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raient surtout sur des théories depuis longtemps attaquées. Je me bornerai à relever la discussion des pages 63 et 64 où il cherche à établir que le duel a pu quelquefois se confondre avec le pluriel en sanscrit, et dans le sanscrit du RigVéda! Or, comme il le remarque lui-même, le sentiment de la distinction de ces deux nombres est tellement vif dans la langue védique, qu'il semble qu'on devrait être disposé à tout admettre plutôt qu'une confusion de ce genre. Il cite R. V. X, 65, 2, en remarquant que le pluriel peut s'y expliquer parce qu'on trouve après indrâgnî et le verbe au pluriel un autre sujet somah; c'est là en effet l'explication toute naturelle du pluriel. Mais toute cette discussion ne vient là que pour rendre compte d'un pluriel dont l'explication est bien plus simple encore. On lit R. V. 1, 139, 7.

yad dha tyam angirobhyo

dhenum devá adattana

vi tâm duhre aryamâ kartarî sacâ (anunâsika)
esha tám veda me sacâ

Selon M. B. aryamâ kartarî sacâ équivaut à un duel, ce qui serait en effet trèspossible, et duhre est un pluriel remplaçant le duel. Mais pourquoi ne pas prendre pour sujet de duhre le pluriel angirasah sous-entendu? « Cette vache, ô Dieux! » que vous avez donnée aux Angiras, ils ont trait son lait; » aryamâ sera alors le sujet de veda. On pourrait s'étonner de ne trouver le verbe que dans cette sorte de bis, dans cette répétition de la fin du pâda; mais le même fait se reproduit précisément dans la partie correspondante de la stance suivante pour le verbe didhrta. esha sert à relever le suje1.

Malgré toutes ces critiques, et bien que l'hypothèse nouvelle de M. B. me semble inadmissible, je n'entends pas nier l'intérêt de son mémoire. On pense bien qu'un indianiste comme M. B. n'écrit pas, même un opuscule de 70 pages, sans apprendre bien des choses à ses lecteurs. La collection complète des formes védiques de la 3 pers. du plur. contenant une r est à elle seule très-précieuse. Peut-être pourra-t-on en retrouver quelques autres encore. Ainsi aux formes de parfait védique en rire où M. B. veut voir le parfait de ar, et qui probablement contiennent deux fois la désinence re, exemple: dadrire de dâ (R. V. VII, 90, 1), je suis tenté d'ajouter dadhrire dans le passage suivant (R. V. 1, 48, 3):

uvásoshá uchác ca nu devî jîrâ rathânâm

ye asya acaraneshu dadhrire samudre na çravasyavuh

On a proposé de cette stance plusieurs traductions dont aucune n'est bien satisfaisante. On a voulu voir là une comparaison avec des gens avides de richesses qui naviguent sur mer. Je prends çravasyavah dans le sens de «riche, abondant >> et non << avide de richesses» (cf. VII, 75, 2), je le rapporte à rathâh (cf. V, 56, 8) et je traduis: «<< Elle a brillé l'Aurore, et puisse-t-elle briller encore la déesse » qui éveille les chars ! les chars pleins de richesses qui à son approche affluent (sont amenés) vers moi comme des rivières vers la mer (ou plutôt vers le >> confluent des rivières). » La comparaison inverse de rivières avec des chars se trouve R. V. I, 130, 5 (cf. aussi VI, 19, 5). Dans ce sens, s'il devait être admis, la racine dhâ s'expliquerait plus facilement que la racine dhar. Abel BERGAIGNE.

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P. S. M. Roth, dans la Zeitschrift de Kuhn, XX, p. 69, a consacré aux formes rante, ranta, signalées dans trois passages du Rig-Véda et rapportées par M. B. à la racine ar, un article qui m'avait échappé et dans lequel il montre la possibilité de les rattacher à la racine ram, ou plutôt à une autre forme de cette racine: ran. M. B. répond à cet article dans le même journal, p. 314, et s'attache à prouver que sa théorie peut se passer de l'argument qu'il tirait de ces formes en tant que mots isolés identiques aux désinences qu'il veut expliquer. On peut lui concéder en effet qu'elle n'en vaut pas beaucoup moins. Mais les objections qu'elle soulève subsistent aussi tout entières. J'aurai d'ailleurs l'occasion de reproduire et de fortifier l'une de ces objections dans un prochain article sur une autre hypothèse de M. B.

II.

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A. B.

Studia palaeographica, par I. C. VOLLGRAFF. Leyde, S. C. Van Doesburgh. 1871.

