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laires ne servit qu'à les rendre plus violentes: ce fut le dernier acte de l'Assemblée constituante; elle se sépara le lendemain, et laissa à la France une révolution éternelle.

« L'Assemblée législative, installée le 1er octobre 1791, roula dans le tourbillon qui alloit balayer les vivants et les morts. Des troubles ensanglantèrent les départements à Caen on se rassasia de massacres et l'on mangea le cœur de M. de Belzunce. Le roi apposa son veto au décret contre les émigrés, et cet acte légal augmenta l'agitation. Pétion étoit devenu maire de Paris. Les députés décrétèrent d'accusation le 1er janvier 1792 les princes émigrés; le 2 ils fixèrent à ce 1er janvier le commencement de l'an ive de la liberté. Vers le 13 février les bonnets rouges se montrèrent dans les rues de Paris, et la municipalité fit fabriquer des piques. Le manifeste des émigrés parut le 1′′ mars. L'Autriche armoit. Le traité de Pilnitz et la convention entre l'empereur et le roi de Prusse étoient connus. Paris étoit divisé en sections, plus ou moins hostiles les unes aux autres. Le 20 mars 1792 l'Assemblée législative adopta la mécanique sépulcrale sans laquelle les jugements de la terreur n'auroient pu s'exécuter : on l'essaya d'abord sur des morts, afin qu'elle apprît d'eux son œuvre. On peut parler de cet instrument comme d'un bourreau, puisque des personnes touchées de ses bons services lui faisoient présent de sommes d'argent pour son entretien 1.

« Le ministre Roland (ou plutôt son étonnante femme) avoit été appelé au conseil du roi. Le 20 avril la guerre fut déclarée au roi de Hongrie et de Bohême, Marat publioit L'Ami du peuple malgré le décret dont lui Marat étoit frappé. Le régiment royal allemand et le régiment de Berchini désertèrent. Isnard parloit de la perfidie de la cour. Gensonné et Brissot dénonçoient le comité autrichien. Une insurrection éclata à propos de la garde du roi, qui fut licenciée. Le 28 mai l'Assemblée se forma en séances permanentes. Le 20 juin le château des Tuileries fut forcé par les masses des faubourgs Saint-Antoine et SaintMarceau; le prétexte étoit le refus de Louis XVI de sanctionner la proscription des prêtres : le roi courut risque de la vie. La patrie étoit décrétée en danger. On brûloit en effigie M. de Lafayette. Les fédérés de la seconde fédération arrivoient; les Marseillois, attirés par Danton, étoient en marche : ils entrèrent dans Paris le 30 juillet, et furent logés par Pétion aux Cordeliers.

« Auprès de la tribune nationale s'étoient élevées deux tribunes concurrentes, celle des Jacobins et celle des Cordeliers, la plus formi

1. Moniteur, n° 198.

dable alors, parce qu'elle donna des membres à la fameuse communė de Paris et qu'elle lui fournissoit des moyens d'action.

« Le club des Cordeliers étoit établi dans ce monastère, dont une amende en réparation d'un meurtre avoit servi à bâtir l'église sous saint Louis, en 12591; elle devint en 1590 le repaire des plus fameux ligueurs. En 1792 les tableaux, les images sculptées ou peintes, les voiles, les rideaux du couvent des cordeliers avoient été arrachés : la basilique écorchée ne présentoit aux yeux que ses ossements et ses arêtes. Au chevet de l'église, où le vent et la pluie entroient par les rosaces sans vitraux, des établis de menuisier servoient de bureau au président, quand la séance se tenoit dans l'église. Sur ces établis étoient déposés des bonnets rouges dont chaque orateur se coiffoit avant de monter à la tribune. La tribune consistoit en quatre poutrelles arc-boutées et traversées d'une planche, dans leur x, comme un échafaud. Derrière le président, avec une statue de la Liberté, on voyoit de prétendus instruments de supplice de l'ancienne justice; instruments remplacés par un seul, la machine à sang, comme les mécaniques compliquées sont remplacées par le bélier hydraulique. Le club des Jacobins épurés emprunta quelques-unes de ces dispositions des Cordeliers.

