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LA CULTURE

DES

PLANTES MÉDICINALES

EN MAINE-ET-LOIRE

Par M. A. BOUCHARD, Secrétaire

La flore de l'Anjou est riche d'un grand nombre de plantes médicinales qui croissent spontanément dans les sables alluvionnaires de la vallée de la Loire, sur le terrain crétacé de l'arrondissement de Saumur et du Baugeois, sur les calcaires et les schistes de la vallée du Layon, et sur les sols granitiques de l'arrondissement de Cholet.

Pendant un long temps, les espèces officinales furent seulement récoltées par les herboristes de profession et encore par la nombreuse cohorte de prétendus sorciers qui hantent les campagnes angevines et mettent à rançon leurs trop crédules habitants, même encore aujourd'hui, malgré la vulgarisation de l'instruction.

Le paysan de l'Anjou, malgré son intelligence native, sa défiance de ce qui est étranger à ses habitudes et au milieu dans lequel il est accoutumé de vivre est, par une singulière contradiction de son caractère, essentiellement porté vers toutes les pratiques surnaturelles. Il a, au

milieu de ses qualités, le grand défaut de croire aux prétendus sorciers et aux mauvais sorts. Les vaches manquent-elles de lait, les maladies épizootiques s'abattent-elles sur ses étables, on lui a jeté un mauvais sort et lui, si peu prodigue de son argent dans les choses ordinaires de la vie, n'hésitera pas à sacrifier tout travail et son argent pour se mettre à la recherche du sorcier fameux qui conjurera le mauvais sort qu'on a jeté sur sa maison, plutôt que de s'enquérir de la cause naturelle du mal.

C'est en 1842, qu'un homme de bien, Pierre-Aimé Godillon, natif de la commune de Saint-Lambert-duLattay, eut l'idée féconde de cultiver un groupe de plantes médicinales; son but tout philanthropique était d'assurer du travail aux vieillards et aux femmes de la commune de Saint-Lambert-du-Lattay, dont les fils ou les époux étaient occupés à l'extraction de l'anthracite dans les mines et du calcaire marbre pour les fours à chaux de la commune de Beaulieu.

Pierre-Aimé Godillon revenait à son pays natal après une longue vie de labeurs passée à la tête d'une importante maison de commerce de Paris.

C'était à coup sûr une noble pensée à laquelle obéissait ce vétéran du commerce parisien introduire dans son pays une culture toute nouvelle, occuper les femmes à la cueillette de la récolte, et les vieillards obligés de renoncer aux travaux usuels du pays à monder les plantes. L'un trouvait dans l'accomplissement de son œuvre la satisfaction que tout homme trouve à soulager son semblable, les autres rencontraient, dans l'exécution de leur tâche, des ressources destinées à augmenter le bien-être du foyer et à rendre moins lourdes les dernières années de la vie.

Les nouvelles cultures du Puits-Chesnault, à SaintLambert-du-Lattay, furent tout d'abord de peu d'étendue: chaque espèce était cultivée de telle façon qu'elle pût produire des récoltes mondées n'excédant pas 50 à 60 kilogrammes.

Mais, à partir de 1853, M. Emile Godillon, fils de Pierre-Aimé Godillon, donna une plus grande extension à la culture des espèces officinales; il aborda l'aménagement des plantes employées par les distillateurs. Si bien qu'actuellement la production des plantes médicinales, cantonnées tout d'abord sur la commune de Saint-Lambert-du-Lattay, occupe plusieurs centaines d'hectares à Beaulieu, Rochefort-sur Loire, Saint-Aubin-de-Luigné, La Jumellière, Chemillé, Chanzeaux, Le Champ, Rablay. Les produits de cette culture, que j'appellerai de spécialité », qui croissent sur les meilleures terres argilo-calcaires qui recouvrent le massif des schistes des communes que je viens d'énumérer, sont très recherchés par les grandes distilleries. Les plantes à parfums : roses dites de Provins, camomille, mélisse, hyssope, acquièrent dans ce milieu des qualités marchandes si marquées que, malgré la baisse des prix qui atteint tout ce qui touche de près ou de loin à l'agriculture, elles font encore prime sur les marchés et supportent vaillamment la concurrence

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Quoi de surprenant? La nature du sol, le climat, tout s'y prête. Et M. Emile Godillon, ainsi que ses imitateurs, n'étaient-ils pas bien préparés, d'ores et déjà par l'inventeur lui-même de ces cultures spéciales à soigneusement monder, sécher, conserver les récoltes premières?

