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que

sorte de calomnies ?.... Oh! monsieur, il faut cela se prouve. Eh bien! monsieur, que craignezvous? Dès qu'on en vient à la en vient à la preuve, il faut que la plainte, si c'en est une, vous soit communiquée 1.....

I

On sent qu'il est difficile de répondre raisonnablement à un tel argument; mais cet homme s'enflamme à chaque mot que vous proférez: « il tres<< saille, il tremble, il lance des regards menaçants, « semblable à ces tyrans hagards et farouches, « tels qu'on en voit dans de vieilles hautes-lices. 2 >> Alors il se croit dispensé d'avoir du bon sens et de la décence. Un flux de paroles noie la disette de raisons; et la véhémence, naissant de la véhé

il suit un torrent de reproches et de menaces..... On se plaindra,.... on rendra compte..... Les hauteurs n'en imposent point,..... on en a bien vu d'autres.... On ne trahira pas son devoir (expression favorite de M. de Rougemont, qu'il répète à tout propos en singeant l'air d'un héros romain)... On est l'homme du roi; (oui, le geolier du roi. Le bourreau est aussi le bourreau du roi; mais il fait du mal par devoir, et M. de Rougemont

'C'est l'exacte relation d'un commencement de conversation à ce sujet entre M. de Rougemont et celui qui écrit. On sent bien que ce prisonnier, quel qu'il soit, ne prétend pas dérober son nom à un homme dont il se croit obligé de dévoiler la turpitude. Vous remarquerez que je suis peut-être de tous les prisonniers le plus ménagé, par tout plein de raisons qu'il est inutile de déduire, et qui tiennent beaucoup moins à mon existence qu'à la bonté de M. Lenoir, par l'éloge duquel j'ai commencé cet ouvrage.

But Appius reddens at each word you speack,

And stares, tremendous, with a threat, ning eye

Like some fierce tyrant, in old tapestry.

POPE, Dunciad.

en fait par plaisir).... «On doit être en tiers de tout « ce qui se passe entre le prisonnier et qui que ce << soit.» (Bizarre et très-insolente prétention!...) Le prisonnier cède-t-il? la lettre ne part point. S'obstine-t-il? la guerre est déclarée entre le geolier et lui; et celui-là est probablement le plus fort. Qui sait toutes les calomnies qui vont déchirer ce captif indocile? Sera-t-il à même de se défendre? Eh! qui ne craint pas d'aggraver son affaire, d'indisposer les supérieurs, de s'éterniser dans son cachot par une obstination indiscrète ?..... Vous aurez beau chercher, discuter et débattre, vous n'éviterez jamais l'inconvénient de réunir sur la même tête tous les pouvoirs, et de mettre en contradiction le devoir et l'intérêt, tant qu'un homme sera à la fois le geolier, le fournisseur et le rapporteur des prisons d'état.... Mais nous n'en sommes point encore aux résultats: continuons l'exposition des faits.

CHAPITRE III.

Administration intérieure du donjon de Vincennes. Arrivées : chambres : lectures: promenades : visites du commandant : précautions à la sortie des prisonniers.

Qu'on ne croie pas que les vexations ténébreuses de cette prison se bornent à ce que je viens d'en raconter: j'en vais achever le tableau. On a pu, sur ce qui précède, se former une idée de l'ame

de M. de Rougemont: pour concevoir ce qui suit, il faut connaître la trempe de son caractère et de son esprit.

Cet homme a toute la bouffissure de la plus orgueilleuse ignorance: c'est un ballon rempli de vent. Pénétré du sentiment de sa propre importance, il voudrait l'infuser à tous les autres, et se faire regarder comme un hoinme essentiel et nécessaire à l'état. Il le dit; il le croit même, tant la bêtise est présomptueuse, ou tant l'habitude de mentir incorpore le mensonge au menteur. Comme la vanité n'eut jamais un plus dégoûtant costume, il reçoit de fréquentes avanies de tous ceux qui ne lui sont point subordonnés, et ses prétentions, toujours repoussées', renaissent toujours du sein des humiliations. Comment s'en dédommage-t-il ? En faisant courber sous le poids de ses fantaisies et de ses caprices tout ce qui est dans sa dépendance. Incapable de tout, et réduite à se faire valoir par des riens, sa stupide cervelle, agitée sans cesse par l'amour propre, s'évertue continuelle

