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et aux noms de déesses. Enfin, tous les dieux étaient compris dans un terme encore plus général, les Alonim, qui semble, dans certains. cas, être pris comme un collectif et rappelle le nom d'Elohim, qui est de la même racine.

Tandis que Badl, Melqart, Adonis se partagent l'adoration des fidèles, nous ne trouvons guère, sur les monuments phéniciens en dehors de l'Afrique, qu'une seule déesse, qui paraît avoir absorbé toutes les autres, c'est Astoret. Elle figure presque exclusivement dans les noms propres, avec Milkat. Ce dernier nom répond-il à une divinité distincte? On pourrait être tenté de le croire; pourtant il n'existe pas en dehors des noms propres, sauf dans un cas douteux (Inscr. d'Esmounazar), qui semblerait en faire un synonyme d'Astarté. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle conduit aussi l'examen des passages où Jérémie (VII, 18; XLIV, 17, 18, 19, 25) parle du culte de la Meleket-Has-samaïm. La Meleket-Hassamaïm, la « Reine des cieux, » devait correspondre au Baal-Samaïm.

Astarté n'était pas seulement une divinité cananéenne; elle était adorée dans tout le sud de la Phénicie. C'est de Tyr que son culte avait été importé à Samarie par Jézabel. A Sidon, elle portait le nom d'Astoret-Sem-Baal c'est-à-dire « Astarté nom de Baal. >> Cette traduction, qui n'est pas absolument certaine, semble confirmée en quelque mesure par un attribut d'une autre déesse dont il sera question plus tard, Tanit-Penè-Baal, « Tanit face de Baal; et elle est pleinement d'accord avec le caractère que les Phéniciens attribuaient à leurs divinités femelles. Les déesses étaient une sorte de dédoublement du dieu mâle, ce que l'on rendait en disant qu'elles étaient la face du dieu, ou le nom du dieu, suivant une expression chère aux Hébreux; elles n'étaient que la première des émanations innombrables qui occupaient les degrés inférieurs de l'échelle divine. Astarté était la déesse de la lune, qui est l'image et comme le pâle reflet du soleil; mais elle était en même temps la déesse de la planète Vénus; ce double caractère, qui lui a toujours été refusé par Movers, semble ne pouvoir guère être mis en doute. Les peuples sémito-chamites ne faisaient pas entre la déesse chaste et la déesse impudique la distinction que l'art grec a consacrée; la même déesse était tour à tour vierge et mère, chaste et courtisane.

Il n'est pas d'endroit fréquenté par les Phéniciens qui n'ait conservé la trace du culte d'Astarté. Elle figure sur les inscriptions de Chypre, à Citium et à Idalium; sur celles de Malte, de Sicile, de Sardaigne, de Carthage. En dehors des inscriptions, beaucoup de noms géographiques, en particulier les nombreux Port-Vendre (Portus Veneris) contiennent le souvenir de sanctuaires que les Phéniciens lui élevaient. Le plus célèbre était celui de la Vénus Ericine Astoret-Erek, Astoret-erek-hayim, sur le mont Erix en Sicile. Tandis que Baal était un nom générique désignant, dans certains cas, un dieu particulier, « le dieu» par excellence,

Astoret était un nom propre. On le faisait précéder, en général, du titre honorifique de Rabbat, « la Grande Dame, » qui s'appliquait aussi d'ailleurs à d'autres déesses. - Astarté formait à Tyr, avec Baal

et Melqart, une sorte de triade qui occupait le faîte du panthéon phénicien. Cette triade n'était pourtant pas la même dans toutes. les villes du littoral; ses éléments variaient suivant l'importance locale des différentes divinités. A Sidon, elle paraît avoir été composée de Baal, Astarté et Esmoun (Inser. d'Esmounazar, lin. 14 ss.); mais partout l'élément féminin était représenté par Astarté.

