Page images
PDF
EPUB

69. Les gouvernements doivent être conformes à la nature de ceux qui sont gouvernés. - D'où il résulte que l'école des princes, c'est la science des mœurs des peuples.

70-82. Commencements des sociétés.

70. Qu'on nous accorde la proposition suivante (la chose ne répugne point en elle-même, et plus tard elle se trouve vérifiée par les faits): du premier état sans loi et sans religion sortirent d'abord un petit nombre d'hommes supérieurs par la force, lesquels fondèrent les familles, et à l'aide de ces mêmes familles commencèrent à cultiver les champs; la foule des autres hommes en sortit longtemps après en se réfugiant sur les terres cultivées par les premiers pères de famille.

71. Les habitudes originaires, particulièrement celle de l'indépendance naturelle, ne se perdent point tout d'un coup, mais par degrés et à force de temps.

72. Supposé que toutes les sociétés aient commencé par le culte d'une divinité quelconque, les pères furent sans doute, dans l'état de famille, les sages en fait de divination, les prêtres qui sacrifiaient pour connaître la volonté du ciel par les auspices, et les rois qui transmettaient les lois divines à leur famille.

75 et 76. C'est une tradition vulgaire que le monde fut d'abord gouverné par des rois, que la première forme de gouvernement fut la monarchie. 74. Autre tradition vulgaire : les premiers rois qui furent élus, c'étaient les plus dignes.

75. Autre les premiers rois furent sages. Le vain souhait de Platon était en même temps un regret de ces premiers âges pendant lesquels les philosophes régnaient, où les rois étaient philosophes.

Dans la personne des premiers pères se trouvèrent donc réunis la sagesse, le sacerdoce et la royauté. Les deux dernières supériorités dépen- | daient de la première. Mais cette sagesse n'était point la sagesse réfléchie (riposta), celle des philosophes, mais la sagesse vulgaire des législateurs. Nous voyons que, dans la suite, chez toutes les nations, les prêtres marchaient la couronne sur la tête.

77. Dans l'état de famille, les pères durent exercer un pouvoir monarchique, dépendant de Dieu seul, sur la personne et sur les biens de leurs fils, et, à plus forte raison, sur ceux des hommes qui s'étaient réfugiés sur leurs terres, et qui étaient devenus leurs serviteurs. Ce sont ces premiers monarques du monde que désigne l'Écriture sainte en les appelant patriarches, c'est-à-dire, pères et princes. Ce droit monarchique fut conservé par la loi des Douze Tables dans tous les âges de l'ancienne

Rome: Patri familias jus vitæ et necis in liberos esto, le père de famille a sur ses enfants droit de vie et de mort; principe d'où résulte le suivant, quidquid filius acquirit, patri acquirit, tout ce que le fils acquiert, il l'acquiert à son père.

78. Les familles ne peuvent avoir été nommées d'une manière convenable à leur origine, si l'on n'en fait venir le nom de ces famuli, ou serviteurs des premiers pères de famille.

79. Si les premiers compagnons, ou associés, eurent pour but une société d'utilité, on ne peut les placer antérieurement à ces réfugiés qui, ayant cherché la sûreté près des premiers pères de famille, furent obligés pour vivre de cultiver les champs de ceux qui les avaient reçus.-Tels furent les véritables compagnons des héros, dans lesquels nous trouvons plus tard les plébéiens des cités héroïques, et en dernier lieu les provinces soumises à des peuples souverains.

80. Les hommes s'engagent dans des rapports de bienfaisance, lorsqu'ils espèrent retenir une partie du bienfait, ou en tirer une grande utilité; tel est le genre du bienfait que l'on doit attendre dans la vie sociale.

81. C'est un caractère des hommes courageux de ne point laisser perdre par négligence ce qu'ils ont acquis par leur courage, mais de ne céder qu'à la nécessité ou à l'intérêt, et cela peu à peu, et le moins qu'ils peuvent. Dans ces deux axiomes nous voyons les principes éternels des fiefs, qui se traduisent en latin avec élégance par le mot beneficia. 82. Chez toutes les nations anciennes nous ne trouvons partout que clientèles et clients, mots qu'on ne peut entendre convenablement que par fiefs et vassaux. Les feudistes ne trouvent point d'expressions latines plus convenables pour traduire ces derniers mots que clientes et clientelœ.

