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les pays de droit écrit, on suivait les règles du droit romain, non pas celles qui avaient d'abord été établies et d'après lesquelles on n'avait, pour appeler, que deux jours dans sa propre cause et trois jours lorsqu'on plaidait pour un autre, mais celles que Justinien avait plus tard consacrées, et qui prolongèrent le délai jusqu'à dix jours à compter de celui où la sentence avait élé prononcée.

67. Mais, par la suite, dans les pays de coutume, l'usage fit étendre les causes indiquées par l'ordonnance de Charles VII comme susceptibles de faire relever la partie de n'avoir pas appelé incontinent. La clause de relief de l'illicò s'établit alors; et cette clause, qui n'avait été insérée qu'en connaissance de cause dans les lettres de chancellerie portant relief d'appel, finit par devenir de style. Ainsi, le principe posé dans l'ordonnance de Charles VII et confirmé par d'autres ordonnances citées par Delaurière sur la règle 3, tit. 4, liv. 6, des Inst. cout. de Loysel, tomba tellement en désuétude qu'on négligea même, dans les lettres de relief, la clause dont nous venons de parler: il fùt dès lors reçu que l'on pouvait interjeter appel durant l'espace de trente ans.

68. C'est dans cet état de choses qu'intervint l'ordonnance de 1667. Suivant cette ordonnance, toute personne qui n'avait pas acquiescé à un jugement fut recevable à en appeler pendant dix ans à compter du jour de la signification faite au domicile de la partie. Ce délai fut porté à vingt ans à l'égard des domaines de P'Église, hôpitaux, colléges, universités et maladreries; et ces délais de dix et de vingt ans coururent tant entre présents qu'entre absents (art. 17, tit. 27).

69. La règle qui fixait à dix et à vingt ans les délais de l'apFel n'était pas absolue; elle comportait des limitations importantes qui avaient été faites soit dans l'intérêt de la partie qui avait obtenu le jugement, soit pour des matières spéciales.

70. D'une part, en effet, celui qui avait obtenu sentence pouvait, trois ans après la signification du jugement fait à sa partie, avec toutes les solennités et formalités des ajournements, faire une sommation à cette partie d'appeler, auquel cas celle-ci n'avait plus que six mois à partir de la sommation pour interjeter son appel (lit. 27, art. 12). Les délais de trois ans et de six mois ne touraient pas contre le mineur ( ibid., art. 16), mais ils couraient contre les absents, à l'exception de ceux qui étaient hors le royaume pour le service du roi et par ses ordres (ibid., art. 14). La sommation ne pouvait être faite à l'Église, aux hôpitaux, colléges, universités et maladeries qu'après six ans au lieu de trois (ibid., art. 12). Si la partie venait à décéder dans les trois ans ou dans les six ans, suivant que c'était un bénéficier au non, l'héritier ou tout successeur devait avoir un an outre ce qui restait à expirer du délai, et la sentence devait lui être signifiée au bout de ce temps avec sommation d'interjeter appel, lequel appel devait alors être formé dans les six mois de la sommation ( ibid., art. 13 et 15).

71. D'une autre part, les lois avaient fixé des délais plus courts que celui de dix ans pour appeler des jugements rendus dans certaines matières et dans certaines juridictions. Ainsi, suivant l'ordonnance des eaux et forêts du mois d'août 1669, titre des appellations, art. 2, les appels des grueries aux maîtrises devaient être relevés dans la quinzaine de la condamnation, et si on laissait écouler le mois, la sentence de la gruerie passait en force de chose jugée. Suivant l'art. 4 du même titre, les appellations des maîtrises à la table de marbre devaient être interjetées, dans le mois de la sentence prononcée et signifiée à la partie, et mises en état d'être jugées dans les trois mois (délai porté à quatre mois par Pédit de 1716, art. 33 ), sinon la sentence s'exécutait en dernier ressort. - L'art. 47 de l'ordonnance des fermes du mois de juillet 1681, avait soumis à un délai semblable l'appel à interjeter par les condamnés au payement des droits du roi, pour faits purement civils. D'autres exceptions encore étaient faites à la règle générale; il serait sans aucun intérêt de les indiquer.

72. On sait que le code de procédure qui nous régit aujourd'hui a introduit des délais infiniment plus restreints. L'ordonnance de 1667 avait l'inconvénient de laisser trop longtemps en suspens l'effet d'un jugement obtenu; et malgré les tempéraments qu'elle avait introduits, et dont nous parlerons bientôt en nous occupant des formes de l'appel (nos 84 et suiv.), il n'en est pas moins certain qu'en principe il pouvait arriver que le condamné

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tînt pendant dix ans ou trois ans au moins son adversaire sous la menace d'un appel dont l'effet était de remettre tout en question. Le code de procédure a changé cet état de choses qui créait une incertitude si évidemment prolongée au delà de toute limito raisonnable, et laissant seulement au condamné le temps d'apprécier de sang-froid après la première impression de sa défaite, il a restreint dans un délai suffisant l'exercice du droit d'appel. Le passage de l'une à l'autre législation a donné lieu à des difficultés sérieuses. Ce n'est pas ici le lieu de les examiner; nous nous en occuperons dans notre chapitre 5, en traitant des délais de l'appel.

73. Il est en outre à remarquer qu'en organisant d'une manière assez compliquée les délais de l'appel, l'ord. de 1667 n'avait pas étendu ses prévisions au cas où celui contre lequel l'appel était dirigé aurait eu à se plaindre lui-même de quelques chefs du jugement et aurait voulu l'attaquer sur ces chefs. L'intimé, dans ce cas, était-il, pour son appel incident, soumis aux mêmes délais que l'appelant principal? L'ordonnance n'en disait rien, et cette lacune qu'on y remarque se trouve également dans toutes les lois ultérieures jusqu'au code de procédure civile qui l'a réparée par la disposition qui permet à l'intimé d'interjeter incidemment appel en tout état de cause, quand même il aurait signifié le jugement sans protestation (art. 443 ). V. Appel

incident.

