Page images
PDF
EPUB

gazon. Dis-moi, gentil chasseur, quelle est la plus haute trace? R. Quand le noble cerf équarrit sa noble ramure, et qu'il en frappe les branches, quand il a renversé le feuillage avec sa noble couronne.

- Dis-moi, d'une façon gentille et polie, quel est le plus fier, le plus élevé, et le plus noble des animaux? - Je vais te le dire : le noble cerf est le plus fier, l'écureuil est le plus haut, et le lièvre est regardé comme le plus noble; on le reconnaît à sa trace. - Bon chasseur, dis-moi bien vite quel est le salaire du chasseur? R. Je vais te le dire tout de suite; le temps est beau, alors tous les chasseurs sont gais et contents; le temps est clair et serein, alors tous les chasseurs boivent du bon vin : ainsi je reste avec eux aujourd'hui et toujours.--Dis-moi bien, bon chasseur, quels seraient, pour mon prince ou mon seigneur, les gens les plus inutiles. R. Un chasseur bien mis qui ne rit pas, un limier qui trotte et ne prend rien, un lévrier qui se repose, ce sont-là les gens inutiles. - Dis-moi, bon chasseur, ce qui précède le noble cerf dans le bois? R. Son haleine brûlante va devant lui dans le bois. Dis-moi ce que le noble cerf a fait dans cette eau limpide et courante? R. Il s'est rafraîchi, il a ranimé son jeune cœur. - Bon chasseur, dis-moi, qui fait au noble cerf sa corne si jolie? R. Ce sont les petits vers qui font au noble cerf sa corne si jolie. — Dis-moi, bon chasseur, ce qui rend la forêt blanche, le loup blanc, la mer large, et d'où vient toute sagesse? R. Je vais te le dire: la vieillesse blanchit le loup, et la neige les forêts, l'eau agrandit la mer, et toute sagesse vient des belles filles.

Debout, debout, seigneurs et dames (et plus loin : vous toutes, jolies demoiselles), allons voir un noble cerf. Debout, seigneurs et dames, comtes et barons, chevaliers, pages, et vous aussi bons compagnons qui voulez avec moi aller dans la forêt. Debout, au nom de celui qui créa la bête sauvage et l'animal domestique. Debout, debout, frais et bien dispos comme le noble cerf; debout, frais et contents comme des chasseurs. Debout, sommelier, cuisinier.

Voyez-le courir, chasseurs, c'est un noble cerf, j'en réponds. Il court, il hésite (wanks und schwanks), le pauvre enfant ne songe plus à sa mère; il court au delà des chemins et des pâturages; Dieu conserve ma belle amie. Le noble cerf traverse le fleuve et la vallée; que j'aime la bouche vermeille de mon amie. Voyez, le noble cerf fait un détour; je voudrais tenir par la main ma belle amie. Le noble cerf court au delà des chemins; je voudrais reposer sur le sein de ma belle amie. Le noble cerf franchit la bruyère; que Dieu protége ma belle amie à la robe blanche. Le noble cerf court sur la rosée; que j'aime à voir ma belle amie.

(Les chasseurs boivent après avoir atteint le cerf.) — Chasseur, dis-moi, bon chasseur, de quoi le chasseur doit se garder? R. De parler et de babiller; c'est la perte du chasseur.

-Bon chasseur, gentil chasseur, dis-moi quand le noble cerf se porte le mieux? R. Quand les chasseurs sont assis et boivent la bière et le vin, le cerf a coutume de très-bien se porter.

Quand les chasseurs s'informent de leurs chiens. Pourrais-tu me dire, bon chasseur, si tu as vu courir ou entendu aboyer mes chiens? R. Oui, bon chasseur,

ils sont sur la bonne voie, je t'en réponds; ils étaient trois chiens, l'un était blanc, blanc, blanc, et poursuivait le cerf de toutes ses forces; l'autre était fauve, fauve, fauve, et chassait le cerf par monts et par vaux, le troisième était rouge, rouge, rouge, et chassait le noble cerf jusqu'à la mort.

Quand on donne la curée au chien, le chasseur lui dit: Compagnon, brave compagnon, tu chassais bien le cerf aujourd'hui, quand il franchissait la plaine et les chemins, aussi nous a-t-il cédé les droits du chasseur. Oh! oh! compagnon, honneur et merci! N'est-ce pas un beau début? Les chasseurs peuvent maintenant se réjouir, ils boivent le vin du Rhin et du Necker. Grand merci, mon fidèle compagnon, honneur et merci.

