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La dernière ftrophe fait allufion à la coutume que les poëtes Perfans ont de fe comparer toujours au roffignol, & à la fable fi connue en Orient des amours du roffignol & de la rofe.

Le ton léger & badin qui règne dans cette ode ne s'accorde certainement pas avec les idées de piété & de dévotion que plufieurs commentateurs veulent puifer dans les allégories fur les plaifirs fenfuels.

Les poëtes Afiatiques aiment extrêmement à perfonnifier des termes abftraits, & à douer les êtres inanimés de la voix de la raison. Ils fe plaifent particulièrement à s'adreffer aux objets infenfibles, à les appeler pour fympathifer à leurs peines, ou pour partager leur joie en leur ordonnant de porter leurs meffages à ceux qu'ils aiment, en comparant leurs beautés & leurs perfections aux charmes. dont ils font épris, ainfi que fait Hafiz dans cette ode élégante.

"O doux zéphire! tu portes avec toi l'odeur "embaumée de l'objet de mon amour, "duquel tu tiens ce préfent mufqué; "Mais, prends garde, ne dérobe point; qu'as"tu à démêler avec fes belles treffes?

"O rofe! qu'es-tu pour être comparée avec "fa brillante face? elle eft le mufc même,

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"O boutons fleuris ! qu'êtes-vous pour être comparés à fes joues? elles font toujours "fraîches, & vous paffez promptement. "O Narciffe! qu'es-tu pour être comparé à ❝fes yeux languiffans qui dardent les doux rais de l'amour? tu es pâle & éteint. "O pin! qui ondoie dans nos jardins, quelle comparaifon y-a-t-il entre toi & fa "ftature?

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"O mon ame! que choifirois-tu (fi tu pouvois "choifir fur toutes chofes) de préférence à "fa tendreffe?

"Viens, cher objet de mon amour, viens

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réjouir par ton aimable préfence l'affligé

Hafiz, ne fût-ce que pour un feul jour." Après cette courte revue de la poëfie Orientale en général, nous la confidérerons dans les divers fujets qu'elle traite, & que produifent ces fix fources, vertus militaires, amour, douleur, inftruction, cenfure, & louange. L'auteur fe flatte qu'il ne lui fera pas impoffible d'accommoder les fentimens des Orientaux & leurs expreffions au cœur & à l'oreille des Européens, fur-tout lorfqu'il réfléchit que les endroits poëtiques des faintes écritures font regardés comme renfermant les plus grandes beautés; que ce qu'on admire le plus dans Shakspeare & dans Spencer font leurs images élevées, & quelquefois même gigantesques ;

qu'enfin les écrits de Pindare, & les précieux fragmens qui nous restent des poëtes lyriques, font l'admiration de tous les âges, & ont la plus forte reffemblance avec la poësie Arabe & Perfane. Il eft pourtant vrai qu'il y a, dans les compofitions Orientales, des beautés qu'on ne fauroit difcerner dans une traduction littérale, non plus que les grâces des poëmes Grecs dans les verfions Latines; les uns & les autres reffemblent plutôt alors aux idées bizarres & fans fuite des lunatiques.

Néanmoins, par ces éloges fur les ouvrages Afiatiques, notre but n'eft nullement de rien. ôter au mérite des poëtes Grecs; au contraire nous croyans que ce qu'il y a d'excellent dans ces premiers confifte principalement en leur reffemblance avec les autres. Mais il eft fi naturel d'écrire avec chaleur & vivacité fur la branche de littérature dans laquelle on a eu le bonheur de faire, le premier, des découvertes confidérables!

Il est à la vérité furprenant que la poëfie Européenne ait fubfifté fi long-temps avec la perpétuelle répétition des même images, & les continuelles allufions aux mêmes fables, defquelles nous fommes obligés de remplir nos compofitions, parce que dès l'enfance on en remplit notre mémoire en ne nous faifant lire

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que les mêmes auteurs & des ouvrages de trois mille ans.

Si les précieux volumes des Orientaux qui fe trouvent dans les ineftimables bibliothéques de Paris, de Leyde, d'Oxford, de Vienne, & de Madrid, étoient publiés avec l'avantage ordinaire de notes & d'explications; fi les langues Orientales étoient enfeignées dans nos univerfités, au lieu de cet art que Locke & le Chancelier Bacon regardoient comme si inutile; un nouveau champ feroit ouvert à nos contemplations; nous pénétrerions plus avant dans l'histoire du cœur humain; notre esprit feroit pourvu d'un nouvel affortiment d'images & de comparaifons: en conféquence on verroit paroître plufieurs excellentes compofitions fur lesquelles les critiques futurs auroient à s'exercer, & que les poëtes à venir pourroient imiter.

SECTION II.

Sur la Poëfie béroïque des Nations Orientales.

LES Arabes n'ont point de poëmes qu'on puiffe proprement nommer héroïques. A la vérité, ils ont des hiftoires élégantes qui font

ornées de toutes les grâces de la poëfie. Dans ces histoires on trouve des images dont les traits font marqués & hardis, des expreffions vives, de très belles defcriptions, & des fentimens terminés avec des mots du même fon. En voici un exemple tiré de l'histoire de Tamerlan, écrit par Abou Arabchah, où cet auteur dans une defcription fleurie compare l'armée de ce prince au printemps.

"Quand la nature comme une servante "adroite paroit la terre des ornemens d'une "nouvelle époufe, que les bocages reprenoient "leur verdure éclatante; les troupes victori

eufes couvrirent le pays, & pafsèrent comme "des dragons fur les plaines. Leur mufique "guerrière reffembloit au tonnerre, que ren"ferment les nuées du printemps, & leurs "cottes de maille brilloient comme l'éblouiffant

éclat des éclairs. Leurs boucliers maffifs "les couvroient comme l'arc-en-ciel fufpendu "fur les montagnes. Leurs lances & leurs

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javelines s'agitoient comme les branches des 'jeunes arbres & arbufles. Leurs cimeterres "étinceloient comme des météores, & les "clameurs de l'armée étoient femblables au "bruit d'un nuage qui s'éclate. Les ban"nières refplendiffantes dans les airs étoient comme des anemones, & les tentes reffem"bloient aux arbres chargés de boutons

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