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point fut fixé sur lequel les anciennes règles gardaient le silence: c'est le délai dans lequel devait être discuté l'appel dirigé contre la sentence du juge inférieur, en d'autres termes, le tempus exequendæ appellationis.

25. Les anciens principes furent également conservés relativement aux effets de l'appel, et spécialement à son effet suspensif. Quant aux nouvelles choses dont il était permis de faire usage en appel, il résulte d'une constitution de Justinien que les règles furent modifiées en ce sens, que si l'on put invoquer, en appel, des moyens youveaux pour faire valoir des conclusions prises en instance, du moins, on ne fut pas reçu à présenter des demandes nouvelles (L. 4, C., De temp. et rep. app.).

26. Nous n'insisterons pas davantage sur un état de choses dont les détails, encore une fois, devront revenir à chaque instant dans les diverses parties de notre traité de l'appel. Il suffit, quant à présent, d'avoir établi, sur l'autorité de l'histoire, que l'appel a existé, dans toutes les nations policées; et en présence des témoignages si nombreux qui viennent d'être indiqués, l'assertion que c'est là une institution nouvelle nous paraît demeurer sans aucun fondement.

27. Mais comment et en quel temps cette institution a-t-elle passé dans notre droit français ? Quelle y fut sa marche et quels y ont été ses progrès? Questions graves qui ont occupé les esprits les plus éminents et sur lesquelles les théories des publicistes présentent la plus grande diversité.

28. Il faut d'abord constater que les nations appelées barbares, qui renversèrent l'empire romain, ne durent pas apporter, dans leurs coutumes, l'institution de l'appel. Trop peu considérable encore, chaque corps de nation dut avoir un pouvoir judiciaire résidant dans les assemblées générales, présidées par leur chef. Ce chef, général plutôt que roi, prononçait sur tous les différends; c'était une justice militaire, rendue pour ainsi dire sous la tente du vainqueur.— La nation toute entière, a dit très-bien M. Boncenne, t. 1, p. 405, intervenait pour arrêter les vengeances et pour assurer l'exécution du jugement. Celui qui refusait d'obéir perdait tous ses droits à la protection publique; il encourait le forban, pour peine de son mépris et de sa rébellion. -Avec de telles institutions, on le comprend bien, il ne pouvait pas être question de l'appel.

29. Mais, plus tard, lorsque la conquête prit de la fixité, quand les tribus changèrent la vie des camps contre un établissement permanent, et couvrirent pour le garder le sol envahi, les intérêts se compliquèrent, et avec eux les formes de la justice. Alors, aux assemblées générales qui se tinrent plus rarement, succédèrent des assemblées particulières que les comtés formèrent des hommes de leurs territoires; les comtés eux-mêmes se subdivisèrent en centènes gouvernées par un centenier. Il s'établit ainsi une hiérarchie assez semblable à celle que nous avons remarquée dans l'organisation des Hébreux ( V. suprà, no 8), sauf, néanmoins, la subdivision en dizènes que quelques auteurs ont voulu étendre aussi à l'organisation primitive de notre nation; mais qui a été généralement contestée (V. notamment les Essais de M. Guizot sur l'histoire de France, 4o essai, p. 256).

30. Par analogie encore avec les pratiques des Hébreux, les chefs de chaque subdivision commandaient en temps de guerre les hommes libres et présidaient leur réunion en temps de paix; ils rendaient la justice, mais ne connaissaient que des petites ffaires, laissant au plaid du comte tout ce qui concernait la vie, a liberté et la propriété, et à une autorité supérieure encore, la cour du roi, toute cause qui intéressait les grands de l'État, c'est-à-dire, les comtes, les évêques, les abbés, etc. Les comtes et les centeniers rendaient la justice dans les terres soumises à la juridiction royale, et étaient assistés des rachimbourgs; les propriétaires des fiefs ou bénéfices jugeaient les hommes de leur domaine. Telles étaient les bases de l'organisation judiciaire sous les rois de la première race. Nous y reviendrons avec plus de développement dans notre traité de l'organisation judiciaire. Constatons seulement ici que l'opinion générale des publicistes s'accorde, en tous points, sur cette organisation.

31. On s'accorde également sur les institutions judiciaires de la seconde race. Ces institutions, déjà indiquées dans l'historique du mot Action, seront suivies dans leur développement, vo Organisation judiciaire Rappelons seulement ici que Charlemagne

ranima celles qui périssaient par la violence ou la cupidité à la fin de la première race; qu'au moyen de la magistrature ́permanente des scabini, il suppléa à la négligence que mettaient les rachimbourgs à se rendre aux plaids; et enfin, qu'il pénétra lui-même dans tous les détails de l'administration et en fixa pour un temps la régularité, par l'institution de ces délégués royaux (missi dominici) qui, envoyés dans toutes les parties du royaume avec le pouvoir de juger, y surveillaient les hommes préposés au gou-, vernement du peuple. Ce sont encore là autant de points incontestés dans l'histoire de nos institutions.

32. Mais le doute commence, ou plutôt la controverse s'étar blit sur la question de savoir s'il y a eu, soit sous la première‹ soit sous la seconde race, un recours ouvert contre les sentences émanées des divers tribunaux ou des magistrats institués pour rendre la justice. Sans pénétrer trop avant dans l'examen de celle question, qui exigerait, pour être approfondie, d'immenses développements et qui ne présente, d'ailleurs, qu'un intérêt pure ment historique, nous nous bornerons à indiquer quels sont, aujourd'hui, les résultats de la science, en appuyant, sur quelques textes, ses dernières données.

