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Cousin, soyez le bienvenu!

MACDUFF.

MALCOLM.

Je le reconnois à présent. Grand Dieu, renverse les obstacles qui nou! endent étrangers les uns aux autres!

ROSSE

Puisse votre souhait s'accomplir!

MACDUFF.

L'Écosse est-elle toujours aussi malheureuse?

ROSSE.

Hélas ! déplorable patrie! elle est presque effrayée de connoître ses propres maux. Ne l'appelons plus notre mère, mais notre tombe. On n'y voit plus sourire personne, hors l'enfant qui ignore ses malheurs. Les soupirs, les gémissements, les cris frappent les airs, et ne sont point remarqués. Le plus violent chagrin semble un mal ordinaire; quand la cloche de la mort sonne, on demande à peine pour qui.

Oh! récit trop véritable!

MACDUFF.

MALCOLM.

Quel est le dernier malheur?

ROSSE, à Macduff.

... Votre château est surpris; votre femme et vos enfants sont inhu mainement massacrés...

Mes enfants aussi?

MACDUFF.

ROSSE.

Femmes, enfants, serviteurs, tout ce qu'on a trouvé.

MACDUFF.

Et ma femme aussi?

ROSSE

Je vous l'ai dit.

MALCOLM.

Prenez courage; la vengeance offre un remède à vos maux. Courons, punissons le tyran.

Il n'a point d'enfants!

MACDUFF:

Ce dialogue rappelle celui de Flavian et de Curiace dans Corneille. Flavian vient annoncer à l'amant de Camille qu'il a été choisi pour combattre les Horaces.

CURIACE.

Albe de trois guerriers a-t-elle fait le choix?

FLAVIAN.

Je viens pour vous l'apprendre.

CURIACE.

Eh bien! qui sont les trois?

FLAVIAN.

Vos deux frères et vous.

CURIACE.

Qui?

FLAVIAN.

Vous et vos deux frères.

Les interrogations de Macduff et de Curiace sont des beautés da même ordre: Mes enfants aussi? - Femmes, enfants. - Et ma femme aussi? Je vous l'ai dit. EH BIEN! QUI SONT LES TROIS? VOS DEUX VOUS ET VOS DEUX FRÈRES. Mais le mot de

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FRÈRES ET VOUS.

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Shakespeare: Il n'a point d'enfants! reste sans parallèle.

Le même homme qui a tracé ce tableau a soupiré la scène charmante des adieux de Roméo et Juliette: Roméo, condamné à l'exil, est surpris par le jour naissant chez Juliette, à laquelle il est marié secrè

tement:

Will thou be gone? It is not yet near day :

It was the nightingale, and not the lark

That pierced the fearful hollow of thine ear, etc.

JULIETTE.

• Veux-tu déjà partir? Le jour ne paroît point encore: c'étoit le rossignol et non l'alouette dont la voix a frappé ton oreille alarmée : 11 chante toute la nuit sur cet oranger lointain. Crois-moi, mon jeune époux, c'étoit le rossignol.

ROMÉO.

C'étoit l'alouette qui annonce l'aurore, ce n'étoit pas le rossignol. Regarde, ô mon amour! regarde les traits de lumière qui pénètrert les nuages dans l'orient. Les flambeaux de la nuit s'éteignent, et le

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jour se lève sur le sommet vaporeux des montagnes. Il faut ou partir et vivre, ou rester et mourir.

JULIETTE.

La lumière que tu vois là-bas n'est pas celle du jour : c'est quelque météore qui te servira de flambeau et t'éclairera sur la route de Manloue. Reste encore; il n'est pas encore nécessaire que tu me quittes. ROMÉO.

Eh bien, que je sois arrêté! que je sois conduit à la mort! si tu le désires, je suis satisfait. Je dirai : « Cette blancheur lointaine n'est pas celle du matin; ce n'est que le pâle reflet de la lune; ce n'est pas l'alouette dont les chants retentissent si haut au-dessus de nos têtes, dans la voûte du ciel! » Ah! je crains moins de rester que de partir. Viens, o mort! Mais que regardes-tu, ma bien-aimée? Parlons, parlons encore ensemble; il n'est pas encore jour!

JULIETTE.

Il est jour! il est jour! Fuis, pars, éloigne-toi! C'est l'alouette qui chante; je reconnois sa voix aiguë. Ah! dérobe-toi à la mort : la lumière croît de plus en plus. »

Ce contraste des charmes au matin et des derniers plaisirs des deux jeunes époux avec la catastrophe qui va suivre est bien touchant : le sentiment dramatique en est plus naïf encore que celui des pièces grecques, et moins pastoral que celui des tragi-comédies italiennes. Je ne connois qu'une scène indienne de quelque ressemblance lointaine avec la scène de Roméo et Juliette; encore n'est-ce que par la fraîcheur des images, la simplicité des regrets et des adieux, nullement par l'intérêt de la situation. Sacontala, prête à quitter le séjour paternel, se sent arrêtée par son voile.

SACONTALA.

« Qui saisit ainsi les plis de mon voile?

UN VIEILLARD.

C'est le chevreau que tu as tant de fois nourri des grains du synmaka. Il ne veut pas quitter les pas de sa bienfaitrice.