Les trois derniers axiomes avec les douze précédents (en partant du 70°), nous font connaître l'origine des sociétés. Nous trouvons cette origine, comme on le verra d'une manière plus précise, dans la nécessité imposée aux pères de famille par leurs serviteurs. Ce premier gouvernement dut être aristocratique, parce que les pères de familles s'unirent en corps politique pour résister à leurs serviteurs mutinés contre eux, et furent cependant obligés, pour les ramener à l'obéissance, de leur faire des concessions de terres analogues aux feuda rustica (fiefs roturiers) du moyen âge. Ils se trouvèrent eux-mêmes avoir assujetti leurs souverainetés domestiques (que l'on peut comparer aux fiefs nobles) à la souveraineté de l'ordre dont ils faisaient partie. Cette origine des sociétés sera prouvée par le fait, mais quand elle ne serait qu'une hypothèse, elle est si simple et si naturelle, tant

de phénomènes politiques s'y rapportent d'euxmêmes, comme à leur cause, qu'il faudrait encore l'admettre comme vraie. Autrement il devient impossible de comprendre comment l'autorité civile dériva de l'autorité domestique; comment le patrimoine public se forma de la réunion des pairimoines particuliers; comment, à sa formation, la société trouva des éléments tout préparés dans un dans corps peu nombreux qui pui commander, une multitude de plébéicns qui pùi obéir. Nous démontrerons qu'en supposant les familles composées seulement de fils, et non de serviteurs, cette formation des sociétés a été impossible.

85. Ces concessions de terres constituèrent la première loi agraire qui ait existé, ei la nature ne permet pas d'en imaginer, ni d'en comprendre une qui puisse offrir plus de précision.

Dans cette loi agraire furent distingués les trois genres de possession qui peuvent appartenir aux trois sortes de personnes : domaine bonitaire appartenant aux Plébéiens, domaine quiritaire appartenant aux Pères, conservé par les armes, et par conséquent noble ; domaine éminent, appartenant au corps souverain. Ce dernier genre de possession n'est autre chose que la souveraine puissance dans les républiques aristocratiques.

84-96. Ancienne histoire romaine.

84. Dans un passage remarquable de sa Politique, où il énumère les diverses sortes de gouvernements, Aristote fait mention de la royauté héroïque, où les rois, chefs de la religion, administraient la justice au dedans, el conduisaient les guerres au dehors. Cet axiome se rapporte précisément à la royauté héroïque de Thésée et de Romulus. Voyez la vie du premier dans Plutarque. Quant aux rois de Rome, nous voyons Tullus Hostilius juge d'Horace. Les rois de Rome étaient appelés rois des choses sacrées, reges sacrorum. Et même après l'expulsion des rois, de crainte d'altérer la forme des cérémonies, on créait un roi des choses sacrées; c'était le chef des féciaux, ou hérauts de la république.

85. Autre passage remarquable de la Politique d'Aristote Les anciennes républiques n'avaient point de loi pour punir les offenses et redresser les torts particuliers; ce défaut de lois est commun à tous les peuples barbares. En effet les peuples ne sont barbares dans leur origine que parce qu'ils ne sont pas encore adoucis par les lois. De lå la nécessité des duels et des représailles person

1 Par l'intermédiaire des Duumvirs auxquels il délègue son pouvoir. (Note du Trad.)

nelles dans les temps barbares, où l'on manque de lois judiciaires.

86. Troisième passage non moins précieux du même livre Dans les anciennes républiques, les nobles juraient aux plébéiens une éternelle inimitié. Voilà ce qui explique l'orgueil, l'avarice, et la barbarie des nobles à l'égard des plébéiens, dans les premiers siècles de l'histoire romaine. Au milieu de cette prétendue liberté populaire que l'imagination des historiens nous montre dans Rome, ils pressaient 2 les plébéiens, et les forçaient de les servir à la guerre à leurs propres dépens; ils les enfonçaient, pour ainsi dire, dans un abime d'usures; et lorsque ces malheureux n'y pouvaient satisfaire, ils les tenaient enfermés toute leur vie dans leurs prisons particulières, afin de se payer eux-mêmes par leurs travaux et leurs sueurs; là, ces tyrans les déchiraient à coups de verges comme les plus vils esclaves.

