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pour ses statues le système des proportions de Polyclète modifié par Euphranor, artiste né dans l'isthme, et qui fut aussi l'un des maîtres de l'art dorien. On croit avoir, dans les fameuses statues de MonteCavallo, des copies d'originaux de Lysippe. Suivant Quatremère de Quincy, ces statues péchent par une roideur méthodique dans la représentation des formes musculaires, et, pour me servir de l'expression même du critique, par quelque chose de trop écrit1.

D'après ce que j'ai dit de l'art athénien, on doit penser que sa prospérité se liait à la grandeur d'Athènes et qu'une puissante vie politique pouvait seule fournir un aliment, ouvrir une carrière à son activité. Ainsi l'époque de Périclès fut son époque la plus féconde et la plus brillante, et on le vit décliner avec la puissance d'Athènes, puis mourir avec les derniers efforts de son indépendance sous le règne d'Antipater. Né à une époque de gloire, de patriotisme et de liberté, il s'éteignit dans la honte et l'asservissement de la patrie athénienne. L'art vécut plus longtemps dans les écoles doriennes. On vit sortir des ateliers des fondeurs des bronzes athlétiques lorsque le ciseau des sculpteurs avait cessé de travailler le marbre pour les temples. Après la ruine de la Grèce, lorsque le goût des Romains pour les arts amena une renaissance de la sculpture, ce fut le génie dorien qui prédomina parmi les nouveaux artistes et qui marqua de son empreinte les nouveaux chefsd'œuvre de l'époque romaine. Polyclète fut alors préféré à Phidias, et, comme cela devait être, l'art systématique des écoles d'Argos et de Sicyone au grand art athénien. Mais le génie grec était éteint et la fécondité de l'art épuisée. De pâles imitations, des redites fastidieuses, entre lesquelles quelques nobles œuvres apparaissent çà et là, signalent ses derniers efforts vers une perfection abstraite et morte. Comme la Niobé du poëte, qui couvait des tombeaux, la Muse de la sculpture essaie en vain de réchauffer des marbres glacés; elle se traîne en expirant sur des pierres stériles.

1 Mém. sur les sculpt. du Parth., 113.

H. DE RONCHAUD.

IMMENSÉE,

PAR

THÉODORE STORM'.

LE VIEILLARD.

On était au déclin de l'automne. Un vieillard bien vêtu remontait lentement la rue. Il paraissait revenir d'une longue promenade, car ses souliers à boucles, suivant une mode dès longtemps passée, étaient couverts de poussière, et il portait sous son bras un jonc à pommeau doré. Dans ses yeux noirs semblait s'être réfugiée toute sa jeunesse perdue, et le feu qui les animait formait un contraste étrange avec sa chevelure blanchie. Il dirigeait de paisibles regards tantôt sur un point tantôt sur l'autre de la rue qu'éclairaient les derniers rayons du soleil couchant. Presque étranger à la population, peu de passants le saluaient, mais beaucoup d'entre eux jetaient sur lui un regard inquisiteur comme pour sonder cette physionomie expressive et sérieuse.

Arrivé devant une haute maison, il regarda encore autour de lui avant de pénétrer à l'intérieur et sonna. Au bruit de la clochette, une femme âgée parut à un guichet. Le vieillard fit un signe de sa canne et dit avec un léger accent méridional : « Quoi, pas encore de lumière? » A ces mots, la gouvernante laissa retomber le rideau vert qu'elle avait soulevé et disparut. Ayant traversé le vestibule, il entra dans un large corridor flanqué de bahuts de chêne et de grands vases de porcelaine, et, arrivé à la porte opposée, il se trouva en face d'un escalier conduisant à l'étage. Il le monta lentement et entra dans une chambre spacieuse, vrai sanctuaire de recueillement et de paix. L'une

'Traduit de l'allemand sur la septième édition. A Berlin, chez Alexandre Duncker.

des parois était garnie de rayons pour les livres, l'autre couverte de portraits et de paysages.

Devant une table que recouvrait un tapis vert et où gisaient quelques livres épars, se trouvait un fauteuil de velours rouge. Ayant posé sa canne et son chapeau dans un coin, le vieillard s'assit dans le fauteuil et parut se livrer au repos.

Peu à peu l'obscurité envahit la chambre, puis la lune se leva et vint lentement éclairer une à une les peintures qui décoraient la muraille. Involontairement l'œil du vieillard suivait le rayon argenté qui vint à frapper sur un petit portrait encadré de noir. Le vieillard tressaillit en murmurant : « Élisabeth! » A ce nom, le passé se dressa devant lui et sa jeunesse reparut tout entière.

LES ENFANTS.

Une gracieuse enfant s'approcha de lui; elle se nommait Élisabeth et pouvait avoir cinq ans. Lui-même en avait dix. Elle portait autour du cou un petit fichu de soie rouge qui seyait à son teint et relevait l'éclat de ses yeux noirs. « Reinhardt, Reinhardt! dit-elle; nous avons congé pour aujourd'hui et demain. »

Aussitôt, Reinhardt mit en place l'ardoise à calculer qu'il portait sous le bras, et les deux enfants se donnant la main coururent à la prairie en traversant le jardin. Ces vacances inespérées étaient une vraie fête avec l'aide d'Élisabeth, Reinhardt avait construit une hutte de gazon pour y passer les soirées d'été, mais un banc y manquait encore. Les planches et les clous étant déjà tout prêts, Reinhardt se mit immédiatement à l'œuvre, pendant qu'Élisabeth cueillait le long des haies les graines arrondies des mauves sauvages pour en faire des colliers. Lorsque, en dépit de maint clou tordu ou brisé, Reinhardt eut amené son œuvre à bien, la petite fille se trouvait à l'autre bout de la prairie.

