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confection du soma, vases, cuillères, baguettes pour agiter le mélange, doivent être en bois de palâça, d'açvattha, et de khadira (Mimosa catechu), autre arbre qui provient de la plume de l'épervier. Tel est aussi le pilon qui presse le soma, et qui se nomme vajra, comme le trait de la foudre. Ce pilon, de même que la batte à beurre de la Scandinavie, fait penser au pramantha et prouve une fois de plus la confusion qui s'établissait entre la production du soma et celle du feu.

Le sorbier dont les Scandinaves attendent le plus de merveilles est celui qui a poussé dans les fentes des rochers, sur les murs, sur les toits, ou dans le creux d'un arbre, par suite d'une graine semée par les oiseaux. L'homme qui sort la nuit sans avoir à la bouche un petit morceau de ce bois est exposé à s'égarer ou à tomber frappé de paralysie. En Norvége il sert aussi de préservatif contre les enchantements: on raconte qu'un Troll' avait jeté sur des laboureurs un sort qui les faisait labourer de travers; un seul d'entre eux y échappa, parce qu'il y avait du bois de sorbier à sa charrue. La circonstance qu'on doit en tenir un morceau à la bouche, pour le mordre et le sucer, rappelle les arbres producteurs du soma. Si le sorbier, comme l'açvattha, est surtout consacré quand il a poussé en parasite sur un autre arbre, cela tient encore aux idées aryennes exposées plus haut, et d'après lesquelles le parasite est considéré comme apporté directement du ciel par l'oiseau divin, ou, en d'autres termes, comme planté par le tonnerre.

Nous arrivons ici à une série de superstitions qui subsistent encore de nos jours, bien qu'elles aient leurs origines dans les plus antiques croyances nous voulons parler de la baguette divinatoire et de tout ce qui s'y rapporte. Dans le principe, la richesse ne consistant que dans le bétail et dans ses produits, la baguette divinatoire ne faisait qu'un avec celle que nous venons de voir employée pour communiquer la fécondité aux vaches en les chassant au pâturage. L'idée de se procurer de l'or avec la baguette est venue plus tard, quand la richesse en or a remplacé la richesse en bestiaux, comme le prouvent la transition de pecus à pecunia et la double signification de l'ancien islandais fe, << bétail », et « monnaie ». Une autre analogie y conduisit encore la baguette provenant d'un arbre issu de la foudre en a dès lors les propriétés; or c'est avec la foudre qu'Indra ouvre et brise les nuages qui, comme les rochers d'une caverne, retenaient prisonnières les vaches

'On sait que les Trolls sont des esprits malins; c'est d'eux que vient notre mot drôle.

célestes. Celles-ci, considérées aussi comme des trésors que recelait le nuage, personnifient simplement les rayons du soleil, nommés rayons d'or dans toutes les littératures indo-européennes, et la pluie, qui, en faisant pousser les pâturages, nourrit les troupeaux, qui sont la richesse primordiale. La foudre allant ainsi chercher les trésors et l'or, on essayera de faire jouer le même rôle à la baguette qui en est issue.

Il est aisé de donner tout de suite une preuve directe de l'identité entre la baguette divinatoire et celle qui féconde le bétail. Nous avons vu la dernière empruntée au sorbier des oiseaux par les superstitions suédoises; il en est de même pour la première, à condition seulement qu'elle soit cueillie avec certaines observances spéciales. « Quand vous rencontrerez dans les bois ou ailleurs, dit une relation suédoise manuscrite du dix-septième siècle, sur un mur ou sur un rocher (ou dans le creux d'un arbre), un sorbier provenant d'une baie qu'un oiseau aura laissée tomber de son bec, allez-y au crépuscule, le soir du troisième jour après la Notre-Dame, et arrachez l'arbre ou cueillez-y une baguette en la cassant; mais gardez-vous d'y toucher avec du fer ou de l'acier, ou de la laisser tomber à terre en la rapportant chez vous. Déposez-la sous le toit, en plaçant au-dessous plusieurs métaux; au bout de peu de temps vous verrez avec surprise qu'elle inclinera de leur côté. Après l'avoir laissée ainsi pendant quinze jours au moins, vous gratterez l'écorce de tous côtés avec un couteau dont vous aurez piqué la lame au moyen d'un aimant, et vous ferez couler dessus, goutte à goutte, du sang tiré de la crête à un coq d'une seule couleur. Quand le sang aura séché, la baguette sera prête et vous donnera les preuves de sa merveilleuse efficacité. »

En Allemagne la baguette divinatoire n'était pas faite de sorbier, mais de nerprun, dont nous avons déjà vu les vertus, de coudrier, de tilleul, etc. La pratique de rechercher avec cet instrument les trésors, les mines, les sources, semble étrangère à l'ancienne France, et n'y fut introduite qu'à la fin du moyen âge, par les alchimistes allemands. Aussi elle y manque de la sincérité et de la naïveté qui caractérisent les superstitions populaires, et elle y porte les signes de l'esprit de système et de fausse philosophie; c'est pourquoi nous n'aurons pas à nous en occuper '.

