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E che lo nuovo peregrin d'amore
Punge, se ode squilla di lontana
Che paja 'l giorno pianger che si muore.

Gray dit :

The curfew tolls the knell of parting day.

Dans mon temps, j'ai aussi imité Le Cimetière de campagne. (Qui ne l'a pas imité?)

Eh! que sont les honneurs? L'enfant de la victoire,
Le paisible mortel qui conduit un troupeau
Meurent également; et les pas de la gloire,

Comme ceux du plaisir, ne mènent qu'au tombeau.

Peut-être ici la mort enchaîne en son empire

De rustiques Newtons de la terre ignorés,
D'illustres inconnus dont les talents sacrés
Eussent charmé les dieux sur le luth qui respire

Ainsi brille la perle au fond des vastes mers;

Ainsi meurent aux champs des roses passagères,

Qu'on ne voit point rougir, et qui, loin des bergères,
D'inutiles parfums embaument les déserts.

L'exemple de Gray prouve qu'un écrivain peut rêver sans cesser d'être noble et naturel, sans mépriser l'harmonie.

L'ode sur Une Vue lointaine du collège d'Eton est digne, dans quelques strophes, de l'élégie sur Le Cimetière de campagne.

Ah happy hills! ah pleasing shade!

Ah fields belov'd in vain!

Where once my careless childhood stray'd,

A stranger yet to pain!

I feel the gales that from you blow

A momentary bliss bestow;

As, waving fresh their gladsome wing,

My weary soul they seem to soothe,

And, redolent of joy and youth,

To breathe a second spring.

Say, father Thames, for thou hast seem
Full many a sprightly race,
Disporting on thy margent green,
The paths of pleasure trace;

Who foremost now delight to cleave,
With pliant arms, thy glassy wave?
The captive linnet which enthrall?

What idle progeny succeed

To chase the rolling circle's speed,

Or urge the flying ball?

Alas! regardless of their doom,

The little victims play!

No sense have they of ills to come,

Nor care beyond to-day.

Heureuses collines, charmants bocages, chants aimés en vain, où jadis mon enfance insouciante erroit étrangère à la peine ! je sens les brises qui viennent de vous; elles m'apportent un bonheur d'un moment tandis qu'elles battent fraîchement de leur aile joyeuse, elles semblent caresser mon âme abattue, et, parfumées de joie et de jeunesse, me souffler un second printemps.

« Dis, paternelle Tamise (car tu as vu plus d'une race éveillée se jouant sur ta rive verdoyante y tracer les pas du plaisir), dis quels sont aujourd'hui les plus empressés à fendre d'un bras pliant ton onde cristalline, à enlacer la linotte captive. Dis quelle génération volage l'emporte à précipiter la course du cerceau roulant, ou à lancer/ balle fugitive.

« Hélas! sans souci de leur destinée, folâtrent les petites victimes! Elles n'ont ni prévision des maux à venir, ni soin d'outrejournée. »>

Qui n'a éprouvé les sentiments et les regrets exprimés ici avec toute la douceur de la muse? Qui ne s'est attendri au souvenir des jeux, des études, des amours de ses premières années? Mais peuton leur rendre la vie? Les plaisirs de la jeunesse reproduits par la mémoire sont des ruines vues au flambeau.

Gray avoit la manie du gentleman-like; il ne pouvoit souffrir qu'on lui parlât de ses vers, dont il rougissoit. Il se piquoit d'être savant en histoire, et il l'étoit; il s'occupoit aussi des sciences naturelles; il avoit des prétentions à la chimie, comme dernièrement sir Davie ambitionnoit le renom de poëte, mais avec raison. Où sont la gentilhommerie, l'histoire et la chimie de Gray? Il ne vit que dans un sourire mélancolique de ces muses qu'il méprisoit.

Thomson a exprimé, comme Gray, mais d'une autre manière, ses regrets des jours de l'enfance:

Welcome, kindred glooms!

