CHAPITRE XIV. Événemens de l'Année de la Souris, répondant à celle de l'Hégire 1157. Nad. 57. LE Vendredi, cinquième du mois Sefer, fix A.D. 1744. minutes après la fixième heure, le monarque du quatrième ciel, le rayonnant foleil, s'avança de la ftation des Poiffons vers fon fiége exalté du Belier. L'armée de la faifon pluvieuse fut mise en fuite, & les forces de la nuit défaites. Le fplendide & valeureux printemps déploya fes bannières de cyprès & de pins, & fit entendre la mufique guerrière de fes nuées foudroyantes. Les troupes militaires des jardins furent mifes en ordre. Les bataillons des arbres & des arbuftes fe couvrirent de leurs cafques de fleurs & de boutons, & fe préparèrent à repouffer l'armée de l'hiver. La fête royale de cette belle faifon fut célébrée avec la plus agréable pompe dans la station de Kalmerou, & le banquet de la nouvelle année fut accompagné de gloire & de profpérité. En ce même temps, Ahmed Pacha Gemal Nad. 57. A.D. 1744. Ogli, généraliffime pour la cour Ottomane, qui avoit été envoyé à Cars, afin d'y foutenir les intérêts du prétendant Mohammed Ali connu fous le nom de Sefi Mirza, fit répandre des lettres dans les diftricts de l'Azarbigian, qui déclaroient ses mauvaises intentions. fous les Quelques-unes de ces lettres, étant tombées yeux de fa Majefté, allumèrent dans fon cœur le feu d'une jufte colère & l'obligèrent de faire marcher les troupes royales vers Abher. En ce lieu elle apprit que ce général avoit été dépofé; 'qu'Ahmed Pacha, dernier grand vifir, avoit été nommé à sa place, & que Mohammed Aga, envoyé de Bagdad pour traiter de la paix, attendoit alors à Conftantinople des nouvelles d'Ahmed Pacha. Sur ces intelligences fa Majefté envoya ordre au commandant d'Erivan de mettre en liberté les prifonniers Turcs, &, les faifant conduire au nouveau généraliffime à Cars, d'effayer fi on en pourroit venir à des moyens d'accom-' modement. Le gouverneur obéit, mais le général Turc envoya pour réponse, "Qu'après 86 ce qui s'étoit paffé, il étoit impoffible de "conclure une paix ; qu'il étoit envoyé par l'augufte Porte pour foutenir & établir Sefi "Mirza, amené par lui en Perfe." 66 En chemin fa Majefté reçut la nouvelle Nad. 57. que Sam avoit été fait prifonnier. Ce pré- A.D. 1744. tendant, après avoir été défait à Chirvan (comme il a été dit dans le récit des événemens de la précédente année), avoit pris la réfolution de s'enfuir en Georgie; mais étant obfervé par Tahmouras Khan, & ayant été furpris dans les défilés d'Ekhelkil, le vingt- 30 Décemquatre du mois Zou'lkadé, il avoit, ainfi que ceux qui accompagnoient sa fuite, été envoyé, chargé de chaînes, au château de Karakelgian. Sa Majefté ordonna auffitôt qu'on arrachât les yeux à Sam, & qu'il fût envoyé avec les autres prifonniers à Ahmed Pacha, avec ce meffage, que," Puifque Sefi Mirza étoit avec "lui, les deux frères pourroient s'entre-regarder." 66 Quand les troupes royales furent parvenues à Couri en Georgie, la nouvelle fut apportée de la défaite des Turcs, qui arriva de la manière fuivante. Après que les ministres de la Porte eurent réfolu de foutenir les prétensions de Sefi Mirza, dans le nombre des projets qu'ils firent pour y réuffir, fut celui-ci. Ils envoyèrent plufieurs dons précieux à Ahmed Khan Ofmeï, à Mohammed fils de Serkhaï, & aux chefs d'Oar, de Genktaï, de Tabrefran, & de Derbend, le tout accompagné de lettres flatteufes pour chacun d'eux, leur demandant leur affiftance en faveur du prince Sefi Mirza. bre, 1743. A.D. 1744. Youffef Pacha, gouverneur d'Akhefké, fut chargé de cette commiffion; mais, quand il eut atteint Couri, Tahmouras Khan, commandant de Cakht, étant averti de fon intention, & s'étant joint à Ali Khan Kiligi, gouverneur de Teflis, dreffa une embuscade pour le furprendre. Youffef, pour plus grande fureté, s'étoit campé proche d'une montagne dans le milieu d'un défert, & avoit envoyé les préfens & les lettres par la voie du Dagheftan. Mais les deux Khans, qui connoiffoient parfaitement les chemins, & qui poffédoient l'art de la guerre, envoyèrent un détachement, qui, fermant les paffages à ces meffagers, en tuèrent ou firent prisonniers la plupart, s'emparant de leurs préfens & de leurs lettres. Quand Youffef Pacha apprit le malheur arrivé à fes gens, il en perdit prefque la raifon, & devenant le compagnon de l'étonnement & l'ami de la confufion, il s'enfuit & périt dans fa fuite. Au récit de ce fuccès, fa Majefté récompenfa Tahmouras Khan par le gouvernement de Cartil, & donna à fon fils Ezeikeli Mirzaï celui de Cakht. Les importantes affaires du Chirvan étant ainfi décidées, fa Majefté manda le prince Nafralla Mirza, qui, obéiffant à ce commandement, joignit l'armée royale. Alors les éten Nad. 57. dards conquérans ayant quitté les bords de A.D. 1714. Peugekhan, s'avancèrent par les quartiers de Coktché, & s'arrêtèrent dans un endroit nommé Khanki, à fix parafanges d'Arpet chaï. Le douze de Giumadi'lakhri les bagages 31 Juillet. furent laiffés en ce lieu, & l'armée marcha à Cars. Au dehors de cette cité, les victorieuses bannières brilloient dans le firmament, & toutes les fois que le général Turc, ou les Pachas, faifoient quelques forties, ou préfentoient bataille, auffi fouvent plufieurs d'entre eux étoient tués, ou faits prifonniers, & le refte obligé de fe retirer en défordre dans la place. Cependant, le douze de Regeb les bagages 11 Août. joignirent le camp; fa Majefté fit enfuite élever des forts & des retranchemens autour de Cars, diftribuant fes troupes & fon artillerie dans les différens quartiers. Ahmed Khan le Lekzie, qui, à la réquifition des Turcs, étoit venu affifter le commandant de Cars, voyant les chofes dans cette fituation, entreprit de s'échapper pendant la nuit avec les fiens; mais les fentinelles ayant donné l'alarme de leur fuite, un détachement fut envoyé fur leurs pas, & plufieurs d'eux furent mis à mort. Les affiégés s'affoibliffant tous les jours, & les |