33. L'opinion qui semble avoir prévalu présente, comme se liant aux premiers établissements qui suivirent la conquête, l'existence d'un recours dans lequel on retrouve la trace originelle de l'appel en même temps que celle de la cassation et des autres voies que l'on peut prendre aujourd'hui contre les jugements. «Tout cela, dit M. Boncenne, était, sans doute, mal réglé, fort confus et souvent très-vague dans l'application : c'était un éparpillement de principes qui n'étaient soumis à aucune forme déterminée; mais leur empreinte est encore reconnaissable sur les débris des vieux monuments. » La thèse contraire, dont le plus éminent interprète fut Montesquieu, semble désormais abandonnée; et Montesquieu lui-même, d'ailleurs, paraît l'avoir contredite, lorsque, après avoir mis en avant l'idée que, même sous la seconde race, si la personne des officiers placés sous le comte était subordonnée, la juridiction ne l'était pas, ces officiers, dans leurs plaids, assises ou placites, jugeant en dernier ressort comme le comte lui-même, il ajoute, sur l'autorité d'un capitulaire de Charlemagne (cap. 11, de l'an 805, Baluze, p. 425), l'observation suivante : « Si l'on n'acquiesçait pas au jugement des échevins ( scabini), el qu'on ne réclamât pas, on était mis en prison jusqu'à ce qu'on eût acquiescé; et, si l'on réclamait, on était conduit sous une sûre garde devant le roi, et l'affaire se discutait à sa cour. » On pouvait donc réclamer contre les jugements : le capitulaire même sur lequel se fonde Montesquieu, et qu'il résume dans son observation, en fournit la preuve certaine et ne permet pas d'admettre que le comte ou les centeniers qui présidaient les scabini jugeassent en dernier ressort.

34. Parmi les publicistes modernes, on en trouve encore, sans doute, qui se sont rangés à l'avis de Montesquieu, et de ce nombre, M. Meyer (Inst. jud., t. 1, p. 462 et suiv.), qui, entre autres motifs, se fonde particulièrement sur le silence gardé dans tous les textes, à l'égard du tribunal auquel, dans la supposition d'un appel, cet appel aurait été porté. Mais la majorité s'est prononcée dans le sens du recours, et l'objection de M. Meyer trouv sa réfutation dans le capitulaire dont nous parlions tout à l'heur d'après Montesquieu, et qui attribuait à la cour du roi la connais sance du recours ou de la réclamation.

35. Cette doctrine a été récemment mise dans tout son jour par M. le comte Beugnot, dans la belle introduction qu'il a placée en tête du monument judiciaire le plus justement célèbre du droit français au moyen âge : nous voulons parler des registres dits Olim. M. Beugnot, se proposant de fixer l'origine du parlement, et amené par son sujet à faire des investigations profondes dans les anciennes institutions judiciaires, a établi que, depuis le commencement de la monarchie, les rois de France ont toujours possédé et exercé deux juridictions: l'une supérieure et générale, qui appartenait au souverain en sa qualité de chef suprême de l'État; l'autre, qui ne s'étendait que sur les domaines que le roi possédait particulièrement, et pour ainsi dire comme apanage. Le tribunal supérieur était la cour du palais, dont les membres étaient désignés par des titres différents: proceres, scabini palatii, racheinburges, doctores ou domini legum ; le tribunal particulier du roi était la cour du sénéchal. Le roi présidait ou était censé pré

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grand-duc de France. Mais eux, à succession de temps, ne pouvant prendre la peine, ni avoir le loisir de vuider tant d'appellations, les faisoient vuider par des commissaires qu'ils envoyoient pour cet effet de temps en temps par les provinces, afin que la justice souveraine fust rendue sur le lieu, au soulagement du | peuple... Ces commissaires estoient appelés missi ou missi deminici, parce que l'invention en fut trouvée au commencement de la seconde lignée de nos roys, qui estant aussi empereurs de Rome, se faisoient appeler Dominos, ainsi que les précédens empereurs romains depuis Domitien... » Cette doctrine a été adoptée depuis par la plupart des publicistes. V. Mably, Observ. sur l'hist. de France, liv. 3, chap. 7; Prost de Royer; MM. de Buat, Origines, t. 3, liv. 11; Henrion de Pansey, Aut. jud., intr., § 2; Lehuerou, Hist. des inst. carlo., liv. 2, chap. 5; Boncenne, Pr. civ., intr., chap. 15.

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37. Nous ajouterons à ces autorités l'indication de textes qui en confirment le témoignage. Ainsi, d'une part, la loi des Allemands déclarait coupable le juge qui avait prononcé contre la loi, par haine, par cupidité ou par crainte, et le condamnait à payer douze sous à la partie et à lui restituer la valeur de ce qu'il lui avait fait perdre (L. Alam., tit. 41, art. 2); et celle des Bavarois condamnait le juge concussionnaire à restituer le double du dommage, et à payer quarante sols au fisc (L. Baiuv., tit. 2, art. 18). C'était la prise à partie, et, comme le fait très-bien remarquer M. Boncenne, loc. cit., p. 411, cela suppose déjà l'existence d'un tribunal supérieur, puisqu'on ne peut pas admettre que les juges que l'on accusait se jugeaient et se condamnaient eux-mêmes. Mais ce n'est pas tout. D'une autre part, en effet. l'appel lui-même était institué par la loi précitée des Bavarois. Car cette loi, après avoir prononcé une peine contre le juge concus sionnaire ou prévaricateur, contre celui qui avait prononcé par haine ou par crainte, prévoyait l'hypothèse où le juge s'était trompé de bonne foi, et alors aucune peine n'était prononcée, mais le jugement ne tenait pas: Si verò, nec per gratiam, nec per cupiditatem, sed per errorem injustè judicaverit, judicium ipsius in quo errasse cognoscitur, non habeat firmitatem; judex non vocetur ad culpam (loc. cit., art. 19). - Un capitulaire de 869 contient une disposition semblable... Si aliquis episcopus, abbas aut abbatissa, vel comes, aut vassus noster, y est-il dit, suo homini contra rectam justitiam facit, et si inde ad nos reclamaverit, sciat quia ratio et lex atque justitia est, hoc emendare faciemus. D'autres textes consacrent encore le droit d'appel d'une manière indirecte, en ce sens qu'ils indiquent, soit certaines conditions sous lesquelles on pouvait appeler, soit, à l'exemple des lois de Constantin dont nous avons parlé suprà, les mesures prises contre ceux qui empêchaient ou tentaient d'empêcher les appelants d'arriver jusqu'au palais du roi. De ce nombre est la loi d'Edgard, citée par Prost de Royer et rapportée par Houard, L. angl.-norm., qui était ainsi conçue: Nemo ad regem appellet pro aliquá lile, nisi domi jure suo dignus esse vel jus consequi non possit. De ce nombre encore ce capitulaire de 789 où Charlemagne dit: Ut nulli hominum contradicere vian: ad nos veniendo pro justitia reclamandi aliquis præsumat; et si quis hoc facere conaverit, nostrum bannum persolvat. Enfin l'on retrouve

