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Les terrains argileux, les kaolins, possèdent la propriété de fixer lentement l'azote atmosphérique libre. Cette aptitude est indépendante de la nitrification, aussi bien que de la condensation de l'ammoniaque. Elle est attribuable à l'action de certains organismes vivants. Elle n'est pas manifeste en hiver, mais elle s'exerce, surtout, pendant la saison d'activité de la végétation.

Une température de 100 degrés l'anéantit.

Elle s'exerce aussi bien en vase clos qu'au contact de l'atmosphère, au sommet d'une tour que sous un abri, au voisinage d'un sol couvert de végétation que dans une chambre close ou à l'intérieur d'un bâtiment.

Elle a lieu dans l'obscurité comme à la lumière, quoique plus activement dans le second cas.

Elle est tout autre que celle qui se rattache aux influences électriques de l'air.

La part de fixation attribuable à cette cause a été, sous une épaisseur de 8 à 10 centimètres, de 15 à 25 kilos par hectare pour les sables argileux jaunes et de 32 kilos par hectare pour le kaolin. Ces chiffres paraissent encore trop faibles, car la fixation de l'azote peut évidemment s'opérer sous une épaisseur quintuple, soit 0"45, même dans l'intérieur d'une chambre.

Ainsi donc, certaines terres et certains sables ont la propriété de s'enrichir, lenternent, de matières organiques azotées, appartenant à des êtres organiques ou de matières dérivées de ces êtres.

La terre est donc remplie d'êtres vivants qui en modifient la composition chimique et spécialement la richesse en azote. Cette composition varie et oscille suivant les conditions qui président à la vitalité propre de ces êtres. Il ne faut plus considérer la terre comme une matière minérale inerte et invariable dans sa composition; les ferments découverts par M. Muntz, ceux découverts par M. Berthelot, et enfin l'action des vers de terre, modifient incessamment la composition chimique et physique du sol.

Cette action bienfaisante est intermittente suivant les saisons il lui faut une température de 10 à 50 degrés, une terre poreuse accessible à l'air et à une quantité d'eau limitée. Elle est restreinte s'il ne se développe sur le

sol aucune végétation proprement dite; dans ce cas l'action de ces êtrès vivants doit s'épuiser au bout d'un certain temps. Si la végétation est active, il est encore difficile de retirer des expériences de M. Berthelot des conclusions pratiques ou précises.

Mais, quoi qu'il en soit, ces expériences remarquables expliquent, mieux que toutes celles qui ont été faites jusqu'à ce jour, les effets de la jachère, des labours fréquents et profonds, de l'action de l'eau courante et non stagnante sur la terre, du billonnage, et pourquoi la vigne a besoin de si faibles quantités d'engrais azoté; elles ont assurément une haute portée! C'est la découverte de l'un des mécanismes de la régénération indispensable pour rendre compte de la fertilité continue des sols naturels.

Il fallait, en effet, expliquer en vertu de quelle rotation indéfinie (et lorsqu'on n'épuise pas la terre par une culture intensive), la vie végétale se reproduit indéfiniment dans les prairies et les forêts. Il était, il est et il sera toujours incontestable que la terre végétale d'une prairie ou d'une forêt s'appauvrirait peu à peu (par le fait de la végétation joint à l'enlèvement des récoltes), s'il n'existait pas des causes de compensation, plus énergiques que les apports météoriques, pour régénérer à mesure les composés azotés, dont la déperdition est in

cessante.

En résumé donc une partie de l'azote enlevé par les récoltes, en dehors de l'apport des engrais et de la nitrification des matières organiques azotées (renfermées en quantités considérables dans tous les sols et nitrifiées sous l'influence de ferments aérobies), peut être fournie par l'ammoniaque de l'air, par l'acide nitrique provenant de l'air, par l'action directe de l'électricité sur les matières organiques du sol provoquant la fixation de l'azote dans certains terrains argileux et sablonneux. Ces phénomènes sont activés et rendus possibles, par les pratiques diverses de la culture.

Il est donc tout naturel de rechercher les causes qui peuvent augmenter cet apport d'azote, engrais si cher, et qui serait alors fourni, économiquement, par les éléments de l'air.

L'azote constitue la plus forte partie du volume de l'air c'est donc une source inépuisable à laquelle la science, en tant que science positive, cherchera de plus en plus à puiser l'azote au plus bas prix possible.

Ör, l'azote est la dominante de la plupart des engrais : l'azote presque gratuit, c'est actuellement le grand objectif de notre économie rurale.

II

Un chimiste de grand mérite, M. Georges Ville, a cru trouver une source cachée de la reproduction de cet azote dans la propriété qu'auraient certaines plantes de fixer directement l'azote libre de l'air. Cette propriété a été discutée et si quelques chimistes se sont efforcés de retrouver et ont retrouvé des traces très faibles de cette fixation directe, d'autres ont déduit de leurs recherches prolongées des résultats absolument négatifs sur ce point.