Les artisans, beaucoup plus étroitement liés que les chasseurs, n'admettaient de nouveaux membres dans leurs corporations qu'en leur faisant subir des initiations solennelles dont on aimera peut-être à trouver ici la forme Extrait du livre de Frisius, correcteur à Altenburg, vers 1700 (Altdeutsche Wælder, durch die Brüder Grimm., 3 Heft. Cassel, 1813).

L'apprenti

RÉCEPTION D'UN COMPAGNON FORGERON. doit paraître devant les compagnons le jour où ils se réunissent à l'auberge. Les discours et les opérations qui ont lieu sont de trois sortes: 1° souffler le feu; 20 ranimer le feu; 30 instruire.

On place une chaise au milieu de la chambre, un ancien se passe autour du cou un essuie-main, dont les bouts retombent dans une cuvette placée sur la table. Celui qui veut souffler le feu, se lève et dit : Qu'il me soit permis d'aller chercher ce qu'il faut pour souffler le feu... Une fois, deux fois, trois fois, qu'il me soit permis d'ôter aux compagnons leurs serviettes et leurs cuvettes... Compagnons, que me reprochez-vous?

Réponse : Les compagnons te reprochent beaucoup de choses, tu boites, tu pues1; si tu peux trouver quelqu'un qui boite et qui pue davantage, lève-toi et pendslui au cou tes sales lambeaux.

Le compagnon fait semblant de chercher, et l'on introduit celui qui veut se faire recevoir. Dès que l'autre l'aperçoit, il lui pend sa serviette au cou et le place sur une chaise. L'ancien dit alors à l'apprenti: Cherche trois parrains qui te fassent compagnon... Alors on ranime le feu. Le filleul dit à son parrain: Mon parrain, combien veux-tu me vendre l'honneur de porter ton nom? R. Un panier d'écrevisses, un morceau de bouilli, une mesure de vin, une tranche de jambon, moyennant quoi nous pourrons nous réjouir...

Instruction Mon cher filleul, je vais t'apprendre bien des coutumes du métier, mais tu pourrais bien savoir déjà plus que je n'ai moi-même appris et oublié. Je vais te dire en tous cas quand il fait bon voyager. Entre Pâques et Pentecôte, quand les souliers sont bien cousus et la bourse bien garnie, on peut se mettre en

'Deux mots allemands qui sonnent à peu près de même, et qu'on retrouve toujours ensemble dans les vieilles chansons pour désigner en général ce qui est déplaisant. Ainsi dans un rans (Recueil de J.-R. Wyss, Berne, 1826):

Tryh yha, allsamma :
Die hinket, die stinket, etc.

route. Prends honnêtement congé de ton maître, le dimanche à midi après le dîner; jamais dans la semaine; ce n'est pas la coutume du métier qu'on quitte l'ouvrage au milieu d'une semaine. Dis - lui: Maître, je vous remercie de m'avoir appris un métier honorable; Dieu veuille que je vous le rende à vous ou aux vôtres, un jour ou l'autre. Dis à la maîtresse : Maîtresse, je vous remercie de m'avoir blanchi gratis; si je reviens un jour ou l'autre, je vous payerai de vos peines... Va trouver ensuite tes amis et tes confrères, et dis-leur: Dieu vous garde; ne me dites point de mauvaises paroles. Si tu as de l'argent, fais venir un quart de bière, et invite tes amis et tes confrères... Quand tu seras à la porte de la ville, prends trois plumes dans ta main et souffle-les en l'air. L'une s'envolera par-dessus les remparts, l'autre sur l'eau, la troisième devant toi. Laquelle suivras-tu?

Si tu suivais la première par delà les remparts, tu pourrais bien tomber, et tu en serais pour ta jeune vie, ta bonne mère en serait pour son fils, et nous pour notre filleul; ça ferait donc trois malheurs. Si tu suivais la seconde au-dessus de l'eau, tu pourrais te noyer, etc... Non, ne sois pas imprudent, suis celle qui volera tout droit, et tu arriveras devant un étang où tu verras une foule d'hommes verts assis sur le rivage, qui te crieront Malheur! malheur!