Byblos se distingue par son culte, comme par sa langue, du reste de la Phénicie. A Byblos, le premier rang appartenait à une déesse, la Baalat-Gebal, qui était universellement connue sous le nom de Baalat; les Grecs en ont fait Bλtic. Son temple était un des plus célèbres de la côte de Phénicie. Sur la grande inscription de Byblos, trouvée dans les ruines de ce temple, elle est seule invoquée par le roi Jehavmelek, l'auteur de la dédicace.Le bas-relief qui surmonte le cippe' la représente sous les traits d'une Athor, avec deux cornes et un disque au milieu. En effet, dans l'antiquité déjà,son culte était confondu avec celui de la déesse Isis (Lucien, De dea Syra, c. vi; Plutarque, De Iside et Osir., c. xvi), qui était, par certains côtés, un doublet de la déesse Hathor. Son époux n'était pas un Baal; Sanchoniathon l'appelle El, et son dire semble confirmé par la présence fréquente du nom de ce dieu dans les noms propres des rois de Byblos, Aïnel, Elpaal, etc. On ne l'a encore rencontré sur aucune inscription. Le troisième personnage de la triade de Byblos était Adonis.

Carthage possédait aussi en tête de son panthéon une triade analogue à celle de Tyr, composée de Baal-Hammon, de Tanit et d'Esmoun; mais à Carthage, comme à Byblos, c'était la déesse qui tenait la première place. Tanit était la divinité poliade de Carthage. Dans le traité d'Annibal avec les Grecs. elle est appelée le « Génie de Carthage, xiv Kapyydovíov». Les Grecs l'identifiaient avec Artémis. Peut-être, dans l'origine, était-elle aussi une déesse vierge; mais dès la période de l'indépendance de Carthage, ses traits s'étaient confondus avec ceux d'Astarté. Baal-Hammon était le grand dieu de la Libye, identique peut-être au dieu de Thèbes en Egypte, Amoun. Quant à Esmoun, qui jouait un rôle capital non seulement à Carthage, mais sur la côte de Phénicie, et principalement à Sidon, il en sera question plus loin.

A côté de ces magni dii, les Carthaginois avaient un panthéon très nombreux parmi les dieux, Sakôn, Aris, Tsaphôn (Typhon), d'autres encore; parmi les déesses, Astoret, Illat, et des divinités complexes, formées à l'aide du mot Tsid: Tsid-Tanit-Mearat, Tsid-Melqart (comparez la Sidonia Dido de Virgile). Une inscription mentionne deux déesses qu'elle appelle Rabbat-Umma, «la grande mère, » et Baalat-hahedrat, « la maîtresse du sanctuaire. » Ces indications, encore assez incomplètes, nous prouvent que si Tanit tenait la première place dans l'adoration des fidèles, il était à côté d'elle

d'autres divinités, encore imparfaitement connues, qui оссиpaient un rang plus élevé peut-être en mythologie.

Outre les divinités qui formaient le fond commun de la religion phénicienne, les Phéniciens en avaient un grand nombre d'autres, dont le culte paraît avoir eu un caractère plus local. C'étaient parfois des divinités, étrangères dans le principe, mais qui avaient reçu droit de cité. Nulle part on ne remarque mieux le caractère syncrétique de la civilisation phénicienne. La plupart d'entre elles se rattachent, par leurs origines, à l'Egypte, et présentent, d'autre part, des assimilations avec la mythologie grecque. Osiris, Horus, Bast, Harpocrate avaient leurs adorateurs. Nebo figure dans un nom propre porté par un phénicien (Nebo-barak « Nebo bénit ») Une inscription d'Athènes porte le nom d'un Phénicien qui s'intitule « prêtre de Nergal.» Une autre inscription, bilingue, trouvée à Larnax-Lapithou, dans l'île de Chypre, contient une dédicace à la déesse Anat, dont le nom est rendu, en grec, par 'Av. Faut-il considérer ces divinités, Orisis par exemple, comme des dii peregrini, auxquels certains phéniciens rendaient un culte purement passager et individuel? La place qu'elles occupent dans les noms propres, le parallélisme qu'on établissait entre elles et certains autres dieux phéniciens (Malak-Osir, Malak-Baal), ne permettent pas de s'arrêter à cette idée. Certainement Osiris avait sa place dans le panthéon phénicien; seulement, ce n'était qu'une place d'emprunt, et il ne doit s'y être introduit qu'à une époque relativement récente, par suite de l'influence toujours croissante de l'Egypte sur la Phénicie.