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sider à l'un et à l'autre. « La cour ordinaire du palais, continue M. le comte Beugnot, celle qui exerçait la juridiction suprême du roi, nous est uniquement connue par les détails que donne Hincmar dans sa lettre aux grands du royaume, et par un assez grand nombre de jugements de cette cour qui nous sont parvenus (Historiens de France, t. 4, p. 648; t. 5, p. 697 et suiv.). Ces témoignages, dont l'authenticité ne peut être contestée, montrent que la cour du palais était un tribunal supérieur, qui terminait toutes les affaires contentieuses que l'espérance d'un jugement équitable y faisait porter des autres endroits du royaume où elles avaient pris naissance, et qui avait le droit de réformer les jugements injustes (perversè judicata) des comtes, des vicomtes ou des centeniers..... Le roi présidait la cour du palais. Louis le Débonnaire, n'étant encore que roi d'Aquitaine, y assistait trois fois la semaine, et, lorsqu'il devint empereur, il fit annoncer aux comtes et aux peuples, par les missi, que son intention était d'y assister chaque semaine une fois. « Nous avons chargé nos en» voyés, disait ce prince (Hist. de France, t. 6, p. 443), de corriger, en vertu de notre autorité, ce qu'ils se trouveront en » état de réformer; nous avons ordonné à tous les fidèles de les favoriser et de les aider dans ce dessein. Nous voulons aussi qu'ils sachent que, pour cette raison, nous siégerons une fois la semaine dans notre palais pour rendre la justice, afin que, par un comte ou par un autre, il nous apparaisse plus claire»ment de l'exactitude de nos commissaires et de l'obéissance du peuple..... Quant à la cour du sénéchal, elle exerçait son empire sur les magistrats ruraux qui avaient été établis sous le nom de juges, maires, villici, intendants, pour rendre la justice aux habitants des fiefs royaux et les diriger dans leurs travaux agricoles. « Ces magistrats ruraux, que l'on désignait par l'expression générique de ministériels, ajoute M. le comte Beugnot, soumettaient, comme tous les officiers inférieurs de l'empire, les actes de leur administration au contrôle annuel des envoyés du prince, mais ils étaient soumis à la juridiction particulière du roi, de la reine, et de la cour du sénéchal qui siégeait dans le palais impérial. On possède peu de renseignements sur ce tribunal, dont l'existence n'est même authentiquement démontrée que par le capitulaire De villis (Baluze, Capitularia regum Francorum, t. 1, p. 331-338); mais ce témoignage, appuyé sur quelques autres preuves moins positives, autorise à regarder la cour du sénéchal comme la cour supérieure où étaient portés les dénis de justice et les appels intentés contre les jugements rendus par les tribunaux inférieurs des domaines fiscaux, et le sénéchal ainsi que le bouteiller, comme les administrateurs généraux de ces domaines. >> 36. Le principe de l'appel se trouve indiqué là d'une manière certaine; et, dans l'avis donné aux comtes par Louis le Débonnaire, on trouve également la condamnation de cette idée émise encore par Montesquieu, loc. cit., que l'on n'appelait pas du comte à l'envoyé du roi ou missus dominicus; que le comte et le missus avaient une juridiction égale et indépendante l'une de l'autre et que toute la différence était que le missus tenait ses plarites quatre mois de l'année, et le comte les huit autres. Évidem- | ment, ces envoyés, dont l'institution fut, selon l'expression de M.Gui- | tot (4° essai sur l'hist, de France), dirigée par Charlemagne contre 'indépendance des pouvoirs locaux, n'auraient été d'aucun secours pour le peuple, si, destinés à remplacer les comtes pendant quatre mois de l'année, ils n'eussent pas eu aussi le droit de réformer ane sentence injuste rendue par ceux qu'ils venaient surveiller. C'est précisément ce pouvoir qui se révèle d'une manière fort transparente dans cet avis'donné aux comtes par le fils de Charle-Nous pourrions multiplier ces citations; toutefois cenes qui magne, « qu'il a chargé ses envoyés de corriger, en vertu de son autorité, ce qu'ils se trouveront en état de réformer; » et c'est aussi ce pouvoir que reconnaît expressément l'un de nos anciens jurisconsultes dont l'autorité doit être la moins indifférente, lorsqu'il s'agit de pénétrer dans les antiquités du droit français; nous voulons parler de Loyseau. Voici ce qu'on lit, en effet, au Traité des offices, liv. 1, chap. 14, nos 41 et 42: « Il est bien yrai qu'en France il y avoit anciennement appel des ducs et comtes, aussi bien qu'au droit romain il y avoit appel des proconsuls et pareillement ducs romains, lequel appel ressortissoit par-devant l'empereur, ou son præfectus prætorio. Comme aussi, en France, l'appel des ducs et comtes de province ressortissoit devant le roy, ou devant le maire du palais, qui estoit appelé le duc des ducs ou le

notre requête civile, sinon dans sa forme même, au moins dans son effet, dans cette constitution de Clotaire dont l'art. 6 était ainsi conçu: Si judex aliquem contra legem injuste damnaveril in nostrá absentiá, ab episcopis castigetur, ut quod perperam judicavit, versatim meliùs discussione habita, emendare procuros.