Passe outre; tu entendras un moulin qui te dira sans s'arrêter: En arrière, en arrière! Va toujours jusqu'à ce que tu sois au moulin. As-tu faim, entre dans le moulin et dis Bonjour, bonne mère, le veau a-t-il encore du foin? Comment va votre chien? La chatte est-elle en bonne santé? Les poules pondent - elles beaucoup? Que font les filles, ont-elles beaucoup d'amoureux? Si elles sont toujours honnêtes, tous les hommes les rechercheront. - Eh! dira la bonne mère, c'est un beau fils bien élevé; il s'inquiète de mon bétail et de mes filles! Elle ira chercher une échelle pour monter dans la cheminée et te décrocher un saucisson; mais ne la laisse pas monter, monte toi-même, et descends - lui la perche. Ne sois pas assez grossier pour prendre le plus long et le fourrer dans ton sac; attends qu'elle te le donne. Quand tu l'auras reçu, remercie et va- t'en. Il pourrait se trouver là une hache de meunier, que tu regarderais en pensant que tu voudrais bien faire un pareil outil, mais le meunier penserait que tu veux la prendre ne regarde pas plus longtemps, car les meuniers sont gens inhospitaliers. Ils ont de longs cureoreilles; s'ils t'en donnaient sur les oreilles, tu en serais pour ta jeune vie, ta bonne mère, etc.

En allant plus loin tu te trouveras dans une forêt épaisse, où les oiseaux chanteront, petits et grands, et tu voudras t'égayer comme eux; alors tu verras venir à cheval un brave marchand habillé de velours rouge, qui te dira: Bonne fortune, camarade! pourquoi si gai? -Eh! diras-tu, comment ne serais-je pas gai, puisque j'ai sur moi tout le bien de mon père?-Il pensera que tu as dans tes poches quelques deux mille thalers, et te proposera un échange. N'en fais rien, ni la première, ni la seconde fois. S'il insiste une troisième fois, alors change avec lui, mais fais bien attention, ne lui donne pas ton habit le premier, laisse-le donner le sien. Car si tu lui donnais le tien d'abord, il pourrait se sauver au galop; il a quatre pieds, tu n'en as que deux, et tu

ne pourrais l'attraper. Après l'échange, va toujours et ne regarde point derrière toi. Si tu regardais et qu'il s'en aperçût, il pourrait penser que tu l'as trompé, il pourrait revenir, te poursuivre, et mettre ta vie en danger: continue ton chemin.

Plus loin tu verras une fontaine... bois et ne salis point l'eau, car un autre bon compagnon pourrait venir qui ne serait point fâché de boire... Plus loin tu verras une potence seras-tu triste ou gai?

Mon filleul, tu ne dois être ni gai ni triste, ni craindre d'être pendu, mais tu dois te réjouir d'être arrivé dans une ville ou dans un village. Si c'est dans une ville, et que l'on te demande aux portes d'où tu viens, ne dis pas que tu viens de loin; dis toujours d'ici près, et nomme le plus prochain village. C'est l'usage en beaucoup d'endroits que les gardes ne laissent entrer personne; on dépose son paquet à la porte et l'on va chercher le signe. 1 Va donc à l'auberge demander le signe au père des compagnons. Dis en entrant: Bonjour, bonne fortune, que Dieu protége l'honorable métier; maîtres et compagnons, je demande le père.

Si le père est au logis, dis-lui: Père, je voudrais vous prier de me donner le signe des compagnons pour prendre mon paquet à la porte de la ville. Alors le père te donnera pour signe un fer à cheval ou bien un grand anneau, et tu pourras faire entrer ton paquet. Dans ton chemin tu rencontreras un petit chien blanc avec une jolie queue frisée. Eh! diras-tu, je voudrais bien attraper ce petit chien et lui couper la queue, ça me ferait un beau plumet. - Non, mon filleul, n'en fais rien, tu pourrais perdre ton signe en le lui jetant, ou bien le tuer, et tu perdrais un métier honorable... Quand tu seras revenu chez le père, à l'auberge, dis-lui : Je voudrais vous prier, en l'honneur du métier, de m'héberger moi et mon paquet. Le père te dira: Pose ton paquet: mais prends bien garde et ne le pends pas au mur, comme les paysans pendent leurs paniers; place-le joliment sous l'établi ; si le père ne perd pas ses marteaux, tu ne perdras pas non plus ton paquet...

