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trats composant les cours d'assises de l'Algérie (lesquels, d'après le mode spécial d'organisation de ces cours, font à la fois fonctions de jurés et de juges), ne peuvent plus, depuis le décret du 19 août 1854, statuer par une même décision sur le fait et sur l'application de la peine; qu'ils doivent, après une première délibération exclusivement relative à l'examen du fait, rapporter et lire, à l'audience, la déclaration contenant leur réponse à chacune des questions qui ont fait l'objet des débats, et ne statuer sur l'application de la peine qu'après avoir entendu sur cette déclaration les observations de toutes les parties (c. inst. erim. 357 et 365); — Mais il n'est pas nécessaire d'indiquer, dans ladite déclaration à la suite de chaque réponse, qu'elle a été prise à la majorité (Crim. cass. 29 mars 1855, aff. El ArbiBen-Brahim, D. P. 55. 1. 186, même jour deux autres arrêts semblables; Crim. cass. 5 avr. 1855, aff. Satger, D. P. 55. 1. 268; 23 mars 1855, aff. Picot, eod., 269; 5 mai 1855, aff. Boulenouar, eod.).

746. Les prescriptions de l'art. 11 du décret du 19 août 1854 ont reçu diverses applications dans les arrêts suivants.--II a été jugé : 1o que le président d'une cour d'assises de l'Algérie n'est pas tenu de donner à cette cour l'avertissement prescrit par l'art. 341 c. inst. crim. à l'égard des cours d'assises jugeant avec l'assistance de jurés... ni de poser par écrit, à l'audience, une question relative aux circonstances atténuantes (Crim. rej. 3 oct. 1857, aff. Doineau, D. P. 57. 1. 455);—2o Que les questions posées comme résultant de l'acte d'accusation, doivent, à peine de nullité, être formulées et constatées sur une feuille spéciale qui doit rester jointe à la procédure; il ne saurait être suppléé à cette pièce fondamentale par les énonciations que renfermeraient, sur les questions résolues, soit l'arrêt de condamnation, soit le procès-verbal des débats (Crim. cass. 6 déc. 1862, aff. Abderrhanman, D. P. 63. 5. 19);-3° Que les déclarations entachées du vice de complexité sont nulles et donnent ouverture à cassation (Crim. cass. 11 mai 1861, aff. Mohamed-ben-Tany, D. P. 61. 5. 19); -4° Que les cours d'assises de l'Algérie étant compétentes pour statuer sur les questions de fait, qui, dans la métropole, sont de la compétence exclusive du jury, peuvent prononcer elles-mêmes sur l'existence du fait d'excuse légale proposé par l'accusé; et il suffit, pour la validité de leur décision à cet égard, qu'elles prononcent par disposition distincte, conformément à l'art. 11 du décret du 19 août 1854: ici est inapplicable l'art. 539 c. inst. crim. (Crim. rej. 27 nov. 1856, aff. Mohammed-ben-Boukrouffa, D. P. 56. 1. 471);-5° Que les questions peuvent être posées par le président seul et n'ont pas besoin de l'être par la cour d'assises elle-même, toutes les fois qu'il ne s'élève aucun incident de nature à être vidé par la cour (Crim. rej. 3 oct. 1857, aff. Doineau, D. P. 57. 1. 455); -6° Que l'indication que les déclarations rendues contre l'accusé ont été prises à la majorité, n'est pas nécessaire dans le jugement des affaires criminelles soumises aux cours d'assises d'Algérie, la déclaration affirmative sur la culpabilité constate virtuellement qu'elle a été prise à la majorité (Crim. rej. 16 août 1861, aff. Mohamed-ben-Sersoub, D. P. 61. 5. 17; 31 janv. 1867, M. Perrot de Chézelles, rap., aff. Mohamed; V. aussi no 745 in fine); -7° Que la déclaration des cours d'assises de l'Algérie sur la culpabilité de l'accusé est régulièrement signée par le président et le greffier seuls la signature de tous les juges n'est exigée que pour l'arrêt intervenu en suite de cette déclaration (c. inst. erim. 349, 570; Crim. rej, 3 oct. 1857, aff. Doineau, D. P. 57. 1. 455);- Que la signature du greffier au bas des déclarations sur la culpabilité émanées des cours d'assises de l'Algérie n'est pas exigée, à peine de nullité, comme à l'égard des déclarations du jury dans la métropole... alors surtout que la déclaration de la cour, signée d'ailleurs du président, est visée et relatée en substance dans l'arrêt de condamnation (Crim. rej. 7 fév. 1856, aff. Turki, D. P. 56. 1. 185); -9° Que dans une affaire soumise à une cour d'assises d'Algérie et qui concerne deux accusés, il n'est pas nécessaire que la déclaration de culpabilité soit signée séparément, pour chaque accusé, par le président et le greffier; il suffit, lorsque les questions concernant les deux accusés ont été écrites sur une même feuille en un seul contexte, que la signature du président et celle du greffier figurent à la fin de la déclaration; et, dans le cas où le président a sur

abondamment apposé sa signature à la suite des réponses concernant le premier accusé, il ne résulte pas de nullité de ce que le greffier n'a pas fait de même, la valeur de sa signature finale n'en étant pas altérée (Crim. rej. 11 mai 1866, aff. Mohamed-ben-Hadj, D. P. 66. 5. 17-18.)