SACONTALA.

Pourquoi pleures-tu, tendre chevreau? Je suis forcée d'abandonner notre commune demeure. Lorsque tu perdis ta mère, peu de temps après ta naissance, je te pris sous ma garde. Retourne à ta crèche, pauvre jeune chevreau; il faut à présent nous séparer. »

La scène des adieux de Roméo et de Juliette n'est point indiquée dans Bandello, elle appartient à Shakespeare. Bandello raconte en peu de mots la séparation des deux amants.

A la fine cominciando l'aurora a voler uscire, si basciarono, estrettamente abbraciarono gli amanti, e pieni di lagrime e sospiri si dissero adio.

« Enfin, l'aurore commençant à paroître, les deux amants se baisèrent et s'embrassèrent étroitement, et, pleins de larmes et de soupirs, ils se dirent adieu.»

SUITE DES CITATIONS.

FEMMES.

Rapprochez lady Macbeth et Marguerite de Desdémone, d'Ophelia, de Miranda, de Cordelia, de Jessica, de Perdita, d'Imogène, et vous serez émerveillés de la souplesse du talent du poëte. Ces jeunes femmes ont une idéalité ravissante : le vieux roi Lear, aveugle, dit à sa fidèle Cordelia : « Quand tu me demanderas ma bénédiction, je me mettrai à genoux et je te demanderai pardon; nous vivrons ainsi en priant et en chantant. »

Ophelia, bizarrement parée de brins de paille et de fleurs, prenant son frère pour Hamlet qu'elle aime et qui a tué son père, lui adresse ces paroles : « Voilà du romarin; c'est pour la mémoire : je vous en prie, cher amour, souvenez-vous de moi. . . . . . Je vous donnerois bien des violettes, mais elles se sont toutes fanées quand mon père est mort. »

Dans Hamlet, dans cette tragédie des aliénés, dans ce Bedlam royal, où tout le monde est insensé et criminel, où la démence simulée se joint à la démence vraie, où le fou contrefait le fou, où les morts euxmêmes fournissent à la scène la tête d'un fou; dans cet odéon des ombres, où l'on ne voit que des spectres, où l'on n'entend que des rêveries, que le qui vive des sentinelles, que le criaillement des oiseaux de nuit et le bruit de la mer, Gertrude raconte qu'Ophelia s'est noyée. « Au bord du ruisseau croît un saule qui réfléchit son feuillage gris dans le cristal de l'onde. Elle fit avec ce feuillage de capricieuses guir

landes entrelacées de coquelicots, d'orties, de marguerites et de ces longues fleurs pourpres que nos simples bergers appellent d'un nom grossier, mais que nos froides vierges nomment des doigts de mort. Là, grimpant pour attacher aux rameaux pendants sa couronne d'herbes sauvages, une jalouse éclisse se rompt; Ophelia et son trophée rustique tombent dans le ruisseau en pleurs; ses robes s'étalent larges, et la soutiennent un moment semblable à une mermaid1. Pendant ce temps, elle chantoit des morceaux de vieilles ballades, comme une personne incapable de sentir son propre péril, ou comme une créature née et revêtue de l'élément qu'elle habite. Mais cela ne pouvoit durer; ses vêtements, appesantis par l'eau qu'ils avoient bue, entraînèrent la pauvre infortunée de ses lais mélodieux à une fangeuse mort: From melodious lay to muddy death. »

On apporte le corps d'Ophelia dans le cimetière. La coupable reine s'écrie: « Des parfums au parfum! adieu! Sweets to sweet! Farewell ! » Elle répand des fleurs sur le corps de la jeune fille. « J'avois espéré que tu serois la femme de mon Hamlet; je pensois, aimable fille, que je semerois de fleurs ton lit nuptial et non ton cercueil. »

C'est un enchantement que tout cela.

Othello, au milieu de son délire, dit à Desdémone : « O toi, fleur des bois, qui es si belle et exhales un parfum si doux! ton approche enivre les sens!... je voudrois que tu ne fusses jamais née... >>

Le Maure, prêt à tuer sa femme endormie, s'approche du lit : « Je veux respirer encore la rose sur sa tige... encore un baiser; encore un! Sois telle que tu es là quand tu seras morte, et je veux te tuer et je t'aimerai après. I will kill thee, and love thee after. »

Dans Le Conte d'Hiver, on retrouve la même grâce appliquée au bonheur. Perdita s'adressant à Florizel :

« Et vous, le plus beau de mes amis, je voudrois bien avoir quelques fleurs de printemps qui pussent aller avec votre jeunesse... Je suis dépourvue de toutes les fleurs dont je voudrois entrelacer les festons pour vous en couvrir tout entier, vous, mon doux ami. »>

Florizel répond :

<< Quand vous parlez, je voudrois vous entendre parler toujours; si vous chantez, je voudrois vous entendre chanter toujours; je voudrois vous voir donner l'aumône, prier, régler votre maison, tout faire en chantant. Lorsque vous dansez, je voudrois que vous fussiez une vague de la mer toujours mobile. »

Dans Cymbeline, Imogène est accusée d'infidélité par Posthumus:

1. Vierge de la mer, fée de mer, sirène.

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