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Un couplet de l'original donnera l'idée du rhythme :

And now we've told you all our loves

And likewise all our fears,

In hope this declaration moves

Some pity for our tears;
Let's hear of no inconstancy;

We have too much of that at sea
With a fa, la, la, la, la, la.

C'est la chanson françoise au xvme siècle.

Une très-jolie chansonnette, Le Pigeon, représente une jeune femme envoyant un message à son amant :

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Le God save the King, le Rule Britannia, de Thomson, la ballade de Burns,

Scots, who have with Wallace bled.

Écossois, qui avez répandu votre sang avec Wallace, etc.,

doivent rester dans leur langue naturelle. On admire surtout de Burns les Two dogs, Cottier's Saturday night: il y a plusieurs chansons à

boire; quelques-unes décrivent des scènes de village. Toutes ces pièces, pleines d'humour, n'ont pas la verve des refrains de Desaugiers.

Mais si Thibaut, comte de Champagne, l'emporta sur tous les Thibauts anglois du xin siècle, Béranger, dans le xix, laisse loin derrière lui tous les Bérangers de la Grande-Bretagne. L'art n'ôte rien au succès auprès de la foule quand il est réuni au vrai talent : les chansons de Béranger, composées avec le soin que Racine mettoit à ses vers, et qui sont, pour ainsi dire, travaillées à la loupe, sont descendues aux classes inférieures de la société; le peuple les a apprises par cœur, comme les écoliers apprennent le récit de Thèramène. Ainsi que La Fontaine dans la fable, Béranger dans la chanson s'élève au plus haut style. La popularité attachée à des vers de circonstance, à des moqueries spirituelles passera, mais des beautés supérieures resteront. On sent dans les ouvrages de Béranger, sous une surface de gaieté, un fond de tristesse qui tient à ce qu'il y a de sincère et de permanent dans l'âme humaine. Des couplets tels que ceux-ci seront de toutes les Frances futures et redits dans tous les temps:

Vous vieillirez, ò ma belle maîtresse!
Vous vieillirez, et je ne serai plus.

Pour moi le temps semble, dans sa vitesse,
Compter deux fois les jours que j'ai perdus.
Survivez-moi; mais que l'âge pénible
Vous trouve encor fidèle à mes leçons;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.

Lorsque les yeux chercheront sous vos rides
Les traits charmants qui m'auront inspiré,
Des doux récits les jeunes gens avides
Diront: Quel fut cet ami tant pleuré?
De mon amour, peignez, s'il est possible,
L'ardeur, l'ivresse, et même les soupçons;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.

On vous dira: Savoit-il être aimable?
Et sans rougir vous direz : Je l'aimois.
D'un trait méchant se montra-t-il capable?
Avec orgueil vous répondrez : Jamais.
Ah! dites bien qu'amoureux et sensible
D'un luth joyeux il attendrit les sons;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible
De votre ami répétez les chansons.

Objet chéri, quand mon renom futile
De vos vieux ans charmera les douleurs,

:

A mon portrait quand votre main débile
Chaque printemps suspendra quelques fleurs,
Levez les yeux vers ce monde invisible
Où pour toujours nous nous réunissons;
Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,

De votre ami répétez les chansons.

En sortant de Dieppe, le chemin qui conduit à Paris monte assez rapidement à droite, sur la berge élevée, on voit le mur d'un cimetière; le long de ce mur est établi un rouet de corderie. Un soir du dernier été, je me promenois sur ce chemin; deux cordiers marchant parallèlement à reculons, et se balançant d'une jambe sur l'autre, chantoient ensemble à demi-voix. Je prêtai l'oreille; ils en étoient à ce couplet du Vieux Caporal:

Qui là-bas sanglote et regarde?
Eh! c'est la veuve du tambour.
En Russie, à l'arrière-garde,
J'ai porté son fils nuit et jour.
Comme le père, enfant et femme
Sans moi restoient sous les frimas.

Elle va prier pour mon âme.
Conscrits, au pas.

Ne pleurez pas,

Ne pleurez pas.

Marchez au pas.

Au pas, au pas, au pas, au pas!

Ces hommes prononçoient le refrain: Conscrits, au pas. Ne pleurez pas..... Marchez au pas, au pas, au pas, d'un ton si mâle et si pathétique, que les larmes me vinrent aux yeux: en marquant eux-mêmes le pas et en dévidant leur chanvre, ils avoient l'air de filer le dernier moment du Vieux Caporal. Qui leur avoit appris cette complainte ? Ce n'étoit pas assurément la littérature, la critique, l'admiration enseignée, tout ce qui sert au bruit et au renom; mais un accent vrai, sorti de quelque part, étoit arrivé à leur âme du peuple. Je ne saurois dire tout ce qu'il y avoit dans cette gloire particulière à Béranger, dans cette gloire solitairement révélée par deux matelots qui chantoient, au soleil couchant, à la vue de la mer, la mort d'un soldat.

BEATTIE.

