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que les mêmes auteurs & des ouvrages de trois mille ans.

Si les précieux volumes des Orientaux qui fe trouvent dans les ineftimables bibliothéques de Paris, de Leyde, d'Oxford, de Vienne, & de Madrid, étoient publiés avec l'avantage ordinaire de notes & d'explications; fi les langues Orientales étoient enfeignées dans nos univerfités, au lieu de cet art que Locke & le Chancelier Bacon regardoient comme fi inutile; un nouveau champ feroit ouvert à nos contemplations; nous pénétrerions plus avant dans l'histoire du cœur humain; notre esprit feroit pourvu d'un nouvel afsortiment d'images & de comparaifons: en conféquence on verroit paroître plufieurs excellentes compofitions fur lefquelles les critiques futurs auroient à s'exercer, & que les poëtes à venir pourroient

imiter.

SECTION II.

Sur la Poëfie béroïque des Nations Orientales.

LES Arabes n'ont point de poëmes qu'on puiffe proprement nommer héroïques. A la vérité, ils ont des hiftoires élégantes qui font

ornées de toutes les grâces de la poëfie. Dans ces hiftoires on trouve des images dont les traits font marqués & hardis, des expreffions vives, de très belles defcriptions, & des fentimens terminés avec des mots du même fon. En voici un exemple tiré de l'histoire de Tamerlan, écrit par Abou Arabchah, où cet auteur dans une defcription fleurie compare l'armée de ce prince au printemps.

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Quand la nature comme une fervante "adroite paroit la terre des ornemens d'une "nouvelle époufe, que les bocages reprenoient "leur verdure éclatante; les troupes victori"eufes couvrirent le pays, & pafsèrent comme "des dragons fur les plaines. Leur mufique "guerrière reffembloit au tonnerre, que ren"ferment les nuées du printemps, & leurs "cottes de maille brilloient comme l'éblouiffant "éclat des éclairs. Leurs boucliers maffifs "les couvroient comme l'arc-en-ciel fufpendu "fur les montagnes. Leurs lances & leurs 'javelines s'agitoient comme les branches des

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jeunes arbres & arbuftes. Leurs cimeterres "étinceloient comme des météores, & les "clameurs de l'armée étoient femblables au "bruit d'un nuage qui s'éclate. Les ban"nières refplendiffantes dans les airs étoient cc comme des anemones, & les tentes reffem"bloient aux arbres chargés de boutons

"dorés. L'armée fe répandit comme un "torrent, & ondoyoit comme les branches "d'une forêt fecouée par la tempête. Ta"merlan à la tête de fes troupes avança vers "Samarcande au travers des bocages verdoyans "& parfemés de fleurs odoriférantes & de La joie étoit fa compagne, la

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myrte.

gaieté fa conductrice, le contentement l'ami "de fon cœur, & le fuccès fon inféparable "fuivant."

De telles hiftoires n'étant donc point confidérées comme des poëmes, même parmi les Arabes, nous n'en parlerons pas davantage, & nous en viendrons aux ouvrages des Perfans & des Turcs.

Ces deux nations ont un nombre infini de poëmes fur les exploits & les avantures de leurs fameux guerriers, mais ces poëmes, étant remplis de fables extravagantes, font plutôt confidérés comme des romans & des contes que comme des poëmes héroïques. Les feuls ouvrages de Ferdufi peuvent justement réclamer ce titre ; ils contiennent l'hiftoire de Perfe, depuis Caïoumaras jusqu'à Anouchirvan dans une fuite de très beaux poëmes. Cette collection porte le nom de Chahnamé, & prefque la moitié de chaque volume contient un poëme entier fur une grande & intéreffante action de la guerre entre Afrafiab

roi de Touran, ou du pays au nord de l'Oxus, & les Sutans, de l'Iran ou de la Perfe, de la race des Caïnides.

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Afrafiab avoit envahi l'empire de Perfe, où il prétendoit avoir droit de régner comme defcendant de Feridoun. Il étoit affifté par l'empereur des Indes, & par celui de la Chine, ainfi que par tous les démons, les géans, & les enchanteurs de l'Afie. Il avoit pouffé très-loin fes conquêtes, & s'étoit rendu formidable aux Perfans, quand Ruftem prince du Zablestan, l'Achille, ou plutôt l'Hercule de l'Orient, marcha à la tête de ses troupes contre l'ufurpateur, &, par fes grandes actions, rendit vaines toutes les embuches des magiciens, défit les dragons & les monftres, vainquit les empereurs confédérés, & mit fin à cette guerre par la mort d'Afrafiab.

Ce poëme eft auffi long que l'Iliade: il peut être divisé en douze chants, dont chacun pourroit être diftingué par les principaux événemens qu'il renfermeroit; comme, les avantures de Ruftem, la mort de Sohareb, l'histoire & la mort de Siaveche, les actions de divers héros, celles de Tus Nudar, les exploits de Ruftem, les amours de Pajan & de Maniza, l'histoire de Barzeus, les ftratagèmes de Sevizan l'enchantereffe, les exploits de Gudarz, & la mort d'Afrafiab.

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Le premier chant commenceroit par la description de Ruftem, fuivie de quelques avantures intéreffantes, dans lefquels on n'a pas oublié le cheval du héros nommé Bakhche, ou éclair, qui, protégeant le fommeil de fon maître, tua un lion qui s'étoit élancé de la forêt pour le dévorer.

Dans le fecond chant fe trouveroit une épifode tendre & touchante, dont voici le fujet. Ruftem, voyageant fous un nom emprunté, avoit trouvé le moyen de féduire une jeune princeffe, à qui la honte fit enfuite exposer le fruit de cet amour infortuné. Sohareb, c'est le nom de cet enfant abandonné, ne connoiffant point fes parens, entre au fervice d'Afrasiab, eft avancé par ce roi aux premières charges de l'armée, & enfin envoyé pour combattre Ruftem, qui ne le reconnoît pour fon fils qu'après l'avoir mortellement bleffé.

Les dix autres chants feroient également excellens, & diverfifiés par des événemens agréables.

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Une grande profufion de. favoir a été prodiguée par quelques critiques, en comparant Homère aux poëtes épiques qui l'ont fuivi, mais il ne faut pas beaucoup de difcernement pour décider qu'on ne l'a jamais égalé. Ce grand homme, père des fciences & de la poëfie Grecque, eut un génie trop fertile &

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