Cependant et quoi qu'il en soit, certains faits semblent donner, à posteriori, raison à cette théorie.

En effet, les expériences de chaque jour, faites dans la culture, prouvent qu'avec du phosphate de chaux, de la potasse et de la chaux, sans trace d'uzole, les légumineuses, le trèfle et la luzerne donnent plus de récolte qu'avec les mêmes substances additionnées d'azote. Au contraire, ces trois substances, si efficaces à l'égard du trèfle, le sont très peu sur le froment; mais elles le deviennent immédiatement, si on leur associe une matière azotée du sulfate d'ammoniaque ou du nitrate de soude, par exemple.

Nous savons tous que le froment qui succède au trèfle, rend plus que le froment qui l'a précédé, bien que le premier ait été fumé, ce qui n'a pas lieu pour le second.

Il y a là un fait scientifique indiscutable. Cette fixation. de l'azote de l'air a préoccupé le monde scientifique tout entier et, sans vouloir admettre l'action toute spéciale des légumineuses, les chimistes avaient reconnu depuis plus de vingt ans que les matières carbonées des engrais et celles contenues dans le sol sont l'intermé

diaire nécessaire à la fixation de l'azote de l'air; et que l'excès d'azote que présentaient les récoltes sur les fumiers, est déterminé par un gain que fait directement la terre arable. Nous l'avons déjà dit.

III

Cette nécessité de la présence des matières carbonées dans le sol et même dans l'engrais, comme les intermédiaires indispensables au gain en azote de la terre arable, va nous permettre de mettre d'accord les expériences des uns et des autres et de détruire les contradictions que semblent révéler des systèmes opposés, contradictions qui pourraient bien n'être qu'apparentes. En effet, s'il n'est pas vrai que les légumineuses fixent l'azote de l'atmosphère, il est certain que, loin d'épuiser le sol qui les produit, elles le reposent et l'enrichissent; la valeur de la culture des légumineuses, à ces points de vue, est indiscutable; d'où provient leur action bienfaisante?

Rien ne vient de rien, dit le poète; c'est en agriculture qu'il a cent fois raison! Etudions donc de plus près cette question. Depuis longtemps, les praticiens savent qu'on s'expose à voir manquer le trèfle sur la même sole en le faisant revenir après trois ans; car le trèfle épuise la terre des alcalis et des phosphates qui étaient dans le sol. Ces prélèvements sont considérables. Si on calcule le poids des récoltes données par trois des plantes légumineuses, employées avec le plus grand succès dans la culture; et, si on compare la masse d'azote combinée de ces récoltes à celle du fumier de ferme qui, à ce point de vue spécial, lui serait équivalente, on trouve que:

Deux années de trèfle représentent 44,000 kilos de fumier de ferme;

Trois années de récolte de sainfoin, 55,883 kilos; Cinq années de récolte de luzerne, 128,333 kilos, de fumier enlevé par cette récolte.

Le prélèvement des substances minérales est proportionnel à ces mêmes quantités de fumier.

Inutile d'ajouter que les chiffres que nous venons de citer sont aussi indiscutés qu'indiscutables. Ils pro

viennent des recherches consciencieuses de MM. Isidore Pierre et Boussingault. Donc il est indispensable de restituer aux prairies et à ces récoltes légumineuses ce qu'elles enlèvent. Premier résultat intéressant à noter.

Mais l'action de ces trois plantes est surtout importante à considérer et efficace par la quantité et la nature des résidus laissés dans la couche superficielle du sol, soit par les pertes de la récolte et du fanage, soit, surtout, par le poids des racines laissées dans le sol.

On admet les chiffres suivants, comme valeur de ces résidus :

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Qu'y a-t-il d'étonnant, alors, que la culture des céréales réussisse, toujours avec succès, après celle du trèfle, de la luzerne et du sainfoin?

Une bonne récolte de blé (paille et grain réunis) prélève environ 55 kilos d'azote, c'est-à-dire un peu plus de la moitié de ce que renferment les débris laissés par le trèfle; 1/3 de ce que laisssent les débris laissés par le sainfoin; et à peu près la sixième partie seulement de ce que l'analyse chimique indique d'azote, dans les fleurains et les racines de la luzerne.

Cette amélioration est surtout remarquable lorsqu'on enfouit la troisième récolte, en sacrifiant pour le sol, comme engrais, une forte quantité de matière nutritive.

Cette amélioration, produite par les légumineuses, tire, en partie, ses merveilleux effets de ce que, par leurs racines profondes, allant hors des régions où vivent habituellement les racines des céréales, ces plantes puisent les principes fertilisants dispersés au-dessous de la couche arable ordinaire, soit en azote, soit en acide phosphorique, soit en potasse; elles les y prennent, sinon en totalité, du moins en partie. La culture de ces plantes

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