précèdent suffisent, ce nous semble, pour établir que ceux-là seuls se sont tenus dans la vérité historique qui ont admis comme l'une des institutions judiciaires formées sous la première et sous la seconde race des rois de France, le droit d'appel et de recours contre les sentences émanées de tous les juges institués pour rendre la justice.

38. Mais ces institutions judiciaires, formées du mélange des coutumes barbares et des lois introduites par la conquête, s'écrou lèrent sous le poids de la féodalité, telle qu'elle s'éleva vers la fin de la seconde race. Le roi n'eut plus alors le droit de juger que dans les terres de son obéissance; les grands feudataires et, plus tard, tous les seigneurs hauts justiciers s'emparèrent du droit de juger souverainement dans leurs domaines. Ainsi l'appel avait

sparu, on en chercherait vainement la trace, dans les institutions judiciaires jusqu'au règne de saint Louis. Le pouvoir judiciaire se résuma dans cette formule de Defontaines, ch. 2, art. 8: « Entre toi, seigneur, et ton villain, n'y a autre juge, fors Dieu. » 39. Le duel, la lutte par les armes, vint alors prendre la place de ces tribunaux de divers degrés qui, dans les temps passés, constituaient l'organisation judiciaire. On s'est étonné que rien de semblable à l'appel ne se soit trouvé dans la hiérarchie que la féodalité avait constituée. Les idées d'indépendance qui firent naître la féodalité en donnent la raison décisive. M. le comte Beugnot l'a dit avec grande raison dans le remarquable travail que nous avons déjà cité : « On veut que les grands vassaux, qui n'avaient supporté qu'en frémissant l'élévation au trône du duc de France, et qui transmirent jusqu'à leurs derniers descendants un orgueil supérieur même à leur puissance, aient puisé dans les faveurs dont la fortune les entourait des idées de légalité et de justice, qui les eussent amenés à subir sans opposition l'établissement d'un tribunal qui, étant chargé de juger et de décider les débats qui surgissaient entre eux, aurait eu nécessairement une autorité plus grande que la leur; mais ouvrons l'histoire et nous y verrons que sous les règnes de Hugues Capet, de Henri et de Philippe, la Francë ne respira pas un instant entre les guerres que les seigneurs ne cessaient de se faire les uns aux autres, guerres qui, presque toutes, prenaient leur origine dans des droits ou des prétentions qui, dans une société mieux ordonnée, auraient été du ressort des tribunaux. Les vassaux inférieurs n'étaient pas animés de sentiments plus pacifiques. Lorsque les querelles de leur suzerain les laissaient un moment respirer, ils employaient cet instant de liberté à vider leurs propres querelles; car le droit de guerroyer ses voisins était placé au nombre des plus nobles prérogatives des seigneurs... Il faut donc reconnaître que dans cette société, à peine constituée, tout était régi par la force, et que c'est poursuivre une illusion que d'y chercher des principes de droit, et plus encore des règles précises de juridiction. »

40. Dans cet état de choses, le duel, comme on le comprend bien, terminait le procès, et tout recours était impossible. Il y en avait, d'ailleurs, une raison décisive, c'est que le combat judiciaire était regardé comme le jugement de Dieu. Comment donc aurait-on admis un recours qui n'eût été qu'une révolte contre les décrets de la Providence?...

41. Ajoutons cependant que toutes les affaires n'étaient pas réglées par les armes. Dans certains cas, lorsque la coutume était bien notoire, les juges statuaient sur les moyens des parties. Un appel pouvait intervenir, dans ces cas, de la part de la partie qui avait succombé, mais cet appel se donnait par gages de bataille. « L'appel, dit Montesquieu, loc. cit., ch. 27, était un défi à un combat par armes qui devait se terminer par le sang, et non pas cette invitation à une querelle de plume qu'on ne connut qu'après. » - Ainsi, en donnant naissance au combat judiciaire, la féodalité anéantit par cela même le droit d'appel, et à cette abolition est lié le refus, que firent les seigneurs hauts justiciers, de recevoir les envoyés du roi, ces missi dominici qui, au commencement de la deuxième race, allaient par tout le royaume surveiller les comtes et les juges inférieurs.

42. Nous ne saurions nous arrêter longuement sur l'institution du combat judiciaire considéré comme moyen de faire tomber une décision et d'en démontrer l'iniquité; nous en avons déjà parlé avec quelque détail dans l'historique du mot Action. D'ailleurs toutes les particularités en ont été minutieusement expliquées par les auteurs, et il nous suffira seulement d'en rappeler ici les traits principaux. Cet appel était un défi aux juges auxquels la partie condamnée disait: «Vous avez fet jugement faux et mauvès, comme mauvès que vous este...»-On conçoit que cet appel, qui était une provocation à un combat, devait se faire sur-le-champ: « Si il se part de court sans apeler, dit Beaumanoir, il pert son apel et tient li jugement pour bon. » L'appelant devait aussi offrir le gage de bataille à tous les membres de la cour, à ceux qui lui avaient été favorables comme à ceux qui lui avaient été contraires. S'il ne le faisait pas, il était à l'instant décapité. S'il offrait de Justifier son accusation, il devait se battre avec tous les pairs, un à un, et les vaincre tous en un jour; vainqueur, l'appelant avait gagné son procès; vaincu, fût-ce même par le dernier des pairs, il était pendu (Ass. de Jérusalem, ch. 3).