74. Effet de l'appel. L'appel produisait, sous l'empire de l'ordonnance comme aujourd'hui encore, deux effets particuliers. Le premier était la dévolution de la connaissance de l'affaire au tribunal supérieur; le second était la suspension de l'exécution de l'acte attaqué. De règle générale, tout appel était suspensif et dévolutif (Inst. cout., liv. 6, tit. 4, no 9). Cependant il y avait des exceptions au principe de l'effet suspensif. Il y avait des sentences qui s'exécutaient par provision soit par rapport à la nature de l'affaire, soit par rapport à la qualité du juge.

5. Par rapport à la nature de l'affaire, on exécutait par provision toutes les sentences rendues en matières provisoires qui requéraient célérité ou lorsqu'il y avait péril en la demeure: telles étaient les sentences qui ordonnaient l'élargissement de prisonniers pour dettes, les réclamations de dépôt, les salaires des ouvriers, des domestiques, des hôteliers, la vente d'effets sujets à périr, les loyers, les aliments, l'acceptation ou le rejet de caution et aut: es affaires de ce genre. On exécutait aussi par provision les sentences de police, à quelque somme qu'elles pussent monter, lorsque l'ordre public y était intéressé; les jugements pour le ban et l'arrière-ban à cause de l'intérêt de l'État; les sentences de reddition de compte de communauté.

76. Quant à l'exécution provisoire, qui était l'effet de la qualité du juge qui avait prononcé la sentence, elle avait lieu pour les sentences présidiales rendues au second chef de l'édit; pour celles des juges consuls qui contenaient des condamnations au-dessous de cinq cents livres; celles des trésoriers de France en matière de voirie, et lorsqu'il s'agissait de la perception ou du recouvrement des droits du roi, lorsque le fond du droit n'était pas contesté; et assez généralement toutes celles qui avaient été rendues par des juges d'attribution.

7. Remarquons d'ailleurs que, dans tous les cas, les cours souveraines étaient dans l'usage d'accorder des défenses d'exécuter les sentences provisoires. Déjà, sous l'empire de l'ordonnance, on s'élevait contre cet usage qui occasionnait les plus grands abus, et l'on demandait qu'il ne fût jamais accordé de défenses qu'en connaissance de cause et lorsqu'il paraîtrait évidem ment que le juge inférieur avait excédé ses pouvoirs en ordonnant l'exécution provisoire de sa sentence. Les lois nouvelles ont satisfait à ces justes réclamations. V. Exécution et infrà chap. 6,

sect. 3.

78. L'effet dévolutif de l'appel se faisait, en règle générale, suivant l'ordre des juridictions, jusqu'à ce que l'on fût parvenu par degrés au tribunal souverain. C'était la règle générale, mais elle comportait certaines exceptions. Ainsi, 1° les appels qualifiés dont nous avons parlé au no 63 ressortissaient directement au parlement, parce que, s'agissant soit de règlement de juges pour l'appel fondé sur l'incompétence ou le déni de justice, soit d'un recours immédiat au prince pour les appels comme d'abus, l'importance de la matière ne permettait pas qu'elle fût portée

ailleurs que devant des juges souverains; 2o il en était de même des appels des juges commis par lettres royaux, à moins que la connaissance n'en eût été attribuée par la commission à une autre compagnie que le parlement; 5° les appels avaient lieu nécessairement, omisso medio, au tribunal souverain dans cerlains cas, en matière criminelle, en vertu de l'ordonnance; 4o enfin, les parties avaient quelquefois la faculté d'appeler omisso medio, et d'éviter ainsi quelque degré de juridiction: c'est ce qui avait lieu, en matière civile, par exemple, par rapport aux appels des sentences de plusieurs tribunaux situés dans le ressort du conseil d'Artois.-V. le Nouveau Denisart, vo Appel, § 6, no 2.

79. Mais hors de ces exceptions et d'autres cas analogues où il était dérogé au principe, la règle était de suivre la hiérarchie des tribunaux pour arriver, par une série de décisions, jusqu'au juge souverain; car, il faut le dire, l'ordonnance de 1667 avait laissé subsister la multiplicité des degrés que les institutions féodales et les désordres du temps avaient introduits en France, et qui provoquèrent souvent la critique de la part des jurisconsultes. « Il est notoire, disait Loyseau dans son Discours de l'abus des justices de village, que cette multiplication de degrés de juridiction rend les procez immortels, et, à vray dire, ce grand nombre de justices oste le moyen au peuple d'avoir justice. Car qui est le pauvre paysan qui, plaidant, comme dit le procès-verbal de la coustume de Poictou, de ses brebis et de ses vaches, n'aime mieux les abandonner à celui qui les retient injustement, qu'estre contraint de passer par cinq ou six justices avant qu'avoir arrest? Et s'il se résout de plaider jusques au bout, y a-t-il brebis ni vache qui puisse tant vivre: mesme que le maistre mesme mourra avant que son procez soit jugé en dernier ressort..... Quelle injustice est-ce là, qu'un pauvre homme passe tout son âge, employe tout son labeur, consomme tout son bien en un méchant procez : et qui pis est, appréhendant l'incertitude de tant de divers jugements, il soit toute sa vie en allarme, et dans les appréhensions continuelles d'être ruiné !............. »

