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zones où le minéral n'est représenté que par quelques trabécules qui relient deux lames voisines. La roche est donc feuilletée et l'on conçoit comment elle se débite facilement en écailles concentriques.

La plupart de ces productions ont une forme sphérique. D'autres sont ellipsoïdales, ovoïdes; parfois la forme s'allonge et l'on a une sorte de petit bâtonnet trapu, aux extrémités renflées ou non. Ailleurs, le bâtonnet s'aplatit. Mais il est à remarquer que jamais il n'y a d'arête vive et que l'extérieur est toujours très arrondi et bien lisse. A mesure que ces concrétions s'allongent, la taille diminue; les plus grosses sont sphériques.

Quant à cette taille, elle varie beaucoup depuis 020 jusqu'à quelques millimètres. Le plus souvent la taille est celle d'une noix ou d'une châtaigne. Quelquefois, près d'Amiens notamment, on trouve des couches uniquement formées de petites concrétions du même ordre, longues de 0cm 5 à 2 cm et ressemblant à de petits sabliers ou d'autres fois à de petits cigares.

Toutes ces concrétions sont caractéristiques du tuf que j'étudie; on les retrouve partout; et, dans bien des cas, le fait d'en voir quelques-unes à la surface du sol ou dans de la terre ramenée au jour par une taupe, me suffisait pour conclure qu'il y avait du tuf en profondeur; toujours mon induction s'est trouvée vérifiée. Il me semble donc utile de donner un nom à ces productions absolument spécifiques. D'après la forme la plus fréquente, je propose de les appeler : les Billes du Tuf (1).

A côté de ces concrétions, il en est d'autres qui cette fois sont ferrugineuses. On les rencontre revêtant les anfractuosités du tuf classique, avec une apparence mamelonnée,

(1) Elles rappellent des concrétions dues à des algues calcaires qui forment ainsi des croûtes lisses, des lamelles emboitées. Peut-être d'ailleurs ont-elles une origine du même ordre.

doucement bosselée, simulant une quantité de gouttes d'eau juxtaposées, en voie de formation ou prêtes à tomber. Cette patine ferrugineuse, d'un brun foncé, dont l'épaisseur peut varier de 1mm à 1cm quelquefois, existe aussi à la surface du tuf concrétionné en réseau ; d'autres fois elle enduit des coquilles ou des grains de tuf détritique; enfin elle constitue souvent des surfaces très irrégulières qui, sans tapisser un vide, traversent, selon des sens différents, des parties de tuf d'origine mécanique ou physique.

Citons, comme appartenant encore au tuf, des sables provenant de la décalcification et remplissant des poches irrégulières, à la façon de l'argile à silex en place.

J'ai déjà signalé la richesse en coquilles du tuf détritique ; mais il en existe aussi dans la forme concrétionnée : ce sont surtout alors des tubes de Friganes et des Lymnées qui sont empâtées dans la masse.

Je n'ai guère trouvé de Paludines; je n'ai pas rencontré davantage d'Anodontes ou d'Unios (1). Par contre, il y a une grande abondance des coquilles suivantes, sinon comme espèces, du moins comme individus : Lymnées de plusieurs espèces, Bithynies, Planorbes, Néritines, Cyclas, Dreissensia.

A ces mollusques d'eau douce et plus particulièrement de marécages, il faut ajouter des tubes de Friganes en quantité et des Helix entraînés.

Tous les fossiles appartenant aux mêmes espèces que les animaux encore vivants dans la région, je ne précise pas davantage leur détermination zoologique, me proposant d'insister ultérieurement sur ce sujet.

Il est manifeste que toutes ces coquilles caractérisent un faciès d'eau douce. Néanmoins, on rencontre à certaines places des Cardiums qui se trouvent dans le tuf, comme les autres coquilles.

(1) De Mercey en a trouvé. Il a donné aussi une localisation de ces coquilles.

Sauf dans quelques endroits où ces Cardiums sont abondants, on en trouve d'assez rares, disséminés de loin en loin. Ces coquilles marines accompagnent toujours les autres d'eau douce, que j'ai citées et auxquelles elles sont intimement mélangées.

De plus, elles sont de toutes tailles, et il y en a de très petites. Il arrive qu'un bon nombre ont leurs deux valves encore réunies, de la même façon que les Cyclas qu'on trouve à côté.

