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indirecte et ne le réfute que dans son application à la cosmogonie mosaïque. Comment, en effet, traiter une question qui, pour être posée, exige une définition impossible? Comment s'entendre sur le sens d'un mot qui signifie tantôt une action directe et surnaturelle sur les organes de la parole ou les muscles de la main, tantôt le souffle divin qui se fait sentir à tous, bien qu'à des degrés différents; qui, animant l'argile, sépare l'homme de la brute qui périt, et fait de la plus infime comme de la plus élevée des créatures humaines un être à l'image de Dieu; d'un mot, enfin, qui a autant de sens qu'il existe de nuances intermédiaires entre ces deux extrêmes?

(La suite prochainement.)

Mme MARY Meynieu.

DU STYLE DE PHIDIAS,

ET DE SON RÔLE

DANS L'HISTOIRE DE LA SCULPTURE ANTIQUE '.

On s'est trompé longtemps sur la marche suivie par la sculpture grecque depuis son origine jusqu'à ses derniers chefs-d'œuvre. Les uns, comme Winckelmann et ses commentateurs allemands, se sont figuré cette marche comme un développement continu depuis Dédale jusqu'à Praxitèle. Pour eux, c'est à ce dernier artiste que revient l'honneur d'avoir le premier posé sur ses ouvrages cette couronne de la perfection qui est le dernier terme de l'art. Phidias, génie sublime, sent encore un peu son barbare; il a la beauté, mais sévère, non la grâce; la grandeur, non la délicatesse. Guillaume Schlegel, voulant donner une idée du caractère des trois grands tragiques grecs, compare Eschyle à Phidias, Sophocle à Praxitèle et Euripide à Lysippe. D'autres, comme Éméric David, en constatant la rapidité et la grandeur du progrès opéré dans la sculpture par le génie de Phidias, pensent qu'elle continua de se développer après lui jusqu'à l'époque d'Agésander, l'auteur du Laocoon. Dans ce système, Phidias tira l'art de l'enfance et de l'immobilité, et le porta tout d'un coup à un haut degré de puissance et de gloire. Il fut surpassé cependant par Polyclète, son rival plus jeune, qui fut plus savant que lui dans la reproduction de l'harmonie et de la beauté de la forme humaine. Après lui Praxitèle se distingue par la grâce exquise et la délicate perfection de ses ouvrages, portées plus loin qu'elles ne l'avaient encore été. Enfin Agésander vient ajouter à

Le présent article est la conclusion d'un ouvrage qui doit paraître chez Gide, et dont nous sommes heureux d'offrir les prémices aux lecteurs de la Revue.

C. D.

toutes ces qualités l'expression dramatique et clôt ainsi la série des perfectionnements de la sculpture.

Polyclète, comme chef d'une école rivale de celle d'Athènes, devait avoir ses partisans qui le mettaient au-dessus du maître athénien. Avec le caractère particulier de son talent, avec la perfection qu'il portait dans l'exécution de ses statues, il n'est pas étonnant qu'il ait été préféré à Phidias par des amateurs et des critiques de l'époque romaine jugeant selon l'esprit de leur temps. Pour quiconque a le vrai sentiment de la beauté dans l'art, il est difficile de concevoir une statue plus parfaite que le Bacchus du fronton oriental, et l'on s'explique malaisément, devant ce chef-d'œuvre, comment il aurait pu être surpassé; mais on comprend qu'il a pu exister un art systématique, qui, à l'imitation animée de la nature, à la libre originalité du style de Phidias, a substitué des beautés de convention et la réalisation par des procédés d'école d'un idéal conçu dans l'esprit. Dans tous les temps, et particulièrement aux âges de décadence, il y a eu des hommes pour préférer aux créations les plus admirables du génie, qui ont le tort d'être inimitables, les œuvres brillantes du goût, qui se laissent mieux atteindre, charment l'esprit par la clarté, les yeux par la symétrie, et résument en elles tous les progrès accomplis, toutes les perfections acquises par un long exercice de l'art.

Si tout l'art de Polyclète n'a rien pu créer de plus beau que le Bacchus du fronton oriental du Parthénon, les divinités marines du même fronton nous offrent à leur tour des modèles accomplis d'une grâce que Praxitèle lui-même n'a sans doute pas surpassée. Les seuls témoignages des anciens suffiraient pour réfuter le système qui refuse à Phidias l'honneur d'avoir connu cette divine Xápis des Grecs; mais 'les statues du Parthénon le réfutent encore bien mieux. Il suffit de s'arrêter un moment devant ce groupe des deux femmes dont l'une repose avec tant d'abandon dans les bras de l'autre n'est-ce pas là ce que Winckelmann lui-même appelle la grâce, et dont il parle si excellemment?« Elle se forme dans l'air, dit-il, réside dans les gestes, et se manifeste dans l'action et le mouvement du corps; elle se montre même dans la parure et jusque dans le jet de l'habillement. » Ainsi que l'a fait remarquer Otfried Müller, il ne s'agit plus ici, comme dans les ouvrages des artistes plus anciens, d'une beauté apprêtée; une certaine négligence témoigne du changement qui s'était opéré dans les mœurs publiques, où le goût des mesquines élégances se trouvait remplacé par le culte généreux du beau et de l'honnête. Les vêtements de nos divinités marines sont empreints de cette belle négligence.

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TOME XV.