SO. L'ordonnance de 1667 ne tint aucun compte de ces plaintes si légitimes. L'ancien état de choses fut maintenu, et si quelques dénominations se trouvèrent modifiées, toujours est-il que, pour les affaires les plus modiques, les parties avaient d'ordinaire trois degrés de juridiction à subir, quelquefois cinq ou six. Le grand inconvénient et le préjudice qui résultaient de cette situation sont attestés par les derniers édits rendus sur l'admiDistration de la justice par la royauté avant qu'elle fût emportée par la révolution française. Deux édits, en effet, furent rendus à la fois en 1788, dont l'un supprimait tous les tribunaux extraordinaires, et dont l'autre supprimait les bailliages ou sénéchaussées, ne laissait subsister des justices seigneuriales que le nom, et établissait au-dessus des présidiaux des tribunaux appelés grands bailliages, avec pouvoir de juger en dernier ressort jusqu'à 20 mille livres. On lisait, dans le préambule de ce dernier décret, les passages suivants : « Nous avons reconnu que, s'il était de notre justice d'accorder à nos sujets la faculté d'avoir, dans la discussion de leurs droits, deux degrés de juridiction, il était aussi de notre bonté de ne pas les forcer d'en reconnaître un plus grand nombre. Nous avons reconnu qu'en matière civile des contestations peu importantes avaient eu quelquefois cinq ou six jugements à subir; qu'il résultait de ces appels multipliés une prolongation inévitable dans les procès, des frais immenses, des déplacements ruineux, et enfin une continuelle affluence de plaideurs, du fond de leurs provinces, dans les villes où résident nos cours, pour y solliciter un jugement définitif. Nous avons cherché dans notre sagesse des moyens de rapprocher les justiciables de leurs jugés........ » Ainsi le mal était reconnu, mais les circonstances politiques de l'époque ne permirent pas le maintien de ces édits: ils furent révoqués, et ce fut la législation révolutionnaire qui corrigea, plus tard, les vices de l'ordonnance de 1667 en ce qui concerne les degrés de juridiction. Nous reviendrons plus particulièrement sur ce point, vo Degrés de juridiction.-V. aussi infrà, nos 87 et suiv.

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81. Procédure d'appel. Dans les principes de la législation romaine, comme nous l'avons vu, la partie était obligée de prendre du juge dont elle appelait des lettres de renvoi, litteræ dimissoriæ ou apostoli. Dans les usages établis par l'ordonnance, on ne trouve | tien de semblable. Cependant on distinguait l'acte d'appel du

relief d'appel. L'acte d'appel était une simple déclaration signifiée à la requête de la partie qui appelait; le relief d'appel était un acte émané du juge supérieur devant qui l'appel était porté : il avait pour objet d'annoncer que ce juge recevait l'appel et était saisi de la connaissance de l'affaire.

82. On appelait par écrit ou de vive voix. Ce dernier mode ne s'employait que dans un cas particulier, c'est lorsqu'à l'audience on interjetait incidemment appel sur le barreau; il fallait alors que l'avocat fût assisté du procureur ou de la partie, parce que c'était un nouveau chef de conclusions à prendre. Mais la forme la plus ordinaire était de faire signifier à celui qui avait obtenu la sentence ou à son procureur, que l'on était appelant pour les causes à déduire en temps et lieu, avec protestation contre tout ce qui pourrait être fait au préjudice de l'appel.

83. Après avoir interjeté appel en termes généraux, d'une sentence, on pouvait restreindre son appel à quelques chefs ou à un seul, tel que la condamnation aux dépens.

84. Quant au relief d'appel, il avait lieu, comme nous l'avons dit, devant le juge immédiatement supérieur, sauf les exceptions dont nous avons parlé nos 74 et s.; mais il devait être obtenu dans un délai déterminé à partir du jour où la partie avait fait sa déclaration d'appel. Ce délai était de trois mois dans les cours, et de six semaines dans les bailliages et sénéchaussées.

85. Faute par l'appelant d'avoir relevé son appel dans ce délai, l'adversaire qui avait obtenu le jugement pouvait se pourvoir devant le juge qui avait rendu ce jugement et en obtenir un nouveau qui ordonnait l'exécution du premier dans le cas où l'appe→ lant ne relèverait pas son appel. Il pouvait également s'adresser au juge supérieur et assigner l'appelant en vertu d'une commission pour voir prononcer la désertion de son appel. Si l'appelant ne comparaissait pas sur cette assignation, son appel était déclaré désert; s'il comparaissait, la demande en désertion était convertie en anticipation sur l'appel. D'ailleurs, la partie n'était pas obligée d'attendre, pour anticiper, que les délais accordés à l'appelant pour relever son appel fussent expirés; toutefois, il ne pouvait l'anticiper que huitaine après que l'appel avait été interjeté el signifié, délai pendant lequel l'appelant pouvait renoncer à son appel sans être tenu d'aucuns dépens, d'après l'art. 61 de l'ord. de 1453.

86. C'est la partie qui avait obtenu le jugement qui devait, en principe, être intimée et venir elle-même le défendre sur l'appel, comme nous l'avons fait remarquer au no 36. Dans quelques cas particuliers cependant, les juges étaient tenus de venir devant le juge supérieur soutenir le bien jugé de leurs sentences. Il en était ainsi lorsqu'ils avaient jugé ce qui n'était pas de leur compétence, ou lorsqu'ils avaient évoqué les causes hors du cas | où cela était permis, ou en cas de contravention à l'ordonnance, ou lorsqu'ils avaient pris des épices excessives, ou dans le cas auquel ils n'en devaient pas prendre (éd. de 1693, art. 20). V. Pothier, loc. cit., art. 4, § 3. Quand l'appelant n'avait eu en première instance d'autre adversaire que le ministère public, c'était celui qui en remplissait les fonctions devant le juge supérieur qui devait être intimé, en vertu du principe de la solidarité qui liait le ministère public. Si l'adversaire avait été le procureur fiscal d'une justice subalterne, c'était le seigneur qui devait être intimé comme devant prendre le fait et cause de son procureur fiscal.

Telles étaient, dans leur ensemble, les pratiques suivies sur l'appel lorsque la révolution éclata.

87. On sait que l'attention de l'assemblée constituante se porta d'abord sur l'organisation judiciaire: la révision des lois anciennes, la réformation des abus qui s'étaient établis sous leur empire, furent l'un de ses premiers soins. Nous indiquerons, en traitant de l'organisation judiciaire, quels furent, sur ce point, les vastes travaux de cette grande assemblée; mais la question de l'appel, l'une de celles qui se présentèrent les premières à l'assemblée constituante, s'en détache parfaitement et trouve ici sa place naturelle. — Le décret du 31 mars 1790, fixant l'ordre des questions sur l'organisation judiciaire, formula celle-ci : « Y aurat-il plusieurs degrés de juridiction, ou bien l'usage de l'appel sera-t-il aboli? » L'assemblée constituante se divisa sur ce terrain; il surgit des adversaires nombreux de l'appel. Les uns, el c'était le plus grand nombre, effrayés de l'influence que s'étaien!

