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François Ier en vint à proscrire les Sotties et à soumettre le théâtre à une censure sévère. Plus indulgent, son prédécesseur, Louis XII, aimait et protégeait les auteurs dramatiques. Une petite comédie intitulée l'Ancien Monde avait raillé le roi sur sa prétendue avarice. Louis XII ne fit qu'en rire et disait avec un spirituel bon sens : "J'aime mieux faire rire les courtisans par mon avarice que de faire pleurer mon peuple par mes prodigalités."

16. L'AVOCAT PATELIN.-Le chef-d'oeuvre de la comédie

populaire, c'est la farce de l'Avocat Patelin. "Cette pièce, dit M. Villemain, est pleine d'un vrai comique; il y a là du Molière, il y a là du Rabelais. Le sujet est peu de chose : les ruses d'un avocat pauvre et fripon pour avoir un habit; mais le dialogue est parfait de naturel à quelques grossièretés près." On ne connaît pas au juste l'auteur de la farce de l'Avocat Patelin; elle a été attribuée tour à tour à Antoine de la SALLE et à Pierre BLANCHET (14591519).

17. PHILIPPE DE COMINES.-La fin du xv° siècle devait encore être illustrée par Philippe de COMINES (1445-1509), le plus célèbre des chroniqueurs, et qui serait un véritable historien s'il avait autant d'éloquence que de froide raison et de sagacité politique. "Comines, dit M. Ste.-Beuve, est le premier historien moderne de la France." "Comines, dit M. Villemain, a été le peintre le plus intelligent, le plus expressif, le plus profond de Louis XI; mais c'est un peintre trop complaisant de la tyrannie de ce monarque, un admirateur sans conscience et un complice sans pudeur de son astuce abominable." Cela n'empêche pas Comines de professer sur certains points, sur l'impôt par exemple, des maximes de liberté l'on s'étonne de trouver dans ses ouvrages. que

CHAPITRE II.

DE LA RENAISSANCE,

OU DE LA FIN DU XV SIÈCLE, JUSQU'À LA
RÉFORME DE MALHERBE,

AU COMMENCEMENT DU XVIE SIÈCLE.

*18. DE LA RENAISSANCE.-La fin du xv° siècle et le commencement du xvi sont marqués par un réveil de l'esprit humain et un épanouissement admirable des lettres, des sciences et des arts qu'on appelle la RENAISSANCE. Ce mouvement des esprits commence par la restauration des études grecque et latine qu'avaient étouffées la scolastique et l'imitation mal entendue d'Aristote pendant le moyen-âge. Le principal foyer de la Renaissance fut encore cette glorieuse et féconde péninsule d'Italie, où, plus d'un siècle auparavant, trois chefs-d'œuvre avaient inauguré la littérature nationale et classique de l'Europe.

La Renaissance porte un cachet païen, et les mœurs s'en ressentirent. En venant à l'antiquité par l'amour du beau idéal, on se laissa entraîner jusqu'aux égarements sensuels qui tuent cet amour en le matérialisant. Ceux qui échapperont ne trouveront leur salut que dans un rigorisme excessif et non moins inhumain.

19. FRANÇOIS I**, PÈRE DES LETTRES.-Les guerres de François Ier en Lombardie avaient initié la France au mouvement littéraire et artistique de la péninsule. Beau, majestueux, ami du luxe et de l'éclat, François Ier était fait pour le rôle de civilisateur. A la cour, dans ses promenades, ses voyages et jusqu'à la chasse, ce prince se faisait suivre par des lettrés et des savants. Il se montre toutefois plus favorable aux arts qu'à la littérature: il bâtit Fontainebleau, Chambord, et jette les fondements du Louvre; s'entoure d'architectes et d'artistes italiens; mais laisse mourir dans l'exil Clément MAROT, le 1o poète de son règne, coupable d'avoir mangé du lard en Carême. Cependant le nom de Père des Lettres a pu être donné avec justice au monarque intelligent qui a fondé le Collège de France et fait de vains efforts pour fixer dans sa capitale ERASME, le roi des humanistes.

