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que c'est à Charlemagne seul que remonte le pouvoir temporel du saint-siége, et que par conséquent le livre célèbre de Janus sur le Pape et le Concile a été injuste en accusant sur ce point le pape d'une honteuse supercherie et Pépin d'une grossière crédulité 1.

Deux des appendices de M. Œ. sont intéressants pour la critique des sources. Dans le premier appendice, qui traite de la chronologie des affaires d'Italie, M. E. montre que le 4o continuateur de Frédégaire emploie les termes mêmes de la Vulgate pour raconter les événements de son temps. Il faut donc, avant de prendre ses expressions au pied de la lettre, voir si elles ne sont pas empruntées à un passage de l'Ancien Testament. C'est ainsi que la phrase du ch. 20: eo tempore quo solent reges ad bella procedere, qu'on avait prise jusqu'ici comme désignant le printemps, est une simple reproduction d'une phrase du XIe ch. de

Samuel.

Dans son appendice XVI, M. Œ. prouve que les Annales Xantenses 2, qui contiennent pourtant des notes écrites au viiie s., ont été composées sous leur forme actuelle au XIIe s. et empruntées en partie à Sigebert de Gembloux. Il prouve également que les Annales Laurishamenses n'ont pas été copiées sur les Annales Mosellani comme on le croyait jusqu'ici, mais qu'elles ont été copiées comme les Mosellani sur des Annales perdues provenant de Metz, et qu'elles en représentent la copie la plus fidèle. Les Annales Petaviani, qu'on regardait comme un mélange des Ann. Mosellani et des Ann. S. Amandi, sont tirées des Ann. de St.-Amand et des Ann. perdues de Metz; les Mosellani, au contraire, sont un mélange des Annales perdues de Metz et des Petaviani 3.

L'œuvre que poursuit la Commission historique de Munich en publiant les Annales de l'empire allemand est éminemment utile. Il ne s'agit point ici de composer des œuvres littéraires où l'histoire de chaque règne soit présentée au grand public, embellie de tous les artifices de la composition et du style. Les collaborateurs de la commission ont une mission plus modeste. Ils doivent fournir une étude critique approfondie et une exposition complète d'une période, année après année, sans s'écarter de l'ordre chronologique et en fournissant toutes les preuves des opinions qu'ils soutiennent. Ils n'écrivent pas l'histoire des règnes, ils la préparent. Ils déblaient le terrain, donnent avec précision sur chaque point les résultats auxquels la science est arrivée, et fournissent ainsi une base solide à ceux qui voudront après eux entreprendre des travaux plus étendus et plus généraux. Tant qu'on n'a pas fait la critique de toutes les sources et celle de tous les faits, les auteurs d'histoires générales parlent et écrivent au hasard. Aussi appelons-nous de tous nos vœux la rapide continuation des Annales de

1. Voy. Janus, p. 150-152, de la trad. française, par M. Giraud-Teulon fils. 2. Pertz, SS. II, p. 217 ss.

3. M. Elsner a cru devoir, dans sa préface, parler de la politique actuelle et de la guerre de 1870-1871. C'est là un petit ridicule auquel échappent difficilement, aujourd'hui, les écrivains allemands. Cette immixtion intempestive de la grande patrie allemande » et de ses victoires surprenantes » dans l'histoire de Pépin le Bref m'avait d'abord inspiré des craintes sur l'impartialité scientifique de l'auteur. Mais ses préoccupations politiques ne paraissent avoir en rien influé sur ses opinions historiques.

l'empire allemand, et la publication d'œuvres du même genre sur les diverses époques de notre propre histoire.

G. M.

$3.- Robert der Tapfere, Markgraf von Anjou, der Stammvater des Kapetingischen Hauses, von D' Phil. K. VON KALCKSTEIN. Berlin, O. Lowenstein, 1871. 1 vol. in8o, x-165 p.

