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Mais le plus grand obftacle qui fe présenté à l'étude de ces idiomes, c'est l'extrême rareté des manufcrits Afiatiques, la plupart étant ren fermés dans les bibliothéques de rois de l'Europe; et dans celles de nos univerfités. Or, qui peut paffer tous fes jours dans ces bibliothéques? On ne fauroit y entrer la nuit, qui eft le temps le plus propre aux études; et même aux heures où elles font acceffibles, on y eft détourné par l'impertinence des gens défœuvrés, où l'intrufion des objets extérieurs. D'un autre côté qui feroit affez hardi pour entreprendre l'impreffion de ces manufcrits, dont les frais feroient immenfes? Tous les poëmes des Grecs, depuis l'Iliade, et les fragmens de Linus jufqu'à Pifidas, et à Jean Tzetzes, avec une traduction Latine, font contenus dans deux volumes in folio, et deux cents volumes de la même groffeur fuffiroient à peine pour contenir, fans la traduction, tous les poëmes Arabes, Turcs, et Perfans, qui ont paffé par les mains de l'auteur.

Il n'y a qu'un feul moyen pour mettre ces ineftimables ouvrages à la portée de tout le monde. Le voici; que les monarques, les républiques, les univerfités, les grands, qui ont du goût, ou qui prétendent en avoir, s'efforcent d'établir dans leurs principales villes des imprimeries pour les langues Orientales. Que

les imprimeurs ayent foin de faire inftruire leurs fils ou leurs apprentifs dans ces idiomes;

par ce moyen, nous aurons avant la fin du fiècle des Aldes, des Giunti, des Etiennes, des Callierges, et des Elzevirs, dont les favans à venir rechercheront les travaux, et dont les belles éditions orneront le cabinet des curieux. Les excellens livres font les lunes ou les fatellites qui éclairent notre planète: car on fait bien qu'il n'y a qu'un foleil; c'eft le livre des écritures facrées: les ouvrages du fecond rang font des étoiles de différentes grandeurs, et de différentes utilités; les manufcrits font celles de la voie lactée, dont nous admirons l'immenfité fans en profiter; ou plutôt ce font des aftres dont un nuage épais obscurcit la clarté, et dont il feroit à fouhaiter que les ombres fuffent diffipées.

Tels font les obftacles qui' s'opposent à l'étude des langues Afiatiques. La littérature Grecque luttoit contre les mêmes difficultés, lorfque, vers le milieu du quinzième siècle, le ciel fembla fe déclarer en fa faveur, par la révolution inopinée qui occafiona fon progrés. Mahomet fecond, auffi grand guerrier qu'homme d'efprit, ayant pris Conftantinople, y établit le fiége de fon empire. Quelques favans Grecs fe refugièrent chez les princes

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de l'Italie, efpérant d'y trouver du fecours contre le défolateur de leur patrie. Ils ne réuffirent pas dans cette entreprife, et n'ayant rien de mieux à faire, ils fe confolèrent, et fe mirent tranquillement à enfeigner du Grec. De là font venues ces merveilles de favoir et d'élégance, qui nous éclairent, et nous charment. De là, en même temps, a procédé cé fatras de favantes folies qui inonde l'univers fous les noms de commentaires, de méditations, de mélanges, de tréfors, d'eclairciffe mens, que la fécondité des Clariffimi Viri* enfante de jour en jour.

O rivière, en or pur, en perles fi féconde,
Quel amas de limon obfcurcit ta belle onde !

Tandis que lés ténèbres de l'ignorance enveloppoient l'Europe, les Afiatiques cultivoient

Perfonne n'a mieux décrit l'efprit des commentateurs que l'auteur d'une lettere anonyme, où l'on croit reconnoître les traits de Rouffeau. "Les commentateurs, dit"il, fuppriment les chofes effentielles, et étendent celles

qui n'en ont pas befoin; ils ont la fureur d'interpréter "tout ce qui eft clair; leurs explications font toujours

plus obfcures que le texte, et il n'y a forte de chofes "qu'ils n'aperçoivent dans leur auteur, excepté les grâces "et la fineffe." Voyez la lettre à M. Grimm au sujet des remarques ajoutées à fá lettre fur Omphale.

les fciences et la poëfie. Les rois même avoient beaucoup de goût et d'esprit; chofe, qui paroîtra apocryphe; mais qui ne laiffe pas d'être auffi vraie, qu'étrange. Ce même Mahomet II. en entrant dans le palais de l'empereur Grec, récita un diftique très-élégant, foit de fa compofition, foit de celle de quelque poëte Perfan; mais qui, peut-être, fut fait fur le champ; en voici le fens littéral :

"L'araignée file fa toile dans le palais de "Céfar, l'hibou entonne fon chant lugubre "fur les tours d'Afrafiab*.”

* Ce couplet eft cité par le Prince Cantimir; en voici l'original,

Perdé dari mikuned ber cafri Keifar ankebout

Boumi neuhet mizened ber kumbedi Afrafiab

پرده داری میکند بر قصر قیصر عنکبوت توحت میزند بر کنبد افراسیاب بومي

Il eft impoffible d'exprimer en François la belle allufion dans les mots Perfans Perdedari mi kuned. Perdé eft un voile, perdé dar celui qui tient le voile, le chambellan, l'officier que les Arabes appellent Emir Hageb. Ainfi Perde dari eft l'office du chambellan; et perde dari kerden veut dire exécuter cet office. Mi kuned eft le tems préfent de kerden. De façon que le vers fignifie "l'araignée “fait l'office de chambellan, et tient le voile dans le pa"lais de Cefar." Afrafiab eft l'ancien roi de Turkeftan qui envahit la Perfe. C'est l'Aftyage des Grecs, qui ont étrangement corrompu les mots Perfans qu'ils ont

Cependant, il s'en faloit beaucoup que l'Italie fût alors auffi poëtique que le monarque Turc. Quand les Lafcaris, les Chalcondyles, les Beffarion, parloient de la poësié, et de l'éloquence, on leur répondoit par des "chimères bourdonnant dans le vide," par l'existence poffible d'un héros, et l'existence réelle d'une puce. Les Grecs étaloient avec ardeur les beautés de Sophocle et de Pindare; les Italiens prouvoient froidement ces beautés (qu'ils ne fentoient pas) par des fyllogifmes en Baroco.

Enfin le foleil chaffa les nuages; le vrai favoir l'emporta fur le faux; les fyllogifmes furent relégués dans les cloîtres, ou réfervés dans le dix-huitième siècle pour nos univerfités. Les rois de ce temps aimoient les favans, et couronnoient leurs travaux. En fait de littérature Orientale, nous fommes en Europe auffi ignorans à prefent que l'étoient alors dans le Grec les logiciens de l'Italie; car, quoique nous ayons eu des hommes trés-versés dans les langues Afiatiques, l'étude n'en a jamais été générale. Nous ofons prédire qu'elle ne le fera jamais à moins qu'il ne s'élève parmi

adoptés. Cet Afrafiab fut long temps poffeffeur de l'Azarbigian, l'ancienne Médie: c'eft pourquoi il eft appellé Roi des Mèdes. Il étoit comme le difent les Grecs, l'aïeul de Cofrev ou Cyrus.

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