'Sur l'histoire de la baguette divinatoire en France, voy. L. Figuier, Hist. du merveilleux dans les temps modernes, 2o éd., t. II; Vallemont, la Physique occulte, ou Traité de la baguette divinatoire, Amsterdam, 1693, in-12. Le P. Lebrun en a donné aussi un curieux résumé dans le deuxième volume de son Histoire critique des pratiques superstitieuses.

Un des caractères essentiels de la baguette divinatoire est d'être fourchue dans une moitié de sa longueur. Pour en saisir la raison, il faut remonter aux croyances aryennes sur le pramantha : les commentaires vêdiques le considèrent comme un petit homme, et vont jusqu'à assigner, le long du bâton qui le constitue, l'espace qu'occupe chaque partie du corps humain, tant de pouces pour la tête et le cou, tant pour la poitrine, tant pour le ventre, pour les hanches, pour les parties sexuelles, pour les cuisses, les jambes et les pieds. La partie de ce petit homme qui frotte dans l'arani n'est pas indifférente pour le sort du sacrifiant. Le frottement des pieds et des jambes, celui des cuisses et des genoux engendrent des démons malfaisants ; celui des hanches procure l'accomplissement de tous les désirs, la richesse, le bétail, les enfants mâles, le ciel, la longue vie, l'amour, le bonheur. Le frotte ment du ventre engendre la faim; celui de la poitrine suscite des ennemis; celui du cou cause la mort, et celui de la tête donne la sagesse. Dans des croyances si réglées, si précises, on reconnaît l'esprit sacerdotal du brahmanisme. Les premiers Aryas avaient sans doute à cet égard une conception moins déterminée et se contentaient de voir l'image approximative d'un homme dans le pramantha. D'où leur venait cette idée? de deux sources probablement d'abord de la comparaison si naturelle entre les pièces des aranîs et les organes de la génération, et ensuite de l'anthropomorphisme qui faisait de la foudre un dieu-homme après en avoir fait un oiseau. Nous verrons même tout à l'heure que dans le caducée d'Hermès, qui est peut-être la plus antique de ces représentations, le pramantha céleste avait gardé les ailes de l'oiseau-éclair. M. Kuhn résume l'ensemble de ces aperçus en une page qu'on nous saura gré de reproduire.

« Nous avons reconnu dans les plantes citées ici des incarnations de l'éclair ou de la foudre; il en est de même de la baguette divinatoire; et si on lui donne la forme humaine, si elle apparaît comme venue du ciel sur la terre, l'être incorporé en elle ne peut être que le dieu de l'éclair, descendu pour faire participer les hommes à ses bienfaits. La plante, l'arbre ne sont donc que le dieu incarné, auquel on a laissé la forme humaine dans la fourche de la baguette, tandis que dans la çamî, dans le frêne et dans la fougère il apparaît comme une métamorphose de l'oiseau. De là sont issus les mythes sur l'origine de l'homme : le dieu, une fois descendu sur la terre, tombe dans la condi

! Des Piçâcas, des Rakshasas. Sur toute cette comparaison, voy. Kuhn, ouvr. cit., p. 71 ss., 208 ss.

tion terrestre et devient mortel, « le premier des morts », comme un hymne védique nomme expressément Yama, qui n'est qu'un autre Agni. D'Agni aussi sortent les races des Angiras, des Atharvans, des Bhrigus, et nous avons vu qu'en plus d'un cas cette origine se ramenait directement à l'élément igné. Du dieu devenu arbre, du frêne, descend immédiatement l'homme pour les Germains, pour les Grecs, et aussi pour les Romains, sans que d'ailleurs cette origine soit la seule assignée par eux au genre humain. Le mythe grec qui tire l'homme du frêne, tout en persistant fort tard dans sa pureté, reçut de bonne heure un autre développement; il devint dans le narthex de Prométhée le dieu métamorphosé en bâton, qui apporte le feu sur la terre et crée l'homme; et dans Phoronée il fut l'oiseau porteur du feu qui devient roi et fondateur du genre humain. Combien ces idées sont restées vivantes chez les nations germaniques, c'est ce qu'atteste la croyance actuelle des petits enfants d'Allemagne, qui fait venir les nouveau-nés de la source ou de l'étang, c'est-à-dire du nuage, ou de l'arbre, en Tyrol, du creux des frênes. L'identité entre les oiseaux porteurs du feu et ceux qui apportent les petits enfants a été démontrée plus haut'. »

