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tromper aux femmes, le plus sage toutefois de tous les rois; et à la vérité le don de persévérance est de Dieu, non pas de nous. >>

Si Charles Ier eût suivi le conseil que Jacques donnoit à Henri, il se fût épargné bien des malheurs.

Au reste, l'horreur avec laquelle le roi d'Écosse parle de certaines dépravations me fait croire que sur ce point il a été encore mal jugé: un mot soldatesque de notre Henri IV ne peut pas faire autorité historique; il ne faut prendre ce mot que pour un ventre-saint-gris. L'abandonnement aux favoris prouve la foiblesse, et ne suppose pas nécessairement la corruption : quand on est livré à des vices honteux, on les cache, mais on ne fait pas avec un certain accent l'éloge des vertus contraires le voile des paroles couvriroit mal la rougeur du front.

La troisième partie du Basilicon Doron, Des déportements d'un roi ès choses communes et indifférentes, amuse par sa naïveté. Jacques instruit son fils à être attentif à sa grâce et sa façon à table: Henri ne doit être ni friand ni gourmand; son vivre doit être apprêté sans beaucoup de sauces, « car ces compositions et meslinges ressemblent mieux à médecine qu'à viande, et l'usage en étoit anciennement blâmé par les Romains ». Henri doit éviter l'ivrognerie, vice qui croît avec l'âge et ne meurt qu'avec la vie : « En votre manger, mon fils, ne soyez grossier et incivil comme un cynique, ni mignard et délicat comme une épousée ; mais mangez d'une façon franche, virile et honnête.

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« Soyez pareillement modéré en votre dormir. vous arrêtez point aux songes ni aux présages. habillement doit être modeste, non superflu comme d'un débauché, non chétif et mécanique comme d'un faquin, non trop curieusement enrichi et façonné comme d'un galant de cour, ni d'une façon grossière et rustique comme d'un manant, ni bigarré comme d'un gendarme éventé ou d'un mignon frisé, ni trop grave et simple comme d'un homme d'Église. En temps de guerre que votre vêtement soit plus brave et votre contenance plus gaillarde et relevée. Toutefois, que ce soit sans porter vos cheveux longs ou laisser croître vos ongles, qui ne sont qu'excrément de nature. >>

Quant aux jeux et aux exercices, Jacques veut que son fils y mette du choix; il recommande le courir, le sauter, le tirer des armes, le tirer de l'arc, le jouer à la paume. « Exercez-vous, mon fils, à dompter les grands chevaux, et qui ont le plus de fougue, afin que je puisse dire de vous ce que Philippe disoit de son fils Alexandre : « La Macé<< doine est trop peu de chose pour lui. »

Jacques permet aussi la chasse, mais la chasse aux chiens courants,

qu'il trouve plus noble et plus propre à un prince. Au reste, il renvoie sur ce point son fils à Xénophon, « auteur ancien et renommé, lequel n'a eu dessein, dit-il, de flatter ni vous ni moi. >>

<< Quant au langage, mon fils, soyez franc en votre parler, naïf, net, court et sentencieux, évitant ces deux extrémités, ou de termes grossiers et rustiques, ou de mots trop recherchés qui ressentent l'écritoire.... Si votre esprit vous porte à composer en vers ou en prose, c'est chose que je ne veux blâmer. N'entreprenez point de trop long ouvrage; que cela ne vous divertisse de votre charge.

« Pour écrire dignement, il faut élire un sujet digne de vous, plein de vertu et non de vanité, vous rendant toujours clair et intelligible le plus que vous pourrez. Et si ce sont vers, souvenez-vous que ce n'est la partie principale de la poésie de bien rimer et couler doucement avec mots bien propres et bien choisis; mais plutôt, lorsqu'elle sera tournée en prose, d'y faire voir une riche invention des fleurs poétiques et des comparaisons belles et judicieuses, afin que la prose même retienne le lustre et la grâce du poëme. Je vous avise aussi d'écrire en votre langue propre; car il ne nous reste quasi rien à dire en grec et en latin, et prou de petits écoliers vous surpasseront en ces deux langues. Joint qu'il est plus séant à un roi d'orner et enrichir sa langue propre, en laquelle il peut et doit devancer tous ses sujets, comme pareillement en toutes autres choses honnêtes et recommandables. »

Ces derniers conseils sont curieux : ce roi auteur qui s'exprimoit avec tant d'emphase devant ses parlements montre ici du goût et de la mesure. Son ouvrage finit par une grande vue': Jacques croit que tôt ou tard la réunion de l'Écosse et de l'Angleterre produira un puissant empire.