Enfin il n'y a pas d'autres coquilles marines. Voilà pour les faits. Plus loin je les interprèterai. Dans de rares localités, on trouve des ossements ayant appartenu à des chevaux, à des bœufs et à des hommes (1). J'ai trouvé pour ma part dans une butte de tuf près de Breilly, un fragment de crâne (frontal et pariétaux), déterminé par M. Hamy, le regretté savant Professeur d'Anthropologie du Muséum, comme appartenant à un homme dolichocéphale robuste, ayant passé l'âge adulte et pouvant avoir une cinquantaine d'années. J'ai trouvé aussi des fragments de poteries bien tournées et incontestablement romaines (selon M. Hamy); mais je dois dire que ces poteries ont été trouvées dans une terre végétale, d'épaisseur très faible d'ailleurs, qui surmonte le tuf, ce qui tendrait à faire conclure que la formation de celui-ci est antérieure à l'époque romaine. Toutefois, dans d'autres parties on a trouvé des vases romains en plein tuf, ainsi que des monnaies de la même époque. Mais rien n'empêche de supposer qu'elles ont été postérieurement charriées par des eaux. Je serai donc personnellement peu affirmatif sur l'âge du tuf. Au surplus il est probable que sa formation n'a pas pris naissance partout à la même époque; loin de là, il a dû commencer à se former en certains points et s'est peu à peu généralisé; de même sa production n'a

(1) Voir la note de de Mercey; il y est question des ossements et des poteries. Je ne parlerai ici, que des faits nouveaux.

pas dû cesser partout en même temps. En gros, c'est autour du me siècle qu'on tend à le faire remonter.

L'épaisseur du tuf est très variable; elle peut dépasser 3 et 4 mètres. D'ailleurs, en ce moment, les hommes en détruisent une proportion notable chaque année, soit en l'exploitant directement, soit en le rejetant pour extraire la tourbe sous-jacente.

Le tuf se rencontre parfois au niveau du sol, par exemple à Camon où il affleure; ailleurs il est recouvert et se trouve en profondeur. Dans d'autres cas, il s'élève au dessus et forme des bosses, des tertres, des croupes, pouvant atteindre 3 mètres de hauteur, à Breilly, à Belloy-sur-Somme, à Yzeux; du reste, il se continue en profondeur sous ces éminences à un niveau inférieur à celui du sol environnant, et doit alors avoir une épaisseur de 4 mètres ou plus; mais je n'ai jamais eu occasion de voir jusqu'à quelle profondeur il descendait sous une butte.

Il me reste à examiner une dernière question; c'est celle de l'origine du tuf.

De Mercey considère le tuf comme fluviatile et pense que la Somme coulait dans toute la largeur de sa vallée lors de sa formation. Je pense que le tuf s'est déposé dans des étangs peu profonds plus ou moins en rapport avec le fleuve, ou traversés par de petits bras de la Somme, ou encore sur des rives très surbaissées de la rivière, ce qui revient au même. En tous cas, il ne s'agissait pas d'un large fleuve coulant à pleins bords comme le pense de Mercey, quoique la Somme aie dû être bien plus étendue que de nos jours.

Le tuf est foncièrement d'origine physique. La craie si abondante dans la région, sa facile dissolution par les eaux, le peu d'importance du ruissellement, le nombre des suintements le long des thalwegs, sont autant de conditions qui expliquent sa formation. Les sources sont encore très

nombreusés au fond des vallées de la contrée, et beaucoup d'étangs sont alimentés par des eaux venues de la profondeur. Or, dans beaucoup de ces étangs, on voit les végétaux qui baignent dans l'eau, les corps qu'elle tient en suspension, et la roche qui en forme les rives, recouverts d'une sorte dé crême jaunâtre qui est un dépôt calcaire de précipitation. De même, on constate que les briquettes de tourbe gorgée d'eau au moment de l'extraction sont, après dessication, recouvertes d'une sorte de léger duvet blanc, constitué aussi de calcaire provenant de l'eau évaporée qui le tenait en dissolution.

Ces deux exemples sont en somme l'indice d'un tuf, en: voie de formation. Cette origine physique (dissolution et précipitation par évaporation) est donc démontrée par ce fait que de nos jours on voit un dépôt tout semblable prendre naissance, avec une vitesse, une activité bien moindre certes qu'autrefois.

Le tuf (1), en principe, a donc un phénomène physique comme point de départ. Mais aux époques des crues, des courants relativement forts venaient enlever une partie du tuf déjà précipité, et, comme ce dépôt a peu de consistance, avaient vite fait de le pulvériser et de le transporter plus loin. Les grains de tuf étaient mélangés à des grains de sable provenant des sédiments de bordure et ainsi prenait naissance le tuf détritique (2).

(A suivre).

E. COQUIDÉ.

(1) Comme l'a montré de Mercey, il faut écarter l'idée de Fuchs qu'on serait en présence de petites dunes.

(2) Je laisse de côté à dessein l'idée de de Mercey d'après laquelle le tuf formé sur la tourbe, aurait traversé celle-ci pour se répandre au dessus.

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