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DISCOURS SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE.

Milton fit bientôt paroître son Areopagitica, le meilleur ouvrage en prose angloise qu'il ait écrit; cette manière de s'exprimer, liberté de la presse, n'étant pas encore connue, il intitula son ouvrage: A speech for the liberty of unlicens'd printing.

TO THE PARLIAMENT OF ENGLAND.

Discours pour la liberté d'imprimer sans licence (permission)
au parlement d'Angleterre.

Après avoir remarqué que la censure est inutile contre les mauvais nvres, puisqu'elle ne les empêche pas de circuler, l'auteur ajoute :

<< Tuer un homme, c'est tuer une créature raisonnable; tuer un livre, c'est tuer la raison, c'est tuer l'immortalité plutôt que la vie. Les révolutions des âges souvent ne retrouvent pas une vérité rejetée, et faute de laquelle des nations entières souffrent éternellement.

« Le peuple vous conjure de ne pas rétrograder, d'entrer dans le chemin de la vérité et de la vertu. Il me semble voir dans ma pensée une noble et puissante nation se lever, comme un homme fort après le sommeil; il me semble voir un aigle muant sa puissante jeunesse, allumant ses regards non éblouis au plein rayon du soleil de midi, ôtant à la fontaine même de la lumière céleste les écailles de ses yeux longtemps abusés, tandis que la bruyante et timide volée des oiseaux qui aiment le crépuscule fuit en désordre. Supprimerez-vous cette moisson fleurie de connoissances et de lumières nouvelles qui ont grandi et qui grandissent encore journellement dans cette cité? Établirez-vous une oligarchie de vingt monopoleurs, pour affamer nos esprits? N'aurons-nous rien au delà de la nourriture qui nous sera mesurée par leur boisseau? Croyez-moi, lords et communes, je me suis assis parmi les savants étrangers; ils me félicitoient d'être né sur une terre de liberté philosophique, tandis qu'ils étoient réduits à gémir de la servile condition où le savoir étoit réduit dans leur pays. J'ai visité le fameux Galilée devenu vieux, prisonnier de l'inquisition pour avoir pensé en astronomie autrement qu'un censeur franciscain ou domini cain. La liberté est la nourrice de tous les grands esprits : c'est elle qu éclaire nos pensées comme la lumière du ciel. »

A cet énergique langage on reconnoît l'auteur du Paradis perdu. Milton est un aussi grand écrivain en prose qu'en vers; les révolutions

l'ont rapproché de nous; ses idées politiques en font un homme de notre époque : il se plaint dans ses vers d'être venu un siècle trop tard; il auroit pu se plaindre dans sa prose d'être venu un siècle trop tôt. Maintenant l'heure de sa résurrection est arrivée; je serois heureux d'avoir donné la main à Milton pour sortir de sa tombe comme prosateur; depuis longtemps la gloire lui a dit comme poëte : « Lèvetoi!» Il s'est levé, et ne se recouchera plus.

La liberté de la presse doit tenir à grand honneur d'avoir pour patron l'auteur du Paradis perdu; c'est lui qui le premier l'a nettement et formellement réclamée. Avec quel art pathétique le poëte ne rappelle-t-il pas qu'il a vu Galilée, sous le poids de l'âge et des infirmités, près d'expirer dans les fers de la censure pour avoir osé affirmer le mouvement de la Terre ! C'étoit un exemple pris à la hauteur de Milton. Où irions-nous aujourd'hui si nous tenions un pareil langage?

Regardez, regardez, peuples du nouveau monde:
N'apercevez-vous rien sur votre mer profonde?
Ne vient-il pas à vous du fond de l'horizon

Un cétacé informe au triple pavillon?

Vous ne devinez pas ce qui se meut sur l'onde:

C'est la première fois qu'on lance une prison 1.

MORT DU PÈRE DE MILTON.

ÉVÉNEMENTS HISTORIQUES. TRAITÉ SUR L'ÉTAT DES ROIS
ET DES MAGISTRATS.

En 1645 Mi1ton recueillit les poëmes latins et anglois de sa jeunesse. Les chansons furent mises en musique par Henri Lawes, attaché à la chapelle de Charles Ier : la voix de l'apologiste alloit bientôt se faire entendre au cercueil du monarque à la chapelle de Windsor.

