action publique ne peut être mise en mouvement que sur la plainte de la partie privée; Rejette ladite exception, et statuant sur l'appel interjeté par Paganel, adoptant les motifs des premiers juges, met l'appellation au néant; ordonne que le jugement dont est appel sortira son plein et entier effet.

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Du 4 fév. 1842.-C. de Paris, ch. correct.-M. de Chanteloup, pr.

(2) (Mazarin C. min. pub.)- LA COUR; Attendu que le jugement, pour prononcer cette aggravation, se fonde sur une omission prétendue de l'application de l'art. 374 c. pén.; mais attendu que cet art. 374 a élő formellement abrogé par l'art. 26 de la loi du 17 mai 1819, relative aux délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication; attendu que cet article 374 ne s'appliquait pas seulement à la dénonciation calomnieuse punie par l'art. 373 du même code encore subsistant, mais aussi aux délits de calomnie prévus par les art. 367 et suivants du même code, remplacés par les dispositions de la loi du 1er mai 1819 et de la loi du 25 mars 1822, relatives aux délits de diffamation et d'outrage; et que le législateur n'a pas voulu conserver pour ces diverses classes de délits, la peine accessoire de l'interdiction des droits civiques et de famille; que l'abrogation, prononcée par la loi de 1819, est générale et absolue.-Casse.

Du 12 août 1842.-C. C., ch. crim.-M. Isambert, rap.

(3) Espèce (Pasquier C. Watellier.) En 1814, la dame Adair, en procès devant le tribunal de Rethel, avait Me Pasquier pour avoué. Ce dernier, sur la nouvelle que M. Watellier, ancien président du tribunal, allait être réintégré dans ses fonctions, écrivit à la dame Adair, ajers à Paris, plusieurs lettres, pour l'engager à se servir de toute son influence sur plusieurs personnages puissants, afin d'écarter M. Watellier de la présidence, lui annonçant que ce magistrat s'efforcerait de nuire au succès de sa cause.-M. Watellier ne fut pas réintégré.—La dame Adair obtint gain de cause, mais la décision fut cassée. A la suite de cette instance, la dame Adair intenta une action en désaveu contre Me Pasquier, qui, à ce qu'il paraît, se défendit avec aigreur. — La dame Adair remit alors à son avocat les lettres dans lesquelles Me Pasquier avait inculpé la délicatesse de M. Watellier.-Ces lettres sont rendues publiques; M. Watellier les fait saisir et en réclame la suppression. Ma Pasquier de

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