Le soir, quand on va se mettre à table, reste près de la porte; si le père compagnon te dit : Forgeron, viens et mange avec nous. N'y va pas si vite; s'il l'invite une seconde fois, vas-y et mange. Si tu coupes du pain, coupe d'abord doucement un petit morceau, qu'on s'aperçoive à peine de ta présence, et à la fin coupe un bon gros morceau, et rassasie-toi comme les autres...

Quand le père boira à ta santé, tu peux boire aussi. S'il y a beaucoup à boire, bois beaucoup; s'il y a peu, bois peu; mais si tu as beaucoup d'argent, bois tout et demande si l'on pourrait avoir un commissionnaire, dis que tu veux aussi payer une canette de bière... Quand viendra la nuit, demande si le bon père a besoin d'un forgeron qui dorme bien? Le père te répondra : Je dors bien moi-même: je n'ai pas besoin d'un forgeron pour cela. Le lendemain quand tu seras levé de bonne heure, le père te dira: Forgeron, que signifiait donc ce vacarme (au matin)? Réponds: Je n'en sais rien; les chats s'y battent, et je n'ose rester au lit.

[blocks in formation]

point dans nos lettres, dans les registres de la société, celui-là doit se lever et comparaître devant la table des maîtres et compagnons; qu'il donne un gros pour frais d'écriture, un bon pour-boire au secrétaire, et on l'inscrira comme moi-même, comme tout autre bon compagnon, parce que tels sont les usages et les coutumes du métier, et que les usages et les coutumes du métier doivent être conservés, soit ici, soit ailleurs... Que personne ne parle des coutumes et des histoires du métier, de ce qu'ont pu faire à l'auberge maîtres et compagnons, jeunes ou vieux.

RÉCEPTION D'UN COMPAGNON TONNELIER. -On demande d'abord la permission d'introduire dans l'assemblée le jeune homme qui doit être reçu compagnon, et qu'on appelle Tablier de Peau de Chèvre. Lorsqu'il est introduit, le compagnon qui doit le raboter, parle ainsi : Que le bonheur soit parmi vous! Que Dieu honore l'honorable compagnie, maîtres et compagnons ! Je le déclare avec votre permission, quelqu'un, je ne sais qui, me suit avec une peau de chèvre, un meurtrier de cerceaux, un gâte-bois, un batteur de pavés, un traître à la compagnie; il avance sur le seuil de la porte, il recule, il dit qu'il n'est pas coupable, il entre avec moi, il dit qu'après avoir été raboté, il sera bon compagnon comme un autre. Je le déclare donc, chers et gracieux maîtres et compagnons, Peau de Chèvre, ici présent, est venu me trouver, et m'a prié de vouloir bien le raboter selon les coutumes du métier, et de bénir son nom d'honneur, puisque c'est l'usage de la compagnie. J'ai bien pensé qu'il trouverait beaucoup de compagnons plus anciens qui ont plus oublié dans les coutumes du métier, que moi, jeune compagnon, je ne puis avoir appris, mais je n'ai point voulu le refuser. J'ai consenti, car ce refus eût été ridicule, et c'était lui faire commencer bien mal ses voyages. Je vais donc le raboter et l'instruire, comme mon parrain m'a instruit; ce que je ne saurai lui dire, il pourra l'apprendre dans ses voyages. Mais je vous prie, maîtres et compagnons, si je me trompais d'un ou plusieurs mots dans l'opération, de ne point m'en savoir mauvais gré, mais de bien vouloir me corriger et m'instruire.

Avec votre permission je ferai trois questions : je demande pour la première fois : S'il est un maître ou compagnon qui sache quelque chose sur moi, ou sur Peau de Chèvre ici présent, ou sur son maître? Que celui-là se lève et fasse maintenant sa déclaration... S'il sait quelque chose sur mon compte, je me soumettrai à la discipline de l'honorable compagnie, comme c'est la coutume; s'il sait quelque chose sur Peau de Chèvre ici présent, alors celui-ci ne sera pas tenu digne d'être reçu compagnon par moi et par toute l'honorable compagnie; mais s'il s'agit de son maître, le maître se laissera punir aussi comme c'est la coutume... Avec votre permission je vais monter sur la table.

