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Le ton de cette lettre, et les efforts évidents de l'écrivain pour conserver la gaîté habituelle de son caractère, m'ont prouvé que l'ascendant de la jeune Polonaise l'emporte dans le cœur du major sur toute autre considération; il est subjugué, rien n'est plus sûr ; il est aveuglé par la passion; et je crains qu'il ne fasse un choix dont il ait quelque jour à se repentir. Le consentement de Kerkabon ne m'a point étonné. Sa bonté et sa candeur ne lui permettent pas les piéde soupçonner ges qu'on peut tendre à sa bonne foi, et il est de tous les hommes celui qu'une femme artificieuse pourrait le plus aisément tromper. Pour moi, qui vois peu de franchise dans la conduite de ces deux Polonaises, j'ai cru remplir le devoir d'un ami en adressant à Floranville la réponse suivante :

<< Mon cher major, ne craignez point que je me permette aucune plaisanterie sur la résolution que vous avez prise, un peu brusquement peut-être, d'épouser la jeune personne dont vous êtes bien et dûment amoureux. Toutes les railleries sur le compte des maris

sont bien usées, et il faudrait plus d'esprit que la nature ne m'en a donné pour les rendre piquantes. Je regarde d'ailleurs le mariage comme une noble institution, et comme la base essentielle de toute société civilisée. Cette union inviolable des coeurs, qui met en commun les plaisirs et les peines, la bonne et la mauvaise fortune, porte à mes yeux un caractère touchant et solennel.

>> Mais, plus le mariage est une affaire importante, plus il influe sur la destinée de notre vie, et plus il faut apporter de précautions dans le choix d'une compagne. La beauté est sans doute un grand avantage; mais elle ne suffit pas pour assurer le bonheur d'un mari et pour fixer la paix dans un ménage. C'est surtout le caractère d'une femme qu'il faut étudier ; c'est par un bon caractère qu'elle s'honore elle-même et qu'elle honore son époux. Si dans son enfance elle a contracté le goût des petitesses, si les plaisirs de la vanité lui sont nécessaires, si elle oublie dans la prospérité que tous les hommes sont exposés aux revers de la fortune, et si elle ne met aucun terme

à ses profusions, elle finit par inspirer le dégoût, ou du moins l'indifférence, et devient le fléau d'une famille dont elle eût pu être l'ornement et la consolation.

» Il est encore des convenances dont on ne doit jamais s'écarter. Il est nécessaire qu'un homme qui s'unit pour la vie à une femme connaisse bien ses parents, ses relations, et la conduite qu'elle a tenue depuis son enfance. Il ne faut pas, sur ces points essentiels, s'en fier aux apparences. Dans un cas pareil, je voudrais prendre les informations les plus exactes, surtout si la personne dont il serait question était étrangère, et que je dusse à un simple hasard la liaison que j'aurais formée avec elle. Pesez bien toutes ces réflexions, mon cher Floranville: elles sont dictées par l'intérêt que je prends à votre bonheur, et à tout ce qui concerne la famille du meilleur des hommes et de mon plus ancien ami.

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CHAPITRE XII.

SUR LE MARIAGE.

Il faut que j'instruise le bénévole lecteur de ce qui s'est passé hier chez Kerkabon. C'était le jour de notre assemblée. Floranville était absent, parce qu'il a beaucoup d'affaires dans ce moment-ci. Ce pauvre garçon est tellement occupé de son mariage, qu'il n'a pas le loisir de penser à autre chose; et je crois que cette idée dominante lui fait négliger jusqu'au soin de sa toilette; enfin, depuis que l'amour s'avise de tourner des têtes, il n'avait pas exercé son pouvoir d'une manière plus absolue.

Cela ne nous a pas empêchés de faire honneur au dîner du philosophe, qui était encore plus gai qu'à l'ordinaire. On se doute la conversation a roulé entièrement

bien que

sur le mariage de Floranville. Comme je suis en possession de dire franchement ce que je pense, je me permis de faire à ce sujet les réflexions suivantes :

FREEMAN.

Je n'aurais jamais imaginé que le major fût capable de faire la folie de se marier. Lorsqu'un homme a passé quarante-cinq ans, il devrait être assez raisonnable pour savoir qu'il n'est plus dans l'âge de faire naître un sentiment de tendresse dans le coeur d'une jeune fille; et sans un amour réciproque le mariage ne produit en général que le mécon tentement et le dégoût. Il est même quelquefois suivi de ces accidents trop communs, dont le monde aime à rire, et qui n'en sont pas moins une source de peines et de regrets. Lorsqu'à l'âge où l'on peut prétendre à plaire, vous avez épousé une femme qui vous aime, il est permis d'espérer que la force de ce premier sentiment ne s'affaiblira jamais au point de rendre deux époux indifférents l'un à l'autre; il ne conserve pas long-temps toute sa vivacité ; mais l'habitude de vivre ensemble,

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