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L'ENVIE.

Allons! je vois bien que tu n'es pas heureux. Encore un mot, et je me retire. As-tu une maîtresse ?

L'AUTEUR.

Oui! une maîtresse vaporeuse.

L'ENVIE.

Cela suffit. Je te plaindrais si je n'étais pas l'Envie. Je suis contente. Prends une feuille de papier, et hâte-toi d'écrire le certificat que je veux bien t'octroyer. Je t'ordonne de le faire connaître au public pour la satisfaction de mes amis, et pour ta propre sû

reté.

L'AUTEUR.

Me voilà prêt.

L'ENVIE.

«D'autant qu'il est avéré, constaté, recon-

nu, prouvé..... »

L'AUTEUR.

Où avez-vous pris ce style d'avoué?

L'ENVIE.

C'est au barreau, où je me trouve souvent avec ma sœur la Discorde. Continue.

Prouvé.

L'AUTEUR.

L'ENVIE.

«Par faits certains, positifs, authentiques, incontestables, que Jean- Nicolas ne possède ni fortune, ni dignités, et n'est en faveur chez aucune puissance; qu'il a été bien et dûment sifflé en plein théâtre; que ledit Nicolas peut aspirer tout au plus à l'honneur de lire quelques rapsodies de sa composition à la société philotechnique; enfin, qu'il n'est point heureux, et ne le sera probablement jamais; je défends à tous mes féaux et zélés serviteurs, savoir, aux faiseurs de libelles, aux compilateurs de scandale, aux calomniateurs anonymes ou pseudonymes, aux barbouilleurs de

caricatures, de troubler le repos du susdit Nicolas, à moins qu'il n'obtienne par hasard un succès impardonnable. »

A ces mots, les serpents de l'Envie se dressent, et se mettent à siffler en choeur d'opéra. L'affreuse déesse me lance un regard de travers, jette un cri terrible, et disparaît dans un épais nuage, dont l'odeur empoisonnée pensa me suffoquer.

CHAPITRE X.

LA FÊTE DE FAMILLE.

Il y a huit jours que je reçus le billet sui

vant:

« Polycarpe Duhamel à Nicolas Freeman, » salut. C'est après-demain la Saint-Poly» carpe, jour de ma fête. Madame Duhamel, » suivant l'ancien usage, dont elle ne s'écarte >> jamais, me prépare mystérieusement quel>> que chose dont elle dit que je serai content. » Je veux que mes amis prennent leur part >> du plaisir qui m'est promis. En conséquen» ce, j'invite M. Freeman à se joindre à la >> compagnie peu nombreuse qui se trouvera >> réunie chez moi ce jour-là. Pendant que >> nos amis s'amuseront à leur manière, je

» donnerai à M. Freeman un régal de ma fa>> çon. Nous examinerons ensemble un ma>> nuscrit autographe du fameux Alcuin, qui » florissait dans le huitième siècle. C'est le >> manuscrit le plus curieux qu'il soit possible » de voir; c'est bien dommage qu'on ne puis» se le déchiffrer.

» Signé POLYCARPE DUHAMEL. >>

J'acceptai avec plaisir cette invitation amicale, sans toutefois me promettre une grande satisfaction de l'examen du manuscrit dont on me faisait fête. Je me rendis donc lundi dernier 27 avril chez M. Duhamel. Madame, qui faisait ce jour-là les honneurs de la maison, et qui était en grande tenue, vint me recevoir elle-même, et me conduisit dans le salon, où je trouvai nos amis réunis. Floranville me parut un peu rêveur, ce qui m'étonna beaucoup de la part d'un homme habituellement gai. Duhamel, en habit noir à la française, avec une perruque neuve bien poudrée, et sa cravate tombant sur l'estomac en forme de rabat, faisait tous ses efforts pour

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