747. La législation exceptionnelle, antérieure à l'institution des cours d'assises en Algérie, ne se trouvait modifiée par le décret du 19 août 1854 que relativement à la procédure devant la cour d'assises. En ce qui concerne l'instruction préliminaire, les dispositions de l'ordonnance de 1842 continuaient à rester en vigueur. Mais le décret du 15 déc. 1858 a modifié cette partie de l'instruction en créant, dans la cour d'Alger, une chambre d'accusation. La création de cette chambre entraînait l'établissement des formes usitées en France. En effet, l'art. 4 du décret du 15 déc. 1858 précité déclare applicables en Algérie: 1o le chap. 6 du liv. 1 de ce code (art. 55 à 90) traitant des juges d'instruction; seulement le délai fixé à dix jours par l'art. 155 pour la notification de l'opposition du procureur général à l'ordonnance du juge d'instruction est porté à vingt jours pour les tribunaux autres que celui d'Alger (décr. 15 déc. 1858, art. 5); 2o Le chap. 7 (art. 91 à 112) traitant des mandats de comparution et d'amener; 3o Le chap. 8 (art. 115 à 126) traitant de la liberté provisoire et du cautionnement; - 4° Le chap. 9 (art. 127 à 136) traitant des ordonnances du juge d'instruction quand la procédure est complète; 5o Le chap. 1 du tit. 2 du liv. 2 du code d'instruction criminelle (art. 217 à 250) sur les mises en accusation, modifié par la loi du 17 juill. 1856;-Et enfin 6o le chap. 2, tit. 4, liv. 2, du même code (art. 465 à 478) relatif aux contumaces.-En conséquence de ce décret du 15 déc. 1858, il a été jugé que les irrégularités commises en Algérie dans l'instruction d'une affaire criminelle, antérieurement à l'acte d'accusation, et spécialement dans la réception des dépositions écrites qui auraient été lues à l'audience, ne peuvent être relevées, pas plus qu'en France, ni devant la cour d'assises, laquelle ne prononce que sur le débat oral, ni devant la cour de cassation (Crim. rej. 20 juill. 1855, aff. Gros, D. P. 55. 5. 16). Au reste, il en était ainsi même avant le décret du 15 déc. 1858, lorsque les actes d'instruction dont il n'avait pas été fait usage devant la cour d'assises n'y avaient été l'objet d'aucune réclamation de la part de l'accusé (Crim. rej. oct. 1857, aff. Doineau, D. P. 57. 1. 455).

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748. L'ordonnance du 28 fév. 1841 (art. 68) dispose que toute citation ou notification faite à un musulman en matière criminelle, doit être accompagnée d'une analyse sommaire en langue arabe, faite et certifiée par un interprète assermenté, le tout sous peine, contre l'huissier, de 20 fr. d'amende pour chaque omission, et sans préjudice de la nullité de l'acte, si le juge croit devoir la prononcer. L'ordonnance du 10 août 1834 contenait (art. 58 et 59) des dispositions semblables. Mais la nullité qui peut résulter de l'inobservation de cette prescription ne peut être proposée pour la première fois en cassation, et dans tous les cas elle n'est pas absolue.-Il a été jugé : 1o que le moyen tiré de ce que l'exploit contenant notification à un indigène musulman de l'acte d'accusation dressé contre lui et citation devant le tribunal supérieur d'Alger, n'a été traduit que par extrait, en langue arabe, au lieu de l'avoir été complétement, n'est pas recevable devant la cour de cassation, surtout si l'accusé, loin de proposer ce moyen devant le tribunal, y a formellement renoncé à l'audience (Crim. rej. 23 janv. 1839, MM. de Bastard, pr., Vincens, rap., aff. Seliman; V. aussi Crim. rej. 17 oct. 1837, MM. Bastard pr., de Gartempe fils, rap., aff. Ahmedben-Amar; 12 sept. 1839, MM. Bastard, pr., Bresson, rap., aff. Ahmed-ben-Sallas; 10 déc. 1841, MM. Meyronnet, pr., Isambert, rap., aff. Bel-hadj-ben-Bayo); 2° Que l'omission de la traduction de l'acte d'accusation, dans la copie signifièe, donne lieu à une amende contre l'huissier qui a instrumenté, et confère seulement aux magistrats la faculté d'annuler la procédure dans le cas où le défaut de traduction a préjudicié à l'accusé, mais ne fait pas de cette omission un cas absolu de nullité (Crim. rej. 28 mai 1846, aff. Mardokaï, D. P. 46. 4. 338); – 3° Que le moyen tiré de ce que l'analyse en langue arabe de l'arrêt d'accusation et de l'acte d'accusation signifiés à un accusé musulman en Algérie, n'exprimerait pas la nature exacte de l'accu

sation, ne peut être proposé devant la cour de cassation s'il n'a été soumis à la cour d'assises devant laquelle cet accusé a comparu (Crim. rej. 20 avr. 1867, aff. El-hadj-Saïd, D. P. 67. 5. 17-18);

4° Que l'interprète est présumé avoir traduit à l'accusé indigène les dires du ministère public et les arrêts incidents prononcés par la cour, alors qu'il est constaté que ni l'accusé ni son conseil n'ont fait de réquisition spéciale à cet égard (Crim. rej. 10 déc. 1841, MM. Meyronnet, pr., Isambert, rap., aff. Bel-hadj-ben-Bayo); 5o Que la mission de l'interprète, dans les débats judiciaires s'applique principalement aux parties des débats où l'accusé ne peut être suppléé par son conseil, ou dont il n'a pu, d'ailleurs, avoir personnellement connaissance; que, par suite, le défaut de traduction, par l'interprète, de l'acte d'accusation et des questions comprises dans son résumé, n'est pas une cause de nullité, alors que la notification de cet acte d'accusation et de ce résumé, faite à l'accusé avant l'ouverture des débats, a été accompagnée d'une analyse sommaire dans la langue de cet accusé (la langue arabe), faite et notifiée par un interprète assermenté, et que le président n'a pas posé d'autres questions que celles résultant de l'acte d'accusation, si ce n'est sur la demande de l'accusé lui-même (Crim. rej. 3 oct. 1857, aff. Doineau, D. P. 57. 1. 455); - 6° Et qu'il en est surtout ainsi lorsque le procès-verbal des séances constate qu'après la lecture de l'acte d'accusation, le président ⚫ a rappelé à l'accusé ce qui était contenu dans cet acte, par l'intermédiaire de l'interprète, chaque fois que cela a été nécessaire, et qu'après la lecture des questions aucune observation n'a été présentée de la part de l'accusé ou de son conseil (même arrêt); 7° Qu'aucune disposition ne prescrit de faire traduire par un interprète, aux condamnés, le jugement de condamnation et l'avertissement relatif au droit de se pourvoir en cassation... et dans tous les cas, le condamné qui s'est pourvu en temps utile n'est pas recevable à se plaindre du défaut de traduction (Crim. rej. 25 janv. 1839, MM. de Bastard, pr., Vincens, rap., aff. Seliman); 8° Qu'il n'est pas exigé que le procès-verbal de la séance fasse mention de la traduction de l'arrêt de condamnation à l'accusé indigène auquel il a été nommé un interprète (Crim. rej. 10 déc. 1841, MM. Meyronnet, pr., Isambert, rap., aff. Bel-hadj-ben-Bayo).