87. Les républiques aristocratiques se décident difficilement à la guerre, de crainte d'aguerrir la multitude des plébéiens.

[ocr errors]

88. Les gouvernements aristocratiques conservent les richesses dans l'ordre des nobles, parce qu'elles contribuent à la puissance de cet ordre. C'est ce qui explique la clémence avec laquelle les Romains traitaient les vaincus; ils se contentaient de leur ôler leurs armes, et leur laissaient la jouissance de leurs biens (dominium bonitarium), sous la condition d'un tribut supportable.

Si l'aristocratie romaine combattit toujours les lois agraires proposées par les Gracques, c'est qu'elle craignait d'enrichir le petit peuple.

89. L'honneur est le plus noble aiguillon de la valeur militaire.

90. Les peuples, chez lesquels les différents ordres se disputent les honneurs pendant la paix, doivent déployer à la guerre une valeur héroïque; les uns veulent se conserver le privilége des honneurs, les autres mériter de les obtenir. Tel est le principe de l'héroïsme romain depuis l'expulsion des rois jusqu'aux guerres puniques. Dans cette période, les nobles se dévouaient pour leur patrie, dont le salut était lié à la conservation des priviléges de leur ordre; et les plébéiens se signalaient par de brillants exploits pour prouver qu'ils méritaient de partager les mêmes honneurs.

91. Les querelles dans lesquelles les différents ordres cherchent l'égalité des droits, sont pour les républiques le plus puissant moyen d'agrandisse

ment.

Autre principe de l'héroïsme romain, appuyé

2 Ce mot est pris dans le sens anglais, to press. Angariarono. (Note du Trad.)

sur trois vertus civiles: confiance magnanime des plėbėiens, qui veulent que les patriciens leur communiquent les droits civils, en même temps que ces lois dont ils se réserveut la connaissance mysté rieuse; courage des patriciens, qui retiennent dans leur ordre un privilége si précieux; sagesse des jurisconsultes, qui interprètent ces lois, et qui peu à peu en étendent l'utilité en les appliquant à de nouveaux cas, selon ce que demande la raison. Voilà les trois caractères qui distinguent exclusivement la jurisprudence romaine.

92. Les faibles veulent les lois; les puissanis les repoussent; les ambitieux en présentent de nouvelles pour se faire un parti; les princes protégent les lois, afin d'égaliser les puissanis ei les faibles.

Dans sa première et sa seconde partie, cet axiome éclaire l'histoire des querelles qui agiient les aristocraties. Les nobles font de la connaissance des lois le secret de leur ordre, afin qu'elles dépendent de leurs caprices, et qu'ils les appliquent aussi arbitrairement que des rois. Telle est, selon le jurisconsulie Pomponius. la raison pour laquelle les plébéiens désiraient la loi des Douze Tables: gravia erant jus latens, incertum, et manus regia. C'est aussi la cause de la répugnance que montraient les sénateurs pour accorder cette législation mores patrios servandos; leges ferri non oportere. Tite-Live dit, au contraire, que les nobles ne repoussaient pas les vœux du peuple, desideria plebis non aspernari. Mais Denis d'Halicarnasse devait être mieux informé que Tite-Live des antiquités romaines, puisqu'il écrivait d'après les mémoires de Varron, le plus docie des Romains 1.

Le troisième article du mème axiome nous montre la route que suivent les ambitieux dans les États populaires pour s'élever au pouvoir souverain; ils secondent le désir naturel du peuple, qui, ne pouvant s'élever aux idées générales, veut une loi pour chaque cas particulier. Aussi voyons-nous que Sylla, chef du parti de la noblesse, n'eut pas plutôt vaincu Marius, chef du parti du peuple, et rétabli la république en rendant le gouvernement à l'aristocratie, qu'il remédia à la multitude des lois par l'institution des quæstiones perpetuæ.

Enfin le même axiome nous fait connaitre dans sa dernière partie le secret motif pour lequel les empereurs, en commençant par Auguste, firent des lois innombrables pour des cas particuliers; et pourquoi chez les modernes tous les États monarchiques ou républicains ont reçu le corps du droit romain, et celui du droit canonique.