Le premier chapitre de ces études concerne les fautes qui proviennent de la non-séparation des mots dans l'écriture onciale, ainsi que les répétitions fautives et les omissions; le second, les fautes originaires de la prononciation; le troisième et les suivants, les fautes qui s'expliquent par les formes de l'écriture, soit onciale soit minuscule. Les exemples cités dans les deux premiers chapitres en font seuls l'intérêt et la nouveauté: nous y arriverons plus loin, quand nous passerons à la partie spécialement critique du livre de M. Vollgraff.

La partie proprement paléographique est celle dont nous allons parler d'abord, en nous attachant de préférence à ce que nous y avons trouvé d'instructif, et par conséquent, de nouveau.

Nous avons cherché en premier lieu, si, parmi les confusions de lettres indiquées par M. V., il en est qui soient signalées dans son écrit pour la première fois, comme fréquentes, s'entend : car si l'on voulait signaler toutes les fautes de ce genre dont il y a des exemples, on finirait inévitablement par découvrir que le nombre des changements dont chaque lettre est susceptible est égal au nombre total des caractères de l'alphabet moins un. Parmi les confusions que M. V. signale comme ordinaires et dont la fréquence s'explique aisément, de telle façon qu'il peut être utile d'en avertir les philologues ou de les leur rappeler, celles dont Bast n'a point parlé dans sa Commentatio palaeographica sont les suivantes: A A pris pour M (M. Vollgraff ajoute A A, mais sans donner d'exemples). - Digamma pris pour l' (sujet de débat entre la paléographie et la grammaire comparée; voir G. Curtius, Grundzüge der griechischen Etymologie, 2o éd. p. 528). — I confondu avec I (fait déjà relevé par Brunck et par Hemsterhuys, au rapport de M. V.). II pris pour IT (pourquoi pas, puisqu'on le trouve confondu avec T I? Mais l'exemple allégué est douteux).—T confondu avec Y (cf. Kœnius, sur Grégoire de Corinthe, p. 351). — Σ pris pour → (cette Θ confusion est-elle fréquente? L'exemple cité est-il concluant?) - Z pris pour T. - H confondu avec TI. K pris pour Σ (par suite de la disparition du premier jambage du caractère IC). — confondu avec T et X (sans preuves). ⚫ confondu avec Y. (L'exemple cité ne prouve rien).—Voilà pour les confusions

Г

--

qui paraissent avoir leur origine dans l'écriture onciale (représentée dans ce qui précède par la capitale). Passons à celles qui s'expliquent mieux par les formes de la minuscule, ou encore par la prononciation, de plus en plus altérée, dont l'influence sur l'orthographe se révèle particulièrement dans les manuscrits d'un âge où l'ancienne onciale n'était plus en usage.

mis pour ẞ (déjà signalé par Chr. Walz, Ep. crit. ad Boisson, p. 21). — ẞ confondu avec (pourquoi ne pas donner d'exemples?). pour le digamma. éolique (par l'intermédiaire de (?) ou de 3. Mais l'exemple cité est loin d'être concluant). - pour (déjà noté par Koenius sur Grégoire de Corinthe, p. 120), et réciproquement. pour λ, et vice versa; pp pour p (pas λ d'exemples des deux dernières fautes). confondu avec p et t (ainsi per

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mutent ὀξύνειν et στρύνειν, ἐξ et ἔτι, ἄξιος et αἴτιος). — ρ mis pour τρ (sans exemples à l'appui) et vice versa. mis pour p (par ex. qzysty pour tрxyεïv). q ve φαγεῖν τραγεῖν). -, confondus avec 0, % (renvoi pour les preuves à D'Orville, sur Chariton, p. 403). — mis pour 0 (qn pour Egon, pépopa: pour q0cípopa. Mais aucune citation de passage à l'appui).