Le père de Milton mourut; les parents de la femme du poëte retournèrent chez eux, et sa maison, dit Philips, redevint encore une fois le temple des muses. A cette époque, Milton fut au moment d'être employé en qualité d'adjudant dans les troupes de sir William Waller, général du parti presbytérien, dont nous avons des Mémoires.

Lorsque, au mois d'avril 1647, Fairfax et Cromwell se furent emparés de Londres, Milton, pour continuer plus tranquillement ses études, quitta son grand établissement de Berbicane, et se retira dans une petite maison de High Holborne, près de laquelle j'ai longtemps

1. Loi de la presse. M. A. Musset.

demeuré. Et c'est ici le lieu de rappeler une observation que j'ai faite au commencement de cet Essai : « Une vue de la littérature, isolée de 'histoire des nations, ai-je dit, créeroit un prodigieux mensonge; en entendant des poëtes successifs chanter imperturbablement leurs amours et leurs moutons, on se figureroit l'existence non interrompue de l'âge d'or sur la terre. Il y a toujours chez une nation au moment des catastrophes et parmi les plus grands événements un prêtre qui prie, un poëte qui chante, etc. »>

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Nous voyons Milton se marier, s'occuper de l'étude des langues, élever des enfants, publier des opuscules en prose et en vers, comme si l'Angleterre jouissoit de la plus profonde paix et la guerre civile étoit allumée, et mille partis se déchiroient, et l'on marchoit dans le sang parmi des ruines.

En 1644 les batailles de Marstonmoor et de Newbury avoient été livrées; la tête du vieil archevêque Laud étoit tombée sous le fer du bourreau. Les années 1645 et 1646 virent le combat de Naseby, la prise de Bristol, la défaite de Montross, la retraite de Charles ler à l'armée écossoise, qui livra aux Anglois leur monarque pour 400,000 livres sterling.

Les années 1647, 1648, 1649, furent plus tragiques encore; elles renferment dans leur période fatale le soulèvement de l'armée, l'enlèvement du roi par Joyce, l'oppression du parlement par les soldats, la seconde guerre civile, l'évasion du roi, la seconde arrestation de ce monarque, l'épuration violente du parlement, le jugement et la mort de Charles Ier.

Qu'on se reporte à ces dates, et l'on y placera successivement ces ouvrages de Milton dont je viens de parler. Milton assista peut-être comme spectateur à la décapitation de son souverain; il revint peutêtre chez lui faire quelques vers ou arranger pour ses enfants un paragraphe de sa grammaire latine: Genders are three: masculine, feminine and neuter; «< il y a trois genres, le masculin, le féminin et le neutre. » Le sort des empires et des hommes ne compte pas plus que cela dans le mouvement qui entraîne les sociétés.

En France, en 1793, il y avoit aussi des poëtes qui chantoient Thyrsis, un des personnages du Masque, et qui n'étoient pas des Milton; on alloit au spectacle, peuplé de bons villageois; les bergers occupoient la scène quand la tragédie couroit les rues. On sait que les terroristes étoient d'une bénignité de mœurs extraordinaire : ces tendres pastoureaux aimoient surtout les petits enfants. Fouquier-Tinville et son serviteur Samson, qui sentoit le sang, se délassoient le soir au théâtre, et pleuroient à la peinture de l'innocente vie des champs.

Charles Ier n'eut pas plus tôt été exécuté, que les presbytériens crièrent au meurtre, à l'inviolabilité de la personne royale : bien que ces girondins de l'Angleterre eussent puissamment contribué à la catastrophe, du moins ils ne votèrent pas, comme les girondins françois, la mort du prince dont ils déploroient la perte. Pour répondre à leur clameur, Milton écrivit son Tenure of kings and magistrates, « État des rois et des magistrats. » Il n'eut pas de peine à démontrer que ceux qui se lamentoient le plus du sort de Charles l'avoient eux-mêmes conduit à l'échafaud. Ainsi qu'il arrive dans toutes les révolutions, les partis essayent de tenir à certaines bornes où ils ont fixé le droit et la justice; mais les hommes qui les suivent les renversent et franchissent ce but, comme dans une charge de cavalerie le dernier escadron passe sur le ventre du premier, si celui-ci vient à s'arrêter.