Ce petit livre a peut-être pour unique mérite de nous montrer à quels défauts peut conduire l'exagération de la méthode suivie par la plupart des savants allemands dans la composition des livres d'histoire. Le soin avec lequel ils indiquent leurs sources et donnent les preuves de chaque opinion qu'ils avancent est assurément aujourd'hui le premier devoir de l'historien; mais il est oiseux de tout dire, de faire assister le lecteur à tout le travail auquel l'auteur a dû se livrer pour arriver à former son jugement. On louait récemment dans cette Revue le plan suivi par les Annales de l'Empire allemand, et qui consiste à élucider, année après année, tous les événements d'un règne. Mais est-ce à dire que M. de Kalckstein a eu raison d'appliquer le même système à un personnage qui, malgré l'importance du rôle qu'il a joué, n'occupe cependant qu'une place secondaire dans l'histoire, à Robert le Fort, l'ancêtre des Capétiens, comte et missus dominicus en Touraine (852) et défenseur de la marche d'Anjou contre les Bretons et les Normands (861-866). Vouloir raconter sa vie en laissant les événements dans leur ordre strictement chronologique, sans en passer un seul, si minime qu'il fût, c'était s'exposer à un double écueil, que M. de K. n'a pas su éviter. Pour faire comprendre l'histoire de Robert, intimement mêlée à l'histoire générale, il a dû grossir son livre d'une foule de détails, de faits qui n'appartiennent pas directement à son sujet; et malgré cela, l'œuvre reste obscure et confuse, parce que le rôle de Robert ne devient clair que si on le rattache à l'histoire générale et ne peut être compris si on en fait le centre d'un, récit détaillé. Ajoutez à cela que si M. de K. a évité, en suivant la méthode annalistique, les difficultés d'une composition plus savante, il n'en est pas moins diffus et confus dans le récit particulier des événements de chaque année. Son style embrouillé et terne répand sur le tout un ennui insurmontable.

Ce n'est pas que son travail soit dénué de tout mérite. Il est consciencieux et généralement exact, il peut avoir une utilité personnelle pour l'auteur; ce serait un assez bon travail d'élève dans une conférence historique, dans un séminaire, comme on dit en Allemagne. Mais était-il bon de l'imprimer sous cette forme prolixe et indigeste? Il est permis d'en douter. L'ouvrage de MM. Dændliker et Müller sur Liutprand, celui de M. de Kalckstein sur Robert le Fort sont des exemples de l'excès où se porte la minutie érudite des Allemands. C'est là un défaut, du reste, contre lequel il n'est malheureusement pas nécessaire de prémunir nos compatriotes.

1. 1873, n° 7.

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$4. Die Eroberung Preussen durch die Deutschen, von Albert Ludwig EWALD. Erstes Buch. Halle, Buchhandlung des Waisenhauses. 1 vol. in-8°, vj-241 p.

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Le titre de cet ouvrage paraît tout d'abord paradoxal; depuis quelques années on songe plus à l'annexion de l'Allemagne par la Prusse qu'à celle de la Prusse par les Allemands. Il n'en est pas moins vrai que le royaume qui personnifie aujourd'hui l'unité germanique doit son nom à un peuple non allemand, les Prussiens (Preussen, Borussi). Ce n'est pas là une des moindres bizarreries de l'histoire.