La baguette divinatoire aurait donc été originairement une idole, un petit homme, une poupéc 2, qui peu à peu se serait réduite à sa représentation la plus rudimentaire, une baguette fourchue; de même que dans l'écriture chinoise le caractère qui, dans son origine hiéroglyphique, représentait un homme (jin), est devenu en se simplifiant une espèce d'Y renversé, A.

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Les anciens ont-ils connu la baguette divinatoire? On n'en saurait douter devant un passage de Cicéron qui dit : « Si, par impossible, toutes les choses nécessaires à la vie nous étaient fournies, suivant le proverbe, comme par une baguette divine... ». Arrien sur Epictète parle d'une baguette semblable, changeant en or ce qu'elle touchait, et lui donne son vrai nom, « baguette d'Hermès ». L'hymne homérique à ce dieu l'appelle « une baguette d'or, à trois feuilles, donnant le

1 P. 234-235.

' De nos jours encore, en Allemagne, la baguette divinatoire est vêtue comme une poupée, nommée et baptisée; quelquefois on l'introduit secrètement dans les langes d'un enfant conduit au baptême pour qu'elle soit baptisée avec lui. Kuhn, p. 207.

3 Quasi virgula divina, ut aiunt. De offic., I, 44.

4 Diss., III, 20.

TOME XV.

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bonheur et la richesse1». Ces trois feuilles rappellent les feuilles ternées du palaça, et l'ancienne comparaison de la foudre avec un trident, avec une croix, avec un marteau à trois pointes, comme le marteau de Thor. D'ailleurs une partie des plantes consacrées à la production du feu et par conséquent issues de la foudre se distinguait par ses feuilles à trois pointes, par exemple le lierre, et l'athragène, qu'on suppose être notre clématite. Les serpents qui entourent le caducée 2 semblent n'être pour ainsi dire qu'une traduction artistique de sa fourche primitive. Quant aux ailes qui le couronnent, elles rappellent celles de l'oiseau porte-foudre et nous portent à croire que le caducée lui-même n'était que la représentation de l'oiseau, de même que le sceptre de Zeus, qui portait un petit aigle à son sommet. Cette verge divine, avec laquelle Hermès opérait tant de prodiges, lui avait été donnée par Apollon, et ce dernier s'en était servi pour garder les troupeaux d'Admète, c'est-à-dire sans doute, dans l'état primitif de la légende qui n'est pas parvenu jusqu'à nous, pour les en toucher afin de les rendre féconds, comme c'est le rôle de la baguette de palâça.

Si une verge de cette nature est entre les mains d'Hermès, c'est que ce dieu représente l'élément igné. Son nom l'identifie à la Saramâ des Vêdas, la chienne des dieux qui rassemble en aboyant les nuages et chasse devant elle les âmes des morts dans les régions célestes. Cette Sarama n'est autre, au fond, que le bruit du tonnerre, et c'est d'elle qu'Hermès tient son caractère de serviteur des dieux et de divinité psychopompe, conduisant les âmes aux enfers. Mais de plus Hermès est un Agni, le feu messager, agni dûta, Aiòs dyyeλos, qui va des hommes aux dieux dans l'holocauste et des dieux aux hommes dans la foudre. Agni, comme Hermès, a seul permis à la société humaine de se fonder: c'est pourquoi il est dit grihapati, vicpati, « maître de maison, maître des villages ». Sans lui point de sacrifice: c'est pourquoi il est dit hôtar, « prêtre »; de même une inscription appelle Hermès precum minister. Callimaque est plus précis encore, en disant que, « pour faire taire l'enfant qui crie, la mère invoque les cyclopes, Argès et Stéropès, et aussitôt, du fond secret de la maison (c'est-à-dire du foyer), accourt Hermès couvert de cendres et de suie ». Suivant l'hymne homérique cité plus haut, Hermès aurait inventé les instruments pro

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4 Ὄλβου καὶ πλούτου ῥάβδον χρυσείην, τριπέτηλον, ν. 527.

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