L'apprenti entre alors dans la chambre avec son parrain, il porte un tabouret sur ses épaules, et se place avec le tabouret sur la table, les autres compagnons s'approchent l'un après l'autre, et lui retirent chacun trois fois le tabouret pour le faire tomber sur la table, mais le parrain lui prête secours et le retient en haut par les cheveux; c'est ce qu'on nomme raboter; puis

on le consacre à plusieurs reprises avec de la bière. Le parrain dit : Vous le voyez, la tête que je tiens est creuse comme un sifflet; elle a bien une bouche vermeille qui mange de bons morceaux, et boit de bons coups... C'est ici comme ailleurs l'usage et la coutume du métier, que celui qu'on rabote doit avoir, outre son parrain, deux autres compères raboteurs : regarde donc tous les compagnons et choisis-en deux qui te servent de compères... Comment veux-tu t'appeler de ton nom de rabot? Choisis un joli nom, court, et qui plaise aux jeunes filles. Celui qui porte un nom court plaît à tout le monde, et tout le monde boit à sa santé un verre de vin ou de bière... Maintenant donne pour l'argent de baptême ce qu'un autre a donné, et les maîtres et compagnons seront contents de toi.

-

Avec votre permission, maître N....., je vous demanderai si vous répondez que votre apprenti sache son métier? A-t-il bien taillé, bien coupé le bois et les cerceaux? A-t-il été souvent boire le vin et la bière, et courir les belles filles? A-t-il bien joué et bien joûté (geturniret)? A-t-il dormi longtemps, peu travaillé, souvent mangé et allongé les dimanches et fêtes? A-t-il fait ses années d'apprentissage, comme il convient à un bon apprenti? R. Oui. As-tu tout appris ? R. Oui. Eh! ça n'est pas possible, regarde autour de toi ces maîtres et ces compagnons; il y en a de bien braves et de bien vieux, cependant aucun d'eux ne sait tout, et tu voudrais tout savoir? Tu es loin de ton compte. Prétends-tu passer maître? - Oui. - Tu dois d'abord être compagnon. Veux-tu voyager? - Oui.

... Sur ton chemin tu verras d'abord un tas de fumier, et dessus, des corbeaux noirs qui crieront: Il part! il part! Que faire? faudra-t-il reculer ou passer outre? Réponds oui ou non... Tu dois passer outre, et dire en toi-même Noirs corbeaux, vous ne serez pas mes prophètes. Plus loin, devant un village, trois vieilles femmes te regarderont et diront: Ah! jeune compagnon, retournez sur vos pas, car au bout d'un quart de mille vous arriverez dans une grande forêt où vous vous perdrez, et l'on ne pourra savoir où vous êtes... Retourneras-tu? R. Oui. Eh! non, n'en fais rien; il serait ridicule à toi de t'en laisser conter par trois vieilles femmes. Au bout du village tu passeras devant un moulin qui dira En arrière! en arrière! Que feras-tu? Voilà trois espèces de conseillers, d'abord les corbeaux; puis les trois vieilles femmes, et maintenant le moulin : il t'arrivera sans doute un grand malheur. Faut-il reculer ou passer outre? R. Oui. Poursuis ta route et dis : Moulin, va ton train, et j'irai mon chemin... Plus loin, tu arriveras dans la grande et immense forêt dont les trois vieilles femmes t'ont parlé, forêt immense et sombre; tu pâliras de crainte en la traversant, mais il n'y a pas d'autre chemin; les oiseaux chanteront, grands et petits, un vent piquant et glacial soufflera sur toi, les arbres s'agiteront, wink et wank, klink et klank, ils craqueront comme s'ils allaient tomber les uns sur les autres, et tu seras dans un grand danger. Ah ! diras tu, si j'étais resté chez ma mère! car enfin un arbre pourrait t'écraser en tombant, et tu en serais pour ta jeune vie, ta mère pour son fils, et moi pour mon filleul. Tu seras donc forcé de retourner? ou bien veux-tu passer outre?... tu le dois.

Au sortir de la forêt, tu te trouveras dans une belle prairie, où tu verras s'élever un beau poirier couvert de belles poires jaunes, mais l'arbre sera bien haut... Reste quelque temps dessous et tends la bouche, s'il vient un vent frais, les poires tomberont dans ta bouche à foison... Est-ce là ce qu'il faut faire? (L'apprenti répond oui, et on le rabote en lui tirant les cheveux comme il faut.)... N'essaye pas de monter sur l'arbre, le paysan pourrait venir et te rouer de coups; les paysans sont des gens grossiers qui frappent deux ou trois fois à la même place. Écoute, je vais te donner un conseil : Tu es un jeune compagnon robuste prends le tronc de l'arbre et secoue-le fortement, les poires tomberont en grand nombre... Vas-tu les ramasser toutes? R. Oui.Eh! non pas, tu dois en laisser quelques-unes et te dire : Qui sait? peut-être à son tour un brave compagnon, traversant la forêt, viendra jusqu'à ce poirier; il voudrait bien manger des poires, mais il ne serait pas assez fort pour secouer l'arbre, ce serait donc lui rendre un bon service que de lui préparer des provisions.