Aujourd'hui la province de Prusse n'est plus qu'une petite partie du grand État auquel elle a donné son nom. Elle ne lui fut définitivement rattachée qu'en 1772, lors du partage de la Pologne; on a célébré il y a quelques mois le centenaire de cette annexion. Suivant un usage cher à l'Allemagne cette solennité a donné lieu à quelques publications de circonstance où l'érudition a joué son rôle. C'est à cette occasion que M. Ewald a entrepris de raconter dans un ouvrage spécial la manière dont la Prusse est devenue allemande. C'est un chapitre intéressant de l'histoire du Drang nach Osten. Il y a plus d'un demi-siècle que Voigt commença son grand ouvrage sur la Prusse; depuis ce temps, la publication des Scriptores rerum prussicarum a permis d'étudier plus sûrement les vicissitudes de la vieille Prusse (Altpreussen) et des chevaliers teutoniques. Le livre de M. Ewald n'est donc pas inutile, il a d'ailleurs l'avantage d'offrir sous une forme plus accessible un épisode peu connu des annales germaniques. Nous ne savons quelle sera la longueur totale de l'ouvrage; le premier livre va des origines à l'année 1239, époque ou mourut Hermann de Salza le plus illustre grand-maître de l'ordre teutonique. Le tableau que l'auteur trace de son activité, du grand rôle qu'il joua dans l'empire d'Allemagne et dans la chrétienté, les détails intéressants sur l'organisation de l'ordre teutonique forment la partie principale de l'ouvrage. Nous n'y trouvons rien à reprendre; M. Ewald paraît fort au courant des sources générales et des documents locaux. Il nous semble cependant que l'élément germanique occupe dans l'ensemble de l'ouvrage une place un peu exagérée; M. Ewald ne s'est pas, croyons-nous assez occupé de rechercher ce que pouvaient valoir ces populations barbares pour qui la conversion au christianisme fut presque toujours le synonyme de la conquête et de la violence. Même à ce peuple des Prussiens dont le nom devait jouer plus tard un si grand rôle, il ne consacre que cinq ou six pages assez rapides (P. 138–144). Nous aimerions à être éclairés par exemple sur leur mythologie, à savoir ce qu'il faut penser de l'identification proposée entre le Perkonnas lithuanien et le Peroun des Slaves. M. Ewald glisse rapidement sur ce côté délicat de son travail. La deutsche Cultur dans son développement un peu brutal, parfois même violent, suffit à contenter sa patriotique curiosité. Malgré l'extrême modération et le sang-froid de l'écrivain, il lui échappe des phrases un peu singulières, celles-ci par exemple (p. 7):

<<< Les tribus wendes (slaves) des Wiltzes et des Obotrites habitaient le Meck

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lembourg actuel. Toutes deux avaient déjà fait connaissance avec la culture germanique par l'intermédiaire de Charlemagne. Les Obotrites avaient été ses alliés contre les Wiltzes récalcitrants. Le grand roi des Francs avait pénétré jusqu'à la mer Baltique, châtiant par le fer et le feu toute espèce de résistance. »> Voilà une façon étrange de faire connaissance avec la culture germanique. Il ne faudrait point abuser de ce terme.

M. Ewald paraît d'ailleurs trouver fort légitime que l'on ait employé tour à tour, pour la conversion des païens, tantôt l'envoi de missions pacifiques, tantôt la force du glaive (des Schwertes Gewalt), c'est là une question de sentiment que nous ne discuterons pas. Les historiens slaves (par exemple M. Hilferding dans son histoire, malheureusement inachevée, des Slaves baltiques) ont envisagé les choses à un autre point de vue et les chroniques d'Helmold ou d'Adam de Brême fournissent plus d'un texte peu flatteur pour l'amour-propre germanique.

Notons comme erreurs de détail le titre de duc (Herzog) donné à Boleslaw le Vaillant, qui fut pourtant le premier roi de Pologne, et les transcriptions vicieuses de la plupart des noms polonais. Ainsi on trouve à 7 lignes de distance le même nom (Mieczyslaw) reproduit sous deux formes également incorrectes miesco et meczzlaus. Ces observations que nous pourrions multiplier n'ôtent rien à l'estime que nous paraît mériter ce précis intéressant.

Louis LEGER.

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Défense de Voltaire contre ses amis et contre ses ennemis, par COURTAT. Paris, Lainé. 1872. In-8°, viij-231 p. - Prix: 3 fr.

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Ce qu'on peut dire de mieux sur cette brochure, c'est qu'elle se laisse lire sans ennui. L'auteur nous communique son opinion sur Voltaire', et réfute pièces en main un certain nombre d'erreurs plus ou moins involontaires commises par ceux qui ont dit du mal de son héros; nous avons vainement cherché la défense de Voltaire contre ses amis annoncée sur le titre. Le ton est modéré (sauf les étranges incartades citées plus bas) et le jugement impartial. De faits nouveaux, il n'y en a guère dans l'examen critique des récits contradictoires de la mort de Voltaire (il y manque plusieurs documents importants), quelques lettres de Tronchin << paraissent ici pour la première fois, » à ce que dit M. Courtat, qui aurait pu nous renseigner plus exactement sur l'endroit où se trouvent ces manuscrits Tronchin dont il cite des extraits. Ces extraits font peu d'honneur au célèbre médecin, qui montre pour son malade à l'agonie une dureté choquante, mais ils ne sont pas sans intérêt 2. — La citation des singulières folies que la haine de

