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les premiers rayons, l'arrache et le rapporte à la ferme, où tous les gens et les voisins sont assemblés dans la cour. On amène sur le fumier la génisse (staerke) sur laquelle la cérémonie doit avoir lieu. Le berger la frappe sur la croupe avec une baguette prise au sorbier, en disant : Quiek, quiek, quiek ',

Fais venir du lait dans le pis!

La séve est dans les bouleaux;

On va nommer la génisse.

Quiek, quiek, quiek,

Fais venir du lait dans le pis!

Il la frappe sur la hanche, et ajoute :

Quiek, quiek, quiek, etc.
La séve monte aux hêtres,
La feuille vient aux chênes.

Quiek, quiek, quiek, etc.

Il frappe un troisième coup sur la mamelle, en disant encore :

Quiek, quiek, quiek, etc.

Au nom de sainte Marguerite',
Fleur de souci seras nommée.

Quiek, quiek, quiek, etc.

La fermière reçoit sa vache après la cérémonie, et fait entrer le berger dans la maison, où elle lui donne des œufs en plus ou moins grand nombre, suivant la manière dont le bétail a été soigné par lui l'année précédente. On plante le sorbier et on l'orne avec les écales des œufs et des fleurs de populage'. Dans quelques endroits on fait la procession autour des étables avec cette espèce de mai. Quelquefois aussi, au lieu du second couplet que nous avons donné, on chante :

Séve au chêne,

Miel au hêtre.

Un nom tu porteras,

Poule noire te nommeras.

1 Quick est le nom patois du sorbier des oiseaux. Ce mot est significatif; il veut dire « vivant ». Comp. quick « vif », quecksilber « vif-argent », etc. Dans certains dialectes tudesques, le même nom est donné au genévrier, wacholder, queckholder, anglo-saxon quicbeam, auquel on attribue des vertus analogues. Comp. son nom latin juni-perus, a engendrant la jeunesse ». V. Grimm, Kinder und Hausmährchen, 3o éd., t. III, p. 79. ? En Allemagne et en Suède, on croit la récolte des noisettes perdue quand il pleut le jour de la Sainte-Marguerite. Ce jour, 13 ou 20 juillet, s'appelle, dans la Frise orientale, Pissmargreet, Margreet piss int heu, ce qui semble indiquer une croyance analogue à celle qui se rattache en France à la Saint-Médard.

• Butterblumen: caltha palustris ?

Et ailleurs :

Crème à la baratte.

Foin et paille tu auras,

La caille te nommeras.

La même coutume est usitée en Suède avec quelques circonstances caractéristiques. Elle a lieu, dans la province de Dalsland en Gothie, la veille ou au plus tard le lendemain de l'Ascension. Dès le matin, le berger s'en va au bois avec son bétail. Pendant son absence, on tresse une couronne de fleurs qu'on suspend au poteau de la porte par laquelle il passera, lorsque, contrairement à l'usage de la saison précédente, il rentrera à midi avec ses bêtes. Dans le bois, le berger s'est occupé à parer leurs cornes avec des guirlandes et à se procurer un jeune sorbier (en ung rönn). En rentrant au village à midi, il prend la couronne déposée sur le poteau et la place sur le sommet de son sorbier, et le portant à deux mains, il s'avance ainsi à la tête de son troupeau. On vient au-devant de lui, et le cortége entre dans la basse-cour. Quand chaque bête a pris sa place, le berger sort par la grande porte et va planter son arbre avec sa couronne au sommet de la meule de foin, où ce trophée restera pendant toute la saison du pâturage. C'est dans cette cérémonie qu'on attache les sonnettes aux vaches qui doivent les porter; et s'il se trouve des génisses qui n'aient pas encore de nom, on les frappe trois fois sur le dos avec une baguette prise au sorbier, et l'on proclame leur nom en même temps. On régale ensuite le bétail du meilleur fourrage, et les gens de la ferme d'un bon repas à l'entrée de la cour. L'après-midi le bétail est ramené au pâturage. Dans le nord de la province, la cérémonie a lieu tantôt à l'Ascension, tantôt à la Pentecôte, et paraît avoir pour objet spécial de célébrer le premier jour où l'on trait les vaches trois fois. Le sorbier y figure toujours, et on continue de le planter sur la meule de foin. Au fond du seau dans lequel on va traire les vaches, on dépose des fleurs d'anémone blanche et de populage et des œufs durs, et après la traite on donne les fleurs au bétail, et les œufs durs aux bergers, qui doivent les consommer sur place.