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acquise les parlements et pénétrés de la pensée que l'on ne pouvait organiser un système d'appel sans conserver ces grands corps judiciaires, voulaient, par ce motif, renfermer toute contestation dans un seul degré de juridiction; d'autres arrivaient au même résultat par l'idée que l'appel n'était qu'un reste des anciennes institutions féodales contre lesquelles avait porté le grand effort de la révolution; d'autres enfin se prononçaient dans le même sens en soutenant que l'appel affaiblit l'autorité des décisions judiciaires, et en demandant, d'après le doute d'Ulpien dont nous avons parlé suprà, no 14, comment il était prouvé qu'un second jugement valût mieux que le premier. - Ajoutons qu'à un demi-siècle d'intervalle, cette dernière idée a encore ses défenseurs. M. Béranger, notamment, l'a développée dans le mémoire déjà cité, tout en s'avouant cependant que son opinion rencontrera nécessairement la plus vive opposition.

88. Cette opinion ne devait pas prévaloir, en effet. L'appel, nous l'avons vu, a existé chez toutes les nations où il y a eu des tribunaux organisés, et partout on l'a considéré comme le moyen le plus sûr d'arriver à une justice exacte. Cette donnée première n'est pas sans importance dès qu'il s'agit de se prononcer sur le mérite et l'utilité de l'institution. Comment admettre que l'appel qui a traversé les siècles au milieu des circonstances les plus diverses, se maintenant toujours et partout et résistant à d'incessantes attaques, soit complétement dénué du caractère d'utilité ? Cela certainement ne semble pas, dès l'abord, admissible, et la réflexion confirme puissamment cette première pensée. Que diton, en effet? que l'appel affaiblit l'autorité des décisions judiciaires! Mais on pourrait dire avec plus de raison qu'il la fortifie au contraire; car c'est particulièrement l'erreur, l'iniquité dans les jugements, qui en altèrent l'autorité; or l'appel eut toujours pour objet précisément de corriger les erreurs, d'effacer les iniquités, et par cela même il eut toujours pour effet d'assurer à la justice toute sa considération. Mais, ajoute-t-on, le bien jugé ne se reconnait à aucun signe et rien ne prouve que le second jugement vaille mieux que le premier. Rien ne le prouve sans doute, mais toutes les présomptions sont en faveur du second jugement. Les premiers juges, disait avec raison Barnave dans la discussion qui s'éleva sur la question à l'assemblée constituante, les premiers juges, plus rapprochés des justiciables, pourront avoir des motifs d'intérêt, de préférence ou de haine, et vous livreriez sans retour les citoyens aux effets que ces motifs pourraient produire. Le juge d'appel, plus éloigné d'eux, échappera plus aisément à la séduction. Celui-ci, ajoutait Pison du Galand, voyant dans l'appel une espèce de dénonciation, examinera l'affaire avec un respect pour ainsi dire religieux. En cause d'appel, l'affaire se réduit, elle ne présente plus que des faits simples; la décision du juge est portée d'une manière plus parfaite. - V. Hist. parl. de MM. Buchez et Roux, t. 5, p. 412 et suiv. 89. Et puis, d'ailleurs, les parties ne trouvent-elles pas la garantie d'une justice plus éclairée dans le nombre même des juges qui doivent siéger dans le tribunal supérieur? A la vérité ceci même a été contesté; et après Jérémie Bentham, M. Charles Comte, voulant établir qu'il ne faudrait jamais qu'un seul juge, a dit, dans ses Considérations sur le pouvoir judiciaire, ch. 2: « Multiplier le nombre des hommes n'est pas nécessairement accroître la masse des lumières dans aucun genre de connaissances; deux demi-savants ne font point un savant. Cela est vrai dans les sciences morales comme dans les sciences physiques ou mathématiques; dans les unes comme dans les autres, le nombre ne prouve rien que lui-même. Il serait aussi ridicule de prétendre obtenir un savant mathématicien en réunissant quelques maîtres d'école de village qui n'ont jamais su faire que des additions et des soustractions. » Mais qui ne voit le vice d'un tel raisonnement? La question est de savoir si des hommes éclairés réunis pour juger une affaire la résoudront mieux qu'un seul homme qui serait leur égal en lumières, et nullement de dire si plusieurs hommes ignorants présenteront, sous ce rapport, autant de garanties qu'un seul homme éclairé. Or, ainsi posée, la question se résout d'elle-même. Qui voudrait nier les secours puissants de la discussion et les lumières qui en jaillissent? qui tomberait dans l'orgueilleuse erreur de penser que, seul et réduit à ses propres forces, il embrassera d'une manière aussi complète et aussi sure que s'il était réuni à des hommes de bonne foi comme lui,

et comme lui éclairés, tous les détails d'une affaire et tous es éléments propres à en assurer la bonne solution?...

90. Ces considérations nous semblent décisives; ajoutons, d'ailleurs, que l'expérience les a confirmées. Car si l'on peut ren. contrer, dans les décisions émanées des juges d'appel, des exemples qui confirment le doute d'Ulpien lorsqu'il exprime la crainte que le juge du second degré in pejus reformet, on ne peut, du moins, disconvenir que ce ne soit là l'exception, et qu'en thèse générale, les décisions qui infirment ne soient plus justes et plus conformes à la loi que les décisions infirmées. Nous comprenons donc très-bien qu'après une discussion approfondie, l'assemblé constituante, résolvant la quatrième question qu'elle s'était proposée dans le décret du 31 mars 1790, ait décidé par le décret du 1er mai suivant « qu'il y aurait deux degrés de juridiction en matière civile. »>