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43. On comprend combien cette manière d'appeler présentait pour l'appelant de chances périlleusés. « Nul homme, disent les Assises de Jérusalem, qui aimoit son honor et sa vie ne devoit emprendre à le faire; si Dieu ne faisoit apertes miracles pour lui, il moroit de vile mort, et de honteuse et vergogneuse. » Ce fut peut-être à cause de ces dangers et pour en diminuer la gravité que certaines modifications furent introduites. La partie qui no voulait pas entrer en lice avec un tribunal entier, put demander que chaque juge émit son avis à haute voix, et l'appelant n'eut plus qu'un combat à soutenir, lorsque, usant de la faculté qui lui était accordée, il formulait son accusation après que le second juge avait opiné, si l'avis de celui-ci était le même que celui du premier. Du reste, la sanction ne fut pas changée d'abord: l'appelant demeura exposé à être pendu, en cas de défaite, et à avoir la téte tranchée, s'il ne se battait pas après avoir faussé le jugement. Mais cette chance même fut enlevée; de fortes amendes furent substituées à celle sanction, ce pourquoi, dit Beaumanoir, ch. 61, << il fut resou que l'appelant fist bonne seurté de poursiévir son apel. »>

44. En cas de déni de justice, ce qu'on appelait défaute de droit, le seigneur pouvait être attaqué directement, il était permis de lui déclarer la guerre ou de le traduire par appel à la cour du suzerain. Et alors, comme le dit encore Beaumanoir, « pouvoient bien naistre gages de l'appel. » C'est lorsque des témoins étaient produits, si celui contre lequel ils venaient déposer les accusait d'être faux et parjures.

45. La France, heureusement, n'était pas condamnée à rester toujours soumise à ces coutumes sauvages. Un jurisconsulte anglais, Th. Smith, dont l'opinion est citée par M. Boncenne, p. 445, à pu cependant, en parlant, dans le 17° siècle, des combats judiciaires, dire « qu'ils étaient fort préférables à la procédure du palais, bien plus conformes aux habitudes d'une nation guerrière, bien plus propres à maintenir l'égalité entrø les parties et à terminer promptement les procès. » Mais la raison condamne ces théories extrêmes qui, substituant la force au droit, enlèvent à la justice son caractère de protection. Qu'elles aient pu dominer dans les premiers temps de la féodalité, alor's que les seigneurs s'étant partagé le pays, les habitants et le pouvoir, avaient une puissance égale à celle du roi, cela se conçoit; mais cet état de choses portait dans son excès même, dans sa violence, le principe de sa destruction. Il se maintint, dit M. Beugnot, « aussi longtemps que les terres, source unique du pouvoir de juger, demeurèrent une propriété inalienable entre les mains des nobles, que le pouvoir législatif de leurs hommes n'eut de limites que leur volonté..... Le peuple ne voyait dans ce qu'on appelait la justice qu'un moyen employé par les seigneurs pour donner à leurs caprices plus de solennité et les seigneurs ne pensaient pas autrement. Mais ce qui s'était passé pendant le 12° siècle (l'établissement des communes) ne permettait plus à une aussi grossière erreur de subsister; et de toutes parts le retentissement d'idées nouvelles, meilleures, plus humaines, mieux appropriées à l'état de la société, présageait des changements importants dans la nature et dans la forme du gouvernement. »

46. Cette réforme que le progrès des mœurs annonçait, fut donné à Philippe-Auguste de la préparer. Il y tendit par l'institution, dans les provinces, des baiffis, qui renouvelèrent les missi dominici de la deuxième race, et qui, institués d'abord au nombre de quatre, furent ensuite multipliés à mesure que la prérogative royale prenant, sous l'effort de Philippe-Auguste, de l'ascendant sur tous les pouvoirs rivaux ou ennemis, fit renaître l'autorité royale en France et gagner du terrain à la royauté. Les baillis se prévalurent des dénis de justice ou défaute de droit pour évoquer les causes et les juges eux-mêmes; ils se prévalu rent également des mauvais jugements rendus dans les cours des barons. Par suite et avec l'adjonction des cas royaux, « c'est à savoir, disent les ordonnances des rois, t. 1, p. 606, que la royale majesté est estendue ès cas qui, de droit ou de ancienne coutume, peunt et doient appartenir à souverain prince et à nul autre, » avec l'adjonction des cas royaux, disons-nous, qui étaient expressément reservés aux baillis, la juridiction des seigneurs se

trouva très-restreinte.

47. Mais c'est à saint Louis qu'il appartenait de compléter

la réforme. Le combat judiciaire avait perdu sans doute, dans les usages, sous Philippe-Auguste; mais il y était resté encore fortement enraciné et on y voyait toujours le jugement de Dieu. Les faits n'ébranlèrent pas cette croyance; et lorsque, par exemple, un tribunal entier étant entré dans la lice, les premiers champions avaient payé de leur vie un jugement dont un champion plus heureux venait cependant, par son triomphe, assurer la justice et la loyauté, on persistait encore à voir, dans ce succès si tardif, le jugement de Dieu. Plus qu'aucun autre prince, saint Louis, secondé, d'ailleurs, par les réformes qui l'avaient précédé, put attaquer de front et détruire un préjugé aussi insensé. Sa piété si éminente lui prêtait, pour l'accomplissement de celle œuvre, une autorité si grande que lorsque, le premier, il proscrivit le combat judiciaire dans ses domaines, nul ne put penser qu'il se révoltait contre les décrets de la Providence: et cet acte de haute sagesse, agissant sur l'esprit des seigneurs non pas seulement par lui-même mais encore et surtout par le caractère du prince de qui il était émané, dut les détacher de cet usage barbare auquel ils étaient restés tant de temps attachés.