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749. La cour de cassation, lorsqu'elle annulé un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour impériale d'Alger, prononce le renvoi du procès devant une autre chambre de ladite cour. Cette chambre procède, au nombre de cinq juges, comme chambre d'accusation. Aucun des magistrats qui ont participé à l'arrêt annulé ne peut en faire partie. Elle est présidée par son président ordinaire; les quatre autres membres sont pris dans l'ordre du tableau de la chambre, sauf empêchement régulier. Néanmoins la cour de cassation peut, suivant les circonstances, renvoyer l'affaire devant la chambre des mises en accusation d'une autre cour impériale (L. 9 mai 1863, art. 1). Dans le cas prévu par le § 1 de l'article précédent, l'art. 431 c. inst. n'est pas applicable (même loi, art. 2).

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SECT. 9. 750. Par de nombreuses considérations que nous n'avons pas à rappeler et qui d'ailleurs se devinent de soi, l'organisation judiciaire des territoires militaires ne pouvait être tout d'abord celle des territoires civils; l'autorité militaire devait y primer l'autorité civile. L'ordonnance du 31 oct. 1838 permit d'instituer des commandants de place revêtus des attributions des juges de paix et de tout ou partie des attributions des tribunaux civils. Le gouverneur général devait régler ces attributions par des arrêtés approuvés par le ministre de la guerre. Un arrêté du 5 août 1843, pris par le gouverneur général en vertu des pouvoirs qu'il tenait de l'ordonnance du 22 juill. 1834 organisa d'une façon uniforme la juridiction des commandants de place. Ils avaient les attributions des commissaires civils et des juges de paix et certaines autres des tribunaux civils et de commerce. Mais le décret du 17 mars 1866 a remplacé cette juridiction exceptionnelle par celle des juges de paix, qui ont été institués dans les territoires militaires comme dans les terriloires civils (V. suprà, no 582).

De la justice française en territoire militaire.

751. Les changements effectués en exécution du décret du 17 mars 1866 semblent avoir eu pour effet de supprimer nonseulement la juridiction de paix des commandants de place, mais encore la juridiction civile et commerciale qui en était comme un appendice et un prolongement. Les commandants de place pouvaient juger certaines causes civiles et commerciales; mais quand ils avaient quelque raison de se défier de leurs lumières, ils devaient renvoyer les parties devant le tribunal compétent de la province avec l'instruction de l'affaire au point où elle se trouvait (circ. gouv. 27 janv. 1844). Il ne paraît pas douteux que les commandants de place se trouvent actuellement dépouillés de cette extension de juridiction par le décret du 17 mars 1866, par la raison que, d'une part, cette juridiction dépendait de leur juridiction de paix, et que, d'une autre part, les juges de paix à compétence étendue qui peuvent être institués dans les territoires militaires comme dans les territoires civils ont hérité ou peuvent hériter de cette partie de la juridiction du commandant de place. — Le décret du 17 mars 1866 aurait eu aussi pour résultat de placer les territoires militaires sous le même régime absolument que les territoires civils, au moins en ce qui concerne la justice civile, les indigènes musulmans restant soumis, bien entendu, à la justice indigène musulmane (V. nos 765 et s.).

752. Sous le régime de la juridiction des commandants de place, les fonctions d'huissier étaient accomplies par les brigadiers de gendarmerie (arr. gouv. 29 mai 1846), et à défaut par un sous-officier de l'armée désigné par le commandant supé-rieur du cercle (arr. 2 juin 1866). La substitution d'huissiers en titre aux brigadiers de gendarmerie pour la signification des actes judiciaires ou extrajudiciaires est une conséquence du nouveau régime judiciaire des territoires militaires.-V. no 714.

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753. Les conseils de guerre ont eu et ont conservé en Algérie une compétence particulière à l'égard d'individus non militaires. L'art. 57 de l'ordonnance du 10 août 1854 disposait : « Demeure réservée aux conseils de guerre la connaissance des crimes et délits commis en dehors des limites telles qu'elles auront été déterminées en exécution de l'art. 4: 1o par un indigène au préjudice d'un Français ou d'un Européen : 2o Par un indigène au préjudice d'un autre indigène, alors seulement que le fait à punir intéresse la souveraineté française ou la sécurité de l'armée; 3o Par un Français au préjudice d'un indigène. »-Les ordonnances des 28 fév. 1841, 26 sept. 1842, 17 juill. 1843, et les décrets des 10 avr. 1851 et 29 avr. 1854 ont maintenu la compétence attribuée aux conseils de guerre par l'ordonnance du 10 août 1834, au moins à l'égard des indigènes, les Français n'étant plus justiciables que des cours d'assises, notamment en vertu du décret du 15 mars 1860. Il a été jugé que les conseils de guerre sont compétents pour connaître des crimes commis par les indigenes en dehors des limites de la juridiction ordinaire et qui peuvent donner lieu à l'application de la peine de mort (Cr. rej. 2 août 1849, aff. Ali-ben-Hamed, D. P. 51. 5. 106).-Cette compétence des conseils de guerre s'étend même aux délits de douanes et de contributions indirectes (Crim. cass. 2 sept. 1855, aff. Mohamed-Ouachen, D. P. 53. 5. 97; Crim. régł. de jug. 24 nov. 1864, aff. Mohamed-Merabat, D. P. 67. 1. 189). Jugé que l'attribution aux conseils de guerre, en Algérie, de la connaissance des délits et contraventions de douanes commis en territoire militaire, emporte, pour l'administration des douanes, le droit de se présenter devant ces conseils, pour y réclamer des réparations civiles et la confiscation des objets de contrebande, et celui de s'y prévaloir de toutes les garanties que la loi lui accorde devant les tribunaux correctionnels, notamment quant à la preuve des infractions, et tant qu'elles n'ont rien d'inconciliable avec la constitution des juridictions militaires; que dès lors, cette administration peut former contre le jugement intervenu, même en cas d'acquittement, un recours en révision pour violation ou omission des formes prescrites, et aussi, par suite, se pourvoir en cassation contre la décision du conseil de révision (Cr. cass. 9 juin 1866, aff. Mohamed-Merabat, D. P. 67. 1. 190). Mais la juridiction criminelle ordinaire en Algérie est seule compétente pour connaitre du crime de manœuvres et intelligences entretenues avec les ennemis de la France, dans le