Burns, Mason, Cowper moururent pendant mon émigration à Londres avant 1800 et en 1800; ils finissoient le siècle : je le commen

çois. Darwin et Beattie moururent deux ans après mon retour de l'exil. Beattie avoit annoncé l'ère nouvelle de la lyre. Le Minstrel, ou le progrès du génie, est la peinture des premiers effets de la Muse sur un jeune barde, lequel ignore encore le génie dont il est tourmenté. Tantôt le poëte futur va s'asseoir au bord de la mer pendant une tempête, tantôt il quitte les jeux du village pour écouter à l'écart et dans le lointain le son des musettes: le poëme est écrit en stances rimées comme les vieilles ballades.

Si je voulois invoquer une muse savante, mes doctes accords diroient ici quelle fut la destinée du barde dans les jours du vieux temps; je le peindrois portant un cœur content sous de simples habits: on verroit ses cheveux flottants et sa barbe blanchie; sa harpe modeste, seule compagne de son chemin, répondant aux soupirs des brises, seroit suspendue à ses épaules voûtées; le vieillard, en marchant, chanteroit à demi-voix quelque refrain joyeux.

« Mais un pauvre minstrel inspire aujourd'hui mes vers. Dans les siècles gothiques (comme les vieilles ballades le racontent) vivoit autrefois un berger. Ses ancêtres avoient peut-être habité une terre aimée des muses, les grottes de la Sicile ou les vallées de l'Arcadie; mais, lui, il étoit né dans les contrées du Nord, chez une nation fameuse par ses chansons et par la beauté de ses vierges; nation fière quoique modeste, innocente quoique libre, patiente dans le travail, ferme dans le péril, inébranlable dans sa foi, invincible sous les

armes.

« Edwin n'étoit pas un enfant vulgaire son œil sembloit souvent chargé d'une grave pensée; il dédaignoit les hochets de son âge, hors un petit chalumeau, grossièrement façonné; il étoit sensible, quoique sauvage, et gardoit le silence quand il étoit content; il se montroit tour à tour plein de joie et de tristesse, sans qu'on en devinât la cause. Les voisins tressailloient et soupiroient à sa vue, et cependant le bénissoient. Aux uns il sembloit d'une intelligence merveilleuse; aux autres il paroissoit insensé.

<< Mais pourquoi dirois-je les yeux de son enfance? Il ne se mêloit point à la foule brillante de ses jeunes compagnons; il aimoit à s'enfoncer dans la forêt, ou à s'égarer sur le sommet solitaire de la montagne. Souvent les détours d'un ruisseau sauvage conduisent ses pas à des bocages ignorés. Tantôt il descend au fond des précipices, du sommet desquels se penchent de vieux pins; tantôt il gravit des cimes escarpées, où le torrent brille de rocher en rocher, où les eaux, les

forêts, les vents forment un concert immense, que l'écho grossit et porte jusqu'aux cieux.

« Quand l'aube commence à blanchir les airs, Edwin, assis au sommet de la colline, contemple au loin les nuages de pourpre, l'océan d'azur, les montagnes grisâtres, le lac qui brille foiblement parmi les bruyères vaporeuses, et la longue vallée étendue vers l'occident, où le jour lutte encore avec les ombres.

« Quelquefois, pendant les brouillards de l'automne, vous le verriez escalader le sommet des monts. O plaisir effrayant! debout sur la pointe d'un roc, comme un matelot sauvé du naufrage sur une côte déserte, il aime à voir les vapeurs se rouler en vagues énormes, s'allonger sur les horizons, là se creuser en golfe, ici s'arrondir autour des montagnes. Du fond du gouffre, au-dessous de lui, la voix de la bergère et le bêlement des troupeaux remontent jusqu'à son oreille, à travers la brume épaissie.

<< Le romanesque enfant sort de l'asile où il s'étoit mis à couvert des tièdes ondées du midi. Elle est passée la pluie de l'orage; maintenant l'air est frais et parfumé. Dans l'orient obscur, déployant un arc immense, l'iris brille au soleil couchant. Jeune insensé qui croit pouvoir saisir le glorieux météore! combien vaine est la course que ton ardeur a commencée ! La brillante apparition s'éloigne à mesure que tu la poursuis. Ah! puisses-tu savoir qu'il en est ainsi dans la jeunesse, lorsque nous poursuivons les chimères de la vie.

<< Quand la cloche du soir chargeoit de ses gémissements la brise solitaire, le jeune Edwin, marchant avec lenteur et prêtant une oreille attentive, se plongeoit dans le fond des vallées; tout autour de lui, il croyoit voir errer des convois funèbres, de pâles ombres, des fantômes traînant des chaînes ou de longs voiles; mais bientôt ces bruits de la mort se perdoient dans le cri lugubre du hibou, ou dans les murmures du vent des nuits, qui ébranloit par intervalles les vieux dômes d'une église.

« Si la lune rougeâtre se penchoit à son couchant sur la mer mélancolique et sombre, Edwin alloit chercher les bords de ces sources inconnues où s'assembloient sur les bruyères les magiciennes des temps passés. Là, souvent le sommeil venoit le surprendre, et lui apportoit ses visions.

« Le songe a fui... Edwin, réveillé avec l'aurore, ouvre ses yeux enchantés sur les scènes du matin; chaque zéphyr lui apporte mille sons délicieux; on entend le bêlement du troupeau, le tintement de la

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