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est tout autrement important pour les hommes de trouver les moyens les plus sûrs de découvrir la la vérité des faits.

« L'excellence de cet établissement, dit encore «< Blackstone, se manifeste avec bien plus d'évidence << dans les causes criminelles, puisque, dans des << temps de difficultés et de troubles, il y a plus à << redouter de la violence et de la partialité des « juges nommés par la couronne dans les procès <<< entre le roi et le sujet, que dans les contestations <«< entre un individu et un autre individu, pour fixer « les limites de la propriété particulière. — Il était «< nécessaire.... de revêtir le prince du pouvoir « d'exécuter les lois. Ce pouvoir néanmoins pou<< vait être dangereux, et renverser cette même <«< constitution, s'il s'exerçait sans frein ou sans con« trôle, par les juges d'oyer et terminer, nommés <<< occasionnellement par la couronne, qui pourrait « alors, comme en France ou en Turquie, emprison«<ner, dépêcher, ou exiler un homme odieux au « gouvernement par une déclaration publique, « que telle est leur volonté et bon plaisir.»

L'excellent homme qui a écrit ainsi n'est point et n'a point été au donjon de Vincennes, graces au hasard heureux qui le fit naître au-delà des mers. Ce n'est donc point à l'humeur, au sentiment amer de son infortune qu'on doit attribuer cet humiliant parallèle de la France et de la Turquie, qu'il a tracé dans une seule période. On ne trouvera nulle part dans ses écrits, ni enthousiasme, ni préjugé : tout y est le fruit d'une méditation profonde, tran

quille et désintéressée. Que l'on compare mes principes aux siens.

Finissons par la réflexion qui termine le fragment de Blackstone, que je viens de transcrire.

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« Les libertés d'Angleterre ne peuvent manquer « de subsister, tant que ce palladium demeurera « inviolable et sacré. Par là elles sont garanties, « non-seulement des attaques ouvertes que per<«< sonne ne sera assez hardi pour tenter; mais en« core de toutes les intrigues cachées qui pour<«<raient les saper et les miner sourdement, en «< introduisant de nouvelles méthodes arbitraires, d'épreuve par des juges de paix, de commissai<«<res, et des cours de conscience.» «< Mais quel« que avantageuses que ces libertés puissent d'abord paraître (comme sans contredit tous pouvoirs <«< arbitraires, bien exécutés, sont les plus conve<<nables), cependant souvenons-nous que les dé<< lais et les petits inconvénients qui accompagnent « les formalités de justice, sont le prix que toutes <«<les nations libres paient pour leur liberté dans « : des affaires plus substantielles que les incur

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«sions sur ce boulevard sacré de la nation sont <<< fondamentalement opposées à l'esprit de notre «< constitution, et que, bien que frivoles dans leurs <«< commencements, elles peuvent s'augmenter et « s'étendre par degrés, jusqu'à l'extinction totale « des assemblées de jurés dans les questions de la plus grande importance. »

Il est aisé d'appliquer cette réflexion, profondément sage, à ce qui nous regarde personnelle

ment. Elle contient une vérité capitale, que les hommes aperçoivent trop rarement, soit à cause de leur légèreté, soit par défaut de lumières et de prévoyance, et qu'ils oublient souvent après l'avoir envisagée, parce que les impatiences du moment ont plus de pouvoir sur eux que les dangers de l'avenir. Voilà la source imperceptible, mais réelle, principale, et intarissable, de presque toutes les révolutions.

§ III.

Les rois de France ne sont, en droit, et selon tous les monuments de notre droit public, que les mandataires d'un peuple libre.

AVIS DES PREMIERS ÉDITEURS.

3...

Il devait se trouver, à la suite des deux dissertations précédentes, un morceau considérable qui se rapportait à cette phrase de la fin du chap. Iv, première partie des Lettres de cachet. «Sans fonder les droits de l'homme sur les combinaisons << abstraites de la métaphysique sans rechercher nos titres << dans les vestiges obscurs de l'antiquité, il est donc évident • qu'indépendamment de tout privilége national, de toute loi « écrite, la protection et la justice du souverain sont dues à chaque citoyen. » Il nous a été impossible de retrouver ce morceau en entier; mais nous croyons devoir au lecteur le fragment considérable que nous ont procuré nos recherches, et dont les idées et les autorités confirment toujours les principes hardis, mais généreux et sains, de l'auteur.

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« Si j'ai évité, dans le texte, toutes discussions de droit public, disait l'auteur en commençant, ce n'est pas que je ne sois convaincu que les monuments de notre histoire n'établissent, même avec

beaucoup de partialité en faveur des gouvernés, nos droits et les droits de nos souverains.

« Aucun des peuples qui, du démembrement de l'empire romain, formèrent des royaumes, n'a abandonné à ses rois un pouvoir illimité, et quoique, par le concours de diverses circonstances, nos institutions n'aient point été fixées avec autant de précision que celles de la plupart des autres états de l'Europe, personne n'ignore que l'autorité de nos souverains n'a été pendant plus de huit siècles que trop restreinte.

« On a beaucoup critiqué les institutions de nos ancêtres, et assurément le champ était vaste. Mais en cette matière, comme dans presque toutes les autres, la plupart des critiques se sont jetés entièrement d'un côté, parce qu'ils n'ont vu que ce qui flattait leur opinion, leur intérêt et les systèmes modernes de l'autorité. Ils n'ont point assez observé que les constitutions indépendantes des fières nations du Nord ont produit ces sentiments de liberté et de bravoure qui distinguent encore les nations européennes même asservies. Ils germèrent avec tant de vigueur, que des siècles entiers d'une administration arbitraire, heureusement tempérée par le progrès des connaissances morales et politiques, et l'adoucissement des mœurs, n'ont pu détruire. Ce ne sera que par le laps du temps, que le despotisme militaire nous ramènera à la barbarie et à l'abrutissement de l'esclavage, tel qu'on le vit presque généralement en Europe, sous les empereurs romains, à supposer cependant que

les

l'instruction ne s'étende pas assez, pour dessiller universellement les yeux des hommes, et pour leur montrer leur force aussi-bien que leurs intérêts et leurs droits.

«< Au reste, si l'on en excepte le règne de Charlemagne (où, graces au puissant génie de ce grand homme, la France fut aussi bien réglée qu'elle pouvait l'être, vu l'esprit du siècle), il faut convenir que nos pères ont plutôt joui d'une tumultueuse indépendance que d'une vraie liberté. Chez les peuples les plus fiers de l'univers, et les plus ennemis de toute espèce de joug, chez les Germains, on vendait sa liberté : que voulait dire cela? qu'ils n'avaient aucune idée de la liberté. Leur amour pour l'indépendance était un sentiment vague, presque aussi voisin de l'esclavage que de la licence, parce que, dans le cercle des choses humaines, les extrêmes se touchent, et qu'il n'y a d'ordre qu'au centre. Tous les hommes voudraient bien être indépendants dans le moment de leurs fantaisies que croise la dépendance; mais peu d'entre eux se soucient vraiment de la liberté, et sont capables de la porter.

« Certainement elle ne peut exister et subsister, qu'avec l'exécution sévère des lois, moins nécessaires, il est vrai, dans les sociétés peu nombreuses et fort agrestes, parce que la simplicité des moeurs retient encore tous les individus dans l'égalité primitive. Dans toute société qui n'est pas composée d'un très-petit nombre de familles, dépendance du magistrat civil est la condition né

la

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