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» perdu. Leur suffrage en entraîna plu » sieurs. Depuis, le célèbre Addisson écri>> vit en forme pour prouver que ce poè>> me égalait ceux de Virgile et d'Home>> re; les Anglais commencèrent à se le » persuader, et la réputation de Milton fut >> fixée. »>

Il y a quelques erreurs dans ce récit de Voltaire.

« Tout ce qui avait quelque rapport à la religion était alors passé de mode. » Oui, sans doute, à la cour de Charles II, dans laquelle on n'admirait que les poésies efféminées de Waller, le clinquant de Cowley, et les satires licentieuses du comte de Rochester; mais cette indifférence religieuse ne régnait pas encore dans la partie la plus nombreuse du peuple anglais, qui fait seule les réputations littéraires. La raison que donne Voltaire explique bien pourquoi le Paradis perdu ne réussit pas à la cour; mais n'indique point la cause de son peu de succès dans les autres classes de la société.

« Thompson lui donna trente pistoles. » Ce fut un libraire, nommé Samuel Simmons, qui acheta le manuscrit du Paradis perdu cinq livres sterling (120 fr. de notre monnaie), en s'obligeant de payer à l'auteur la même somme lorsqu'il aurait vendu treize cents exemplaires de son édition.

« Il resta pauvre. » Milton, en mourant, laissa 1500 livres sterling à ses héritiers, c'està-dire 32,000 fr. (1). Plusieurs de nos poètes actuels, qui vivent dans une honorable aisance, seraient bien embarrassés de réaliser une pareille somme. La lecture de Voltaire est toujours agréable, souvent instructive, surtout dans ce qui concerne cette partie de la littérature qui tient au goût et aux bonnes études; mais il faut un peu se défier des anecdotes qu'il raconte, parce qu'il comptait

(1) Si l'on considère l'époque où vivait Milton, cette somme représente au moins le double de la valeur qu'elle aurait aujourd'hui.

quelquefois un peu trop sur sa mémoire.

Depuis Voltaire, plusieurs hommes de lettres ont cherché à découvrir les causes qui se sont opposées, du vivant de Milton, au succès de son poème. M. Michaud, l'un des éditeurs de la traduction du Paradis perdu, a commencé la préface qu'il a placée en tête de son édition par ces mots :

« Le Paradis perdu est resté long-temps inconnu en Angleterre. Milton fut méprisé et haï de ses contemporains. Son siècle ne connut que ses opinions insensées, et il ne vit point la beauté de son génie. >>

Voilà une décision bien dure et bien tranchante. M. Michaud a fait preuve d'un talent distingué en plus d'un genre, et il était digne de lui de parler avec moins d'irrévérence d'un homme tel que Milton. La vie privée de ce grand poète n'offre rien qui puisse justifier ces assertions de haine et de mépris. L'histoire du temps est restée muette à cet égard. L'opinion de M. Michaud est évidemment

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MÉLANGES DE LITTÉRATURE.

fausse, puisqu'elle est dénuée de preuves.

Mais si Milton ne fut ni haï ni méprise de ses contemporains, si l'influence de la cour de Charles II, livrée à la mollesse et à la dissipation, ne fut point un obstacle au succès du Paradis perdu, quelles furent donc les causes de l'oubli où ce poème a été condamné pendant tant d'années?

Avant de répondre à cette question, je crois qu'il convient de jeter un coup-d'œil rapide sur la vie de Milton, en marquant soigneusement les dates des époques où parurent ses ouvrages. J'examinerai ensuite quelle était la situation morale de l'Angleterre à chacune de ces diverses époques, et je tâcherai de fixer, par des raisonnements solides et des faits incontestables, les motifs qui enlevèrent à Milton la consolation de jouir avant sa mort de a gloire qu'il avait si bien méritée.

PRÉCIS

DE

LA VIE DE MILTON (1).

La famille de Milton descendait des pro-. priétaires de la terre de Milton, située près de Thame, dans le comté d'Oxford. Cette terre fut réunie au fisc pendant les troubles occasionés par les divisions des maisons d'York et de Lancastre.

Le grand-père de notre poète, catholique zélé, déshérita son fils Jean, qui avait abandonné la religion de ses pères. Jean fut obligé

(1) A complete edition of the poets of Great-Britain, vol. the fifth, London.

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