91. Cela posé, il restait à organiser les tribunaux d'appel dont l'existence venait d'être admise en principe. Le problème qu'on se proposa de résoudre fut d'instituer des tribunaux qui, tout en rendant les services que la société devait en attendre, ne grevassent pas le trésor public, n'abusassent pas de leur autorité dans la distribution de la justice, et surtout fussent tenus sous le niveau de l'égalité constitutionnelle. Trois plans furent successivement présentés dans ce but; et aujourd'hui, lorsque plus d'un demi-siècle nous sépare de ce temps d'agitation, lorsqu'une situation normale ne permet pas que l'on s'arrête même à ces idées exagérées d'égalité qui furent le point saillant de l'époque, on peut dire que celui des trois plans qui prévalut, précisément parce qu'il attribuait la connaissance de l'appel à un tribunal placé sur la même ligne et formé des mêmes éléments que celui de qui était émanée la décision attaquée, était assurément celui qui, dans d'autres temps, eût été le premier écarté. La preuve ressortira d'elle-même de l'exposé qui va suivre.

92. Le premier plan proposé était celui qu'avait préparé M. Bergasse, et qui fait partie du rapport sur l'organisation du pouvoir judiciaire lu par ce député à la séance du 17 août 1789. Ce système consistait dans la création d'une cour supérieure composée de vingt juges, d'un avocat et d'un procureur général, et renfermant dans son ressort trois ou quatre départements. — L'objection la plus sérieuse qui s'éleva contre ce plan fut qu'une telle cour présenterait un corps assez nombreux pour faire craindre qu'elle n'opprimât les justiciables. Et, ajoutait-on, si plusieurs d'entre elles renouvelaient ce système de fédération, dont les parlements ont donné l'exemple, peut-on prévoir les troubles qui en résulteraient? · Ces considérations étaient trèspuissantes pour l'époque; aussi voit-on que ce plan fut à peine discuté. Toutefois, il occupa le comité judiciaire de l'assemblée; on en trouve la trace dans l'exposé qui fut présenté par M. Thouret, rapporteur de ce comité, à la séance du 22 déc. 1789, V. Hist. parl. de MM. Buchez et Roux, t. 3, p. 452 et suiv.

93. Le deuxième plan fut' imaginé par M. Thouret lui-même, et formulé par lui dans les articles suivants : « Art. 1. L'appel des jugements des juges de district sera porté à un tribunal supéieur établi en chaque département. 2. Ce tribunal sera composé de trois juges sédentaires au lieu de son établissement, et de trois grands juges, qui s'y rendront chaque année pour tenir de grandes assises. -3. La session des grandes assises durera deux mois et demi en chaque département, et les mêmes grands juges en tiendront une, chaque année, en quatre tribunaux de département. 4. Hors le temps des assises, le tribunal de département, composé des seuls juges sédentaires, jugera à l'audience les appels des sentences interlocutoires et de celles rendues définitivement en matières sommaire et provisoire, les demandes à fin de surséance ou d'exécution provisoire des jugements, et généralement toutes les demandes de provision qui seront formées incidemment aux appels. 5. L'appel de toutes les sentences définitives des juges du district, autre que celles rendues en matières provisoires ou sommaires, ne pourra être jugé que sur rapport et au temps des grandes assises.. 6. Les affaires qui surviendront dans l'intervalle d'une assise à l'autre seront distribuées aux juges sédentaires à tour de rôle, afin qu'ils en préparent le rapport. Ils pourront rendre les ordonnances ou arrêts d'instruction; chacun d'eux fera, lors des assises, le rapport du

procès dont il aura été chargé, et n'y aura point de voix délibérative. 7. Les grands juges tenant les assises recevront les représentations des corps administratifs et les plaintes des particuliers sur la manière dont la justice aura été rendue par les juges de district pendant le cours de l'année, et sur la conduite des officiers ministériels : ils réprimeront les abus et puniront les contraventions, à peine de répondre personnellement de leur négligence dans cette partie de leur service. »>

94. Tel était le plan proposé par M. Thouret. « Une cour de six juges, disait-il, dont la moitié seulement serait sédentaire, ne formera point de corporation inquiétante, d'association permanente, et n'aura ni force réelle ni force morale qui soient dangereuses... Vous aurez donc une organisation simple et peu coûteuse, vous éviterez le danger attaché au nombre et à la permanence, la justice d'appel sera plus expéditive et moins exposée à la séduction, enfin vous maintiendrez l'unité constitutionnelle. »- Disons de plus que, parfaitement disposé à recevoir l'adjonction du jury, ce système obtenait l'assentiment de ceux qui pensaient pouvoir faire admettre cette institution pour les affaires civiles après que la réformation des lois sur l'organisation judiciaire aurait été complète.

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au tableau un supplément d'autant de nouveaux tribunaux qu'il y avait de parties excédant le nombre de six; enfin, si les parties négligeaient d'user de leur droit ou si elles étaient en nombre tel que, les exclusions faites, il restât sur le tableau plus d'un tribunal non exclu, la partie qui ajournait la première sur l'appel eut le droit de choisir l'un des tribunaux restés au tableau, et en cas de concurrence de dates, le choix fait par l'appelant était préféré.

97. C'est à cette organisation que s'arrêta l'assemblée constituante. Trop exclusivement préoccupée de préventions que les empiétements des parlements avaient fait naître, cette grande assemblée ne s'aperçut pas qu'elle reconstruisait l'organisation judiciaire sur les proportions les plus étroites, et qu'abandonnant la connaissance de l'appel à des tribunaux égaux en degrés avec ceux qui avaient statué en première instance, elle établissait de nom seulement, et non point de fait, un double degré de juridiction, puisque la seconde décision ne pouvait pas présenter plus de garantie que la première. Toutefois, quelque défectueux qu'il fùt, ce système se maintint pendant assez longtemps: ce fut seulement après la constitution du 22 frim. an 8, qui créa le consulat, qu'il fut complétement changé. Car lorsque, dans la constitution de l'an 3, on substitua aux tribunaux de district un tribunal unique, institué dans chaque département, le principe resta le

des tribunaux des trois départements les plus voisins, en sorte que l'appel demeurait organisé sans qu'il y eût cependant aucune hiérarchie judiciaire. Aussi le système établi par la loi des 1624 août 1790 a-t-il laissé dans la jurisprudence des traces nombreuses que nous aurons à suivre et à indiquer dans le cours de ce travail. V. notamment le chap. 4, sect. 3.

