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de toutes les catégories, depuis l'hérésiarque écorché et brûlé vif, jusqu'aux adultères attachés nus l'un à l'autre et promenés au milieu de la foule; le uge prévaricateur substituant à l'homicide riche condamné un prisonnier innocent; pour dernière confusion, pour dernier contraste, la vieille société, civilisée à la manière des anciens, se perpétuant dans les abbayes; les étudiants des universités faisant renaître les disputes philosophiques de la Grèce; le tumulte des écoles d'Athènes et d'Alexandrie se mêlant au bruit des tournois, des carrousels et des pas d'armes; placez, enfin, au-dessus et en dehors de cette société si agitée un autre principe de mouvement, un tombeau objet de toutes les tendresses, de tous les regrets, de toutes les espérances, qui attiroit sans cesse au delà des mers les rois et les sujets, les vaillants et les coupables; les premiers pour chercher des ennemis, des royaumes, des aventures; les seconds pour accomplir des vœux, expier des crimes, apaiser des remords: voilà tout le moyen âge.

L'Orient, malgré le mauvais succès des croisades, resta longtemps pour les peuples de l'Europe le pays de la religion et de la gloire; ils tournoient sans cesse les yeux vers ce beau soleil, vers ces palmes de l'Idumée, vers ces plaines de Rama où les infidèles se reposoient à l'ombre des oliviers plantés par Baudoin, vers ces champs d'Ascalon qui gardoient encore les traces de Godefroi de Bouillon, de Coucy, de Tancrède, de Philippe-Auguste, de Richard Cœur de Lion, de saint Louis, vers cette Jérusalem un moment délivrée, puis retombée dans ses fers, et qui se montroit à eux comme à Jérémie, insultée des passants, noyée de ses pleurs, privée de son peuple, assise dans la solitude.

Tels furent ces siècles d'imagination et de force qui marchoient avec cet attirail au milieu des événements les plus variés, au milieu des hérésies, des schismes, des guerres féodales, civiles et étrangères; ces siècles doublement favorables au génie ou par la solitude des cloîtres, quand on la recherchoit, ou par le monde le plus étrange et le plus divers, quand on le préféroit à la solitude. Pas un seul point où il ne se passât quelque fait nouveau, car chaque seigneurie laïque ou ecclésiastique étoit un petit État qui gravitoit dans son orbite et avoit ses phases; à dix lieues de distance, les coutumes ne se ressembloient plus. Cet ordre de choses, extrêmement nuisible à la civilisation générale, imprimoit à l'esprit particulier un mouvement extraordinaire: aussi toutes les grandes découvertes appartiennent -elles à ces siècles. Jamais l'individu n'a tant vécu : le roi rêvoit l'agrandissement de son empire, le seigneur la conquête du fief de son voisin, le bourgeois l'augmentation de ses privi

léges, et le marchand de nouvelles routes à son commerce. On ne connoissoit 'le fond de rien; on n'avoit rien épuisé; on avoit foi à tout; on étoit à l'entrée et comme au bord de toutes les espérances, de même qu'un voyageur sur une montagne attend le lever du jour dont il aperçoit l'aurore. On fouilloit le passé ainsi que l'avenir; on découvroit avec la même joie un vieux manuscrit et un nouveau monde; on marchoit à grands pas vers des destinées ignorées, comme on a toute sa vie devant soi dans la jeunesse. L'enfance de ces siècles fut barbare, leur virilité pleine de passion et d'énergie, et ils on laissé leur riche héritage aux âges civilisés qu'ils portèrent dans leur sein fécond.

PREMIÈRE PARTIE.

PREMIÈRE ET SECONDE ÉPOQUE

DE LA LITTÉRATURE ANGLOISE.

LITTÉRATURE SOUS LE RÈGNE DES ANGLO-SAXONS, DES DANOIS, ET PENDANT LE MOYEN AGE.

DES ANGLO-SAXONS A GUILLAUME LE CONQUÉRANT. - BRETONS.