but de leur faciliter l'entrée du territoire, alors d'ailleurs que la connaissance de ce crime n'a pas été revendiquée par l'autorité militaire, comme se rattachant exclusivement à un crime intéressant la souveraineté française ou la sûreté de l'Etat (Cr. rej. 25 sept. 1846, Aïssa-ben-Hamed, D. P. 46. 4. 90).

754. L'étendue de la compétence des conseils de guerre et les conditions d'exercice de la juridiction de ces conseils peuvent présenter quelque difficulté. —Il a été jugé: 1o qu'en Algérie, les conseils de guerre n'étant compétents, pour juger les indigènes non militaires, qu'à raison des crimes par eux commis au préjudice d'un Européen en dehors des limites assignées aux juridictions civiles établies, il s'ensuit qu'un jugement du conseil de guerre est nul, comme ne justifiant pas sa compétence, s'il n'indique d'une manière précise le lieu où a été commis le crime à lui déféré (Crim. cass. 2 juill. 1841) (1); · 2o Mais que le conseil de guerre saisi d'un crime de sa compélence, tel qu'un assassinat commis en dehors des limites du territoire civil, par un indigène au préjudice d'un Français, n'est pas tenu d'indiquer d'une manière précise le lieu du crime, à l'effet de savoir si le crime a été commis en dehors des limites du territoire civil qui lui est assigné, et de justifier sa compétence sous ce rapport, alors que l'accusé, loin de contester la compétence du conseil ratione loci, soit en première instance, soit en appel, a toujours reconnu que le crime avait eu lieu dans le sein des tribus non soumises à la France, et que son dernier domicile etait dans l'une de ces tribus (Crim. rej., 11 mars 1842, aff. Ramdan, vo Cassation, no‍ 258); 50 Que les conseils de guerre d'une province d'Algérie sont compétents pour connaître des délits commis par un individu non militaire dans une localité située en dehors de la limite de la juridiction civile instituée dans le pays, et dépendant de la division militaire (Crim. rej. 19 janv. 1844) (2).

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(1) (Ali-Ben-Ouescoun, etc.) LA COUR (apr. délib. en ch. du cons.); - Vu l'art. 7 de la loi du 27 vent. an 8 (18 mars 1800); les art. 13, 38 et 43 de l'ord. royale du 28 fév. 1841, confirmative et modificative de celle du 10 août 1834 sur l'organisation de la justice dans les possessions françaises du nord de l'Afrique ;- Attendu qu'en exécution des articles qui précèdent, il a été fait apport au greffe de la cour: 1o du jugement du deuxième conseil de guerre séant à Bone, en date du 20 fév. 1840, et de la procédure antérieure, ainsi que du ju gement de révision de la province de Constantine; 2o Des arrêtés

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du gouverneur général de l'Algérie, en date des 28 juill. 1823, 25 sept. 1840, et des deux cartes gravées du territoire civil de Bone annexées au premier desdits arrêts;- Attendu que les demandeurs en cassation ne sont pas militaires ;- Attendu qu'ils ne seraient justiciables de la juridiction militaire, comme indigènes, qu'autant que les faits à eux imputés auraient été commis en dehors des limites de la juridiction civile de Bone; Attendu que le jugement du deuxième conseil de Bone, qui les a déclarés coupables, en se reconnaissant compétent pour les juger, s'est borné à poser des questions desquelles il résulterait que les tentatives d'assassinat et pillage de marchandises commises sur des Français, auraient eu lieu sur la route de Bone au camp de Dréan; que le conseil de révision, en statuant sur la compétence, a commis la même omission en ne déterminant pas le lieu precis des crimes dont il s'agit;-Qu'en cet état, il n'est point établi que la juridiction militaire se soit renfermée dans les limites de sa compétence et que les demandeurs sont fondés à invoquer, contre ses décisions, les dispositions des lois précitées ;- Casse. Du 2 juill. 1841.-C. C. ch. cr.-MM. Crouseilhes, pr.-Isambert, rap. (2) (Otéro C. min. pub.). Joseph Otéro, Brésilien de naissance, était domestique d'un négociant habitant la ville de Tenez, qui dépend de la division militaire d'Oran. Otéro s'étant rendu coupable de vol au préjudice de son maître, fut traduit devant le conseil de guerre d'Oran Sous l'accusation de vol, et condamné à la reclusion -Son pourvoi en révision ayant été rejeté, Otero s'est pourvu en cassation. Ce pourvoi étaitil recevable, aux termes de l'art. 42 de l'ord. roy. du 26 sept. 1842, relative à l'organisation de la justice en Algérie, et qui n'admet le recours en cassation qu'en faveur des Français ou Européens?-Arrêt (ap. délib.). LA COUR ; — Sur la recevabilité du pourvoi : — Attendu que l'art. 42 de l'ordonnance royale du 26 sept. 1842, relative à l'organisation de la justice dans les possessions du nord de l'Afrique, a ouvert le recours en cassation contre les jugements de la juridiction militaire, conformement à l'art. 77 de la loi du 27 vent. an 8, aux Français et Européens non militaires et non assimilés aux militaires par la loi ; - Attendu que l'expression Européen ne peut être limitée aux habitants de l'Europe, mais s'étend aux sujets des puissances européennes établies dans leurs colonies hors d'Europe, et aux sujets des puissances étrangères qui participent, aux termes des traités, au bénéfice des droits réciproTOME XXXIV.