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lieu suivant la loi des fiefs, en d'autres termes, du seigneur interieur au seigneur supérieur, tous étaient définitivement portés devant le roi, non comme roi, mais comme chef de la hiérarchie féodale, et comme le grand fiesseur du royaume.-V. M. Henrion de Pansey, Aut. jud., p. 49.

52. Cet ordre de choses, il faut le dire, ne s'établit pas saug de grandes difficultés; le rétablissement de l'appel et sa substi tution au duel judiciaire rencontrèrent des obstacles de plus d'un genre. Il fallut longtemps d'abord pour généraliser la pratique de cette voie de recours. Les seigneurs qui se prétendaient législateurs dans leurs terres et qui jouissaient de cette prérogative ne se rendirent pas facilement à un ordre de choses qui la détruisait complétement; bien du temps dut s'écouler avant que leurs yeux fussent dessillés sur l'absurdité du combat judiciaire, et avant qu'ils acceptassent les pratiques des justices royales. Dans ces justices mêmes, l'ancien préjugé se fit jour encore après saint Louis, car plus de trente ans après les Etablissements on trouve une ordonnance de Philippe le Bel par laquelle ce prince, après avoir déclaré que beaucoup de crimes sont restés impunis faute de preuve testimoniale, ajoute : « Pour ôter aux mauvais, dessus dits, toute cause de mal faire, nous avons attrempé nos dites ordonnances, et voulons qu'il y ait lieu à gages de bataille toutes les fois que le corps de délit sera certain, que le crime emportera peine de mort, qu'il ne pourra pas être prouvé par témoins, et qu'il y aura, contre celui qui en sera soupçonné, présomption semblable à vérité. »

53. D'un autre côté, ceux-là même des seigneurs que la sagesse des Etablissements semblait avoir ramenés, se sentaient blessés dans leur fierté, et considéraient comme un abaissement la nécessité qui leur était imposée de reconnaître une autorité su

48. C'est ainsi que disparut de nos institutions anciennes l'absurde procédure des duels judiciaires. Indiquons succinctement les moyens par lesquels saint Louis surmonta les difficultés de la tâche qu'il s'était proposée. Ce prince ordonna, par un premier règlement qui porte la date de 1260 (Ord. du Louvre, t. 1) et par un règlement ultérieur de 1270 connu sous le nom! d'Établissements de saint Louis, que quel que fùt un procès, soit en matière civile, soit en matière criminelle, on prouverait son droit ou son innocence par des chartes, des titres ou des témoins; il défendit le combat judiciaire dans toutes les justices de son domaine, et, à plus forte raison, il défendit de défier les juges et de les appeler au combat, ajoutant que les appels de faux juge-périeure. Alors, on vit se reproduire ces pratiques odieuses ments seraient portés devant sa cour et jugés uniquement d'après les moyens respectifs des parties. « Se aucun veut fausser jugement en païs là où faussement de jugement afint, disent les Établissements, liv. 1, ch. 6, il n'i aura point de bataille; mès ligneur confisquait les biens de ses vassaux qui appelaient; là un cleim, li respons, et li autre errement du plet, seront rapportés en nostre cour; et selon les erremens du plet l'en fera tenir, ou depiécer les erremens du plet, tost le jugement; et cil qui sera treuvé en son tort l'amendera par la coustume du païs et de la terre; et se la défaute est prouvée, li sires qui est apelés il perdra ce qu'il devra par la coustume du païs et de la terre. » Telle est 'la loi qui, selon l'expression de M. Henrion de Pansey, de l'aut. judic. p. 44, en conférant à nos rois le dernier ressort de la justice, les a ressaisis de la puissance législative.

49. On l'a remarqué, d'ailleurs, même dans la procédure établie par saint Louis, il fallut dire encore que l'on faussait le jugement. Mais ce n'était qu'une transaction habile qui, en conservant le mot, alors que la chose était réellement changée, eut pour objet de ne pas heurter trop brusquement le préjugé qui attachait à l'appel l'idée de félonie. Cependant ce caractère même fut enlevé à l'appel par le rétablissement des recours par amendement ou de la supplication. Ces supplications étaient de deux sortes et correspondaient assez à notre pourvoi en cassation et à la requête civile. En effet, elles étaient adressées les unes au roi, les autres au tribunal qui avait rendu le jugement: au roi, lorsque la partie se plaignait d'une erreur de droit; au tribunal, lorsqu'elle se plaignait d'un simple mal jugé ou d'une erreur de fait. Dans ce dernier cas, si l'amendement était refusé, on pouvait recourir au roi.

50. Au moyen de ces modifications, l'appel ne fut plus une injure, une provocation. Les juges, a très-bien dit M. Boncenne, p. 443, plus ménagés par cette humble voie de supplication qui leur permettait de revenir sur leurs pas sans compromettre leur dignité, furent mieux disposés à entendre les griefs des plaideurs, et s'accoutumèrent insensiblement à se voir réformer par un tribunal supérieur.... Le faussement se réduisit donc aux termes d'un appel ordinaire; le mot seul fut conservé. On revint au bon sens primitif de la loi des Bavarois.-V. suprà, no 57.