En continuant ton chemin, tu viendras près d'un ruisseau coupé par un pont fort étroit, et sur ce pont tu rencontreras une jeune fille et une chèvre; mais le pont sera si étroit que vous ne pourrez manquer de vous heurter. Comment feras-tu? Eh bien, pousse dans l'eau la jeune fille et la chèvre, et tu pourras passer à ton aise Qu'en dis-tu? R. Oui. - Eh! non pas, je vais te donner un autre conseil; prends la chèvre sur tes épaules, la jeune fille dans tes bras, et passe avec ton fardeau; vous arriverez tous trois de l'autre côté, tu pourras alors prendre la jeune fille pour ta femme, car il te faut une femme, et tu pourras tuer la chèvre, sa chair est bonne pour le repas de noce; sa peau te fournira un bon tablier ou une musette pour réjouir ta femme... (L'apprenti est raboté de nouveau.)

Plus loin tu verras la ville; quand tu en seras près, arrête-toi quelques moments, mets des souliers et des bas propres... Demande l'auberge tenue par un maître, vas-y tout droit, salue tout le monde, et dis : Père des compagnons, je voudrais vous prier de m'héberger en l'honneur du métier, moi et mon paquet, de souffrir que je m'asseye sur votre banc et que je mette mon paquet dessous; je vous prie, ne me faites pas asseoir devant la porte, je me conduirai selon les usages du métier, comme il convient à un honnête compagnon.

Le père te dira: Si tu veux être un bon fils, entre dans la chambre et dépose ton paquet au nom de Dieu. Si tu vois la mère en entrant dans la chambre, dis-lui : Bonsoir, bonne mère. Si le père a des filles, appelle-les sœurs, et les compagnons frères. En plusieurs endroits ils ont de belles chambres, avec des bois de cerfs attachés au mur; pends ton paquet à l'un de ces bois; s'il a plu, et que tu sois mouillé, pends ton manteau près du poêle, comme aussi tes souliers et tes bas, et faisles bien sécher, pour être le lendemain frais et dispos, prêt à partir; le feras-tu? R. Oui. Eh! non pas; si le père a bien voulu t'héberger, entre dans la chambre, dépose ton paquet sous le banc près de la porte, assiedstoi sur le banc, et te tiens coi.

Quand le soir viendra, le père te fera conduire à ton lit; mais si la sœur veut monter pour t'éclairer... afin que tu n'aies pas peur... prends garde. Quand tu es ar

rivé en haut, et que tu vois ton lit, remercie-la, souhaite - lui une bonne nuit, et dis-lui qu'elle descende pour l'amour de Dieu, que tu seras bientôt couché.

Le matin, quand il fait jour et que les autres se lèvent, tu peux rester au lit, jusqu'à ce que le soleil t'éclaire, personne ne viendra te secouer, et tu peux dormir à ton aise; qu'en dis-tu? R. Oui. Eh! non pas, mais si tu t'aperçois qu'il est temps de se lever, lève-toi, et quand tu entreras dans la chambre, souhaite le bonjour au père, à la mère, aux frères et aux sœurs; ils te demanderont peut-être comment tu as dormi; raconte-leur ton rêve pour les faire rire.