*20. PROSATEURS ORIGINAUX DU XVI SIÈCLE.-La prose française produisit, dans le siècle de la Réforme, des ouvrages très remarquables comme pensée et même, à certains égards, comme style; mais comme la langue n'était pas fixée et que chaque province avait son dialecte, les prosateurs de ce temps ont presque tous leur langage à eux. Le premier de ces prosateurs dans l'ordre de date, c'est François RABELAIS, curé de Meudon (1483-1553), le satirique auteur de Gargantua et de Pantagruel. Génie facétieux et profond, délicat et cynique à la fois, Rabelais mêla les bouffonneries et les impiétés les plus révoltantes aux pensées les plus justes et les plus saines sur l'éducation, la politique et la morale. Le curé de Meudon "sentait le fagot," et n'eût pas échappé au bûcher sans la protection de François Ier et du Cardinal du Bellay, et la précaution qu'il prit de saupoudrer ses écrits de violentes invectives contre Calvin et les "démoniaques" de Genève. "Rabelais," disait La Bruyère, le spirituel auteur des Portraits et Caractères, "est inexcusable, il avait assez de génie pour se passer d'être ordurier."

Jehan CALVIN (1509-1564), né à Noyon en Picardie, puis réfugié à Genève, où il exerça une sorte de dictature religieuse et politique, offre un contraste frappant avec le goguenard Rabelais, dont il attaque la vie et les écrits licencieux. Il est regardé comme un des pères de la langue française; il doit ce titre à son livre de l'Institu tion de la foi chrétienne, dédié à François I. "Calvin, dit M. Gérusez, communiqua à la langue française la gravité et la force du latin."

Fils d'un corroyeur et élevé à l'épiscopat par son mérite et la faveur du roi Charles IX, Jacques AMYOT (1513-1593) sut être original en traduisant les Vies des hommes illustres de Plutarque; il occupe le premier rang dans ce genre secondaire. On admire beaucoup son style naïf, souple, harmonieux. Montaigne, qui avait beaucoup profité de ses leçons, lui donnait "la palme sur tous les écrivains de son temps pour la naïveté et pureté de langage."

Michel MONTAIGNE (1533-1592), gentilhomme gascon, était un épicurien et un sceptique à la façon de Rabelais, mais ce douteur infatigable n'a cependant jamais douté de Dieu, ni de la vertu. A la folle devise de Rabelais, "Fais ce que voudras," Montaigne a substitué la maxime du devoir: "Fais ce que dois, advienne que pourra." Les Essais de Michel Montaigne sont, comme les écrits de Rabelais, une mine précieuse où ont abondamment puisé J. J. Rousseau et d'autres écrivains. Montaigne ne se

pique pas de correction, mais c'est un écrivain vif, ingénieux, primesautier et pittoresque par excellence: il est à la fois le plus instruit des causeurs et le plus aimable des moralistes.

*21. SUITE DES PROSATEURS DU XVI SIÈCLE-ORATEURS, ÉCRIVAINS POLITIQUES ET HISTORIQUES.—Le XVI° siècle voit poindre l'éloquence religieuse et politique. L'éloquence religieuse naît avec les écrits de SAINT FRANÇOIS DE SALES (1567-1622), gentilhomme savoisien, évêque titulaire de Genève. Son Introduction à la vie dévote, monument de douceur et d'onction évangélique, fait contraste avec les fougueuses et sanguinaires déclamations des prédicateurs de la Ligue. L'éloquence politique est un autre fruit des luttes ardentes de cette époque orageuse et féconde. Elle eut un illustre représentant dans le chancelier de France, Michel de l'HÔPITAL (1503-1573), défenseur passionné de la justice, de la modération, de la tolérance religieuse, au sein d'une cour perfide, sanguinaire et vénale.