1 Nous rejetons une longue digression sur la question de savoir si les lois des Douze Tables ont été transportées d'Athènes à Rome. Nous citons ailleurs un passage

95. Dans les démocraties où domine une multitude avide, dès qu'une fois cette multitude s'est ouvert par les lois la porte des honneurs, la paix n'est plus qu'une lutte dans laquelle on se dispute la puissance, non plus avec les lois, mais avec les armes; et la puissance elle-mème est un moyen de faire des lois pour enrichir le parti vainqueur; telles furent à Rome les lois agraires proposées par les Gracques. De là résultent à la fois des guerres civiles au dedans, des guerres injustes au dehors.

Cet axiome confirme par son contraire ce qu'on a dit de l'héroïsme romain pour tout le temps antérieur aux Grəcques.

94. Plus les biens sont attachés à la personne, au corps du possesseur, plus la liberté naturelle conserve sa fierté; c'esi avec le superflu que la servitude enchaine les hommes.

Dans son premier article, cet axiome est un nouveau principe de l'héroïsme des premiers peupies; dans le second, c'est le principe naturel des monarchies.

95. Les hommes aiment d'abord à sortir de sujétion et désirent l'égalité; voilà les plébéiens dans les républiques aristocratiques, qui finissent par devenir des gouvernements populaires. Ils s'efforcent ensuite de surpasser leurs égaux ; voilà le petit peuple dans les Étais populaires qui dégénèrent en oligarchies. Ils veulent enfin se mettre au-dessus des lois; et il en résulte une démocratie effrénée, une anarchie, qu'on peut appeler la pire des tyrannies, puisqu'il y a autant de tyrans qu'il se trouve d'hommes audacieux et dissolus dans la citė. Alors le petit peuple, éclairé par ses propres maux. y cherche un remède en se réfugiant dans la monarchie. Ainsi nous trouvons dans la nature celic loi royale par laquelle Tacite légitime la monarchie d'Auguste qui cuncta bellis civilibus fessa nomine principis sub imperium accepit.

96. Lorsque la réunion des familles forma les premières cités, les nobles qui sortaient à peine de l'indépendance de la vie sauvage, ne voulaient point se soumettre au frein des lois, ni aux charges publiques; voilà les aristocraties où les nobles sont seigneurs. Ensuite les plébéiens étant devenus nombreux el aguerris, les nobles se soumirent, comme les plébéiens, aux lois et aux charges publiques; voilà les nobles dans les démocraties. Enfin pour s'assurer la vie commode dont ils jouisseni, ils inclinèrent naturellement à se soumettre au gouvernement d'un seul; voilà les nobles sous la monarchie.

plus considérable d'un autre ouvrage de Vico sur le même sujet. (Note du Trad.)

97-103. Migration des peuples.

97. Qu'on m'accorde, et la raison ne s'y refuse pas, qu'après le déluge, les hommes habitèrent d'abord sur les montagnes ; il sera naturel de croire qu'ils descendirent quelque temps après dans les plaines, et qu'au bout d'un temps considérable, ils prirent assez de confiance pour aller jusqu'aux rivages de la mer.

98. On trouve dans Strabon un passage précieux de Platon, où il raconte qu'après les déluges particuliers d'Ogygès et de Deucalion, les hommes habitèrent dans les cavernes des montagnes, et il les reconnaît dans ces cyclopes, ces Polyphèmes, qui lui représentent ailleurs les premiers pères de famille; ensuite sur les sommets qui dominent les vallées, tels que Dardanus qui fonda Pergame, depuis la citadelle de Troie; enfin dans les plaines, tels qu'Ilus qui fit descendre Troie jusqu'à la plaine voisine de la mer, et qui l'appela Ilion.

99. Selon une tradition ancienne, Tyr, fondée d'abord dans les terres, fut ensuite assise sur le rivage de la mer de Phénicie; et l'histoire nous apprend que de là elle passa dans une île voisine, qu'Alexandre rattacha par une chaussée au continent.

Le postulat 97 et les deux traditions qui viennent à l'appui, nous apprennent que les peuples méditerranés se formèrent d'abord, ensuite les peuples maritimes.

Nous y trouvons aussi une preuve remarquable de l'antiquité du peuple hébreu, dont Noé plaça le berceau dans la Mésopotamie, contrée la plus méditerranée de l'ancien monde habitable. Là aussi se fonda la première monarchie, celle des Assyriens, sortis de la tribu chaldéenne, laquelle avait produit les premiers sages, et Zoroastre, le plus ancien de tous.