Il l'appela et elle accourut avec ses cheveux bouclés et flottants. << Viens, dit-il, notre maison est finie. Tu as assez couru, nous allons nous asseoir sur notre banc, et je te conterai une histoire. »

Ils entrèrent et s'assirent sur le banc neuf. Élisabeth se mit à enfiler ses graines. Reinhardt commença son récit : « Il y avait une fois trois fileuses....

-Oh! dit Élisabeth, je sais cela par cœur, il ne faut pas toujours répéter les mêmes choses! »

Il fallut que Reinhardt renonçât à l'histoire des fileuses et racontât celle du pauvre homme qu'on avait jeté dans la fosse aux lions. « C'était la nuit, disait-il, et tout était sombre, et les lions dormaient, mais tout en sommeillant, de temps en temps ils bâillaient et laissaient voir leurs langues rouges et leurs crocs formidables, et l'homme frissonnait et attendait l'aurore....

Mais voici qu'une lumière apparut, et qu'un ange, se montrant auprès de lui, lui fit signe de la main et disparut dans le rocher. » Élisabeth, qui écoutait attentivement, s'écria : « Un ange! avait-il des ailes?

- Ce n'est qu'un conte, répondit Reinhardt, d'ailleurs il n'y a pas d'anges.

-Fi, Reinhardt! » dit-elle en le regardant avec sérieux. Mais lorsqu'à son tour il la fixa d'un œil sévère, elle reprit avec un accent de doute: «Eh bien! pourquoi ma mère et ma tapte me disent-elles toujours qu'il y en a? Pourquoi me le dit-on aussi à l'école?

--

Je n'en sais rien, répondit-il dédaigneusement.

Dis donc, est-ce qu'il n'y a point de lions non plus?

Mais si, il y en a aux Indes. Les prêtres des idoles les attèlent et se font traîner par eux au désert. Quand je serai grand, je veux aussi y aller. C'est mille fois plus beau qu'ici, et il n'y a jamais d'hiver. Veux-tu y venir avec moi?

- Oui, si ma mère et la tienne y vont aussi.

-Oh! non, elles seraient trop vieilles, cela ne se pourrait pas.

Mais je n'oserai pas y aller seule.

Eh bien, tu seras alors ma femme, et personne autre que moi n'aura à te commander.

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Nous reviendrons, comprends-tu? Allons! dis-moi si tu veux voyager avec moi? autrement, j'irai seul et ne reviendrai plus. »

La petite était prête à pleurer. « Ah! dit-elle, ne me fais pas de si méchants yeux. J'irai avec toi aux Indes. >

Reinhardt lui saisit les mains avec une explosion de joie et l'entraîna en bondissant dans la prairie. « Aux Indes! aux Indes! » répétait-il en la faisant voltiger en cercles rapides jusqu'à ce que le petit fichu rouge tomba de son cou; alors il lâcha prise et dit avec sérieux : Il n'en sera rien, tu n'as point de courage!

- Élisabeth! Reinhardt!» cria-t-on en ce moment à la porte du jardin.« Nous voici, répondirent-ils, et ils s'élancèrent du côté de la maison.

TONE XV,

»

7

DANS LA FORÊT.

Ainsi les deux enfants croissaient ensemble. Souvent elle était trop tranquille pour lui; souvent aussi il était trop vif pour elle. Malgré cela, ils ne se lassaient point l'un de l'autre, et toutes leurs heures de récréation se passaient en commun, l'hiver, dans une chambrette sous l'œil des mères, l'été, dans les prés et les bois. Un jour, le maître d'école gronda Élisabeth en présence de Reinhardt; celui-ci jeta violemment son ardoise par terre afin d'attirer sur lui la colère de l'instituteur. Cette ruse demeura sans succès, mais Reinhardt ne prêta plus aucune attention à la leçon de géographie et passa son temps à composer une longue pièce de vers dans laquelle il se représentait sous l'image d'un jeune aigle, et le maître d'école et Élisabeth sous celles d'une vieille grue et d'une blanche colombe. L'aiglon menaçait la grue de lui faire éprouver sa vengeance sitôt que les ailes lui seraient venues. Le jeune poëte se sentait grandi à ses propres yeux, et des larmes pointaient sous ses paupières. A peine de retour chez lui, il se procura un petit livre blanc et y transcrivit de sa plus belle écriture sa première élucubration poétique.

Peu après cet événement, il entra dans une autre école et forma de nouvelles amitiés avec des garçons de son âge, mais celle qui l'unissait à Élisabeth n'en fut point altérée. Il commença à écrire les contes de fée, qu'elle préférait parmi ceux qu'il lui avait si souvent répétés jadis. Il voulut même essayer d'y faire quelques additions poétiques de sa façon; mais n'y pouvant réussir sans se rendre compte du pourquoi, il dut se borner à les écrire tels que lui-même les avait entendu raconter. Cela fait, il donna les feuilles écrites à Élisabeth, qui les serra religieusement dans sa cassette et qui, pendant les soirées d'hiver, les lisait en sa présence à sa mère.

Au bout de sept ans, Reinhardt se prépara à quitter sa ville natale, pour suivre des études plus élevées. Élisabeth ne pouvait se figurer qu'il faudrait vivre sans lui. En manière de consolation, il lui promit de continuer à écrire pour elle ce qu'il trouverait d'intéressant sur son chemin, et de joindre ces récits aux lettres qu'il enverrait à sa mère; à son tour, Élisabeth devait lui écrire l'impression qu'elle en recevrait. En attendant le départ, mainte rime prit sa place dans le petit livre. Élisabeth, sans le savoir, servait de sujet à la plupart de ces Lieder, qui bientôt remplirent la moitié des feuilles blanches.

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