755. En Algérie, une prison militaire située en territoire civil n'est pas assimilée à un territoire militaire; par suite le crime qui y a été commis par un Arabe détenu n'est pas de la compétence de la juridiction militaire (Cr. cass. 28 août 1862, aff. Ali-ben-Salah, D. P. 65. 5. 265; 6 nov. 1862, M. Nouguier, rap., aff. El-Mekki-ben-Ali).

756. En principe, les jugements des conseils de guerre ne peuvent être attaqués que devant les conseils de révision, lesquels sont pour la justice militaire ce qu'est la cour de cassation pour la justice de droit commun (V. Org. militaire). Ce principe a été appliqué aux jugements rendus par les conseils de guerre de l'Algérie conformément aux dispositions qui précèdent, par les ordonnances des 28 fév. 1841, art. 45, el 26 sept. 1842, art. 42: « Les jugements rendus par les conseils de guerre, disent ces ordonnances, ne donnent lieu qu'au pourvoi en révision, tel qu'il est réglé par les lois militaires. »

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757. De ces derniers mots, il résulte que la possibilité du recours en révision est limitée aux seuls cas d'ouverture à révision reconnus par la loi militaire, à savoir: composition irrégulière du conseil de guerre, violation des règles de sa compétence, défaut d'application de la peine portée par la loi ou application d'une peine en dehors des cas prévus par la loi, omission des formes prescrites à peine de nullité, omission de statuer sur une demande de l'accusé ou une réquisition du commissaire du gouvernement (L. 9 juin 1857, art. 74; V. Organ. militaire). C'est ainsi qu'il a été jugé que l'art. 42 de l'ordonnance du 26 sept. 1842, d'après lequel les conseils de guerre ne relèvent que des conseils de ré-vision ne s'applique qu'au cas d'inobservation des formalités qui leur sont imposées par les lois de leur institution; ainsi les décisions des conseils de guerre permanents établis en Algérie peuvent être déférés à la cour de cassation, pour excès ques résultant du droit public européen ; Attendu que le nomme Otero, né Brésilien, qui s'est établi à Tenez, sur la côte des possessions françaises du nord de l'Afrique, appartient à une nation liée à la France par un traité d'alliance et de protection réciproque, tant pour la personne que pour les biens des sujets respectifs, du 8 janv. 1826, légalement promulgué en France; - Par ces motifs, déclare Joseph Otéro recevable en son pourvoi, et continue la cause sur le fond à demain. Du 18 janv. 1844.-C. C. ch. cr.-MM. Crouseilhes, pr.-Isambert rap. Le pourvoi d'Otéro s'appuyait au fond, sur une incompétence ou un excès de pouvoir, d'après l'art, 42 de l'ordonnance précitée. La compétence du conseil de guerre était incontestable. Y avait-il excès de pouvoir? Ottéro, traduit devant le 1er conseil de guerre de la division d'Oran, avait été déclaré coupable de vol domestique, et condamné à trois ans de prison et à trois ans de surveillance, attendu les circonstances atténuantes. Sur son recours en révision, ce jugement avait été annulé, et l'affaire renvoyée devant le 2e conseil de guerre d'Oran, qui n'avait pas déclaré l'existence des circonstances atténuantes, et avait condamné Otéro à cinq ans de reclusion, et à la surveillance pendant toute sa vie. Le conseil de guerre qui n'avait été saisi que par suite du recours en révision d'Otéro, avait-il pu, sans excès de pouvoir, aggraver la position de l'accusé ? La cour a répondu affirmativement Arrêt (apr. délib.).

dans ces termes :

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LA COUR ; Attendu qu'aux termes de l'art. 42 de l'ordonnance du 26 sept. 1842, les conseils de guerre sont compétents pour connaître des crimes et délits commis par des individus même non militaires, dans les lieux qui ne sont pas soumis à la juridiction ordinaire des tribunaux d'Oran, de Bone et d'Alger; que Tenez, lieu où le crime aurait été commis, et l'accusé arrêté, est en dehors de la limite du tribunal d'Oran, telle qu'elle est tracée par arrêté ministériel du 7 mai 1858, confimé lé 21 déc. 1812; - Par ces motifs, la cour déclare que les conseils de guerre de la province d'Oran ont été compétents; Attendu, d'une autre part, qu'aux termes de l'art. 17 de la loi du 28 vend. an 6, lo conseil de révision de la division d'Oran saisi par le recours d'Otéro, contre le premier jugement du conseil de guerre permanent qui l'avait condamné à trois ans de prison et à trois ans de surveillance de haute police, a dù, en annulant le jugement, renvoyer l'affaire tout entière devant le conseil de guerre ; - Que ce conseil, en se livrant de nouveau à l'examen des preuves de la culpabilité du crime de vol domestique, dont Otéro était accusé, et en prononçant contre lui, par suite de la déclaration de cette culpabiliité sans circonstances atténuantes, une peine plus forte, n'a point commis d'excès de pouvoirs ; que cette peine prononcée est conforme au code pénal; Qu'ainsi aucune des ouvertures à cassation, prévues par l'art. 42 de l'ordonnance précitée, ne se rencontre dans l'espèce ; - Rejette.

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Du 19 janv. 1844.-C. C. ch. cr.-MM. Crouseilhes, pr.-Isambert, rap.