'Il n'y a pas un particulier au château de Vincennes, qui n'ait eu des discussions avec cet homme que je peins d'après nature, et qui a disputé au gouverneur même la juridiction de son gouvernement. On n'est point parvenu à faire comprendre à M. de Rougemont qu'il était geolier du donjon de Vincennes, et voilà tout; et que ceux que le roi voulait bien y loger n'étaient ni prisonniers d'état, ni faits pour être sous la férule d'un geolier. M. de Voyer a réprimé fortement, quoiqu'avec assez peu de persévérance, les folles vexations de cet homme, qui a fait emprisonner des laquais, multiplié les corps-de-garde, gêné tous les habitants du château, forcé un vieux et respectable officier général (milord Dunkel) à coucher dehors, en lui faisant refuser l'ouverture des portes, parce qu'il n'avait pas une carte de lui, etc., etc., etc.

ment à trouver quelque moyen d'étendre son empire, de multiplier les précautions, de faire, de défaire, en un mot, de jouer un rôle. Il va traînant partout son énorme corpulence; les sarcasmes pleuvent sur lui: n'importe; «< il continue en bour<< donnant son assoupissante allure: le railler, c'est << fouetter un sabot: plus on le fouette, mieux il « dort 1. » Mais au donjon, c'est un despote absolu qui jouit lorsqu'il peut ouvrir des cachots, river des chaînes, appesantir un sceptre de fer. Gardezvous de prendre son perfide patelinage pour de la douceur; vous donneriez d'autant plus aisément dans ses piéges, que sa lourde élocution inspire plus de sécurité : il a la malice comme la figure d'un singe, sans en avoir l'esprit : allez droit à votre but; ne le suivez point dans ses pesantes gambades; la moindre apparence d'une contradiction le met en fureur; il écume : modérez-vous, laissez-le enferrer, soyez ferme; bientôt il sera souple et rampant vous n'obtiendrez rien que de vaines promesses; mais il vous craindra: si vous fléchissez, il vous opprimera și vous lui donnez prise, il vous étouffera.

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Dès le premier moment de son règne, il prédit hautement que tout changerait au donjon de Vincennes, et tout a changé. A force d'intrigues il a

' Ce trait excellent, vraiment neuf, et parfaitement assorti au personnage à qui je l'applique, est emprunté de la Dunciade de Pope. Je ne me rappelle pas exactement les vers.

* Ses expressions furent : « Je ne laisserai pas pierre sur pierre au donjon; » ce qu'il faut certainement entendre dans le sens figuré; car M. de Rougemont serait bien fâché de démolir cette auguste maison.

écarté tout ce qui pouvait le contrarier et le surveiller. Ces magiques paroles, LE SECRET, LA SURETÉ, lui ont suffi pour bouleverser cette maison. Il semble, à l'entendre, que tout serait perdu, et l'état en danger, si l'on savait le nom d'un prisonnier. Les gazettes annoncent la détention de ceux que l'on peut appeler prisonniers d'état, si l'on excepte ces hommes qui, quelquefois, au mépris du droit de la nature et des gens, sont arrêtés et dérobés avec soin à la connaissance des puissances intéressées. Un tel crime se commet à peine en un demisiècle. Quant aux prisonniers de famille, de bonne foi, où est l'importance d'un secret si profond, qu'il faille tout leur refuser et presque les étouffer dans leurs cachots, de peur que leur existence ne soit connue? Si leur geolier le pouvait, leurs poêles leur serviraient de prison. On croirait, à voir ses inquiétudes vraies ou feintes, que c'est un ouvrage excessivement compliqué que de les garder on en va juger.

Tout le monde connaît la structure du donjon de Vincennes, commencé par Philippe de Valois 1, fini par Charles V, et si solidement bâti, qu'il ne porte pas encore la moindre marque de vétusté. Il faudrait du canon de batterie et du plus gros calibre pour y faire brèche. Des fossés profonds d'environ quarante pieds, larges de vingt pas, et revêtus en pierres de taille, l'entourent. Ce revêtement est à pic, et vers le haut, il règne une corniche ou plutôt un talus qui saille tellement

'En 1237.

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