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cester écrivoit du duc d'York: et ARRIVAVIT apud Redbanke prope Cestriam, « et il ARRIVA chez Redbank près Chester. » Jean Rous dit que le marquis de Dorset et le chevalier Thomas Grey furent obligés de prendre la fuite, pour avoir machiné la mort du duc (le duc d'York, régent sous Henri VI), protecteur des Anglois, quod ipsi CONTRIVISSENT mortem ducis protectoris Angliæ. CONTRIVE, mot anglois, machiner.

Quelquefois les deux langues alternent dans la même pièce de vers et riment ensemble; les jongleurs vantoient incessamment le bean françois; ils célébroient

Mainte belle dame courtoise
Bien parlant en langue françoise.

Il est, disoient-ils,

Il est sages, biaux et courtois
Et gentiel hom de par françois
Miex valt sa parole françoise
Que de Glocestre la ricoise.
Seiez de bouere et cortois
Et sachez bien parler françois.

Le françois amenoit toujours à la rime le courtois, à la grande déplaisance des Anglo-Saxons.

Édouard Ier écouta très-respectueusement la lecture d'une bulle latine de Boniface VIII, et ordonna de la traduire en françois, parce qu'il ne l'avoit pas comprise.

Pierre de Blois nous apprend qu'au commencement du xi• siècle Gillibert ne savoit pas l'anglois; mais, versé dans le latin et le françois, il prêchoit au peuple les dimanches et fêtes. Wadington, historien poëte du xm siècle, déclare qu'il écrit ses ouvrages en françois, non en anglois, afin d'être mieux entendu des petits et des grands; preuve que l'idiome étranger étoit prêt à étouffer l'ancien idiome du pays.

On trouve en manuscrit dans la bibliothèque harleyenne une grammaire françoise et épistolaire pour tous les états; une autre en vers françois, et un glossaire roman-latin.

On traduisoit quelquefois en anglois les ouvrages écrits en françois c'étoit, comme le disoient les poëtes, par commisération pour les lewed, la classe basse et ignorante.

For lewed men I undyrtoke

In onglyshe tonge to make this boke.

Les pauvres scaldes, battus par les trouvères des vainqueurs, et retirés au sein des vaincus, travailloient à reprendre le dessus au

moyen des masses. Ils chantoient les aventures plébéiennes et mettoient en scène, dans une suite de tableaux, Peter Ploughman. Ainsi se partageoient les deux muses et les deux peuples. La muse nationale reprochoit au gentilhomme de ne se servir que du françois :

French use this gentleman

And never english can.

« Ce gentilhomme ne fait usage que du françois, et jamais de l'anglois. D

Un proverbe disoit : « Il ne manque à Jacques pour jouer le seigneur que de savoir le françois. >>

Ces divisions venoient de loin. Le comte anglo-saxon Guallève (c'est le célèbre Waltheof) avoit été décapité, sous le règne du conquérant, pour s'être associé à la conspiration de Roger, comte de Hereford, et de Ralph, comte de Norfolk. Guallève, comte de Northampton, étoit fils de Siward, duc de Northumbrie. Son corps fut transporté à Croyland par l'abbé Ulfketel. Quelques années après, le corps ayant été exhumé, on le trouva entier et la tête réunie au tronc : une petite ligne rouge indiquoit seulement au cou le passage du fer; à ce collier du martyre, les Anglo-Saxons reconnurent Guallève pour un saint. Les Normands se moquoient du miracle. Audin, moine de cette nation, s'écrioit que le fils de Siward n'avoit été qu'un méchant traître, justement puni : Audin mourut subitement d'une colique.