100. Pour que les hommes se décident à abandonner pour toujours la terre où ils sont nés, et qui naturellement leur est chère, il faut les plus extrêmes nécessités. Le désir d'acquérir par le commerce, ou de conserver ce qu'ils ont acquis, peut seul les décider à quitter leur patrie momentanément.

C'est leprincipe de la transmigration des peuples, dont les moyens furent, ou les colonies maritimes des temps héroïques, ou les invasions des barbares, ou les colonies les plus lointaines des Romains, ou celles des Européens dans les deux Indes.

1 C'est ce qui explique ces grandes richesses qui permirent aux Ioniens de bâtir le temple de Junon à Samos, et aux Cariens d'élever le tombeau de Mausole, qui furent placés au nombre des sept merveilles du monde.

|

Le même axiome nous démontre que les descendants des fils de Noé durent se perdre et se disperser dans leurs courses vagabondes, comme les bêtes sauvages, soit pour échapper aux animaux farouches qui peuplaient la vaste forêt dont la terre était couverte, soit en poursuivant les femmes rebelles à leurs désirs, soit en cherchant l'eau et la pâture. Ils se trouvèrent ainsi épars sur toute la terre, lorsque le tonnerre se faisant entendre pour la première fois depuis le déluge, les ramena à des pensées religieuses, et leur fit concevoir un Dieu, un Jupiter; principe uniforme des sociétés païennes qui eurent chacune leur Jupiter. S'ils eussent conservé des mœurs humaines, comme le peuple de Dieu, ils seraient, comme lui, restés en Asie; cette partie du monde est si vaste, et les hommes étaient alors si peu nombreux, qu'ils n'avaient aucune nécessité de l'abandonner; il n'est point dans la nature que l'on quitte par caprice le pays de sa naissance.

101. Les Phéniciens furent les premiers navigateurs du monde ancien.

102. Les nations encore barbares sont impénétrables; au dehors, il faut la guerre pour les ouvrir aux étrangers, au dedans l'intérêt du commerce, pour les déterminer à les admettre. Ainsi Psammétique ouvrit l'Égypte aux Grecs de l'lonie et de la Carie, lesquels durent être célèbres après les Phéniciens par leur commerce maritime 1. Ainsi dans les temps modernes les Chinois ont ouvert leur pays aux Européens.

Ces trois axiomes nous donnent le principe d'un autre système d'étymologie pour les mots dont l'origine est certainement étrangère, système différent de celui dans lequel nous trouvons l'origine des mots indigènes. Sans ce principe, nul moyen de connaître l'histoire des nations transplantées par des colonies aux lieux où s'étaient établies déjà d'autres nations. Ainsi Naples fut d'abord appelée Sirène, d'un mot syriaque, ce qui prouve que les Syriens, ou Phéniciens, y avaient d'abord fondé un comptoir. Ensuite elle s'appela Parthenope, d'un mot grec de la langue héroïque, et enfin Neapolis dans la langue grecque vulgaire ; ce qui prouve que les Grecs s'y étaient établis ensuite, pour partager le commerce des Phéniciens. De même sur les rivages de Tarente il y eut une colonie syrienne appelée Siri, que les Grecs nommèrent ensuite Polylée; Minerve, qui y avait un temple, en tira le surnom de Poliade.

La gloire du commerce maritime appartient en dernier lieu à ceux de Rhodes, qui élevèrent à l'entrée de leur port le fameux colosse du Soleil.

(Vico.)

105. Je demande qu'on m'accorde, et on sera forcé de le faire, qu'il y ait eu sur le rivage du Latium une colonie grecque, qui, vaincue et détruite par les Romains, sera restée ensevelie dans les ténèbres de l'antiquité.

Si l'on n'accorde point ceci, quiconque réfléchit sur les choses de l'antiquité et veut y mettre quelque ensemble, ne trouve dans l'histoire romaine que sujets de s'étonner; elle nous parle d'Hercule, d'Évandre, d'Arcadiens, de Phrygiens établis dans le Latium, d'un Servius Tullius d'origine grecque, d'un Tarquin l'Ancien, fils du Corinthien Démarate, d'Énée, auquel le peuple romain rapporte sa première origine. Les lettres latines, comme l'observe Tacite, étaient semblables aux anciennes lettres grecques; et pourtant TiteLive pense qu'au temps de Servius Tullius, le nom même de Pythagore, qui enseignait alors dans son école tant célébrée de Crotone, n'avait pu pénétrer jusqu'à Rome. Les Romains ne commencèrent à connaître les Grecs d'Italie qu'à l'occasion de la guerre de Tarente, qui entraîna celle de Pyrrhus et des Grecs d'outre-mer (Florus).