Maintenant ce ne sont plus seulement les vieillards et les femmes auxquels Pierre-Aimé Godillon voulait venir en aide, qui trouvent un travail assuré et rémunérateur dans la cueillette, la préparation des espèces officinales et industrielles. La famille agricole y trouve, elle aussi, une aisance qui fait contraste, par ce temps où l'on voit les produits de l'agriculture proprement dite, enveloppés par la dépréciation.

La culture des plantes officinales a grandi, elle a passé dans la ferme. A côté des Godillon, d'autres sont venus

Coourir à l'extension de son rayonnement. Elle n'est plus limitée aux rives sinueuses du Layon et de l'Hyrome, elle a passé la Loire et aujourd'hui on trouve des champs de camomille égayant de leurs blanches corolles la vallée de Saint-Georges-sur-Loire, jusqu'à Ingrandes. Cette dernière localité était d'ailleurs, vers 1850, un centre de cueillaison d'espèces médicinales, et notamment de la scabieuse, croissant adventicement dans les campagnes, que l'on venait chercher jusqu'au-delà de Bécon.

Le groupe des plantes médicinales cultivées, comprend particulièrement la rose dite de Provins, la camomille, la mélisse, l'hyssope, la belladone, le datura stramonium.

II

J'ai fait remarquer que la culture des espèces officinales reposait particulièrement sur la couche argilocalcaire et parfois siliceuse qui recouvre les schistes, mais on a bien soin, pour la plantation, de choisir de préférence les terres suffisamment profondes, perméables, susceptibles de pouvoir être défoncées soit à la main, soit à la charrue, à 030 ou 0m 40 de profondeur.

Après un labour profond, le sol est repris pour bien l'ameublir, et diviser la fumure nécessaire à la réussite de la plantation.

Lorsque le sol est définitivement préparé, on le distribue par planches de 1m 50 de largeur et on plante à l'hiver par éclats les différentes espèces, ou par œilletons, notamment la camomille et les rosiers de Provins, en espaçant les éclats ou œilletons de 0" 60 les uns des autres; chaque planche est séparée par un passe-pied large de 0 80 de largeur pour faciliter les façons de binages et de sarclages nécessaires, puis l'enlèvement des fleurs ou des sommités.

En dehors des avantages de main-d'œuvre que la

récolte et la culture des espèces médicinales ont procurés aux habitants des groupes agricoles de Saint-Lambert-du-Lattay, il en est résulté un autre non moins important et qui a eu une influence économique que je ne saurais négliger de signaler.

Avec l'extension de l'industrie des plantes médicinales, les bonnes terres étant préférées pour leur culture, ont gagné une plus-value d'affermement sur les autres natures de sol, qui n'est pas inférieure à 50 p. 100.

De sorte qu'en même temps que les ouvriers d'abord, et la famille agricole ensuite, trouvaient la main-d'œuvre assurée de ce côté, le propriétaire du fonds voyait en même temps, augmenter le revenu de sa terre, tant il est vrai que tout s'enchaîne dans la vie.

En implantant sur le sol de son pays natal, une culture nouvelle, Pierre-Aimé Godillon, qui n'avait pensé tout d'abord qu'à faire une bonne œuvre en procurant à des vieillards et à des femmes un salaire supplémentaire, est venu, par le fait, concourir à l'augmentation de la fortune territoriale de tout un district agricole du département de Maine-et-Loire.

Que d'enseignements il y aurait à tirer de cet enchaînement des choses de la vie, et combien plus le cœur et l'esprit trouvent de satisfaction à explorer le domaine spéculatif agricole, qu'à se laisser captiver par les feux follets de la politique !

III

J'arrive au produit des plantes médicinales cultivées en Anjou et aux frais qu'entraîne leur culture. Je vais établir le compte cultural et le compte rendement de chacune des espèces cultivées rose de Provins, hyssope, mélisse, camomille, belladone, stramoine.

Les chiffres que je donne, les rendements que j'indique,

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