L'abbé Goisfred, successeur d'Ingulf, eut une vision : une nuit il aperçut au tombeau du comte l'apôtre Barthélemy, et Guthlac l'anachorète, revêtus d'aubes blanches. Barthélemy tenant la tête de Guallève, remise à sa place, disoit : « Il n'est pas décapité. » Guthlac, placé aux pieds de Guallève, répondoit : « Il fut comte. » L'apòtre répliquoit : « Maintenant il est roi. » Les populations anglo-saxonnes accouroient en pèlerinage au tombeau de leur compatriote. Cette histoire fait voir d'une manière frappante la séparation et l'antipathie des deux peuples. (Orderic Vital.)

Enfin, selon Milton, l'usage du françois remonte beaucoup plus haut, car il en fixe la date au règne d'Édouard le Confesseur. « Alors, dit-il, les Anglois commencèrent à laisser de côté leurs anciens usages et à imiter les manières des François dans plusieurs choses; les grands à parler françois dans leurs maisons, à écrire leurs actes et leurs lettres en françois, comme preuve de leur politesse, honteux qu'ils étoient de leur propre langage; présage de leur sujétion prochaine à un peuple dont ils affectoient les vêtements, les coutumes et le langage.» (Hist. of Eng., lib. VI.)

RETOUR PAR LA LOI A LA LANGUE NATIONALE.

Édouard III, au moment où le françois prenoit le dessus par les victoires mêmes de ce monarque, par la permanence des armées angloises sur le sol françois, par l'occupation des villes enlevées à notre patrie, Édouard, ayant besoin de la pédaille et de la ribaudaille angloises, accorda l'usage de l'idiome insulaire dans les plaidoiries civiles; toutefois les arrêts résultant de ces plaidoiries se rendoient toujours en françois. L'acte même du parlement de 1362, qui ordonne de se servir à l'avenir de l'idiome anglois, est rédigé en françois. Les fléaux du ciel furent obligés de se mêler à la puissance des lois pour tuer la langue des vainqueurs: on remarque que le françois commença à décliner dans la grande peste de 1349.

Tandis qu'Édouard toléroit, dans son intérêt, un usage fort borné de l'anglo-saxon, lui et sa cour continuoient à parler françois. Il étoit fils d'une princesse de France, au nom de laquelle il réclamoit la couronne de saint Louis sur les champs de bataille, on n'aperçoit aucune différence entre les combattants; dans les deux armées, les frères sont opposés aux frères, les pères aux enfants; Créci, Poitiers, Azincourt, ne présentent que les désastres d'une vaste guerre civile. Philippine de Hainaut, femme d'Édouard III, parloit françois; elle avoit Froissart pour secrétaire, et le curé de Lestines écrivoit dans un françois charmant les amours d'Édouard et d'Alix de Salisbury.

Les convives du vœu du héron parlent françois : le trop fameux Robert d'Artois est le héros de la fête.

Édouard, entre les mains de Philippe de Valois, avoit accepté par le mot voire (oui) ce serment françois qu'il viola : « Sire, vous devenez homme du roi de France, mon seigneur, de la Guienne et de ses appartenances, que vous reconnoissez tenir de lui, comme pair de France, selon la forme des paix faites entre ses prédécesseurs et les vôtres, selon ce que vous et vos ancêtres avez fait pour le même duché à ses devanciers rois de France. »

Après la bataille de Créci, on fit le recensement des morts; c'est un Anglois, Michel de Northburgh, qui parle de la sorte (Avesburg hist.): « Fusrent mortz le roi de Beaume (de Bohême), le ducz de Loreigne, le counte d'Alescun (d'Alençon), le counte de Flandres, le counte de Bloys, le counte de Harcourt et ses II filtz; et Phelippe de Valois et le markis qu'est appelé le Elitz (Elu) du Romayns, eschappèrent navfrés, à ceo qe homme (on) dist. La summe des bones gentz d'armes qi

fusrent mortz en le chaumpe à ceste jour, sans comunes et pédailles (gens de pied), amonte à mille DXLII acomptés. »

Les Anglois, en faisant en françois le dénombrement des morts de l'armée françoise purent se souvenir qu'ils n'avoient pas toujours été vainqueurs, et qu'ils conservoient dans leur langue la preuve même de leur asservissement et de l'inconstance de la fortune.