Je me suis étendu sur le traité du Don Royal, presque ignoré aujourd'hui; on ne le connoît guère que par un de ces jugements composés à l'usage de ceux qui ne lisent rien par ceux qui n'ont point lu. Voltaire feuilletoit tout, sans se donner le temps d'étudier; il a jeté dans le monde une foule de ces opinions de prime-abord, qu'adoptent l'ignorance et la paresse: si quelquefois l'auteur de 'Essai sur les Maurs rencontre juste, c'est qu'il devine. Ainsi, de siècle en siècle des choses d'une fausseté évidente sont crues et répétées comme articles de foi; elles acquièrent par le temps une sorte de vérité et d'authenticité de mensonge que rien ne sauroit détruire.

Henri, ce nom me fait mal à écrire, Henri, à qui le Basilicon Doron est adressé, mourut à l'âge de dix-huit ans. S'il eût vécu, Charles I n'eût pas régné; les révolutions de 1649 et de 1988 n'auroient pas eu lieu; notre révolution n'auroit pas en les mêmes conséquences : sans

l'antécédent du jugement de Charles I, l'idée ne seroit venue à personne en France de conduire Louis XVI à l'échafaud; le monde étoit changé.

Ces réflexions qui se présentent à l'occasion de toutes les catastrophes historiques sont vaines: il y a toujours un moment dans les annales des peuples où si telle chose n'étoit pas advenue, si tel homme n'étoit pas mort ou étoit mort, si telle mesure avoit été prise, si telle faute n'avoit été faite, rien de ce qui est arrivé ne seroit arrivé. Mais Dieu veut que les hommes naissent avec le caractère propre à l'événement qu'ils doivent amener : Louis XVI a cent fois pu se sauver; il ne s'est pas sauvé, tout simplement parce qu'il étoit Louis XVI. Il est donc puéril de se lamenter sur des accidents qui produisent ce qu'ils sont destinés à produire : à chaque pas dans la vie, mille lointains divers, mille futuritions s'ouvrent devant nous; cependant, vous n'atteignez qu'un horizon, vous ne courez qu'à un avenir.

RALEIGH. COWLEY.

Jacques ler tua le fameux Walter Raleigh: l'Histoire universelle est encore lue à cause de sir Walter lui-même s'il y a des livres qui font vivre le nom de leurs auteurs, il y a des auteurs dont le nom fait vivre leurs livres.

Cowley dans l'ordre des poëtes arrive immédiatement après Shakespeare, bien qu'il fût né plus tard que Milton : royaliste d'opinion, il travailla pour le théâtre, et composa des poëmes, des satires et des élégies. Il abonde en traits d'esprit; sa versification manque, dit-on, d'harmonie; son style, souvent recherché, est cependant plus naturel et plus correct que celui de ses prédécesseurs.

Cowley nous attaque : depuis Surrey jusqu'à lord Byron, il n'y a peut-être pas un écrivain anglois qui n'insulte le nom, le caractère et le génie françois. Nous, avec une impartialité et une abnégation admirables, nous acceptons l'outrage: confessant humblement notre infériorité, nous célébrons à son de trompe l'excellence de tous les auteurs d'outre-mer nés ou à naître, petits ou grands, mâles ou femelles. Dans son poëme de la guerre civile, Cowley s'écrie :

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« Il n'en étoit pas ainsi quand Édouard soutenoit sa cause par une épée plus forte que la loi salique, alors que les François combattoient avec des cœurs de femme contre le droit des femmes. >>