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Il en est autrement de certains dieux, dont l'un ou l'autre ont eu des points d'attache avec l'Egypte ou l'Assyrie, mais qui ont une physionomie bien phénicienne, et qui paraissent avoir joui d'un très grand crédit. Resef était l'Apollon phénicien. Il nous est connu par les monuments égyptiens, où il porte le nom de Raspu, et par les inscriptions de Chypre. On en trouve également la trace dans la géographie (Resapha, en Palmyrène; Arsouf Apollonia) et dans la démonologie juive et chrétienne (les Resaphim, Raps; comp. le nom propre A6depάas Abdresef, Corp. Inser. Græc. n° 4463 et 4464). Ses traits. étaient ceux d'un dieu sémitique, et ses attributs ceux de l'Apollon Ekatébolos que l'on adorait à Amyclée, dans le Péloponèse. Il paraît avoir été particulièrement vénéré dans l'île de Chypre, où il porte le titre soit de Resef-Hes, à Citium, soit de Resef-Mikal, à Idalie. A côté de Resef, on trouve Semes « le soleil » dans le nom propre Abd-Semes, en grec, Hóspos, et dans le nom du mois de Zebah-Semes « le mois des sacrifices du soleil. » Sakon n'a, lui aussi, longtemps été connu que par les noms propres (Ger-Sakon, « l'hôte de Sakon, » en langue punique Giskon; Sanchoniathon, « Sakon a donné, » etc.) Depuis, on l'a retrouvé sous la forme légèrement différente AskounAdar, sur une inscription phénicienne d'Athènes. C'est, à n'en pas douter, le dieu que les auteurs anciens appellent Exos, et qu'ils identifient avec Hermès. Nous sommes dans une ignorance beaucoup plus grande au sujet d'autres dieux, Sasam, Dôm, dont nous ne con

naissons que le nom. Phtah, l'Hephaistos phénicien, rentre également dans la même catégorie. C'est une divinité égypto-cananéenne étroitement apparentée aux Patèques. Nous le retrouvons en Chypre, sous le nom de Poumai, Пoyuaïos, probablement un dérivé d'un autre nom divin, Paam, qui signifie « la trace » ou « le pas >> de Dieu. Le dieu Pygmée était une des formes du dieu nain, de l'Hercule grotesque qui est représenté sous les traits de Phtah. Ainsi s'explique la parenté qui s'est établie entre lui et Melqart d'une part, Adonis de l'autre, et le dire d'Hésychius : Iuyuaïos, ó Adoovis πapà Kumpios. Au fond, le dieu Pygmée est l'Adonis primitif.

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C'est parmi ces dieux et d'autres du même genre qu'il faut sans doute chercher les sept Cabires (Kabir « puissant »). Les Cabires étaient, ainsi que leur nombre l'indique, des dieux planétaires. Ils avaient pour chef Esmoun, « le huitième, » s'il faut en croire l'étymologie sémitique de son nom. Divers monuments, d'accord avec cette étymologie, le représentent à la tête de sept autres personnages dans lesquels on s'accorde en général à voir les Cabires. Esmoun venait immédiatement après Baal et Astarté, à Sidon; après Tanit et BaalHammon, à Carthage. C'était la troisième personne de la grande triade divine qu'on retrouve, sous des formes différentes, dans toutes les villes de la Phénicie. Esmoun était en effet la manifestation suprême de la divinité, celle qui enveloppait toutes les autres manifestations et les résumait en sa personne, comme le monde enveloppe les sept cieux planétaires. Il jouait, dans le sud de la Phénicie, le même rôle qu'Adonis dans le nord.

Esmoun avait pour correspondant dans la mythologie grecque Esculape ('Acxios). Comme lui, il était adoré sous la forme d'un serpent. Il avait d'autre part certains liens de parenté avec Hermès, ainsi que l'atteste le nom d'Hermopolis, donné par les Grecs à la ville de Smouneïn, en Egypte, qui lui était consacrée. Il ne faut pas oublier d'ailleurs qu'Hermès lui aussi est appelé à plusieurs reprises sur les inscriptions grecques Zeug Zothe « Dieu Sauveur. »> Ζευς Σωτὴρ Comme eux, Esmoun avait des vertus médicatrices. On lui élevait des sanctuaires sur les montagnes, ou près des sources réputées bienfaisantes. L'inscription trilingue de Pauli Gerrei en Sardaigne. nous a conservé le souvenir d'une guérison opérée par lui, probablement dans un de ces endroits élevés où les malades allaient chercher la guérison, loin des fièvres de la côte. L'inscription d'Esmounazar parle du temple que lui avait élevé ce roi, dans un lieu qui est appelé Ayin-Ydlal be-har, « la source d'Idlal dans la montagne. » Peut-être même avons-nous là l'indication du sanctuaire d'où le culte d'Esmoun s'est répandu dans le monde.