Milton cherche à prouver qu'en tout temps et sous toutes les formes de gouvernement il a été légal de faire le procès à un mauvais roi, de le déposer ou de le condamner à mort. « Si un sujet, dit-il, en raison de certains crimes, est frappé par la loi dans lui-même, dans sa postérité, dans son héritage dévolu au roi, quoi de plus juste que le roi, en raison de crimes analogues, perde ses titres, et que son héritage soit dévolu au peuple? Direz-vous que les nations sont créées pour le monarque, et que celui-ci n'est pas créé pour les nations; que ces nations sont regardées, dans leur multitude, comme inférieures à l'Individu royal? Cette doctrine seroit une espèce de trahison contre la dignité de l'espèce humaine. Soutenir que les rois ne doivent rendre compte de leur conduite qu'à Dieu, c'est abolir toute société politique. C'est alors que les serments que les princes ont prêtés à leur couronnement sont de pures moqueries, et que les lois qu'ils ont juré de garder sont comme non avenues. » Milton dans ces doctrines n'alloit pas plus loin que Mariana, et il les appuyoit des textes de l'Écriture: la révolution angloise, en cela toute contraire à la nôtre, étoit essentiellement religieuse.

MILTON SECRÉtaire latin du conseil d'étAT DE LA RÉPUBLIQUE. L'ICONOCLASTE.

Les écrits politiques de Milton le recommandèrent enfin à l'attention des chefs du gouvernement; il fut appelé aux affaires et nommé secrétaire latin du conseil d'État de la république : quand celui-ci se changea en Protectorat, Milton se trouva tout naturellement secrétaire

du Protecteur pour la même langue latine. A peine entré dans ses nouvelles fonctions, il reçut l'ordre de répondre à l'Eikon Basilikė, publié à Londres après la mort de Charles, comme le testament de Louis XVI se répandit dans Paris après la mort du roi martyr. Une traduction françoise de l'Eikon parut sous ce titre : Pourtraict de sa sacrée majesté durant sa solitude et ses souffrances.

Milton intitula spirituellement sa réponse au Pourtraict : L'Iconoclaste. Tout en immolant de nouveau le monarque, il prétend n'avoir aucun dessein de souffleter une tête coupée, mais enfin les circonstances l'obligent à parler, et il préfère au roi Charles la reine Vérité : Reginam Veritatem Regi Carols anteponendam arbitratus.

L'ouvrage est écrit avec méthode et clarté; l'auteur y semble moins dominé par son imagination que dans ses autres traités politiques. « Discourir sur les malheurs d'une personne tombée d'un rang si élevé, et qui a payé sa dette finale à ses fautes et à la nature, n'est pas une chose en elle-même recommandable; ce n'est pas non plus mon intention. Je ne suis poussé ni par l'ambition ni par la vanité de me faire un nom en écrivant contre un roi : les rois sont forts en soldats et faibles en arguments, ainsi que tous ceux qui sont accoutumés dès le berceau à user de leur volonté comme de leur main droite, et de leur raison comme de leur main gauche. Cependant, pour l'amour des personnes d'habitude et de simplicité, qui croient les monarques animés d'un souffle différent des autres mortels, je relèverai au nom de la liberté et de la république le gant qui a été jeté dans l'arène, quoiqu'il soit le gant d'un roi. »

Milton, d'autant plus cruel pour Charles Ir dans L'Iconoclaste qu'il est plus contenu, oppose à l'Eikon ce raisonnement au sujet de la mort de Strafford :

<< Charles se repent, nous dit-il, d'avoir donné son consentement à l'exécution de Strafford : il est vrai que Charles déclara aux deux chambres qu'il ne pouvoit condamner son favori pour haute trahison; que ni la crainte ni aucune considération ne lui feroient changer une résolution puisée dans sa conscience. Mais ou la résolution de Charles n'étoit pas puisée dans sa conscience, ou sa conscience reçut de meilleures informations, ou enfin sa conscience et sa ferme résolution plièrent les voiles devant quelque crainte plus forte; car peu de jours après ses fermes et glorieuses paroles à son parlement il signa le bill pour l'exécution de Strafford. >>

Milton appelle l'Eikon un livre de pénitence. « Charles étoit un diligent lecteur de poésie plus que de politique; peut-être l'Eikon n'est qu'une pièce de vers les mots en sont bons, la fiction claire; il n'y

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