1. M. C. déclare qu'il ne veut entrer dans aucune discussion religieuse ou philosophique, mais ses opinions se font jour, peut-être à son insu, dans plusieurs passages. Ainsi quand on lit que «Voltaire était spiritualiste, comme tous les esprits justes,» on peut encore douter du spiritualisme de Voltaire, mais il est permis d'affirmer celui de M. Courtat.

2. Citons aussi l'ode de Palissot en réponse à Frédéric, curieuse à plusieurs points de vue, et qui ne se rencontre pas facilement, comme le remarque M. C. en la réimprimant.

Voltaire a dictées à quelques écrivains est amusante pour ceux qui ne lisent pas les livres qu'a dépouillés M. Courtat : la perle est assurément le mot de M. Ernest Hello, qui a excité dans un certain milieu l'enthousiasme le plus burlesque : << Voltaire, pour le définir en passant, est un imbécile malpropre. » Il est vrai que M. C. à son tour appelle, ou peu s'en faut, M. Renan un âne et M. Darwin un singe. Telle est l'anarchie qui règne chez nous dans ce qu'on appelle la république des lettres. Il serait bien à désirer qu'à défaut de constitution il y eût dans cette république certaines conventions assez généralement admises pour que de pareilles incongruités y fussent à peu près impossibles.

56.

Bildung und Mannszucht im deutschen Heere. Ein offenes Wort für Heer und Volk. Berlin, Mittler, 1872. In-8°, 53 p.

Cette brochure est un écrit de circonstance, d'un caractère politique, et par conséquent n'entrerait pas dans le cadre de notre Revue, si nous n'y trouvions quelques renseignements statistiques qui méritent d'être relevés. L'auteur anonyme est un officier prussien qui montre une grande expérience de son état et un goût sincère pour l'instruction. Il veut que le service militaire soit la continuation de l'école et que l'officier s'applique à développer les connaissances et à fortifier l'intelligence du soldat. Mais d'un autre côté, notre auteur, qui n'est pas habitué à se payer de mots, examine jusqu'à quel point on est autorisé à dire que c'est le maître d'école qui a vaincu à Sadowa et à Sedan. Et à cette occasion il nous donne les résultats de sa propre pratique.

Depuis 1860, dit-il, une compagnie, en temps de paix, comprend 113 soldats : elle reçoit, par conséquent, tous les ans 40 recrues. Or, depuis nombre d'années, j'avais l'habitude, à leur arrivée, d'examiner mes recrues sur l'écriture et la lecture et de leur poser quelques questions sur l'histoire nationale. Je prenais soin de noter les résultats de cet examen avec la plus grande exactitude. Je dois ajouter qu'il s'agit de régiments allemands, comptant tout au plus 3 ou 4 Polonais par compagnie.

Il est bien vrai que sur les 40 recrues il n'y en avait que 3 ou 4 qui ne savaient pas écrire leur nom, et que 1 ou 2 qui ignoraient absolument la lecture (ordinairement c'étaient des Polonais): mais après cette première catégorie, en venait une autre comprenant de 10 à 12 hommes qui, sur les statistiques, sont classés comme pourvus de l'instruction scolaire, mais qui mettent deux ou trois minutes à lire une phrase de trente mots, et qui, arrivés au bout de la phrase, en ont oublié le commencement. Ils ne peuvent copier un modèle d'écriture sans y mêler une foule de fautes. Il leur est impossible de faire une dictée.

Vient ensuite une classe comprenant 16-19 hommes sachant lire sans trop bégayer. Ils peuvent faire tant bien que mal une dictée : mais ils n'écrivent une lettre qu'avec une extrême difficulté, sans ponctuation, sans construction régu

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