Des coutumes analogues existent dans tous les pays germaniques. En 'beaucoup d'endroits, il est d'usage de planter des branches de sorbier sur les étables et les fumiers. Ailleurs on y plante des rameaux de l'épine nerprun (Rhamnus catharticus, Linn.) pour protéger les animaux contre les sorcières. Dans le Harz on croit, au contraire, que les épines les attirent, et que pendant la nuit du premier mai les sorcières couchent sur les haies d'aubépine et en broutent les jeunes pousses; dans

la Frise orientale, ce sont les bourgeons des sorbiers qu'elles brisent pour les manger pendant la nuit de la Saint-Jean. Dans l'Allemagne du Sud, une cérémonie analogue a lieu à la Saint-Martin, pour clore la saison du pâturage, et la baguette de bouleau qu'on plante devant l'étable sert aux filles à en chasser le bétail pour la première fois au printemps suivant. Même coutume dans le haut Palatinat on prépare à la Saint-Martin les baguettes, on les consacre aux Rois, et on les distribue le soir qui précède la nuit de mai, pour chasser le bétail de l'étable. Cette fameuse nuit du premier mai, consacrée spécialement en Allemagne aux ébats des sorcières, s'y nomme la nuit de Walpurgis ou de sainte Walpurge, la même sainte qui a tenu sa place autrefois dans les superstitions du nord de la France sous le nom de sainte Vaubourg, sainte Avantgoût.

M. Kuhn prend au détail de ces fêtes un intérêt tout allemand. Nous n'y insisterons pas autant que lui, et nos lecteurs préféreront sans doute que nous leur parlions de la France, où cet usage n'a pas été tout à fait étranger, sans qu'on puisse croire qu'il s'y soit glissé en imitation de l'Allemagne. En effet, les vestiges, assez effacés d'ailleurs, qui en subsistent encore, se retrouvent au centre du pays, dans la partie la plus gauloise, la plus étrangère à l'influence germanique, dans la Sologne en un mot. Tous les ans, le 1er de mai, avant le soleil levé, les Solognots vont «< cueillir du mai », c'est-à-dire de l'aubépine1, et ils en attachent une petite branche aux portes des habitations, des étables, des bergeries, pour les garantir de la foudre, et afin de faire fuir les serpents, couleuvres, crapauds et autres animaux venimeux qui s'attachent au pis des vaches et en sucent le lait. La veille du dernier jour d'avril (avant la nuit de Walpurgis), ils ont grand soin, quelque temps qu'il fasse, de faire sortir et promener tout leur bétail, de gré ou de force. Chez eux enfin, pour compléter la ressemblance des coutumes, le vendredi saint, on baptise le veau en le frappant de trois coups de bâton pour le préserver des loups, et en disant : « A l'avenir, tu t'appelleras N..., et je défends au loup de te manger. » Les assistants répondent : « Non, non, le loup ne te mangera pas 2. » On reconnaît là les débris épars de la cérémonie qui est complète dans l'Inde, en

2

' Jaubert, Glossaire du centre de la France, vo Mai.

Traditions et usages de la Sologne, par M. Légier, dans les Mémoires de l'Académie celtique, t. II, Paris, 1808, p. 205-217. Peut-être, depuis cinquante ans, ces usages se sont-ils tout à fait perdus.

Suède et en Westphalie, et les souvenirs conservés au fond de la Sologne suffisent, je crois, à prouver que ce symbolisme était originairement commun aux Gaulois avec le reste de la race indoeuropéenne.