« Les orateurs, unis pour détruire, ne s'entendoient ni sur les chefs à choisir ni sur les moyens à employer: ils se traitoient de gueux, de gitons, de filous, de voleurs, de massacreurs, à la cacophonie des sifflets et des hurlements de leurs différents groupes de diables. Les métaphores étoient prises du matériel des meurtres; empruntées des objets les plus sales, de tous les genres de voirie et de fumier, ou tirées des lieux consacrés aux prostitutions des hommes et des femmes. Les gestes rendoient les images sensibles, tout étoit appelé par son nom avec le cynisme des chiens, dans une pompe obscène et impie de jurements et de blasphèmes : détruire et produire, mort et génération, on ne démêloit que cela à travers l'argot sauvage dont les oreilles étoient assourdies. Les harangueurs à la voix grêle ou tonnante avoient d'autres interrupteurs que leurs opposants : les petites chouettes noires du cloître sans moines et du clocher sans cloches s'éjouissoient aux fenêtres brisées, en espoir du butin; elles interrompoient les discours. On les rappeloit d'abord à l'ordre par le tintamarre de l'impuissante sonnette; mais ne cessant point leur criaillement, on leur tiroit des coups de fusil pour leur faire faire silence : elles tomboient palpitantes, blessées et fatidiques, au milieu du Pan

1. Elle fut brûlée en 1580.

dæmonium. Des charpentes abattues, des bancs boiteux, des stalles démantibulées, des tronçons de saints roulés et poussés contre les murs, servoient de gradins aux spectateurs crottés, poudreux, souls, suants, en carmagnole percée, la pique sur l'épaule, ou les bras nu croisés.

DANTON.

« Les scènes des Cordeliers étoient dominées et souvent présidées par Danton, Hun à taille de Goth, à nez camus, à narines au vent, à méplats couturés. On parviendroit à peine à former cet homme dans la révolution angloise, en pétrissant ensemble Bradshaw, président de la commission qui jugea Charles Ier, Ireton, le fameux gendre de Cromwell, Axtel, grand exterminateur en Irlande, Scott, qui vouloit qu'on gravât sur sa tombe: Ci-git Thomas Scott, qui condamna le feu roi à mort, Harisson, qui dit à ses juges : « Plusieurs d'entre vous, mes juges, furent actifs avec moi dans les choses qui se sont passées en Angleterre; ce qui a été fait l'a été par l'ordre du parlement, alors la suprême loi. »

« Dans la coque de son église, comme dans la carcasse des siècles, Danton organisa l'attaque du 10 août et les massacres de septembre; auteur de la circulaire de la commune, il invita les hommes libres à répéter dans les départements l'énormité perpétrée aux Carmes et à l'Abbaye. Mais Sixte-Quint n'égala-t-il pas pour le salut des hommes le dévouement de Jacques-Clément au mystère de l'Incarnation, de même que l'on compara Marat au Sauveur du monde? Charles IX n'écrivit-il pas aux gouverneurs des provinces d'imiter les massacres de la Saint-Barthélemy, comme Danton manda aux patriotes de copier les massacres de septembre? Les Jacobins étoient des plagiaires; ils le furent encore en immolant Louis XVI à l'instar de Charles Ier. Des crimes s'étant trouvés mêlés au mouvement social de la fin du dernier siècle, quelques esprits se sont figuré mal à propos que ces crimes avoient produit les grandeurs de la révolution, dont ils n'étoient que d'affreuses inutilités : d'une belle nature souffrante on n'a admiré que la convulsion.

A l'époque où les enfants avoient pour jouets de petites guillotines à oiseaux, où un homme en bonnet rouge conduisoit les morts au cimetière ; à l'époque où l'on crioit vive l'enfer! vive la mort! ou l'on célébroit les joyeuses orgies du sang, de l'acier et de la rage, où

1. Arrêté du conseil général de la commune, 27 brum. 93.

l'on trinquoit au néant, il falloit, en fin de compte, arriver au dernier banquet, à la dernière facétie de la douleur.

<«< Danton fut pris au traquenard qu'il avoit tendu : amené devant le tribunal, son ouvrage, il ne lui servit de rien de lancer des boulettes de pain au nez de ses juges, de répondre avec courage et noblesse, de faire hésiter la cour révolutionnaire, de mettre en péril et en frayeur la Convention, de raisonner logiquement sur des forfaits par qui la puissance même de ses ennemis avoit été créée.