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Entrons maintenant dans les diverses époques de la langue et de la littérature angloises. Le lecteur placera facilement sur le tableau que je viens de tracer les auteurs et leurs ouvrages à mesure que je les ferai passer devant ses yeux. Il s'agit d'abord de l'époque anglosaxonne; mais avant de nous en occuper voyons s'il ne reste aucune trace de la langue des Bretons sous la domination romaine.

César ne nous parle que des mœurs de ces insulaires. Tacite nous a conservé quelques discours des chefs bretons; j'omets la harangue de Caractacus à Claude, et ne citerai, en l'abrégeant, que le discours de Galgacus dans les montagnes de la Calédonie :

...

« Le jour de votre liberté commence... La terre nous manque et le refuge de la mer nous est interdit par la flotte romaine; il ne nous reste que les armes. Dans le lieu le plus retiré de nos déserts, n'apercevant pas même de loin les rivages assujettis, nos regards n'ont point été souillés du contact de la domination étrangère. Placés aux extrémités de la terre et de la liberté, jusqu'à présent la renommée de notre solitude et de ses replis nous a défendus: à présent les bornes de la Bretagne apparoissent. Tout ce qui est inconnu est magnifique; mais au delà de la Calédonie, aucune nation à chercher, rien, hormis les flots et les écueils, et les Romains sont arrivés jusqu'à nous.

« ... Dans la famille des esclaves, le dernier venu est le jouet de ses compagnons : nous, les plus nouveaux, et conséquemment les plus méprisés dans cet univers de la vieille servitude, nous ne pourrions attendre que la mort, car nous n'avons ni guérets, ni mines, ni ports où l'on puisse user nos bras. Courage donc, vous qui chérissez la vie ou la gloire! Les épouses des Romains ne les ont point suivis; leurs pères ne sont pas là pour leur faire honte de la fuite : ils regardent en tremblant ce ciel, cette mer, ces forêts qu'ils n'ont jamais vus. Enfermés et déjà vaincus, nos dieux les livrent entre nos mains... Ici votre chef, ici votre armée; là le tribut, les travaux, les souffrances de l'esclavage des maux éternels ou la vengeance sont pour vous dans ce champ de bataille. Marchez au combat! pensez à vos ancêtres et à votre postérité. »

Après Tacite, qui a paraphrasé quelques mots de Galgacus conservés par tradition dans les camps romains, un abîme se creuse : on traverse quinze siècles avant d'entendre parler de nouveau du génie des Bretons, et encore comment! Macpherson transportant en Écosse le barde irlandois Ossian, défigurant la véritable histoire de Fingal, cousant trois ou quatre lambeaux de vieilles ballades à un mensonge, nous représente un poëte de la Calédonie tout aussi réellement que Tacite nous en a représenté un guerrier. Puisque après tout nous n'avons qu'Ossian; puisque les fragments qu'on pourroit donner comme venant des bardes appartiennent plutôt aux diverses espèces de chanteurs que je rappellerai tout à l'heure, il faut bien faire usage du travail de Macpherson. Mais comme les poëmes que John Smith ajouta à ceux qu'avoit publiés le premier éditeur du barde écossois sont moins connus, j'en extrairai de préférence quelques passages.

<< Filles des champs aériens de Trenmor, préparez la robe de vapeur transparente et colorée. Dargo, pourquoi m'avois-tu fait oublier Armor? Pourquoi l'aimois-je tant? Pourquoi étois-je tant aimée? Nous étions deux fleurs qui croissoient ensemble dans les fentes du rocher; nos têtes humides de rosée sourioient aux rayons du soleil. Ces fleurs avoient pris racine dans le roc aride. Les vierges de Morven disoient : Elles sont solitaires, mais elles sont charmantes. Le daim, dans sa course, s'élançoit par-dessus ces fleurs, et le chevreuil épargnoit leurs tiges délicates.

« Le soleil de Morven est couché pour moi. Il brilla pour moi ce soleil dans la nuit de mes premiers malheurs, au défaut du soleil de ma patrie; mais il vient de disparoître à son tour; il me laisse dans une ombre éternelle. >>

Dargo, pourquoi t'es-tu retiré si vite? »...

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