Congenial horrors hail! with frequent foot,
Pleas'd have I, in my cheerful morn of life,

When nurs'd by careless solitude I liv'd

And sung of nature with unceasing joy,

Pleas'd have I wander'd thro' your rough domain;
Trod the pure virgin-snows, myselfas pure.

■ Bien-venues, ombres apparentes! sympathiques horreurs, salut! Que de fois, charmé au joyeux matin de ma vie, lorsque je vivois nourri par une solitude insouciante, chantant la nature dans une joie sans fin, que de fois j'ai erré charmé à travers les rudes régions des tempêtes et foulé les neiges virginales, moi-même aussi pur! etc. »

Comme les Anglois avaient leur Thomson, nous avions notre SaintLambert et notre Delille. Le chef-d'œuvre du dernier est sa traduction des Géorgiques (aux morceaux de sentiments près), mais c'est comme si vous lisiez Racine traduit dans la langue de Louis XV. On a des tableaux de Raphael, copiés par Mignard; tels sont les tableaux de Virgile calqués par l'abbé Delille.

Les Jardins sont un charmant ouvrage. Un style plus large se fait remarquer dans quelques chants de la traduction du Paradis pérdu. Quoi qu'il en soit, cette école technique, placée entre l'école classique du xviie siècle et l'école romantique du xix, est finie: ses hardiesses trop cherchées, ses labeurs pour ennoblir des choses qui n'en valent pas la peine, pour imiter des sons et des objets qu'il est inutile d'imiter, n'ont donné à l'école technique qu'une vie factice, passée avec les mœurs factices dont elle étoit née. Cette école, sans manquer de naturel, manque de nature; vouée à des arrangements puérils de mots, elle n'est ni assez originale comme école nouvelle, ni assez pure comme école antique. L'abbé Delille étoit le poëte des châteaux modernes, de même que le troubadour étoit le poëte des vieux châteaux les vers de l'un, les ballades de l'autre font sentir la différence entre l'aristocratie dans la force de l'âge et l'aristocratie dans la décrépitude: l'abbé peint des lectures et des parties d'échecs dans les manoirs où le troubadour chantoit des croisades et des tournois.

La prose et les vers de M. de Fontanes se ressemblent et ont un mérite de même nature. Ses pensées et ses images ont une mélancolie' ignorée du siècle de Louis XIV, qui connoissoit seulement l'austère et sainte tristesse de l'éloquence religieuse. Cette mélancolie se trouve mêlée aux ouvrages du chantre du Jour des Morts, comme l'empreinte de l'époque où l'auteur a vécu; elle fixe la date de sa venue; elle montre qu'il est né depuis Rousseau, non immédiatement après Fénelon. Si l'on réduisoit les écrits de M. de Fontanes à deux petits volumes, l'un de prose, l'autre de vers, ce seroit le plus élégant monument funèbre qu'on pût élever sur la tombe de l'école classique.

Parmi les odes posthumes de M. de Fontanes, il en est une sur l'Anniversaire de sa naissance; elle a le charme du Jour des Morts; avec un sentiment plus pénétrant et plus individuel. Je ne me souviens que de ces deux strophes :

La vieillesse déjà vient avec ses souffrances.
Que m'offre l'avenir? De courtes espérances.
Que m'offre le passé? Des / wtes, des regrets.
Tel est le sort de l'homme; il s'instruit avec l'âge
Mais que sert d'être sage,

Quand le terme est si près?

Le passé, le présent, l'avenir, tout m'afflige:
La vie à son déclin est pour moi sans prestige;
Dans le miroir du temps elle perd ses appas.
Plaisirs! allez chercher l'amour et la jeunesse;
Laissez-moi ma tristesse,

Et ne l'insultez pas!