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de pouvoir, lorsqu'elles prononcent des peines, sans constater les circonstances nécessaires pour donner au fait incriminé, et notamment à une tentative d'assassinat, un caractère punissable (Crim. cass. 11 fév. 1848, aff. Hikel, D. P. 50. 1. 20).

762. Afin d'assurer la répression des crimes et délits commis en territoire militaire et qui sont de la compétence des tribunaux ordinaires, le décret du 15 mars 1860, art. 5, range parmi les officiers de police judiciaire, auxiliaires du procureur impérial dans ce territoire, indépendamment des magistrats fonctionnaires et agents dénommés aux art. 9 et 10 c. inst. cr.: 1o les commandants, majors et adjudants de place;-2oLes sousofficiers et commandants de brigade de gendarmerie.-En cas de concurrence entre un officier de police judiciaire de l'ordre civil et un officier de police judiciaire appartenant à l'armée, l'instruction est faite par le premier (même art. 5).-Les officiers et sous-officiers désignés dans cet article transmettent sans délai à l'autorité judiciaire compétente, les procès-verbaux, actes, pièces et instruments dressés ou saisis par eux, et, en cas d'arrestation de l'inculpé, ils le mettent à la disposition de cette autorité (art. 6). Par la même raison, la recherche et la constatation des crimes et délits commis par les indigènes en territoire militaire ont lieu conformément aux règles du code militaire, par les agents désignés dans l'art. 84 de ce code, et aussi concurremment avec ces agents, par les chefs des bureaux arabes et leurs adjoints, auxquels un second décret du 15 mars 1860 attribue la qualité d'officiers de police judiciaire, sous l'autorité du général commandant la division (V. le rapport de M. Chasseloup-Laubat sur ce décret, M. de

758. « Néanmoins, ajoutent les articles précités, lorsqu'un Français ou Européen étranger à l'armée a été traduit devant un conseil de guerre, le jugement peut être déféré à la cour de cassation, mais seulement pour incompétence ou excès de pouvoir.»-Cette disposition n'a plus d'objet depuis que les Français et Européens sont justiciables des cours d'assises. Nous la rapportons pour l'induction qu'on peut en tirer à l'égard des indigènes. Ce n'est qu'aux Français et aux Européens que la faculté du pourvoi en cassation était accordée; cette disposition est restrictive, et par conséquent ne peut être étendue aux indigènes. Jugé ainsi que le pourvoi en cassation formé par un Africain indigène contre un jugement du conseil de guerre, même pour incompétence ou excès de pouvoir, n'est plus recevable, depuis l'ordonnance du 26 sept. 1842, qui n'accorde cette faculté qu'aux Européens : les indigènes n'ont contre ces jugements que le recours en révision (Crim. rej. 3 mai 1845, aff. Mustapha et aff. Saïd-ben-Mouglaar, D. P. 45. 1. 296; 18 fév. 1848, aff. Mohamed-Ouali, D. P. 30. 5. 21; 12 juill. 1850, aff. Abdallah, D. P. 50. 5. 21; 5 avr. 1860, aff. Abdallah, D. P. 60. 1. 247). - Et il en est ainsi, même depuis la promulgation en Algérie du code de justice militaire (L. 9 juin 1857) | Ménerville, p. 401, note). l'art. 80 de ce code n'a pas abrogé l'art. 42 de l'ordonnance du 26 sept. 1842 (même arrêt du 5 avr. 1860).

:

759. Une difficulté s'était élevée sous cette législation sur le sens du mot Européens, et, à un autre point de vue, elle pourrait s'élever encore aujourd'hui (V. no 761). — Il a été jugé que cette expression, dans le sens des articles précités, ne doit pas être limitée aux Européens, mais s'étend aux sujets des puissances européennes établies dans leurs colonies hors d'Europe, et aux sujets des puissances étrangères, qui participent, aux termes des traités, au bénéfice des droits réciproques résultant du droit public européen; qu'ainsi, un Brésilien est un Européen, qui est, par suite, admis à se pourvoir contre les jugements des conseils de guerre d'Algérie (Crim. rej. 18 janv. 1844, aff. Otéro, V. sous le no 755).

760. Les lois de procédure et d'instruction étant obligatoires du jour de leur promulgation, la juridiction militaire ne peut régulièrement en Algérie, à l'égard d'un crime commis par des Arabes en territoire militaire, se saisir de l'instruction et du jugement postérieurement à un décret qui réunit ce même territoire au territoire civil; la publication de ce décret fait cesser sa compétence; par suite, les Arabes incompétemment jugés pour ce crime par le conseil de guerre et le conseil de révision, sont recevables et fondés à se pourvoir en cassation (Cr. cass. 7 déc. 1865, aff. Miloud, D. P. 66. 1. 188). - Et en pareil cas, il y a lieu pour le jugement à nouveau, de renvoyer l'affaire deyant la chambre des mises en accusation (même arrêt). - Mais le militaire condamné dans la même poursuite n'est pas recevable à se pourvoir (même arrêt).

761. Aux termes du décret du 15 mars 1860, les crimes, délits et contraventions punissables de peines correctionnelles, commis en territoire militaire par les Européens et les israélites, sont déférés aux cours d'assises, aux tribunaux correctionnels (art. 1) ou, pour les délits, à des juges de paix à compétence étendue selon les cas (art. 2). Il a été jugé que les Européens, même domiciliés en territoire militaire et prévenus de crimes commis sur ce territoire, sont justiciables des tribunaux ordinaires et non des conseils de guerre (Cr. rej. 1er mars 1866, M. Lascoux, rap., aff. Piasotto). Mais, en cas de complicité de militaires ou d'individus assimilés aux militaires avec des Européens ou israélites, tous les inculpés sans exception sont traduits devant la justice ordinaire telle est la disposition de l'art. 4 du décret de 1860, qui ne fait du reste sur ce point qu'appliquer la règle générale admise par le code de justice militaire (L. 9 juin 1857, art. 76, V. Organis. militaire).—Toutefois, ce même art. 4 fait exception au principe pour le cas où il s'agirait d'un crime ou délit prévu par le tit. 2 du liv. 4 C. just. milit., auquel cas, la compétence du conseil de guerre est maintenue à l'égard de tous les inculpés. V. loc. cit.