104-114. Principes du droit naturel.

104. Elle est digne de nos méditations, cette pensée de Dion Cassius: la coutume est semblable à un roi, la loi à un tyran : ce qui doit s'entendre de la coutume raisonnable, et de la loi qui n'est point animée de l'esprit de la raison naturelle.

Cet axiome termine par le fait la grande dispute à laquelle a donné lieu la question suivante : Le droit est-il dans la nature, ou seulement dans l'opinion des hommes? c'est la même que l'on a proposée dans le corollaire du huitième axiome : La nature humaine est-elle sociable? Si la coutume commande, comme un roi à des sujets qui veulent obéir, le droit naturel qui a été ordonné par la coutume, est né des mœurs humaines, résultant de la NATURE COMMUNE DES NATIONS. Ce droit conserve la société, parce qu'il n'y a chose plus agréable et par conséquent plus naturelle que de suivre les coutumes enseignées par la nature. D'après tout ce raisonnement, la nature humaine, dont elles sont un résultat, ne peut être que sociable.

Cet axiome, rapproché du huitième et de son corollaire, prouve que l'homme n'est pas injuste par le fait de sa nature, mais par l'infirmité d'une

1 Cet axiome, placé ici à cause de son rapport particulier avec le droit des gens, s'applique généralement à tous les objets dont nous avons à parler. Il aurait dù être rangé parmi les axiomes généraux; si nous l'avons

nature déchue. Il nous démontre le premier principe du christianisme, qui se trouve dans le caractère d'Adam, considéré avant le péché, et dans l'état de perfection où il dut avoir été conçu par son créateur. Il nous démontre par suite les principes catholiques de la grâce. La grâce suppose le le libre arbitre, auquel elle prête un secours surnaturel, mais qui est aidé naturellement par la Providence (voyez le même axiome huitième et son second corollaire). Sur ce dernier article la religion chrétienne s'accorde avec toutes les autres. Grotius, Selden et Puffendorf devaient fonder leurs systèmes sur cette base et se ranger à l'opinion des jurisconsultes romains, selon lesquels le droit naturel a été ordonné par la divine Providence.

105. Le droit naturel des gens est sorti des mœurs et coutumes des nations, lesquelles se sont rencontrées dans un sens commun, ou manière de voir uniforme, et cela sans réflexion, sans prendre exemple l'une de l'autre.

Cet axiome, avec le mot de Dion Cassius qui vient d'être rapporté, établit que la Providence est la législatrice du droit naturel des gens, parce qu'elle est la reine des affaires humaines.

Le même axiome établit la différence qui existe entre le droit naturel des Hébreux, celui des Gentils, et des philosophes. Les Gentils eurent seulement les secours ordinaires de la Providence, les Hébreux eurent de plus les secours extraordinaires du vrai Dieu, et c'est le principe de la division de tous les peuples anciens en Hébreux et Gentils. Les philosophes, par leurs raisonnements, arrivèrent à l'idée d'un droit plus parfait que celui que pratiquaient les Gentils; mais ils ne parurent que deux mille ans après la fondation des sociétés païennes. Ces trois différences, inaperçues jusqu'ici, renversent les trois systèmes de Grotius, de Selden et de Puffendorf.

106. Les sciences doivent prendre pour point de départ l'époque où commence le sujet dont elles traitent 1.

107. Les Gentes (familles, tribus, clans) commencèrent avant les cités; du moins celles que les Latins appelèrent gentes majores, c'est-à-dire, maisons nobles anciennes, comme celles des Pères dont Romulus composa le sénat, et en même temps la cité de Rome. Au contraire, on appela gentes minores, les maisons nobles nouvelles fondées après les cités, telles que celles des Pères dont Junius Brutus, après avoir chassé les rois, remplit le sénat, devenu

mis en cet endroit, c'est qu'on voit mieux dans le droit des gens que dans toute autre matière particulière, combien il est conforme à la vérité, et important dans l'application. (Vico.)

« PreviousContinue »