51. Ajoutons cependant que l'amendement fut pratiqué dans les justices royales seulement, c'est-à-dire dans les pays qui Maient dits de l'obéissance-le-roi. Dans les autres pays, les jugements rendus par la justice seigneuriale étaient soumis à l'appel devant le suzerain; et comme la dévolution de ces appels avait

dont nous avons parlé, par lesquelles les gouverneurs des provinces romaines, et en France, sous Charlemagne, les comtes et les centeniers, tentèrent d'empêcher les appels. Ici un sei

autre faisait couper la main droite à un vassal pour avoir appelé d'une sentence qui le condamnait à perdre la main gauche; un troisième faisait pendre les notaires qui recevaient les déclarations d'appel, mettre au pillage les maisons des appelants, déchirer les appelants eux-mêmes en quatre parts et jeter leurs restes à l'eau. Mais ces atrocités, que les registres dits Olim attestent en rapportant les arrêts rendus contre les auteurs (V. années 1281, 1293 et 1310), n'arrêtèrent pas la marche des choses, et vaincus par l'autorité de l'exemple, les seigneurs se rendirent enfin : le pouvoir judiciaire se trouva ainsi établi sur ses véritables bases.

54. Cependant, même après l'abolition du combat judiciaire, il en cesta, dans la procédure d'appel, quelques vestiges: il en est ainsi notamment en ce qui concerne les délais, la personne contre laquelle l'appel était dirigé, et l'amende à laquelle il donna lieu.

55. Quant au délai, d'abord, la manière de vider les appels, sous le régime du combat judiciaire, exigeait, comme nous l'avons fait remarquer, qu'ils fussent interjetés à l'instant même où le jugement était prononcé. Après ce régime, l'appel dut être encore formé, sinon immédiatement après le prononcé du jugement, du moins à la fin de l'audience; car le juge une fois sorti de son auditoire, l'appel n'était plus recevable. Cette règle subsista longtemps encore, mais la chancellerie y dérogea par des lettres de relief que l'on appelait relief d'illico. Mais nous reviendrons bientôt sur ce point. V. infrà, nos 67 et suiv.

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56. Par le combat judiciaire l'usage s'était établi de rendre les juges responsables de leurs jugements. Cet usage aussi survécut à l'abolition du combat judiciaire et se maintint jusqu'au quatorzième siècle. Ce fut donc le juge lui-même que l'on assigna pour soutenir sa sentence sur l'appel, lorsque l'appel était d'un juge royal. Si l'appel était d'un juge scigneurial, ce fut le seigneur qui l'avait institué. Mais à partir de Philippe de Valois, l'ajournement des juges tomba en désuétude, et depuis ce fut à la partie elle-même à venir défendre, en appel, le jugement qu'elle avait obtenu, en vertu de cette maxime: factum judicis, factum partis. Il y avait, toutefois, sous ce rapport, entre les pays de droit écrit et les pays de coutume, une différence que signale Loyseau: « D'ailleurs, dit-il, Tr. des off., ch. 14, no 78, nous fai.

sons encore à présent, au païs coustumier, adjourner le juge en cas d'appel, ainsi que s'il estoit la vraye partie, et nous nous contentons de faire intimer la partie par manière d'acquit, et comme pour la forme, et à telle fin que de raison, c'est-à-dire, lui dénoncer qu'il compare s'il veut. Ce que ceux du païs de droit écrit ayant trouvé tout contraire à leurs loix et à la raison, ont renversé à bon droict, et font tout au contraire de nous, appeler la partie et intimer le juge. » Mais Loyseau lui-même atteste que tout cela n'était plus que formalité inutile, « car, dit-il, n° 84, encore qu'on adjourne le juge et que seulement on intime la partie (en pays coutumier): si est-ce que si le juge ne compare, on ne peut prendre de défaut contre lui; et au contraire, si l'intimé ne compare, c'est contre lui qu'on prend défaut, et par vertu d'icelui au moins de deux défauts il perd sa cause : bien que hors la matière d'appel le défaut donné contre un simple intimé n'emporte aucun profit, parce que l'intimation n'est qu'une signification ou interpellation de comparoir si on veut. » Aussi toute distinction finit par disparaître, et dans les pays coutumiers comme dans ceux de droit écrit, l'appel du juge tomba dans une désuétude complète, sauf quelques exceptions qui seront indiquées infrà, n° 86.

57. Sous le régime du combat judiciaire, l'appel donnait toujours lieu à une amende. Lorsque l'appelant succombait dans le combat, il perdait son cheval et ses armes, et payait, à titre d'amende, soixante livres au seigneur et soixante sous à chacun des pairs qui avaient concouru au jugement. Que si la partie, après avoir faussé le jugement, n'offrait pas de le faire mauvais par gages de bataille, elle était condamnée à une amende de dix sous au profit du seigneur. Ces amendes étaient fondées sur ce que l'appel portait en lui le caractère d'injure. « Ainchois, dit Beaumanoir, doit amender la villenie qu'il a dite en cour. » Celle sanction a survécu à l'abolition du combat judiciaire, et bien que le recours au juge supérieur n'ait plus rien, aujourd'hui, d'offensant pour le juge inférieur, elle est encore appliquée sous la dénomination d'amende de fol appel. — V. le chapitre dernier du présent traité.

58. La révolution était désormais consommée; le droit d'appel, généralement reconnu par les seigneurs, avait été transporté, par l'influence des institutions de saint Louis, dans la pratique française il restait à en régler l'exercice. Ce fut, au commencement, l'œuvre des gens de loi. Ils empruntèrent leurs règles, d'abord, au droit canon. Car l'appel avait été maintenu à l'égard des actes de la puissance spirituelle. Inconnu d'abord, dans les premiers temps de l'Église, lorsque la sainteté des évêques garantissait, par elle-même, la justice et la bonté de leurs jugements, il était devenu une nécessité et avait été érigé en droit par suite des fausses décrétales. La jurisprudence des appels s'était dès lors établie, et se maintint constamment. L'appel était porté de l'évêque au métropolitain et du métropolitain au pape. Il s'interjetait par un simple acte, dans les délais que nous avons déjà indiqués pour les tribunaux civils; et si celui qui avait interjeté appel négligeait de le relever devant le juge supérieur, la partie qui avait gagné sa cause pouvait le faire anticiper et faire déclarer l'appel désert. - V. d'ailleurs vo Culte, où il sera parlé plus amplement de cet appel en même temps que du second appel admis en cette matière, et que l'on qualifie d'appel comme d'abus.

