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nommé scel du secret, dont un chambellan du roi était le dépositaire. (Montblin, Maximes du droit public français, tome 1, part. 1, chap. 3', et Encyclopédie, au mot Lettres de cachet.) C'était sous ce même scel secret que les lettres patentes revêtues du grand sceau étaient envoyées aux cours du

royaume.

Avant l'établissement des parlements, considérés comme corps judiciaires, et dès les premiers temps de notre monarchie, plusieurs lois ont annulé tous actes, tous jugements fondés sur des ordres particuliers. On a vu dans le corps de l'ouvrage, pages 6, 7 et 8, que l'opinion contraire de M. de Montesquieu n'était nullement fondée. Les préceptions, sujettes par leur nature à la vérification des juges, étaient à peu près ce que nous appelons aujourd'hui lettres de chancellerie. Tous les anciens monuments de notre histoire l'attestent.

L'objection que l'on tire de l'abbé Dubos est absolument insoutenable, et n'est fondée que sur des citations infidèles. Suivant la loi des Bavarois, dont il s'appuie, celui qui a tué un homme par ordre du roi, ou du duc qui commande dans la province, n'est pas recherché; mais il s'agit de

1 Une bonne partie des textes d'ordonnances, contenus dans cette note, a été recueillie par M. de Montblin. (Maximes du droit public français.) Je n'ai souvent fait que les abréger et les mettre dans un autre ordre. Il m'a paru que cet extrait était nécessaire pour compléter cet ouvrage, parce qu'il faut, ce me semble, quand on traite un sujet, renvoyer le moins possible à d'autres écrivains, puisqu'on doit rassembler dans son livre tout ce qu'il y a de plus important sur ce sujet, sans quoi ce n'était point la peine de prendre la plume.

quelqu'un qui a machiné la mort du duc, et dont la vie et les biens sont pour cela même au pouvoir de ce duc, «pourvu que le crime du coupable soit « prouvé par trois témoins, en sorte que l'accusé ne puisse le nier. S'il n'y a qu'un témoin et que l'ac<«< cusé nie, on aura recours au jugement de Dieu « en présence de tout le peuple, afin qu'aucun ne « périsse par un effet de l'envie. » Si quis contra ducem suum, quem rex ordinavit in provincia illa, aut populus sibi eligerit ducem, de morte ejus consiliatus fuerit, et exinde probatus negare non potest, in ducis sit potestate homo ille et vita illius, et res ejus infiscantur in publico. Et hoc non sit per occasionem factum; sed probata res expediat veritatem, nec sub uno teste, sed sub tribus testibus personis coœequalibus sit probatum. Si autem unus fuerit testis, et ille alter negaverit, tunc Dei accipiant judicium: exeant in campo, et cui Deus dederit victoriam, illi credatur: et hoc in præsenti populo fiat, ut per invidiam nullus pereat. (LINDENBROK, Codex legum antiquarum, p. 406.)

Il est évident que cette loi est bien loin d'une jussion arbitraire donnée sans procédure préalable, sans conviction judiciaire du coupable; préliminaire expressément exigé par tous les textes des capitulaires. On peut consulter Baluze. (Tome I, col. 718, 912; et col. 4, 6, 79, 101, 236, 269, 322, 359.) Nous avons déjà observé dans le texte, que le génie libre des Francs était tellement contradictoire à la prétendue conjecture de l'abbé Dubos,.

que cela seul la rendrait une absurdité. En effet, leur loi la plus authentique et la plus auguste, la loi salique écrite, porte expressément : « que les << Francs seront juges les uns des autres avec le prince, et qu'ils décerneront ensemble les lois à << l'avenir, selon les occasions qui se présenteront, << soit qu'il fallût garder en entier ou réformer les << anciennes coutumes qui venaient d'Allemagne1.

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La loi des Allemands, faite par Clotaire, porte en titre, dans les anciennes éditions, qu'elle a été résolue par Clotaire, par ses princes ou juges, c'est-à-dire, par trente-quatre évêques, trentequatre ducs, soixante-douze comtes, et même par tout le peuple.