Les abréviations mentionnées par M. V. comme appartenant déjà à l'écriture onciale se rencontrent toutes dans la Paléographie grecque de Montfaucon (Livre V, ch. 1). Le mérite du jeune auteur consiste à avoir signalé quelques confusions curieuses auxquelles ces abréviations ont donné, ou paraissent avoir donné lieu, selon que la confusion est prouvée par la comparaison des manuscrits, ou supposée avec vraisemblance par les philologues. J'insiste à dessein sur cette distinction, non que je croie impossible d'arriver à la certitude par la conjecture; mais il s'agit dans le livre de M. V. des fondements mêmes de la critique verbale, et, pour que ces fondements soient solides, il faut absolument que l'expérience toute seule en ait fourni les matériaux. Aussi voudrais-je que M. V., à l'endroit où il caractérise par les mots «< indigestam discrepantium >> lectionum farraginem » un écrit défectueux, à la vérité, de Christian Walz, l'Epimetrum de Permutatione praepositionum, eût motivé un peu moins sommairement ce jugement sévère, qui deviendrait fort injuste, si on l'étendait à toute l'Epitre critique de Walz à Boissonade, dont cet Epimetrum n'est qu'un complément. Sans doute, Walz n'a pas montré une sagacité comparable à celle de Bast, dont M. V. le rapproche avec peu de charité. Mais il n'est nullement dénué du sens critique, au moins dans les matières de pure philologie, comme cette Épître même le prouve. Il a donné d'ailleurs un excellent exemple des services. que peuvent rendre à la science les philologues, assez nombreux, dont la patience est la principale qualité. En effet, la Lettre en question est peut-être le travail de critique verbale, sinon le plus distingué, au moins le plus utile à l'avancement de nos études, que le dernier demi-siècle ait vu naître. Si, comme je l'ai dit ailleurs et comme je crois opportun de le répéter ici, la comparaison des manuscrits est le seul point de départ légitime de la critique verbale, la seule base sur laquelle elle puisse

1. Revue des Cours littéraires, n° des 22 et 29 janvier 1870. Leçon faite à l'École pratique des Hautes Études.

élever quelque chose de scientifique, il faut accorder à Walz le mérite d'avoir indiqué et recommandé tacitement, qu'il l'ait voulu ou non, par la constance et la décision avec laquelle il a su l'appliquer, la vraie méthode à suivre pour donner à la critique l'assiette solide qui lui a manqué jusqu'ici. Il a posé la première pierre de la science des variantes; il a montré, non par des aperçus théoriques, mais, ce qui vaut mieux, par un choix d'exemples presque irréprochable, qu'on peut arriver par une opération de pure statistique, en accumulant les variantes des manuscrits, à démontrer qu'entre deux mots donnés, quelquefois fort différents d'apparence, le choix du critique peut être absolument libre, absolument indépendant de l'autorité qui s'attache au témoignage des manuscrits. Je ne vois pas que, depuis Bast, la critique conjecturale ait fait un plus grand pas vers la certitude.

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·

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Entre les confusions produites par les abréviations usitées en onciale, celles que nous ne trouvons pas mentionnées dans Bast, sont les suivantes : 0ɛóc ὅς. — ἀνθρώπους vous (pas d'exemples à l'appui) = čvoug (sans exemples cités). — ἀνθρώπῳ = ἄνω. - ἀνθρώπων = ἀνδρῶν (?) = ἄλλων (sans exemples cités). - xúpte xaí (pas de citation)=xé (renvoi à Athénée, sans indication de passage). κύριαι et κύριοι = καί exemple insuffisant). ῢς = υἱός (l'exemple cité offre vídat pour Beast). - πάτερ = περ = περί (l'une et l'autre confusion sans exemples, au moins concluants). – Πατροκλῆς == Προκλής (déjà indiqué par Montfaucon, Pal. p. 342). — Mýtyp, μñτep, et les dérivés, Μήτηρ, μῆτερ, confondus avec les groupes p, pep (pas d'exemples). — Opavóc (M. V. aurait pu ajouter voршñoç. V. Thesaurus Didot, au mot cúpavós). Χρυσόστομος = χρόνος. – Απόλλων, Απολλώνιος = ἥλιος ου χρυσός (renvoi pour les preuves aux Anecdota de Bekker, et à Gaisford, Poet. Gr. Min. I, 113. Dans Harpocration, au mot lepoteÚetv, un ms. porte åñéλλwvos, et quatre autres ἡλίου).

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Beaucoup de ces confusions s'expliquent tout naturellement: il suffit d'admettre que le tiret qui devait surmonter le mot écrit en abrégé a été omis par un copiste, ou, au contraire (ce qui est nécessairement plus rare, mais non pas sans exemples), qu'il a pris sur lui de le restituer là où il n'en fallait pas. Quelques-unes sont bien connues et doivent avoir été signalées plusieurs fois; mais on est bien aise de les trouver réunies dans l'opuscule de M. Vollgraff, et peut-être nos lecteurs ne seront-ils pas fâchés non plus d'en avoir ici le tableau sommaire, comme appendice à l'ouvrage de Bast.

