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Situation de l'Indo-Chine (1897-1901). Rapport par M. Paul DOUMER, Gouverneur-général. Hanoi, F. H. Schneider, 1902, gr. in-8, pp. 550.

M. DOUMER, Gouverneur-général de l'Indo-Chine française, est arrivé à Marseille à huit heures du matin, le Lundi 7 Avril par le paquebot des Messageries Maritimes Sydney; en même temps que lui arrivait le gros volume dont nous dounons le titre et qui marque les résultats de l'administration la plus féconde que l'IndoChine française ait eue jusqu'à présent. Nous en présentons le tableau instructif d'après le Temps du 7 Avril:

Quand M. Doumer y arriva au commencement de 1897, l'IndoChine n'était qu'une expression géographique; elle avait un gouverneur général et point de gouvernement général, et les finances étaient en mauvais état dans chacun des pays qui la composent. Son premier soin fut de se donner les instruments nécessaires pour travailler: à savoir l'autorité et l'argent.

Le gouverneur général administrant directement le Tonkin en était arrivé à n'être qu'une sorte de résident supérieur de ce pays; le reste de l'Indo-Chine lui échappait. En Annam et au Cambodge, la collaboration intime de l'élément français et de l'élément indigène qui est le but du protectorat n'était pas organisée. En Cochinchine, la situation était tout à fait étrange. «Pour être entièrement libre, elle s'efforçait et elle était sur le point d'obtenir d'être détachée de l'Indo-Chine. Le conseil colonial, élu par un corps électoral de fonctionnaires, disposait de toutes les ressources et avait seul l'autorité. Le lieutenant-gouverneur et les chefs de service, pris entre cette

puissance presque omnipotente dans la colonie et le député intervenant pour elle à Paris, au ministère, ne pouvaient rien, étaient hors d'état d'imposer le travail et le respect de la discipline à leur personnel. Ils en faisaient d'ailleurs hautement l'aveu. C'était une véritable anarchie administrative.»

Il faut que le gouverneur général «gouverne partout et n'administre nulle part», se dit M. Doumer. Dans ce but il fit successivement adopter par le gouvernement français les mesures suivantes: rétablissement de la résidence supérieure du Tonkin, ce qui permit au gouverneur général de faire de longs séjours en Cochinchine et d'y faire cesser le désordre qui régnait dans les services; constitution d'un conseil supérieur réunissant autour du gouverneur général les chefs de services et les représentants des colons et des indigènes; création de services généraux communs à toute l'IndoChine: douanes et régies, agriculture et commerce, justice, travaux publics, affaires civiles, postes et télegraphes; fusion des divers corps d'administrateurs; création d'une caisse des retraites, et enfin création d'un budget général comprenant toutes les dépenses d'intérêt communes à l'Indo-Chine, ayant ses recettes propres et directement géré par le gouverneur général avec le concours du conseil supérieur.

Les représentants des colons au conseil supérieur sont délégués par les chambres de commerce et d'agriculture. Ces chambres sont le seul mode de représentation auquel M. Doumer reconnaît que les colons aient droit. Et il a défini avec une parfaite netteté un principe dont l'oubli a amené dans plusieurs de nos colonies et notamment en Cochinchine des abus si singuliers. Dans une colonie de domination, d'exploitation au meilleur sens du mot, comme l'est l'Indo-Chine, le suffrage universel ne saurait exister. La France y gouverne dans l'intérêt général, à son profit et au profit des nombreuses populations dont elle a la charge, mais non dans l'intérêt particulier de quelques-uns. Les colons français qui viennent en

petit nombre relativement aux indigènes, dans nos possessions indochinoises, ne peuvent prétendre à les gouverner. Ils ont droit à la protection de l'autorité publique, à des institutions capables de defendre leurs intérêts collectifs; ils pensent aussi légitimement réclamer une place dans les conseils du gouvernement; mais rien de plus ne parait désirable ni utile.