As-tu envie de travailler en ville... tantôt c'est l'ancien, tantôt c'est le frère, d'autres fois c'est toi-même qui dois te chercher de l'ouvrage; selon l'usage différent des lieux.Va trouver l'ancien, et dis: Compagnon, je voudrais vous prier, selon les usages et coutumes du métier, de vouloir bien me trouver de l'ouvrage, je désire travailler ici l'ancien répondra Compagnon, je m'en occuperai... Maintenant tu vas sortir pour boire de la bière, ou pour voir les belles maisons de la ville... N'est-ce pas. R. Oui. - Eh! non pas, tu dois retourner à l'auberge, jusqu'à ce que l'ancien revienne, car il vaut mieux que tu attendes, que de te faire attendre par lui. Mais, dans l'intervalle, tu verras sur ton chemin trois maîtres: le premier a beaucoup de bois et de cerceaux; le second a trois belles filles, et donne de la bière et du vin; le troisième est un pauvre maître; chez lequel travailleras-tu? Si tu travailles chez le premier, tu deviendras un vigoureux cercleur; chez le second qui donne de la bière et du vin, et qui a de belles filles, tu serais heureux, comme on dit; on y fait de beaux cadeaux, on y boit bien, on saute avec les belles filles. Et chez le pauvre maître?... J'entends, tu voudrais faire fortune. Chez lequel veux-tu travailler? Tu ne dois mépriser personne, tu dois travailler chez le pauvre comme chez le riche... L'ancien te dira à son retour: Compagnon, j'ai cherché de l'ouvrage et j'en ai trouvé. Réponds: Compagnon, attendez, je vais faire venir une canette de bière. Mais si tu n'as pas d'argent, dis-lui : Compagnon, pour le moment je ne suis pas en fonds, mais si nous nous retrouvons aujourd'hui ou demain, je saurai bien vous prouver ma reconnaissance.

Le maître te donnera ton ouvrage et tes outils. Après avoir travaillé quelques moments, tes outils ne couperont plus. Maître, diras-tu, je ne sais pas si c'est que les outils ne veulent pas couper, ou que je n'ai pas de goût au travail; tournez-moi la meule pour que j'aiguise mes outils. Le feras-tu? R. Oui. · Eh! non pas. Si tu te mets à l'ouvrage, et qu'il y ait avec toi beaucoup de compagnons, tu ne dois pas être piqué de ce que le maître ne te met pas tout de suite au-dessus d'eux : si le maître voit que tu travailles bien, il saura bien te mettre à ta place.

Demande aux compagnons s'ils vont tous à l'auberge, et ce que le nouveau venu doit mettre à la masse : ils t'en instruiront... L'ancien te dira: Un gros, ou bien neuf liards, selon la coutume. A l'auberge, l'ancien dira C'est ici comme ailleurs la coutume du métier qu'on se rassemble à l'auberge tous les quinze jours, et que chacun donne le denier de la semaine. Si la mère

a bien garni ta bourse, prends de l'argent et jette-le sur la table, si bien qu'il saute à la figure de l'ancien, et dis : Voilà pour moi, rendez-moi de la monnaie. Le feras-tu? R. Oui. - Eh! non pas; prends l'argent dans ta main droite; place-le bien honnêtement devant l'ancien, et dis: Avec votre permission, voilà pour moi; ne demande pas ta monnaie, l'ancien saura bien te la rendre, si tu as donné plus qu'il ne te faut... (Alors on le rabote pour la troisième fois.)

Si l'ancien te dit: Compagnon, fais plaisir aux maîtres et compagnons, et va chercher de la bière; tu ne dois pas refuser. Si tu rencontres une jeune fille ou un bon ami, tu lui donneras de ta bière, entends-tu? R. Oui. — Eh! non pas; si tu veux faire une honnêteté à quelqu'un, prends ton argent et dis : Va boire à ma santé ; quand les compagnons se seront séparés, j'irai te rejoindre; autrement, tu serais puni. A la fin du repas, lève-toi de table et crie au feu ! les autres viendront l'éteindre... --Le parrain rentre alors, et dit : Je le déclare avec votre permission, maîtres et compagnons; tout à l'heure je vous amenais une Peau de Chèvre, un meurtrier de cerceaux, un gâte-bois, un batteur de pavés, traître aux maîtres et compagnons ; maintenant j'espère vous amener un brave et honnête compagnon... Mon filleul, je te souhaite bonheur et prospérité dans ton nouvel état et dans tes voyages, que Dieu te soit en aide sur la terre et sur l'eau. Si tu vas aujourd'hui ou demain dans un endroit où les coutumes du métier ne soient pas en vigueur, travaille à les établir; si tu n'as pas d'argent, tâche d'en gagner, fais respecter les coutumes du métier, ne souffre point qu'elles s'affaiblissent, fais plutôt recevoir dix braves compagnons qu'un mauvais, là où tu pourras les trouver; si tu ne les trouves point, prends ton paquet et va plus loin.