59. Les gens de loi appliquèrent ces règles à l'appel en matière civile, et ils les complétèrent par l'emprunt qu'ils firent aux principes du droit romain. Toutefois, une pratique différente s'établit entre les pays de droit écrit et les pays coutumiers. Nous avons déjà signalé cette différence en un point particulier, au n° 56. Elle se produisait également pour les délais dans lesquels l'appel devait être interjeté et pour d'autres détails encore. Mais les ordonnances de 1539 et de 1667 vinrent établir une espèce d'uniformité, et, sauf en quelques points qui n'avaient pas une grande importance, les pratiques des tribunaux ne varièrent pas beaucoup.-Nous suivrons, relativement à ces ordonnantes, la même marche que pour le droit romain: c'est-à-dire que, sans enIrer dans tous les détails de la procédure d'appel, telle qu'elle a été établie par le dernier monument législatif avant les lois nouvelles, nous en indiquerons les caractères principaux, sauf à revenir sur ces détails dans les diverses parties de ce traité. Nous parlerons donc successivement des actes dont on pouvait appeler,

des motifs de l'appel, des personnes qui pouvaient appeler, des délais de l'appel, de ses effets et de la procédure.

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60. Acles susceptibles d'appel. En principe, on appelait de tous les actes judiciaires, par conséquent de toutes sortes de sentences interlocutoires, provisionnelles ou définitives, contradictoires, par défaut ou par forclusion, en quoi le droit français différait du droit romain, qui ne permettait pas l'appel des jugements par défaut, ni des jugements interlocutoires, à moins que le grief n'en fùt irréparable en définitive. On recevait même l'appel des sentences rendues du consentement des parties, et des exécutions les plus importantes, c'est-à-dire des contraintes par corps, des saisies réelles et des saisies faites par les gardes des arts et métiers.

61. L'appel n'était plus recevable contre les jugements qui avaient force de chose jugée; et, dans cette catégorie, rentraient 1° les arrêts des cours souveraines, les sentences des présidiaux rendues au premier chef de l'édit; celle des juges consuls, jusqu'à cinq cents livres; et celles des autres juges dans les cas où ils avaient le droit de juger en dernier ressort; 2° les jugements auxquels les parties avaient acquiesce expressément en exécutant ou tacitement; 3° les jugements qui, susceptibles d'appel, n'avaient pas été attaqués dans les délais; 4° et ceux dont l'appel formé en temps utile avait péri.

62. Motifs de l'appel. — L'appel devait en général être fondé sur le vice de la sentence qui provenait du fait du juge et qu'il ne pouvait pas dès lors réformer lui-même. Il se distinguait ainsi de la simple opposition. L'usage permettait néanmoins les appels interjetés dans les cas mêmes où l'on aurait dù se pourvoir par opposition devant le juge qui avait prononcé. Mais alors si la sentence était déclarée nulle et que l'affaire ne se trouvât pas dans le cas d'être évoquée, le juge supérieur devait renvoyer les parties devant le juge inférieur pour y être fait droit sur le fond de la contestation.

63. Si la nullité de la sentence concernait la personne même du juge, on ne prenait pas la voie de l'opposition, puisque le juge ne pouvait pas connaître lui-même; on ne se pourvoyait pas non plus par appel simple, parce qu'on ne se plaignait que de la nullité dans la forme. C'était alors le cas de l'appel qualifié, et ces appels étaient de plusieurs sortes; les uns propres aux jugements en matière ecclésiastique et qui constituent les appels comme d'abus │(V. Culte); les autres, communs aux juridictions laïque et ecclésiastique, et qui étaient fondés ou sur l'incompétence du juge qui voulait prononcer, ou sur le refus de prononcer que faisait le juge compétent.

64. Personnes qui pouvaient appeler.-Non-seulement les personnes qui avaient été parties et contre lesquelles la sentence avait été rendue pouvaient appeler, mais encore le droit était ouvert aux tiers, lorsqu'ils prétendaient souffrir un préjudice du jugement. Nous verrons, dans notre chapitre 3, que les lois nouvelles n'ont pas admis le droit d'appel avec la même étendue.

65. Les tuteurs et administrateurs pouvaient interjeter appel pour les personnes dont ils administraient les biens. Il semble que le pouvoir des tuteurs et administrateurs était absolu à cet égard; toutefois, les praticiens leur conseillaient, comme mesure de prudence, de se faire autoriser, savoir, les tuteurs et curateurs, par un avis de parents; les maires et échevins ou fabriciens, par avis d'habitants. Au moyen de cette autorisation, les tuteurs et administrateurs ne couraient pas le risque d'être condamnés à l'amende en leur propre nom, si l'appel était jugé téméraire.

66. Délais de l'appel. Les délais de l'appel avaient subi quelques variations avant l'ordonnance de 1667, et les principes qui furent consacrés par cette ordonnance établirent sur ce point une assez grande complication. On sait déjà que l'usage d'appeler immédiatement après la sentence rendue, usage suivi sous le régime du combat judiciaire, survécut à l'abolition de ce régime (V. suprà, no 55). Une ordonnance d'avril 1453, rendue par Charles VII, porte en effet, art. 181: « Nul ne sera reçu à appeler s'il n'appelle incontinent après la sentence donnée, sinon que par fraude, dol ou collusion du procureur qui aura occupé en la cause, icelui procureur n'eût appelé, ou qu'il y eût grande et évidente cause de relever l'appelant de ce qu'il n'aurait appelé incontinent. » Telle était la pratique des pays de coutume; dans

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