763. Lorsqu'un crime ou un délit a été commis dans un territoire civil limitrophe au territoire militaire, l'instruction contre l'auteur de ce crime ou délit ne pourrait, à notre avis, être suivie en territoire militaire par les officiers de police judiciaire dont la compétence expire à la limite du territoire civil. Mais la limite de compétence des officiers de police judiciaire n'empêcherait pas que l'auteur du crime ou délit ne pût ètre poursuivi dans l'un et l'autre territoire indifféremment par tout officier de la force publique, notamment par les gendarmes, d'autant plus que les gendarmes sont officiers de police judiciaire dans les deux territoires. Si dans de telles circonstances le prévenu a été arrêté par les agents de l'autorité militaire, l'instruction devra se faire conformément aux règles tracées par le décret précité du 15 mars 1860.

764. Nous n'avons pas à nous occuper ici des conseils de guerre considérés comme tribunaux du droit commun pour les militaires et les individus assimilés aux militaires, cette justice s'exerce en Algérie, comme en France, comme partout où est le drapeau, conformément à la loi générale qui régit la justice militaire et dont le développement complet sera donné vo Organ. milit.

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765. Au moment de la conquête, la justice indigène était ainsi organisée il y avait au criminel comme au civil, un seul juge, le cadi; un seul recours contre sa sentence, l'appel au souverain. Toutefois, en matière civile, les parties avaient le droit d'en référer au cadi mieux informé. Dans ce cas, ce magistrat réunissait le cadi du rite opposé au sien, lorsqu'il s'en trouvait un, des muphtis et quelques tolbas, et devant cette réunion appelée midjelès, l'affaire se discutait de nouveau, mais le cadi confirmait ou infirmait sa propre décision, sans être tenu de céder à l'avis de la majorité. Le midjelès n'était donc pas un véritable tribunal; c'était seulement une sorte de comité consultatif. En droit, il n'y avait d'autre recours contre cette dernière décision du cadi que le recours au souverain (sultan, pacha ou bey), le Coran lui faisant un devoir de se tenir chaque jour pendant quelque' temps à la disposition de quiconque veut s'adresser à sa justice. Mais en fait, lorsqu'on n'avait point formé ce recours, toujours difficile à introduire, on pouvait, sous le plus vain prétexte, recommencer la contestation devant un autre cadi, et bien souvent le procès n'avait d'autre terme que celui de la patience du plaideur le moins opiniâtre ou plutôt le moins riche, qui ne pouvait ou supporter les frais de déplacement auxquels son adversaire l'entraînait, ou lutter avec lui, il faut bien le dire, pour des dépenses d'un tout autre caractère (V. rapport à l'empereur sur le décret du 31 déc. 1859, D. P. 60. 4. 32).

ces il résulte que l'intention des parties, souverainement appréciée et déclarée par les tribunaux, a été d'en soumettre l'exécution et les conséquences à cette loi ;—Qu'ainsi, en cas de résolution, faute de payement du prix, de la vente faite par un indigène à un Français, d'un immeuble que ce dernier a, au cours de la contestation, revendu à un autre indigène, le sous-acquéreur, actionné en revendication par le vendeur originaire, peut lui opposer la prescription décennale établie par le code Napoléon, s'il est constaté que les parties entre lesquelles a eu lieu la vente originaire résolue ont eu l'intention de la faire régir, ainsi que ses conséquences, par la législation française, et non par la loi musulmane (Req. 6 mars 1867, aff. Kodja, D. P. 67. 1. 435).— Mais les contestations qui s'élèvent en Algérie, entre indigènes, doivent être jugées conformément à la loi indigène, à défaut de convention contraire; et l'on doit considérer comme soumis à cette règle les israélites indigènes aussi bien que les musulmans (Req. 4 juill. 1865, MM. Bonjean, pr., Henriot, rap., aff. Mohammed ben Iacoub C. Cohen).

769. Le nouvel art. 2 du décret de 1859 est ainsi conçu : <« Les musulmans peuvent également, d'un commun accord, porter leurs contestations devant la justice française; il est alors statué d'après les principes du droit musulman et suivant les formes déterminées par le présent décret. Dans ce cas, comme dans celui prévu au § 2 de l'article précédent, la juridiction du

766. La prudence politique commandait de maintenir un système judiciaire qui, malgré ses imperfections énormes avait pour lui l'autorité du grand code religieux des musulmans et par là même des assises profondes dans les mœurs des indigènes. C'est ce que fit d'abord un arrêté du 16 oct. 1850, puis l'arrêté du 8 oct. 1852 et l'ordonnance du 10 août 1854 qui réservaient néanmoins dans les matières criminelles le droit d'appel devant la juridiction française ; l'ordonnance du 10 août 1854 autorisait même la juridiction française à évoquer les causes criminelles que le cadi refuserait ou négligerait de poursuivre (art. 41) et exigeait qu'aucune condamnation d'un cadi ne pût être exécutée sans avoir été revêtue du cachet du procureur général à Alger et de ses substituts à Bóne et à Oran.L'ordonnance du 28 fév. 1844 déféra aux tribunaux français tous les crimes et délits prévus par le code pénal, et soumit à l'appel devant la cour les jugements rendus en matière civile par les cadis. Puis l'année suivante, une ordonnance du 26 sept. donna au procureur général la surveillance des tribunaux indigènes situés en territoire civil. Enfin, un arrêté du gouverneur général détermina, en 1848, une meilleure composition des mahakmas (V. no 775) de cadis et de midjelès, donna leur présidence au muphti maleki, et fixa le tarif des actes et des droits à percevoir. 767. En 1854, en vue de relever les ressorts de la race indigène, le gouvernement eut la pensée de rendre aux tribunaux musulmans leur ancienne omnipotence. La juridiction musul-juge de paix est substituée à celle du cadi et lui est assimilée mane fut rétablie et débarrassée de tout contrôle par le décret du 1er oct. de cette année. Seulement les midjelès cessèrent d'être des corps consultatifs et furent élevés à la dignité de cours souveraines. Mais la justice musulmane ne tarda pas à soulever les plus vives réclamations. Le décret du 31 déc. 1859 la réorganisa en la soumettant à la surveillance des autorités françaises (art. 7). Les cadis furent les juges de droit des indigenes (art. 4 et 10). Les midjelès furent maintenus (art. 19). Mais leurs jugements purent être attaqués par la voie de l'appel devant les tribunaux de première instance et devant la cour impériale (art. 21), selon la nature et l'importance du litige (art. 22 et 25). Le même décret du 31 déc. 1859 commettait les cadis pour recevoir les dépôts et dresser les actes publics entre musulmans (art. 42, 44 et suiv.), déterminait la forme des registres qu'ils devaient tenir (art. 51 et suiv.), établissait des droits de timbre et d'enregistrement (art. 34 et suiv.), etc. La dernière partie de ce décret est restée en vigueur; mais la première, qui réglait les juridictions musulmanes, a été remplacée par les dispositions du décret du 15 déc. 1866. Nous avons à expliquer les articles du décret de 1859, corrigés par ce dernier décret, et la seconde partie du même décret de 1859 qui n'a pas subi de changement.

