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fauroit donner nulle grâce dans nos idiomes Européens, même en les décompofant comme on vient de faire de ceux-ci, quoiqu'ils ayent beaucoup d'élégance en Perfan.

On peut dire au fujet des langues Arabe & Perfane ce que le chancelier Bacon difoit du Latin & du Grec: la première de ces deux langues femble formée pour les actions militaires & civiles; la feconde pour la cultivation des arts; les détails & exactes diftinctions des fciences & des arts; requérant des mots compofés, peu néceffaires dans ce qui ne regarde que la guerre & les règles de la fociété. Le fecond avantage que les auteurs Afiatiques ont fur nous pour devenir bons poëtes, eft la facilité & la variété des mefures dont ils fe fervent dans leurs vers. Ils ont toutes les quantités & diverfités de nombres dont parle Epheftion, & dont Pindare donne des exemples; avec cette différence, que, comme ils ont plus de fyllables longues qu'ils n'en ont de brèves, ils fubftituent ordinairement le grave & le folennel au vif & à l'animé. Les Perfans dans leurs poëmes héroïques fe fervent prefque toujours du vers trochaïque d'onze fyllables: comme,

Bé zebánchud kér che dáred fád nuvá.

Leurs vers lyriques font fouvent de la mesure 'd'une brève fuivie de trois longues: comme,

Bedéh fáki meï báhi ke dér génnét
Mekháï yáft.

La rime eft très-ancienne chez les Arabes, defquels les poëtes Provençaux & Caftillans l'ont reçue, mais dans les vers Afiatiques elle n'enchaîne point le fens comme dans les vers Européens, les idiomes de ces peuples étant très-abondans en mots d'une même terminaison. On trouve dans quelques-uns des plus longs poëmes Arabes la même rime continuée alternativement pendant tout l'ouvrage. Dans plufieurs odes Perfanes chaque diftique finit par le même mot, & alors la rime tombe fur la pénultième fyllable: comme,

Saki beár badé ke amed zemáni gúl
Chan bulbulan nazul kunéin icháni gul.

"Garçon, apportez du vin, car la faifon des roses eft

venue,

"Ainfi que les roffignols, repofons-nous fur des couches "de rofes."

C'eft peut-être autant par cette facilité de la verfification Orientale que par la chaleur du climat, que l'Afie a produit de plus jeunes poëtes que nulle autre partie du monde.

On

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raconte du célébre Abderrahman fils d'Hiffan, qu'ayant été piqué par une guêpe lorsqu'ïl n'étoit encore qu'un enfant, & cet insecte lui étant inconnu, il courut à fon père en s'écriant, "Qu'il avoit été piqué par un infecte tacheté "de jaune & de blanc comme le bord de fa vefte;" on ajoute, qu'à ces mots prononcés dans la mesure d'un vers Arabe auffi élégant que naturel, Hiffan connut le talent de fon fils la poëfie.

pour

Tarafa, fils d'Alalbd, un des fept poëtes dont les élégies étoient fufpendues aux murailles de la mofquée de la Mecque, donna dès l'âge tendre de fept ans des marques fingulières de fon brillant génie. On dit de lui que voyageant avec fon oncle Motalammes, & leur caravane s'étant arrêtée pour se rafraîchir fur le bord d'un clair ruiffeaux, il fe mit à tendre des lacs aux alouettes ; mais que n'en ayant encore pris aucune lorsqu'on fe remit en marche, il compofa dans cette occafion les vers fuivans:

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"Tu te joues, O alouette! dans l'étendue de la plaine; "Tu jouis d'un air libre, chante donc & multiplie en "fureté;

"Vole, & becquete alentour tout ce que tu peux

"défirer;

"L'oifeleur fe retire, réjouis-toi de fon départ,

"Le piége eft ôté, & tu n'as plus rien à craindre; "Mais, plutôt crains, crains toujours, car à la fin tu "feras prife."

C'eft fans doute auffi à ces mêmes caufes qu'on doit attribuer la facilité & la vivacité des Arabes dans leurs impromptus: l'hiftoire fuivante prise du livre nommé Succardán en eft une preuve. Un poëte qui fuivoit la cour d'Haroun Alrachid, étant un jour entré dans l'appartement de ce prince, le trouva avec une de fes favorites, & une corbeille de rofes placée devant eux. Après une gracieuse réception, Haroun commanda au poëte de com→ pofer un couplet, & d'y faire entrer quelque vive comparaifon à la couleur de ces fleurs; fur quoi celui-ci répondit :

Cainho louna khaddi mâchúki yakbelho
Fomoél habibi wakad abda behi khogelan.

Elles reffemblent aux joues d'une belle

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fille, lefquelles, à l'approche d'un amant

prêt à lui ravir un baifer, fe couvrent "d'une aimable rougeur."

La dame répliqua fur le champ:

Cainho louna khaddi hein yadfáni
Caffò rafhid leamri yougeb algoftan.

"Elles reffemblent plutôt à mes joues, "quand la main d'Alrachid preffe la

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Ces quatre vers font très-élégans en Arabe, mais on n'en a pas traduit les derniers mots, parce qu'ils font allufion à une coutume particulière des Mahométans, peu conforme à nos idées.

Dans le nombre des avantages que les poëtes Asiatiques ont fur nous, on doit mettre, au rang des plus confidérables, la vénération que les peuples Orientaux ont pour la poëfie, & les délices qu'ils y trouvent. Par là, le moindre talent eft cultivé, & ceux qui possèdent quelque étincelle de génie, loin de la laiffer éteindre, travaillent à fe faire un nom dans un art fi respecté.

Les Arabes font fi amateurs de la poëfie, & fi perfuadés de fon pouvoir & de ses effets, qu'ils lui donnent le nom de Magie légitime. Le célébre Abu Temam dit dans une de fes odes, "Les beaux fentimens exprimés en

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profe font comme des perles & des pierre"ries parfemées au hafard; mais quand ils "font liés ensemble dans les vers, ils devien"nent des bracelets & des ornemens pour les "diadèmes des rois."

Cette élégante allufion eft confervée chez les Perfans, & parmi eux, enfiler des perles,

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