95. Mais le projet, d'un autre côté, n'en fut pas moins vivement attaqué. M. Tronchet s'en montra l'adversaire le plus éner-même; l'appel de chaque tribunal de département fut porté à l'un gique; il en fit ressortir la singularité et les impossibilités qu'il présentait dans l'exécution. « Sans doute, disait-il, il convient que la justice soit briève, mais il ne faut pas qu'elle soit trop hâtive: il est souvent nécessaire d'accorder des délais aux parties. Toutes les affaires d'un tribunal ne sont pas toujours prêtes; on juge un procès pendant que l'autre s'instruit. Avec des assises, celui qui pourrait être prêt quinze jours après le départ des juges, sera renvoyé à l'année suivante. Vous ne préviendrez pas cet inconvénient par des jugements provisoires; vous ferez péricliter mes droits par un délai, pendant lequel mon débiteur deviendra insolvable. » Ces considérations, et en outre l'idée que le projet de M. Thouret n'était pas entièrement exempt d'une certaine gradation dans les pouvoirs, firent prononcer le rejet.-V. la discussion dans l'Hist. parlem., t. 5, p. 414 et suiv. Ce fut au troisième plan qu'on s'arrêta.

98. Mais en l'an 8, lorsque le calme des esprits permit de voir ce qui avait échappé à l'assemblée constituante, à savoir l'impossibilité du rétablissement des parlements par l'impossibilité même du retour des causes qui avaient donné à ces grandes corporations leur esprit d'indépendance et d'opposition, c'est-à-dire leur origine, la qualité des personnes et l'influence de ces corporations sur la législation, en l'an 8, on put rétablir l'institution de l'appel sur ses véritables bases. La loi du 27 vent. an 8 y pourvut. Cette loi, qui sera rapportée vo Organisation judiciaire, en constituant l'ordre judiciaire, créa de véritables tribunaux d'appel. Elle les institua au nombre de vingt-neuf, qui, moyennant le retranchement des deux tribunaux d'appel de Liége et de Bruxelles, séparés maintenant par le démembrement de 1814, forment aujourd'hui nos vingt-sept cours royales. Depuis, sauf quelques changements que les circonstances firent naître (V. vo Organisation judiciaire, le sénatus-consulte du 28 flor. an 12 et la loi du 20 avril 1810), le fond est resté le même.

96. Celui-ci présentait, en effet, le caractère d'une égalité parfaite, et organisait l'appel sans établir aucune hiérarchie entre les tribunaux. Admis sur la proposition de M. Agier, il fit partie et forma le lit. 5 du décret général sur l'organisation judiciaire des 16-24 août 1790, que l'on trouvera vo Organisation judiciaire. Rappelons seulement ici ce qui a trait à l'appel. Lorsqu'il y avait appel d'un jugement, les parties pouvaient convenir à l'amiable d'un tribunal entre ceux de tous les districts du royaume pour lui en déférer la connaissance; et si les parties ne s'accordaient pas, ce qui était le cas le plus ordinaire, le choix du tribunal était déterminé comme il suit. Un tableau de sept tribunaux les plus voisins, dont un au moins hors du département, dut être formé dans chaque district; ce tableau, proposé par le directoire du district, était rapporté à l'assemblée nationale, arrêté par elle et ensuite déposé au greffe et affiché dans l'auditoire. Lorsqu'il n'y avait que deux parties, l'appelant eut la faculté d'exclure trois de ces tribunaux par son acte d'appel; il fut permis à l'intimé d'en exclure un pareil nombre par une déclaration faite au greffe : le tribunal non exclu se trouvait alors juge de l'appel. — Lorsqu'il y avait trois parties plaidant pour des intérêts opposés, chacun ne put exclure que deux tribunaux; si le nombre des par- | l'exposé des motifs présenté par M. Bigot - Préameneu dans la ties allait jusqu'à six, un seul tribunal put être exclu par chacune; si les parties étaient au nombre de plus de six, on faisait

(1) Exposé des motifs de la loi relative à la procédure devant les tribunaux d'appel, et aux voies extraordinaires pour attaquer les jugements, par M. le conseiller d'Etat Bigot-Préameneu (séance du 7 avril 1806). Messieurs, le 3 et le 4 livre de la première partie du code de procéjure civile vont être soumis à votre délibération. L'un a pour objet l'appel des jugements et l'instruction sur l'appel; - L'autre, les voies extraordinaires pour attaquer les jugements; elles sont au nombre de trois la tierce opposition, la requête civile et la prise à partie.

De l'appel.

4. Je n'ai point ici à examiner si l'usage de l'appel des jugements doit, en france, son origine à l'intention de diminuer l'autorité des seigneurs augmenter et concentrer la puissance royale: il suffit que, malgré

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99. Cet état de choses a été accepté par les rédacteurs du code de procédure qui n'y ont rien changé : ils n'avaient pas, d'ailleurs, à le faire; car le titre du code de procédure relatif à l'appel n'avait pas pour objet l'organisation ou l'établissement des pouvoirs ; il ne s'appliquait pas même aux délimitations de la compétence et à la fixation du premier et du dernier ressort, ce qui a été réglé par des lois spéciales que l'on trouvera vo Degrés de juridiction: il était destiné seulement à organiser la procédure devant les tribunaux d'appel, ainsi que l'indique l'intitulé même de ce titre.