C'est à l'Epimetrum de Permutatione praepositionum de Walz que le VI chapitre de M. Vollgraff peut servir d'appendice. Voici, parmi les permutations de prépositions signalées par ce dernier, celles dont Walz n'a point parlé: remarquons seulement que, lorsqu'il s'agit de mots d'un usage aussi ordinaire, un ou deux exemples, même certains (et ceux que cite M. Vollgraff ne le sont pas toujours), ne suffisent pas pour démontrer la fréquence d'une permutation.

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'Aváúv (surtout en composition, je pense, quand av perd sa dernière Ανά lettre). 'A la lettre (d'où ȧñaιтet̃y = Cytet̃v, Çñν = άñolñν: voir Από àñaiteïv ζητεῖν, ζῆν ἀποζῆν Xénoph. De Rep. Athen. I, 15. Mais il faudrait d'autres exemples). - IIpés est Πρός

remplacé à peu près par toutes les prépositions à une certaine époque, le sigle qui avait anciennement représenté ce mot, ayant fini par tomber dans l'oubli. A propos de la confusion connue de лepi et de mapά, M. V. fait remarquer avec raison qu'un éditeur doit y regarder à deux fois avant de substituer Teρí à mapά, tandis qu'il a la plus grande liberté, lorsqu'il s'agit du changement inverse. Ata(t) est souvent soit omis, soit inséré à tort tant avant qu'après a et d. (La règle n'est pas très-bien formulée, et un seul exemple est cité à l'appui). La confusion d' — òý — òp — è§ a déjà été signalée par Bast (p. 711), auquel renvoie M. V. lui-même.

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Toutes ces observations ne sont pas nouvelles; et, nonobstant le contingent nouveau que nous apporte M. V., cette doctrine de la permutation des prépositions, fondée par Walz, et déjà complète chez lui sur certains points, aurait besoin, sur beaucoup d'autres, de plus amples éclaircissements. Parmi les permutations dont parle Walz, celles qui paraissent être jusqu'ici le moins bien. établies, sont, par ordre alphabétique, pour chaque préposition, les suivantes : Ανά avec διά, ἐπί, κατά, μετά et ὑπό. Από avec πρό et ὑπέρ. Διά avec ἀνά, ἐκ, ἐν, κατά, μετά, περί, ὑπό. — Εἰς avec καί. — Ἐκ avec ἐπί, κατά, παρά, σύν. Ἐν avec κατά. — Ἐπί avec ἀνά, ἐκ, πρός, πρό, Particle τήν, Κατά avec ἀνά, διά, ἐκ, ἐν, πρός, ὑπό. — Μετά avec ανά, διά, ὑπέρ. - Παρά avec ἐκ, σύν, υπέρ. - Περί avec διά, πρό, υπέρ, ὑπό. — Πρό avec Σύν avec ἐκ, παρά, πρός. — Υπέρ avec ἀπό, ἐπί, μετά, παρά, περί. Ὑπό avec ἀνά, διά, κατά, περί.

υπέρ.

ἐπί.

Πρός avec ἐπί, κατά, σύν.

Walz donne des exemples de toutes ces confusions, entre beaucoup d'autres. Sont-elles assez fréquentes pour que la critique puisse s'en autoriser dans ses conjectures? Voilà ce qu'il s'agirait maintenant d'établir, et nous doutons fort qu'on y réussisse. En effet, nous l'avons déjà reconnu, l'Epimetrum de Permutatione praepositionum ne vaut pas la Lettre à laquelle il fait suite, et cela pour deux raisons. La première, c'est que les confusions citées n'y sont pas assez nombreuses, eu égard au retour fréquent de ce genre de mots dans le discours. La seconde, c'est qu'il faudrait encore, croyons-nous, retrancher de ce nombre, déjà insuffisant, tous les exemples où les prépositions ne figurent pas comme mots isolés. En composition, en effet, l'omission et la permutation des prépositions s'explique de la façon la plus naturelle, si l'on songe que, dans ce cas, la préposition n'est plus que le premier élément d'un mot, qu'elle en est généralement le plus court, qu'elle en est généralement aussi, le moins significatif, et, enfin, le moins rare. C'est par là que le reproche adressé à Walz par M. V. peut, jusqu'à un certain point, se justifier.

Le chapitre VII traite spécialement des abréviations employées pour représenter divers groupes de lettres (en disant simplement les terminaisons, M. V. reprend pour son compte une erreur de Villoison, signalée cependant par Bast, page 750), les particules, les termes de grammaire et les noms propres. M. V. ne prétend point épuiser la matière : l'intérêt de son travail n'est pas là. L'eûtil essayé d'ailleurs, l'insuffisance manifeste des moyens graphiques dont il a pu disposer, ne lui aurait pas permis d'y réussir. Presque toutes les abréviations

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