Tout ce groupe de divinités est caractérisé par deux traits distinctifs: ce sont tous des dieux nains ou des dieux-enfants, deux choses qui, au point de vue mythologique, reviennent au même, au point de vue iconographique, se confondent presque complètement. En second lieu, ils sont adorés sous forme de patèques, ou de oavá, c'est-à-dire de sculptures le plus souvent en bois, à la figure grima

çante et aux formes disproportionnées, portant une tête monstrueuse sur des jambes naines. Souvent le corps était remplacé par une gaine analogue à celle des Hermès grecs.

La Phénicie nous présente enfin des divinités complexes, formées par la réunion de deux divinités différentes, souvent l'une mâle, l'autre femelle: Esmoun-Astoret, Esmoun-Melqart, Esmun-Adoni, Malac-Baal, Malac-Osir, Malac-Astoret. Ces associations ont été appelées par les Grecs d'un nom qui devait désigner primitivement l'une d'elles en particulier, du nom d'Hermaphrodites. L'ile de Chypre est le lieu principal de ces identifications. Chypre était le point de rencontre du monde oriental avec le monde grec, et c'est par elle qu'ont passé la plupart des mythes de l'Egypte et de l'Assyrie pour pénétrer en Grèce. C'est enfin là qu'il faut chercher l'origine de plusieurs des héros de la mythologie grecque.

Les divinités que nous avons passées en revue n'épuisent pas encore le panthéon phénicien. Pour les Phéniciens, la plupart des phénomènes de la nature étaient divinisés. Les mois, et peut-être même les jours, avaient des divinités éponymes, les Alonei-Hôdes, et les Baalei-Yamîm. Les montagnes aussi avaient leurs dieux, le Baal-Lebanon, le Zeus Kάctos, etc.; il en était de même des rivières, des sources, des grottes, des rochers, de certains arbres, le palmier Zeus Anuxpouç Baal-Thamar. Tout devenait symbole, et les symboles, à leur tour, étaient adorés comme des dieux.

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Telle est l'origine du culte des bétyles, dont on retrouve la trace partout où s'est fait sentir l'influence de la Phénicie. Le mot bétyle, beth-El, « maison de Dieu, » est une expression générale qui sert à désigner toutes les pierres sacrées, c'est-à-dire toutes les pierres qui étaient considérées comme la résidence d'un dieu. Rien n'était plus variable que la forme et que la valeur religieuse de ces pierres. Quelques-unes d'entre elles étaient célèbres par tout le monde, et étaient considérées comme l'expression la plus haute de l'incarnation de la divinité. Il en était ainsi de la Diane d'Ephèse et de la Vénus de Paphos. En général, c'étaient des aérolithes ou des pierres qui y ressemblaient par leur nature volcanique et leur aspect mystérieux. D'autres fois, c'étaient des cippes, c'est-à-dire des pierres que l'on dressait en l'honneur d'une divinité, et qui acquéraient, par cette consécration, une valeur religieuse spéciale. C'était moins que des dieux, mais plus que de simples ex-voto. On les désignait aussi du terme de neçib ou de maçebet, que l'on faisait suivre du nom de la divinité. Les hamanim paraissent avoir désigné des monuments analogues. En général, ces pierres étaient coniques ou ovoïdes; quelquefois elles avaient la forme de pyramides. Peut-être faut-il établir une distinction sous ce rapport entre celles qui représentaient des divinités mâles ou femelles. D'autres fois c'étaient des colonnes comme dans le temple de Melqart, à Tyr. Toutes les divinités à peu près avaient leurs bétyles; pourtant on est amené à reconnaître que l'on représentait plus volontiers sous cette forme des dieux de second

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