La France avait alors ses premiers publicistes, BODIN, l'auteur de la République; et LA BOËTIE (1530-1563), l'auteur de Contre-Un, "qu'ont immortalisé, non moins que son rare talent, l'amitié et les regrets de Montaigne."

La polémique religieuse et politique enflammait la plume des Calvinistes réfugiés à Genève, mais son expression la plus originale et la plus saillante se trouve dans la SATIRE MÉNIPPÉE, fameux pamphlet, mêlé de prose et de vers, dirigé contre la Ligue. Ce chefd'œuvre de vigueur et d'ironie fut l'œuvre de sept malins compères de la bourgeoisie; à leur tête on cite le jurisconsulte PITHOU (1539-1586) et le poète PasseraT (1534-1602).

L'histoire n'a de nom important à citer au xvI° siècle que celui du président Jacques de THOU (1553-1617), qui a retracé d'une main ferme et impartiale les événements de son temps; mais de Thou écrivait en latin et n'a pas droit à une mention étendue dans l'histoire des lettres françaises.

Les auteurs de Mémoires sont en revanche très nombreux. On n'en compte pas moins de 26, hommes de guerre comme le loyal serviteur DE BAYARD, hommes de cour comme BRANTÔME, diplomates comme SULLY, d'OssAT et DU PERRON. Le moi egoïste tient une place considérable dans tous ces mémoires, mais se fait pardonner à force d'esprit et de génie, dans ceux de Marguerite de VALOIS (1552-1615), première femme d'Henri IV.

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*22. POÈTES DU XVIE SIÈCLE-CLÉMENT MAROT (1495-1544). -Au siècle de François I, la poésie a un représentant hors ligne; c'est Clément MAROT, l'un des Enfants Sans-souci du théâtre parisien, devenu ensuite page de François I. Il a réussi surtout dans les genres secondaires, comme la ballade, le rondeau, l'épigramme. Il maniait surtout à merveille le vers de dix syllabes. "Marot, dit M. Demogeot, c'est l'esprit français dans son acception la plus restreinte." Un poète et gentilhomme vendômois, Pierre de RONSARD (1524-1585), rivalisait avec Marot de grâce et de coloris et le surpassait de beaucoup dans la poésie élevée. Une fraîcheur délicieuse respire dans ses épîtres familières. Que de noblesse dans ses vers à Charles IX, encore enfant !

Sire, ce n'est pas tout que d'être roi de France.

Il faut encore que la vertu couronne votre enfance.
Un roi sans la vertu porte le sceptre en vain
Qui ne lui sert sinon de fardeau dans la main.

Le tort de Ronsard fut de vouloir donner à la France un poème épique dans le genre de celui d'Homère; quoique salué du nom d'Homère français, il n'en échoua pas moins complètement dans sa Franciade. Ronsard était entouré de nombreux poètes qu'on appela sa Pleiade: citons entr'autres DU BARTAS (1544-1590), l'auteur de la Création du monde ou de la Semaine, poème plein de verve, d'idées nobles et d'enthousiasme qui fut traduit presque dans toutes les langues. Trop exalté par son siècle, Ronsard fut trop déprécié par Boileau et les siècles qui suivirent.

23. SUITE DES POÈTES DU XVIE SIÈCLE-RÉGNIER (1573-1613). -Mathurin REGNIER, véritable contemporain d'Henri IV, est un poète de l'école gauloise; il se distingue par la franchise et la bonhomie, mais aussi par la licence de son pinceau. Le chef-d'œuvre de Régnier, c'est le portrait de Macette, vieille hypocrite, fille de Faux-semblant et l'aïeule de Tartufe. Sceptique et épicurien jusqu'à la fin comme ses maîtres, Régnier se faisait à lui-même cette

épitaphe :

J'ai vécu sans nul pansement,

Me laissant aller doucement
A la bonne loi naturelle ;
Et je m'étonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi

Qui ne songeai jamais à elle.

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