Par cette organisation du gouvernement général, M. Doumer s'était procuré l'autorité; restait à trouver l'argent. Le Tonkin avait dû par deux fois faire appel à l'intervention de la métropole pour éviter la faillite et il était toujours en déficit. La Cochinchine y était également. L'Annam et le Cambodge abandonnés à la gestion indigène paraissaient sans ressources. M. Doumer jugea qu'on ne demandait pas au pays ce qu'il pouvait donner et il remania audacieusement le système fiscal, modifiant les impôts directs de manière à leur faire produire davantage, tout en les allégeant par une meilleure répartition et en organisant les trois grandes régies de l'alcool, de l'opium et du sel. On peut dire qu'il joua courageusement sa réputation dans cette partie. Il ne manqua pas, en effet, de prophètes de malheur pour lui prédire qu'il s'y casserait le cou et que les indigènes allaient se soulever. Au point de vue financier la partie a été brillamment gagnée. On en connaît, en effet, les résultats; depuis la réforme le budget général de l'Indo-Chine et les cinq budgets locaux du Tonkin, de l'Annam, de la Cochinchine, du Cambodge et du Laos se sont régulièrement soldés en excédent, le budget général se monte en recettes à près de 68 millions de francs pour 1902 et il y a 30 millions dans les caisses de réserve de la colonie.

Au point de vue politique, la partie a-t-elle été perdue, les indigènes ont-ils été désaffectionnés de notre domination? Aux inquiétudes exprimées à ce sujet M. Doumer répond: «La malveillance ou l'ignorance seule a pu faire dire que les habitants de

l'Indo-Chine étaient surchargés d'impôts. Chaque habitant ne paye en moyenne, sous des formes multiples et en grande partie par les consommateurs de luxe, comme l'alcool et l'opium, qu'une somme annuelle inférieure à deux piastres (5 francs). Etant donné le développement économique pris par le pays en ces dernières années, cette somme n'a rien d'excessif. Une preuve que l'impôt n'est pas hors de proportion avec les facultés contributives de l'habitant, c'est qu'en même temps que le nouveau régime s'établissait, la prospérité générale et le bien-être de la population s'accroissaient rapidement, au point de frapper tous les yeux, d'assurer l'ordre matériel et une pacification des esprits qu'on ne pouvait espérer aussi promptes.

N'eût-elle consisté que dans cette organisation du gouvernement général et des finances que l'œuvre de M. Doumer serait déjà fort remarquable, puisqu'elle a mis fin aux tâtonnements des débuts et donné à notre domination une assiette solide dont tous ses successeurs profiteront à l'avenir. Mais de ces instruments de travail qu'il a créés il a été le premier à tirer parti par une série de mesures que nous allons rapidement énumérer.

Organisation des administrations locales. La suppression du vice-roi du Tonkin avait fait craindre au début que M. Doumer ne se laissât influencer par les préjugés des colons qui réclament la disparition pure et simple du mandarinat indigène. Il n'en a rien été. Il s'est contenté de le soumettre à un contrôle très serré pour le corriger de sa vénalité, ce qui est de l'essence même du protectorat. En même temps il a augmenté la solde des mandarins et amélioré leur situation matérielle. Résultat: ils ont été les premiers moralement conquis. «A part quelques exceptions, ils ont franchement accepté la souveraineté de la France et la servent avec dévouement. M. Doumer a respecté et recommande sagement à ses

successeurs de respecter la commune annamite. «Grâce à elle, nous avons en face de nous, non pas des millions d'hommes dont il faut considérer individuellement les besoins, les intérêts, les sentiments, mais quelques milliers de collectivités bien organisées, disciplinées, qui se présentent à nous en bloc et dont nous n'avons à connaître que le conseil des notables.. L'administration peut tout obtenir des habitants par entente avec les représentants des villages... Les villages se font, à l'occasion, les tâcherons des agents des travaux publics et même des entrepreneurs». Pour mieux assurer le contact entre les indigènes et les représentants de la France, un conseil des notables a été institué auprès des résidents.

En Annam, le contrôle de l'administration indigène était tout à fait embryonnaire. Il a été rendu efficace par la transformation du conseil secret en un conseil des ministres présidé par le résident supérieur, par l'introduction d'un fonctionnaire français auprès de chaque ministre pour l'assister dans son administration et par le placement d'un résident français auprès de chaque gouverneur de province. La situation était la même au Cambodge et des réformes analogues y ont été faites.

En Cochinchine le conseil colonial a été ramené au rôle modeste qui lui convient. S'il avait appliqué ses principes dans toute leur rigueur, M. Doumer aurait dû supprimer ce conseil. Il dit à ce sujet : «La composition du conseil reste aussi peu défendable que par le passé. Mais il n'a pas paru nécessaire de la modifier, tant que le conseil remplissait convenablement son mandat maintenant bien limité».

Travaux publics. - L'Indo-Chine ayant enfin des finances, une impulsion extraordinaire a pu être donnée aux travaux publics. La colonie pouvant le gager, le Parlement l'a autorisée à contracter un emprunt de 200 millions pour construire un premier réseau ferré de 1,700 kilomètres. Les travaux sont entrepris de toutes parts, et 300

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