La loi Bavaroise, dressée par le roi Thierry, revue par Childebert, Clotaire et le roi Dagobert, porte qu'elle est l'ouvrage du roi, de ses princes, et de tout le peuple chrétien qui compose le royaume des Mérovingiens.

La loi Gombette contient les souscriptions de trente comtes, qui promettent de l'observer eux et leurs descendants.

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par

La collection des capitulaires porte en titre : « Capitula regum et episcoporum, maximeque nobi«< lium Francorum omnium; » et ils sont appelés les rois leur ouvrage et celui de leurs féaux. Charlemagne, en parlant des capitulaires, faits pour être insérés dans la loi salique, dit qu'il les a faits du consentement de tous. Celui de 816 porte que Louis-le-Débonnaire a assemblé les

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grands, ecclésiastiques et laïcs, pour faire un capitulaire pour le bien général de l'Église. Dans un autre, il remet à décider jusqu'à ce que ses féaux soient en plus grand nombre. Charles-le-Chauve dit: << Tels sont les capitulaires de notre père, que « les Français ont jugé à propos de reconnaître « pour lois, et que nos fidèles ont résolu dans une «< assemblée générale d'observer en tout temps. >>

A qui persuadera-t-on que des peuples qui statuaient ainsi avec leur souverain, abandonnaient leur vie à sa disposition arbitraire?

Quant aux violences qui tenaient aux mœurs du siècle, les exemples en sont sans nombre, et l'abbé Dubos pouvait moins maladroitement citer. Pourquoi ne disait-il pas aussi que c'était en vertu d'une loi fondamentale que Chidebert II, voulant se défaire de Magnovalde, l'assassina, le fit jeter par les fenêtres de son palais, et se saisit de ses biens? Il est vrai que ce seigneur fut attiré à la cour sous prétexte d'une fête, et que la perfidie semble exclure le droit. Mais vous verrez qu'il fallait le surprendre, parce qu'il était trop puissant. Oh! certes, il ne s'élèvera jamais d'aristocrates puissants, aux pays où le souverain pourra condamner à mort les plus grands de l'état, sans être assujetti à leur faire leur procès!

Sous les premiers rois Francs, dit M. de Montesquieu (liv. II, chap. 2), Clotaire fit une loi pour qu'aucun ne pût être condamné sans être ouï; ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier. Il me semble que c'est

pousser trop loin la conjecture. Il suffit d'un acte de violence illégale pour occasionner une loi si naturelle; et il est bien sûr que l'esprit sanguinaire des Francs a dû beaucoup les multiplier. Mais cela ne peut pas s'appeler une pratique ; car ce mot suppose au moins une coutume qui a force de loi; et c'est ce qu'on n'a jamais pu dire, dans notre constitution, de la condamnation d'un accusé sans être entendu. Les textes que je viens de citer, antérieurs à la loi de Clotaire, puisqu'elle est de 560, le prouvent invinciblement.

Au reste, on peut chercher sur les deux faits que M. l'abbé Dubos apporte en preuve de son étrange système, et qui sont tirés de Grégoire de Tours, l'explication la plus ample et la plus satisfaisante dans les Maximes du droit public français. (Tome I, part. 1, chap. 33.)

On trouve dans notre histoire, au commencement du septième siècle, un ordre donné par Thierry ou par Brunehaut contre S. Colomban, pour le faire sortir de son monastère de Luxeuil, et l'exiler dans un autre lieu, quoadusque regalis sententia quod voluisset decerneret. Le saint ne voulut pas obéir, fut conduit de force et revint à son monastère aussitôt que ses gardes se furent retirés.

L'auteur de l'article Lettres de cachet dans l'Encyclopédie ( M. Boucher d'Argis) n'a pas manqué de citer cet ordre comme le premier exemple des lettres de cachet. C'est une vraie dérision d'abuser ainsi des mots. C'est même, vu l'importance du sujet, quelque chose de plus; et M. Boucher

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