100. Ce sont les règles de cette procédure qui ont été discutées au conseil d'État; ce sont elles aussi qui font l'objet de

séance du 7 avril 1806 (1). Nous donnons en note ce document | important; mais nous devons faire remarquer que nous n'en rap

l'utilité d'abréger les procès, il n'y ait aucun doute sur l'utilité plus grande encore de conserver, au moins dans les affaires d'une certaine importance, un recours à la partie qui peut avoir été injustement condamnéc. Subordonner les premiers jugements à l'appel; c'est donner une garantie qu'ils seront rendus avec une plus scrupuleuse attention. La justice distributive est, comme sauvegarde de l'honneur et de la propriété, le premier besoin des peuples; il suffit que l'appel soit un moyen de plus de s'assurer qu'elle sera rendue, pour que cette forme de procéder doive être conservée. Il faut seulement, pour qu'il n'en résulte pas d'abus, rechercher quelles peuvent être les règles les plus convenables sur le délai por appeler, sur les effets de l'appel, et sur une instruction aussi simple qu'il soit possible.

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portons que la partie relative à l'appel. L'exposé des motifs de M. Bigot-Préameneu comprenait en outre les voies extraordinaires

2. Tout jugement établit une obligation au profit d'une partie contre l'autre; les obligations ne se prescrivent que par trente ans; la partie au profit de laquelle le jugement à été rendu, doit donc avoir trente ans pour l'exécuter. Peut-on de ce principe conclure que le débiteur condamné doive aussi avoir le même temps pour interjeter appel? Cette conséquence, toute fausse qu'elle est, avait été admise avant l'ordonnance de 1667, et elle a même été depuis, malgré les dispositions de cette loi, maintenue dans plusieurs parties de la France. Cependant le premier devoir de tout débiteur est d'acquitter ses engagements; celui contre lequel un jugement a été rendu est donc tenu ou de remplir sans délai l'obligation que ce jugement lui impose, ou de présenter, par le moyen de l'appel, et aussitôt que cela lui est possible, les motifs sur lesquels il croit que les premiers juges l'ont injustement condamné. De la faculté d'appeler, il ne résulte point que le jugement n'ait formé qu'une obligation imparfaite, et qu'il reste encore un droit éventuel dont la durée doive être de trente ans pour l'une comme pour l'autre partie.

La propriété de celui dont le droit a été reconnu légitime étant consacrée par le jugement, il ne peut plus, à son égard, être question d'acquérir par prescription cette propriété contre son adversaire. Les règles de la prescription ne peuvent donc point s'appliquer au recours que la loi donne contre un jugement. - Sans doute la partie condamnée doit, pour être déchue du droit d'appeler, avoir été constituée en demeure. Mais n'est-elle pas constituée en demeure par la signification du jugement, signification dans laquelle on exprime, et qui, lors même qu'on ne l'exprimerait pas, emporte, de droit la sommation de l'exécuter? On ne saurait, contre une preuve aussi positive, dire qu'il soit encore permis de présumer que celui qui a sommé d'exécuter le jugement, consente à ce que cette exécution soit différée : il n'y a donc de délai juste que celui qui doit être regardé comme nécessaire à la partie condamnée pour prendre conseil et pour préparer ses moyens d'appel.

3. Les auteurs de l'ordonnance de 1667 semblent avoir craint ce qui est arrivé, au moins dans une partie de la France, c'est-à-dire de faire une loi qui ne serait point exécutée, s'ils réduisaient, d'après ces principes, l'ancien délai, autant qu'il eût dù l'être : ils le fixèrent à dix ans. Il est vrai qu'en même temps ils firent une exception en faveur de celui qui, ayant obtenu le jugement, aurait fait à son adversaire une sommation d'appeler; mais ils ne voulurent pas que cette sommation put être faite avant trois ans depuis la signification du jugement, et ils donnèrent encore à la partie condamnée, pour interjeter son appel, six mois depuis la sommation. Il n'était pas juste que celui qui, déjà par la signification d'un jugement, avait sommé de l'exécuter, fût tenu de provoquer un second procès. Ne lui permettre l'iterative sommation qu'après un délai de trois ans, c'était l'exposer à ranimer par un nouveau défi des passions qu'un aussi long temps avait dù éteindre les six mois qu'on lui donnait depuis l'itérative sommation eussent été seuls un délai plus que suffisant.

Quoique l'ordonnance de 1667 n'eût pas, dans la fixation des délais, établi une balance juste entre les parties, cependant c'était un grand pas vers un meilleur ordre, et il serait difficile d'expliquer comment les anciennes idées pour le délai de trente ans avaient, en plusieurs lieux, prévalu sur l'autorité de la loi. - On pourrait, en toute rigueur, dire que celui qui a succombé a eu le temps de prévoir la possibilité de sa condamnation, et que le moindre délai pour appeler doit suffire.

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Dans la législation romaine, le plus long délai a été de dix jours: cette règle a été adoptée avec quelques modifications dans le code prussien; elle ne conviendrait pas dans un empire aussi grand que la France. — On avait trouvé une juste mesure dans la loi du 24 août 1790, qui ne permet pas de signifier l'appel d'un jugement après l'expiration de trois mois, à dater du jour de la signification à personne ou domicile. Il n'est personne qui ne reconnaisse que ce temps suffit pour délibérer si on doit interjeter appel et pour s'y préparer. Aucune disposition de nos lois nouvelles n'a cu un assentiment plus général; elle est de nouveau consacrée dans le code de procédure.

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4. Il n'était mention, ni dans l'ordonnance de 1667, ni dans les lois postérieures, de la manière dont l'intimé doit se pourvoir par appel, s'il croit que ses intérêts soient lésés dans le jugement. Cependant il faut, en Stablissant des règles sur les délais d'appel, déclarer si l'intimé sera sujet aux mêmes délais, et si la signification qu'il aurait faite du jugement, sans protestation, pourra lui être opposée. Les délais de l'appel ont été limités pour que le sort de celui contre lequel on peut l'interjeter ne reste pas trop longtemps incertain. Ces délais fixés contre l'appelant ne sont plus à considérer en sa faveur, lorsque, par l'appel, il a remis en question ce qui avait été jugé. Dès lors le droit réciproque d'appel n'est pour l'intimé, pendant ce nouveau combat judiciaire, que celui d'une légitime défense. Cette défense ne saurait lui être interdite, lors même qu'il aurait signifié le jugement sans protestation. C'est l'appelant qui, par son propre fait, change la position et l'intérêt de son adversaire. Le plus souvent, Les droits respectifs des parties ont été justement balancés par des condamnations réciproques. L'intimé qui a signifié le jugement sans protester pouvait être disposé à respecter cette intention des premiers juges; mais

pour attaquer les jugements, c'est-à-dire la tierce opposition, la requête civile et la prise à partie, et renfermait ainsi, dans un

lorsque, par l'appel, on veut rompre cet équilibre, la justice demando que, pour le maintenir, l'intimé puisse employer le même moyen.