Phidias garde les plis droits, égaux, symétriques, affectionnés par les anciens sculpteurs, pour la représentation des cérémonies sacrées, où ils étaient de règle; mais, partout où il lui est permis de s'abandonner à son génie, il ne cherche que la vérité de la nature et la beauté qui en provient. En fait de draperies, il est douteux que l'art d'aucun sculpteur ait produit jamais rien de plus délicat, de plus gracieux, que celles qui couvrent ces prétendues Parques. Rien d'affecté dans leur disposition, rien qui vise à l'effet; mais une vérité, une souplesse qui semblent faire participer ces vêtements à la vie des corps et donner à ces formes si belles et si grandes plus de grandeur encore et de beauté! Un défaut que les artistes postérieurs à Phidias n'ont pas toujours évité, c'est celui qui consiste à exagérer la nature dans certaines parties, afin de faire valoir la science et l'habilité qui sont les résultats communs du perfectionnement général de l'art, et d'exciter par ce moyen l'étonnement et l'admiration. Phidias unit à un art souverain une souveraine simplicité. La grâce qu'on admire dans ses ouvrages est celle qui naît d'une force tranquille, laquelle n'éprouve aucun besoin de se produire, mais se repose sur elle-même dans une sorte de satiété. Les dieux de Phidias unissent la sérénité à la majesté et à la puissance.

Quelle est donc la grâce qui manque à Phidias et que Praxitèle aurait su donner à ses figures? Si l'on en croit Winckelmann, il y a deux Grâces comme deux Vénus. La première Grâce, fille de l'Harmonie, ressemble à la Vénus céleste. La seconde est fille du Temps et la suivante de l'autre. Phidias n'aurait connu que la première, la grâce sévère, celle que Minerve répand sur Ulysse dans l'Odyssée. C'était elle qui brillait dans le Jupiter. Praxitèle a joint la seconde grâce à la première; et c'est en quoi il s'est montré supérieur à Phidias.

On ne conteste pas, répond O. Müller, qu'une certaine sévérité soit un des caractères du style de Phidias. Sans doute il est une grâce et une beauté que Phidias laissa à réaliser aux artistes qui devaient venir après lui. D'autres auront à sculpter le fin et trompeur sourire de Vénus, le visage de Bacchus où respire la volupté insatiable, toutes les passions molles ou violentes qui brisent ou troublent l'âme. Ce n'est pas l'affaire de Phidias, il n'est pas venu pour cela; mais pour répandre sur les joues, autour des lèvres de Jupiter, cette grâce sérieuse et pure qui inspire le respect en même temps que l'amour, tempère la majesté par la mansuétude et la puissance par la sérénité. J'ajouterai que, malgré sa prédilection pour la Grâce céleste, la pure fille de l'Haṛmonie, Phidias a fait voir qu'il aurait pu, lui aussi, courtiser l'autre

Grâce et en obtenir les faveurs qu'elle accorda plus tard à Praxitèle. Il a montré dans les statues des divinités marines du fronton oriental ce qu'il eut pu faire en ce genre, si le caractère de son inspiration l'eut porté de ce côté; mais la mollesse et la séduction conservent, dans ces figures, je ne sais quoi de supérieur qui semble vouloir s'adresser à l'âme plutôt qu'aux sens : c'est la grâce d'Aspasie mêlée d'esprit et d'éloquence; ce n'est pas celle de Phryné, dont le charme sensuel fera la renommée de la Vénus de Cnide. Le changement qui s'opéra dans les mœurs athéniennes au temps d'Alcibiade explique cette différence. La grâce de Praxitèle, comparée à celle de Phidias, est un effet du même ordre naturel de variation et de décadence qui fit succéder au mode dorien la musique lydienne et phrygienne, et la tragédie d'Euripide à celle de Sophocle.

En résumé, Phidias eut la grâce qui sied en sculpture; il eut aussi la gravité et la sérénité qui convenaient à son art et aux mœurs du siècle de Périclès. J'ai dit ailleurs mon opinion sur la sculpture dramatique. Je pense qu'elle ne fut point un progrès de l'art réservé au terme de sa longue et florissante carrière, mais une exception qui dut se produire surtout à l'époque de la décadence. Le siècle de Périclès ne nous en offre qu'un exemple, celle du blessé mourant représenté par Crésilas, et cette exception avait sans doute été imposée à l'artiste par celui qui avait commandé la statue'. Le portrait que fait Plutarque de Périclès à la tribune, dans lequel il peint « la sévérité de ses traits où le sourire ne parut jamais, la tranquillité de sa démarche, le ton de sa voix toujours soutenu et égal, la simplicité de son port, de son geste, de son habillement, que rien n'altérait pendant qu'il parlait, quelques passions qui l'agitassent »; ce portrait nous montre bien quel était, à cette époque, l'idéal auquel devait tendre à se conformer quiconque prétendait à l'admiration et au respect. Cette gravité et cette sérénité imposées à l'orateur et à l'homme d'État, qui avaient fait donner à Périclès le surnom d'Olympien, devaient être, à plus forte raison, le partage des dieux dans leurs simulacres. Elles n'excluent ni la vie ni le mouvement (qui pourrait croire que Périclès s'interdit l'action oratoire?); mais elles commandent la mesure, répriment l'impétuosité naturelle, produisent l'harmonie et la beauté. Le même principe a été appliqué aux statues du Parthénon, qui sont loin d'être pour cela immobiles ou froides; c'est celui qui doit présider aux œuvres de la

'Cette statue était probablement celle du général athénien Diitrèphès, élevée dans l'Acropole par son fils. V. Rangabé, Antiquités helléniques, Athènes, 1842, t. I, p. 34. Comp. Pausan., I, 23, et Pline, XXXIV, 19.

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