Dans les actes de Rymer, les originaux depuis l'an 1101 jusque vers l'an 1460 sont presque exclusivement latins et françois. Les nombreux statuts des règnes de Henri IV, Henri V, Henri VI et Édouard IV, furent composés, transcrits sur les rôles et promulgués en françois. Il faut descendre aussi bas que l'an 1425 pour trouver le premier acte anglois de la chambre des communes. Cependant, lorsque Henri V assiégeoit Rouen, en 1418, les ambassadeurs qu'il sembloit vouloir envoyer aux conférences du Pont-de-l'Arche déclinèrent la mission sous prétexte qu'ils ignoroient la langue du pays; mais ce fait n'a aucune valeur: Henri ne vouloit pas la paix. Après sa mort, on voit les soldats de son armée s'exprimer dans la même langue que la Pucelle, et déposer comme témoins à charge dans le procès de cette femme héroïque.

Enfin, le parlement, convoqué le 20 janvier 1483 à Westminster, sous Richard III, rédigea les bills en anglois, et son exemple fut suivi par les parlements qui lui succédèrent. Il n'a tenu à rien que les trois royaumes de la Grande-Bretagne ne parlassent françois : Shakespeare auroit écrit dans la langue de Rabelais.

CHAUCER. BOWER. BARBOUR.

En même temps que les tribunaux retournèrent par ordonnance au dialecte du sol, Chaucer fut appelé à réhabiliter la harpe des bardes; mais Bower, son devancier de quelques années, et son rival, composoit encore dans les deux langues: il réussissoit beaucoup mieux en françois qu'en anglois. Froissart, contemporain de Bower, n'a rien qui puisse se comparer pour l'élégance et la grâce à cette ballade du poëte d'outre-mer:

Amour est chose merveileuse

Dont nul porra avoir le droit certain :
Amour de soi est la foi trichereuse
Qui plus promet, et moins aporte en mains

Le riche est povre, et le courtois vilain,
L'épine est molle et la rose est ortie,
En toutz errours l'amour se justifie.

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La langue angloise de Chaucer est loin d'avoir ce poli du vieux françois, lequel a déjà quelque chose d'achevé dans ce petit genre de littérature. Cependant l'idiome du poëte anglo-saxon, amas hétérogène de patois divers, est devenu la souche de l'anglois moderne.

Courtisan, lancastrien, wiclefiste, infidèle à ses convictions, traître à son parti, tantôt banni, tantôt voyageur, tantôt en faveur, tantôt en disgrâce, Chaucer avoit rencontré Pétrarque à Padoue: au lieu de remonter aux sources saxonnes, il emprunta le goût de ses chants aux troubadours provençaux et à l'amant de Laure, et le caractère de ses contes à Boccace.

Dans La Cour d'amour, la dame de Chaucer lui promet le bonheur au mois de mai tout vient à point à qui sait attendre. Le 1er mai arrive les oiseaux célèbrent l'office en l'honneur de l'amour du poëte, menacé d'être heureux : l'aigle entonne le Veni, Creator, et le rossignol soupire le Domine, labia mea aperies.

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Le Plough-man (toujours le canevas du vieux Pierre Plowman) a de la verve : le clergé, les leadies et les lords sont l'objet de l'attaque du poëte :

Suche as can nat ysay ther Crede,
With prayer shul be made prelates:
Nother canne thei the Gospell rede,
Suche shul now weldin hie estates.

There was more mercy in Maximine
And Nero, that never was gode,
Than there is now in some of them,
Whan he hath on his furred hode.

Tel qui ne sait pas son Credo est fait prélat par des sollicitations; tel qui ne peut pas lire l'Évangile est pourvu d'un riche état forestier. Il y avoit plus d'humanité dans Maxime et dans Néron, qui ne fut

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