768. Juridiction. -L'art. 1 du décret du 15 déc. 1866 dispose « La loi musulmane régit toutes les conventions et toutes les contestations civiles et commerciales entre musulmans indigènes, et entre ceux-ci et les musulmans étrangers, ainsi que les questions d'état. Toutefois la déclaration faite dans un acte par les musulmans, qu'ils entendent contracter sous l'empire de la loi française, entraîne l'application de cette loi, et en même temps la compétence de la justice française, sous les modifications indiquées à l'article suivant. » — Cet article dit. « entre musulmans indigènes et entre ceux-ci et les musulmans étrangers. » Ces derniers mots ne sont pas une surérogation. En effet, dit le rapport à l'empereur, il y a utilité pour les indigènes à ce que, en traitant avec des musulmans étrangers, ils soient assurés que leurs conventions seront régies et jugées d'après leur propre loi. Des difficultés s'étant élevées dans la pratique à ce sujet, il était bon d'en prévenir le retour. Entre musulmans étrangers, le droit commun demeure réservé. Par application de la seconde disposition de l'art. 1 du décret de 1859, il a été jugé : 1o que l'obligation avec affectation hypothécaire contractée par des musulmans devant un notaire français implique l'acceptation de la juridiction française pour les actes et difficultés relatifs à son exécution (Alger, 2o ch., 7 mars 1861, M. Bertora, pr., aff. Bourkaïb C. El Kenaï); 2o Qu'en Algérie, la loi française est applicable, dans les contestations soulevées à raison des conventions passées entre Français et indigènes, lorsque des termes de ces conventions et des circonstan- |

pour le taux du premier et du dernier ressort ; la procédure suivie devant le juge de paix est celle qui est tracée par la loi française, sauf pour l'appel qui devra être formé par simple déclaration au greffe de la justice de paix, et ce dans le délai d'un mois, à partir du jour de la signification du jugement à personne ou à domicile; l'exécution de la sentence aura lieu en la forme musulmane par les soins d'un cadi que désignera le procureur impérial, et autant que possible sur un simple extrait envoyé par le juge de paix au cadi. L'appel des jugements rendus en pareil cas par les juges de paix est porté devant les tribunaux civils ou devant la cour impériale, en observant les dispositions des art. 22, 25 et 24 du présent décret, sauf les quatre derniers paragraphes dudit art. 24, qui ne sont pas alors applicables. L'instruction et le jugement de l'appel ont lieu dans les formes établies aux art. 55, 54 et 55 ci-après. Les §§3, 5 et 6 de l'art. 58 recevront également application. >> · On remarquera que quand des indigènes musulmans optent pour la juridiction française, ce n'est pas le tribunal civil qui est juge du premier degré, mais le juge de paix. S'il y a lieu à appel, l'appel de la sentence est porté, selon les cas, devant le tribunal civil de la localité ou devant la cour d'Alger, comme si la sentence était émanéc du cadi. L'instruction et le jugement en appel sont également en la même forme que s'il s'agissait d'un jugement de ce fonctionnaire. La juridiction d'appel est alors composée d'éléments mixtes, comme nous l'expliquerons ultérieurement. Quelle que soit la juridiction appelée à prononcer, le jugement est toujours rendu au nom de l'empereur (art. 4).—Il a été jugé que lorsque deux musulmans ont porté leur différend devant un tribunal français, sans déclarer qu'ils voulaient être jugés d'après la loi française, c'est le droit musulman qui est applicable, tant pour le fonds que pour les formes de l'appel; et, spécialement, que la loi musulmane n'ordonnant pas la mise en cause de la partie saisie, en matière de revendication d'objets saisis, la demande du revendiquant ne peut être déclarée non recevable, par le motif que le saisi n'aurait pas été mis en cause (Alger, 1re ch., 4 déc. 1865, M. Pierrey, 1er pr., aff. El Khessi C. El Goulsi). 770. La juridiction française ne peut être saisie que d'un commun accord par des musulmans. Cependant il a été jugé que lorsque deux indigènes musulmans ont soumis leur litige à un tribunal français, l'un d'eux ne peut, pour la première fois en appel, exciper de l'incompétence des tribunaux français, s'il n'a pas soulevé cette exception en première instance, bien que la jugement n'ait pas donné acte du consentement des parties à plaider devant la juridiction française: ce n'est là que l'omission d'une formalité que la cour peut réparer (Alger, 1re ch., 2 mars 1859, M. de Vaulx, 1er pr., aff. Mustapha-ben-Cherif C. dame Meriouma-Bent-Kaddour).

771. Les art. 5 et 6 du décret de 1859, modifiés par le dé

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