« Il ne lui resta qu'à se montrer aussi impitoyable à sa propre mort qu'il l'avoit été à celle des autres, qu'à dresser son front plus haut que le coutelas suspendu. Du théâtre de la terreur, où ses pieds se coiloient dans le sang épaissi de la veille, après avoir promené un regard de mépris sur la foule, il dit au bourreau : « Tu montreras ma tête au peuple; elle en vaut la peine. » Le chef de Danton demeura aux mains de l'exécuteur, tandis que l'ombre acéphale alla se mêler aux ombres décapitées de ses victimes : c'étoit encore de l'égalité. »

PEUPLE DES DEUX NATIONS

A L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE.

PAYSANS ROYALISTES ANGLOIS.

Le peuple anglois, rangé derrière les Hampden et les Ireton, n'avoit rien de la force du peuple qui marchoit avec les Mirabeau et les Danton, de ce peuple qui fit magnifiquement son devoir à la frontière, qui rejeta les nations étrangères dans leur propre foyer; elles l'éteignirent de leur sang, au moment où elles se flattoient de s'asseoir à notre feu et d'y boire le vin de nos treilles. Pris collectivement, le peuple est un poëte: auteur et acteur ardent de la pièce qu'il joue ou qu'on lui fait jouer, ses excès même ne sont pas tant l'instinct d'une cruauté native que le délire d'une foule enivrée de spectacles, surtout quand ils sont tragiques; chose si vraie que dans les horreurs populaires il y a toujours quelque chose de superflu donné au tableau et à l'émotion.

Il y eut des guerres civiles en Angleterre: ressemblèrent-elles à celles de nos provinces de l'ouest? Là même où notre peuple se déchi

roit de ses propres mains, il étoit encore prodigieux. Mais voyons d'abord le paysan anglois.

La cause de Charles Ier et de son fils produisit de courageux défenseurs parmi les populations rustiques. Le fermier Pendrell, ou plutôt Pendrill, et ses quatre frères, se sont noblement placés dans l'histoire. Il existe un petit livre intitulé Boscobel, ou abrégé de ce qui s'est passé dans la retraite mémorable de S. M. (Charles II) après la bataille de Worcester: là se trouve consignée la fidélité des Pendrell. Charles II, parti de Worcester le 3 septembre 1651, à six heures du soir, après la perte de la bataille, arriva à quatre heures du matin à Boscobel avec le comte de Derby. « Ils frappèrent dans l'obscurité, dit la relation, à la porte d'un certain Pendrell, paysan catholique et concierge de la ferme appelée White-Ladies (les Dames blanches), laquelle avoit été une abbaye de filles bernardines ou de l'ordre de Cîteaux, éloignée d'an jet de pierre dans le bois. »

Le paysan reçut son jeune roi au péril de sa vie. « Aussitôt, continue la relation, on coupa les cheveux du roi; on lui noircit les mains; on mit ses habits dans la terre; il en prit un de paysan en échange. On mena le roi dans le bois; il se trouva seul dans un lieu inconnu, une serpe à la main. Ce jour-là Charles ne vit personne, parce que le temps fut humide, si ce n'est la belle-sœur de Pendrell, qui lui porta quelque chose dans le taillis pour se couvrir et aussi pour manger. Quand le roi ne pouvoit sortir de la ferme, à cause de quelque danger, on l'enfermoit dans une cache qui servoit aux prêtres catholiques pour dire en secret leur messe. Cette cache se trouvoit dans une espèce de masure qui portoit le nom d'Hobbal et qu'habitoit Richard Pendrill, un des quatre frères de Guillaume. >>

y

Charles II voulut se rendre à Londres; Richard Pendrell lui servit de guide; ils furent obligés de revenir, tous les passages étant gardés. « Le gravier qui étoit entré dans les souliers du roi avoit ensanglanté ses pieds, et la nuit étoit si noire qu'à deux pas de Richard il ne pouvoit l'apercevoir : il le suivoit, conduit par le bruit de son haut-dechausse qui étoit de cuir. Ils furent de retour à Boscobel avant le jour. Richard, ayant caché le roi dans les broussailles, alla voir s'il n'y auroit pas quelques soldats dans sa maison: il n'y trouva qu'un seul homme, le colonel Careless. »

Ici je change d'historien: un homme fut mon ami et l'ami de M. Fontanes je ne sais si au fond de sa tombe il me saura grẻ de révéler la noble et pure existence qu'il a cachée. Quelques articles qu'il ne signoit pas ont seulement paru dans diverses feuilles publiques: parmi ces articles se trouve un examen de Boscobel. Qu'il soit permis

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