La continuité de ces coutumes depuis l'Inde jusqu'à la Gaule établit manifestement l'existence d'une cérémonie usitée chez les Aryens, dans leur demeure originaire et avant la séparation de leurs tribus, et consistant à frapper le jeune bétail, la première fois de l'année qu'on l'envoyait au pâturage, avec une baguette destinée à lui communiquer la force et l'abondance du lait. Dans l'Inde la nature de cette baguette est clairement révélée : c'est un rameau emprunté aux arbres issus de l'arbre céleste par l'intermédiaire de la plume ou de la griffe du divin épervier. Mais les arbres indiens qui sont rattachés à cette métamorphose ne peuvent être les mêmes que ceux de la patrie originaire et des pays tempérés qui lui ressemblent. Dans le nord de l'Europe, l'arbre choisi par excellence comme représentant et rejeton de l'arbre céleste est le sorbier des oiseaux. Ses feuilles pennées rappellent bien la plume; ses fruits, rouges comme le feu, contiennent, ainsi que ceux de son congénère le cormier (Sorbus domestica, Linn.), un suc abondant, fermentescible, employé encore aujourd'hui comme boisson' en basse Bretagne. Rien ne manquait par conséquent pour faire du sorbier une plante sacrée, et nous verrons plus loin jusqu'à quel point -le culte en a été poussé. Quelquefois, dans la fête qui nous occupe, est remplacé par le bouleau, qui fournissait aussi un suc enivrant, encore employé aujourd'hui dans le Nord, et par le nerprùn et l'aubépine, issus de la griffe de l'oiseau. Quoi qu'il en soit des espèces végétales choisies, l'idée était de frapper le jeune bétail avec ces baguettes pour lui communiquer les sucs de l'arbre céleste; « pour le suc», dit la formule du Yajur-Vèda, et le commentaire ajoute qu'on frappe avec ce rameau, afin que le soma qui l'a pénétré se communique à la génisse. La même baguette était plantée ensuite devant un des feux sacrés, pour garder contre les voleurs et les animaux de proie le bétail livré au pâturage, parce qu'on croyait, comme nous allons le voir bientôt, qu'elle était la personnification d'un dieu. Enfin les usages suédois nous révèlent une circonstance de plus on y trouve les traces d'un sacrifice et d'un repas qui le suivait, le premier jour de l'année où

Cette boisson se nomme cormé.

il

l'on commençait à traire le bétail trois fois, le matin, à midi et le soir; grande fête chez des peuples pour qui le lait était une des principales richesses. M. Kuhn conjecture, non sans raison, que la triple libation (trikadru) à Indra et les trois libations des Grecs pourraient bien trouver leur origine dans une consécration aux dieux de ces trois traites.

Revenons au sorbier. Ses noms divers dans les langues germaniques témoignent tous de la nature des croyances populaires à son endroit. C'est d'abord le scandinave rogn, qui se rattache à runa, magie. L'Anglais l'appelle de même roun-tree, et aussi witch-wood, witch-elm, << bois, orme des sorcières». Son nom allemand Eber-esche, « frêne de sanglier», est tout aussi significatif, si l'on veut bien le rapprocher de l'épithète de sanglier, varáha (= Eber), donnée dans les Vêdas à la nuée orageuse et à Rudra, dieu de la tempête. Eber-esche signifierait done au fond « frêne de la foudre ».

Les vertus attribuées au sorbier par la superstition scandinave ont été résumées au siècle dernier par le savant évêque luthérien de Bergen, Eric Pontoppidanus, dans son ouvrage sur les restes du paganisme chez les Danois, publié sous le titre bizarre d'Everriculum fermenti veteris'. Suivant lui, « la simplicité septentrionale (arctoa simplicitas) ne connaît rien de plus efficace que le sorbier pour se garantir des sortiléges et du diable qui les suggère. C'est ainsi que, la veille de la nuit de sainte Valpurge, on en plante des rameaux sur les étables et les fumiers. Avec son bois on fait des coffres forts inaccessibles aux voleurs. Il sert aussi à confectionner des battes à beurre ». En Suède on en fait des jougs pour les bœufs, et des vases pour la bière. En Norvége on se nourrit de ses fruits, et l'on croit que ses feuilles guérissent les maladies des chèvres, animaux consacrés au dieu Thor.

Ces usages ont la plus grande ressemblance avec ceux que la tradition religieuse a consacrés dans l'Inde. Les instruments nécessaires à la

Le sanglier s'appelle encore en sanscrit vajradanta, littéralement a dent de foudre », sans doute à cause de la blancheur éclatante et de la pointe aiguë de ses dents. Le même nom désigne aussi le rat. Ce dernier, d'après le Yajur-Vêda (Váj. San., III, 57), était consacré à Rudra, ce qui établit un rapprochement de plus entre ce dieu et Apollon, qui reçoit dans l'Iliade l'épithète de Zuwvoɛúç « ratier » (de ouívlos « rat »). On est dispensé dès lors de croire, avec Strabon (XIII), qu'Apollon aurait reçu ce singulier titre comme destructeur des rats-mulots qui infestaient les campagnes.

2 Copenhague, 1736, in-8°, p. 80.

• Nec dubia spes lucri affulget, ubi pressurum e flore lactis butyrum sorbus dederit Scipionem.

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