Si quelque chose au monde devoit être antipathique à M. de Fontanes, c'étoit ma manière d'écrire. En moi commençoit, avec l'école dite romantique, une révolution dans la littérature françoise: toutefois mon ami, au lieu de se révolter contre ma barbarie, se passionna pour elle. Je voyois bien de l'ébahissement sur son visage quand je lui lisois des fragments des Natchez, d'Atala, de René; il ne pouvoit ramener ces productions aux règles communes de la critique; mais il sentoit qu'il entroit dans un monde nouveau; il voyoit une nature nouvelle; il comprenoit une langue qu'il ne parloit pas. Je reçus de lui d'excellents conseils je lui dois ce qu'il peut y avoir de correct dans mon style; il m'apprit à respecter l'oreille; il m'empêcha de tomber dans l'extravagance d'invention et le rocailleux d'exécution de mes disciples, si j'ai des disciples.

Le 18 fructidor jeta M. de Fontanes à Londres. Nous allions souvent nous promener dans la campagne; nous nous arrêtions sous quelques-uns de ces larges ormes répandus dans les prairies. Appuyé contre le tronc de ces ormes, mon ami me contoit son ancien voyage en Angleterre, avant la révolution; il me redisoit les vers qu'il adressoit alors à deux jeunes ladies, devenues vieilles à l'ombre des tours de: Westminster; tours qu'il retrouvoit debout comme il les avoit laissées, durant qu'à leur base s'étoient ensevelies les illusions et les heures de sa jeunesse. Nous dînions dans quelque taverne solitaire, à Chelsea sur la Tamise, en parlar*, de Shakespeare et de Milton. Au pied de Wetminster,

Et devinoit Cromwell et rêvoit Lucifer 1.

1. Les Consolations, Sainte-Beuve.

Milton et Shakespeare avoient vu ce que mon ami et moi nous voyions; ils s'étoient assis comme nous au bord de ce fleuve, pour nous fleuve étranger de Babylone, pour eux fleuve nourricier de la patrie. Nous rentrions de nuit à Londres, aux rayons défaillants des étoiles, submergées l'une après l'autre dans le brouillard de la ville. Nous regagnions notre demeure, guidés par d'incertaines lueurs qui nous traçoient à peine la route, à travers la fumée de chatbon rougissante autour de chaque réverbère : ainsi s'écoule la vie du poëte.

RÉACTION. TRANSFORMATION LITTÉRAIRE,
HISTORIENS.

Quand nous devinmes enthousiastes de nos voisins, quant tout fut anglois en France, habits, chiens, chevaux, jardins et livres, les Anglois, par leur instinct de haine pour nous, devinrent anti-François; plus nous nous rapprochions d'eux, plus ils s'éloignoient de nous. Livré à la risée publique sur leur théâtre, on voyoit dans toutes les parades de John-Bull un François maigre, en habit de taffetas vertpomme, chapeau sous le bras, jambes grêles, longue queue, air de danseur ou de perruquier affamé; on le tiroit par le nez, et il mangeoit des grenouilles. Un Anglois, sur notre scène, étoit toujours un mylord ou un capitaine, héros de sentiment et de générosité. La réaction à Londres s'étendit à la littérature entière; on attaqua l'école françoise: tantôt cherchant à reproduire le passé, tantôt essayant des routes inconnues, d'innovation en innovation on arriva à l'école moderne angloise.

Lorsque, en 1792, je me réfugiai en Angleterre, il me fallut réfor mer la plupart des jugements que j'avois puisés dans les critiques de Voltaire, de Diderot, de La Harpe et de Fontanes.

En ce qui touche les historiens, Hume étoit réputé écrivain toryjacobite, lourd et rétrograde; on l'accusoit, ainsi que Gibbon, d'avoir surchargé la langue angloise de gallicismes; on lui préféroit son continuateur Smolett, esprit wigh et progressif. Gibbon venoit de disparoître; il passoit pour un rhéteur : philosophe pendant sa vie, devenu chrétien à sa mort, il demeuroit, en cette qualité, atteint et convaincu de pauvre homme; Hallam et Lingard n'avoient pas encore paru.

On parloit encore de Robertson parce qu'il étoit sec; on ne peut pas dire de la lecture de son histoire ce que dit M. Lerminier de la lecture de l'histoire d'Hérodote aux Jeux Olympiques : « La Grèce tressaillit

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