Le roi Jean, Charny, Ribeaumont, Beaumanoir, les trente Bretons, Duguesclin, Clisson et cent mille autres, avoient des cœurs de femme. De tous les hommes qui ont illustré la Grande-Bretagne, celui qui m'attire le plus est lord Falkland: j'ai souhaité cent fois avoir été ce modèle accompli de lumières, de générosité, d'indépendance, de n'avoir jamais paru sur la terre dans ma propre forme et sous mon nom. Doué du triple génie des lettres, des armes et de la politique, fidèle aux muses sous la tente, à la liberté dans le palais, dévoué à un monarque infortuné, sans méconnoître les fautes de ce monarque, Falkland a laissé un souvenir mêlé de mélancolie et d'admiration. Les vers que Cowley lui adresse au retour d'une expédition militaire sont nobles et vrais le poëte commence par énumérer les vertus et les talens de son héros, puis il ajoute :

:

Such is the man whom we require, the same
We lent the north, untouch'd, as is his fame.
He is too good for war, and ought to be

As far from danger, as from fear he's free.
Those men alone,

Whose valour is the only art they know,
Were for sad war and bloody battles born;
Let them the state defend, and he adorn.

« Voilà l'homme que nous redemandons aux Écossois, tel que nous le leur avons prêté, exempt de blessures comme sa gloire. Trop bon pour la guerre, il doit être tenu aussi loin du danger qu'il l'est de la crainte. Les guerriers dont la valeur est le seul art..... sont nés pour la triste guerre et les batailles sanglantes: qu'ils défendent l'État et que Falkland l'embellisse. »

Inutiles vœux ! la vie au milieu des malheurs de son pays devint à charge à l'ami des muses. Sa tristesse se laissoit remarquer jusque dans la négligence de ses vêtements. Le matin de la première bataille de Naseby, on devina son dessein de mourir au changement de ses habits: il se para comme pour un jour de fête; il demanda du linge blanc : « Je ne veux pas, dit-il en souriant, que mon corps soit trouvé dans du linge sale: je prévois de grands malheurs, mais j'en serai dehors avant la fin de la journée. » Il se mit au premier rang du régiment de lord Byron une balle de la liberté qu'il aimoit l'affranchit des serments de l'honneur dont il étoit l'esclave.

Il reste quelques discours et quelques vers de Falkland: secrétaire d'État de Charles Ier, il rédigeoit avec Clarendon les proclamations royales. Il aida Chilling Worth dans son Histoire du Protestantisme.

La Bible, traduite en partie sous Henri VIII, fut retraduite sous Jacques II par les quarante-sept savants : cette dernière traduction est un chef-d'œuvre. Les auteurs de cette immense ouvrage firent pour la langue angloise ce que Luther fit pour la langue allemande, ce que les écrivains sous Louis XIII firent pour la langue françoise; ils la fixèrent.

ÉCRITS POLITIQUES SOUS CHARLES 1er ET CROMWELL.

Chercher les lettres dans les temps d'orage, c'est demander un abri à ces vallées paisibles que les poëtes placent au bord de la mer; mais si l'on est mené par quelque génie heureux dans ces retraites, d'autres esprits vous poussent au milieu de la tempête et des flots. La politique monte sur le trépied et se transforme en sibylle; les pamphlets, les libelles, les vers satiriques abondent, s'imprègnent de haine et sont écrits avec le sang des factions. Les guerres civiles d'Angleterre firent pulluler des productions déplorables.

Un de ces fanatiques que Butler a livrés au ridicule, s'écrie: << An alarm to all flesh, etc.

<< Howle, howle, bawl and roar, ye lust full, cursing, swearing, drunken, lewd, superstitious, devilish, sensual, earthly inhabitants of the whole earth; bow, bow, you most surly trees and lofty oaks; ye tall cedars and low shrubs, cry out aloud; hear, ye proud waves, and boistrous seas; also listen, ye uncircumcised, stiff-necked, and madraging bubbles, who even hate to be reformed. >>>

« Alarme à toute chair, etc.

<< Hurlez, hurlez, criez, beuglez, rugissez, ô vous, libidineux, maudits jureurs, ivrognes, impurs, superstitieux, diaboliques, sensuels habitants terrestres de la terre. Courbez-vous, courbez-vous, ô vous arbres très-dédaigneux; et vous, chênes élevés, vous, hauts cèdres et petits buissons, criez de toutes vos forces; écoutez, écoutez, vagues orgueilleuses, et vous, mers indomptables; écoutez aussi, vous, incir concis, écume roide, nue et enragée, qui haïssez la réforme. »> Les poëtes égaloient les orateurs.

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