Alors l'apprenti doit courir dans la rue en criant au feu! les compagnons viennent et lui font une aspersion d'eau froide assez abondante. Enfin vient le repas ; on le couronne, on lui donne la place d'honneur, et l'on boit à sa santé.

Pour achever de faire connaître l'esprit des compagnons allemands, nous ferons connaître, d'après le bel ouvrage de Gærres (Volksbucher), plusieurs de leurs livres populaires.

Couronne d'honneur des Meuniers, revue et augmentée, ou Explication complète de la vraie nature du Cercle, dédiée à la compagnie des Meuniers, par un garçon meunier, nommé Georges Bohrmann, donné en présent à ses compagnons pour qu'ils conservent de lui un bon souvenir. On a fait imprimer ses vers et ses écrits parce que, comme le dit Sirack, à l'œuvre on connaît l'artisan. Imprimé dans cette année ( ce titre est en vers). - Écrit en Misnie. · Le meilleur livre qu'ait produit en Allemagne l'esprit de corporation. - Esprit de simplicité calme et digne; versification facile. Une première gravure en bois représente un cercle avec des sentences mystiques; l'explication nous apprend ensuite que tout a été créé par le cercle. A la seconde figure, l'auteur essaye de nous montrer le monde dans la croix. Vient ensuite une histoire de la profession des meuniers d'après la sainte Écriture, puis un dialogue satirique, puis un voyage poétique et une description des meilleurs moulins de Lusace, Silésie 1. MICHELET.

[blocks in formation]

Quelques belles nouvelles formules de l'honorable corps des Charpentiers, qu'ils ont coutume de prononcer après avoir achevé un nouveau bâtiment, en attachant le bouquet ou la couronne en présence d'un grand nombre de spectateurs, publié pour la première fois en cette année. Cologne et Nuremberg.—La maison est considérée comme l'image mystique de l'église visible. Cérémonie du bouquet placé sur la maison terminée. Discours à prononcer du haut du toit.

Coutumes de l'honorable métier des Boulangers; comment chacun doit se conduire à l'auberge et à l'ouvrage. Imprimées pour le mieux, à l'usage de ceux qui se préparent aux voyages. Nuremberg.

Origine, antiquilé et gloire de l'honorable compagnie des Pelletiers.Description exacte de toutes les formules observées depuis longtemps d'après les statuts de la corporation, dans les engagements, initiations et réceptions de maître, comme aussi de la manière dont on examine les compagnons. Le tout fidèlement décrit par Jacob Wahrmund (bouche véridique ), imprimé pour la première fois. — Les pelletiers et les mégissiers se vantent d'avoir eu pour premier compagnon Dieu luimême, attendu qu'il est dit dans l'Écriture sainte que Dieu fit à Adam et Ève un habit de peau, honneur que n'ont point les autres compagnies. Le candidat doit être enfant très-légitime.

Le génie symbolique des livres de compagnonnage forme un contraste avec l'Eulenspiegel, le livre populaire des paysans allemands:

Eulenspiegel (miroir de hibou) ressuscité, histoire surprenante et merveilleuse de Till Eulenspiegel, fils d'un paysan, natif du pays de Braunschweig, traduite du saxon en bon haut allemand, revue et augmentée de quelques figures; ouvrage très-divertissant, suivi d'un appendice très-gai; le tout bien rehaussé et bien recuit. Cologne et Nuremberg. — Esprit de grosse malice. C'est l'esprit du paysan du Nord personnifié ; Eulenspiegel fréquente toutes les classes, fait tous les métiers; c'est le fou du peuple, par contraste avec les fous des princes. La première édition parut en 1483. A la Réforme, l'Eulenspiegel de la quatrième édition de Strasbourg fut, comme l'Allemagne, moitié catholique et moitié protestant; en cette dernière qualité il se moque des papes et des prêtres. Il fut traduit en français, en vers iambiques latins, et plus tard en plusieurs autres langues. Ce livre réussit auprès des paysans de l'intérieur de la Suisse, ces robustes montagnards chez qui la chair est si forte et si puissante, et qui s'accommodent assez des obscénités d'Eulenspiegel. On dit que le héros du livre exista en effet, et mourut en 1350. On montrerait encore son tombeau sous les tilleuls, à Mællen, près Lubeck. La pierre porterait gravés une chouette et un miroir; la chouette désigne le caractère malicieux, gourmand et voleur d'Eulenspiegel.

A côté de ce livre national se place l'Histoire de

« PreviousContinue »