5. On a eu encore à réparer une omission très-importante des précé→ dentes lois. Celle de 1790 n'avait appliqué ses dispositions sur les délais de l'appel qu'aux jugements contradictoires, sans statuer à l'égard de ceux rendus par défaut; ainsi les anciens règlements sur le délai de l'appel des jugements de cette dernière classe, n'ont point encore perdu leur empire, et, dans une partie de la France, ce délai est de trente ans. On a dû, à l'égard de ces jugements, songer non-seulement au temps nécessaire pour l'appel, mais encore prendre des précautions particulières pour que la partie condamnnée par défaut en ait connaissance. Ce double objet à été rempli, en ordonnant que le délai pour interjeter appel des jugements par défaut sera de trois mois, à compter du jour où l'opposition ne sera plus recevable. — Or, suivant une autre disposition du code, l'opposition contre les jugements rendus par défaut sera recevable pendant la huitaine, à compter du jour de la signification à l'avoué qui aurait été constitué; lorsqu'il n'y aura point eu de constitution d'avoué, l'opposition sera recevable jusqu'à l'exécution du jugement. Après avoir fait ainsi cesser toute inquiétude sur ce que les parties condamnées pourraient, par l'infidélité des huissiers, ou même par d'autres accidents, n'avoir eu aucune connaîssance de la condamnation, il n'y avait plus aucune raison pour que le délai de trois mois ne courût pas à l'égard des jugements par défaut, comme à l'égard de ceux rendus contradictoirement.

6. L'ancienne législation avait admis plusieurs exceptions à la règle générale sur le délai de dix ans pour l'appel. Ce délai était double lorsqu'il s'agissait des domaines de l'Église, des hôpitaux, des colléges; il ne commençait à courir contre les mineurs que du jour de la majorité. -Il est vrai que les intérêts de l'Etat et des établissements publics, ceux même des mineurs, ne sont que trop souvent compromis par négligence ou par infidélité: il est, à leur égard, des précautions nécessaires; mais il n'est point indispensable de leur sacrifier, par des délais trop longs, l'intérêt des citoyens qui ont à défendre des droits opposés. Le but est de s'assurer que la religion des juges soit éclairée, sans que le cours de la justice soit arrêté. On propose, à l'égard des mineurs, un nouveau moyen de sûreté, sans prolonger le délai de l'appel. Le code civil donne à la fois aux mineurs un tuteur et un subrogé tuteur. Ce dernier est chargó d'agir pour les intérêts du mineur, lorsqu'ils sont en opposition avec ceux da tateur. Pour que la négligence, qui souvent a des effets irréparables, ne soit plus à craindre, on exige que tout jugement sujet à l'appel soit signifié tant au tuteur qu'au subrogé tuteur, lors même que ce dernier n'aurait pas été en cause. Le subrogé tuteur n'est pas alors chargé de la défense du mineur pendant l'appel; mais il sera, comme le tuteur luimême, responsable, s'ils laissent passer le délai de trois mois depuis la signification qui leur aura été faite, sans avoir pris les mesures prescrites par la loi pour savoir si l'appel doit être interjeté, et sans l'avoir interjeté. Par le code civil, l'interdit est assimilé au mineur pour sa personne et pour ses biens.

7. On a d'ailleurs adopté une mesure qui mettra de plus en plus l'État, les établissements publics, les mineurs et les interdits à l'abri des surprises qui seraient faites à la justice. Ils seront admis, ainsi qu'on l'expliquera dans la suite, à se pourvoir par requête civile, lorsqu'ils n'auront point été défendus, ou lorsqu'ils ne l'auront pas été valablement.

8. Celui qui demeure hors de la France continentale, doit avoir les trois mois pour délibérer s'il appellera, et ensuite le temps nécessaire pour transmettre ses instructions: c'est celui fixé pour répondre aux ajourne

ments.

9. Quant aux personnes domiciliées en France, mais absentes du territoire européen de l'empire pour un service public, l'ordonnance de 1667 s'était bornée à déclarer que les délais prescrits pour l'appel ne seraient point observés à leur égard, de manière qu'ils ne commençaient à courir contre eux que quand la cause de leur absence avait cessé. La faveur due au service public n'est point un motif suflisant pour que celui dont la cause a été trouvée juste reste ainsi dans une incertitude dont il n'y ait aucun terme. Les absents pour le service public désigné par la loi auront le temps ordinaire de trois mois, et en outre celui d'un an : c'est le délai accordé à ceux qui demeurent dans les pays les plus lointains. Il est sans doute encore à craindre que les personnes ainsi employées ne puissent pas être averties à temps; mais ce délai fût-il plus long, l'inconvé nient ne serait pas entièrement prévenu, et on ne doit pas sacrifier le bien général par la crainte d'un inconvénient très-rare.

10. On a encore à prévoir le cas où la partie condamnée décéderait pendant le délai de l'appel. Quoique les héritiers représentent le défunt, il n'en est pas moins nécessaire de leur signifier de nouveau un jugement dont ils peuvent n'avoir eu aucune connaissance personnelle, ou dont les papiers trouvés dans le domicile de ce défunt ne leur auraient découvert aucunes traces; ils ne doivent point être privés du délai que le code civil leur donne pour délibérer s'ils accepteront ou s'ils répudieront la succession; pendant ce délai, celui de l'appel sera suspendu.-On a, d'une autre part, écarté en faveur de l'appelant une difficulté que lui faisait souvent

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