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SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU NORD DE LA FRANCE

BULLETIN MENSUEL

N° 160 11 Octobre 1885.- 14e Année. — - T. VII.

ADRESSER : Les Ouvrages, Manuscrits et Communications intéressant la rédaction du Bulletin, à M. René VION, place au Feurre, 16, à Amiens. Les demandes d'abonnement et les Cotisations (en timbres-poste), M. Edmond Delaby, Trésorier, ruc Neuve, 10, Amiens.

à

Le Bulletin est envoyé gratuitement à tous les Membres payants; il est adressé aux Sociétés scientifiques par voie d'échange.

Prix de l'abonnement: 3 fr. par an (2 fr. pour les Ecclésiastiques, les Instituteurs et les Institutrices).

SOMMAIRE: La Bécasse, par M. A. CODEVELLE, p. 337.

Contributions à

la Flore locale, par M. A. DEMAILLY, p. 343. La Violette, traduit par M. Ch. COPINEAU, p. 346. Physiologie des Fougères, traduit par M. Ch. COPINEAU, p. 349. · Chronique et Faits divers: Le Mastodonte, traduit par M. Michel DUBOIS, p. 350. Plantations de la Jamaïque, traduit par M. Ch. COPINEAU, p. 351. Observations météorologiques, p. 352.

La Bécasse.

J'ai cru pouvoir vous intéresser en vous donnant lecture de notes sur la bécasse, que j'ai tirées d'un long et complet travail de notre ancien collègue et vice-président, M. Gustave d'Hangest, qui a bien voulu me confier l'énorme manuscrit par lui composé sur tous les oiseaux de nos côtes et de nos marais.

Ce simple extrait pourra vous édifier sur la valeur et le mérite des recherchés de l'auteur.

Je passe des détails qui sont plutôt faits pour le chasseur que pour le naturaliste.

La bécasse est classée parmi les échassiers, bien qu'elle ne fréquente pas les plages de la mer, ni les plaines aqua tiques des marais comme la plupart des oiseaux de cette famille. Elle aimet les eaux, mais sa résidence habituelle est la forêt. ・

14° ANNÉE.

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La bécasse commune a treize à quatorze pouces de long, la grosseur de la perdrix grise; le bec est droit et long de deux pouces et demi avec la mandibule supérieure sillonnée sur les côtés. Le haut de la tête, le cou, le dos, les ailes sont variés de marron, de noir, et d'un peu de gris; sur le dos quatre larges bandes transversales noires. Une petite bande de la même couleur s'étend du coin du bec jusqu'aux yeux, de chaque côté de la tête.

Le bas du dos, le croupion, le dessus de la queue, la gorge, la poitrine et le ventre sont d'un blanc sale, rayé transversalement; le devant du cou est jaunâtre; la queue arrondie, bordée de roux, est terminée de cendré. Les jambes sont entièrement emplumées, quatre doigts séparés dont un supérieur, les pieds et le bec couleur de chair cendrée, l'iris bleu.

La femelle est un peu plus grosse que le mâle; ses couleurs sont ternes, et sur ses ailes se trouvent un assez grand nombre de taches blanches.

On compte plusieurs variétés de bécasses.

La bécasse rousse, la bécasse foubette, la bécasse tête. rousse, la bécasse aux ailes blanches et une plus petite, appelée Martinet en Normandie, dont le bec est plus long, le plumage roussâtre et les pieds bleus.

On rencontre chez ces oiseaux plusieurs cas d'albinisme. Buffon écrit que les bécasses habitent pendant l'été les haules montagnes de l'Europe et vont nicher dans les forêts des Pyrénées, des Alpes, du Jura et des Vosges, et que de là, elles n'ont qu'à descendre vers des climats plus tempérés, quand l'hiver se fait sentir dans ces hautes régions, et que la terre, durcie par la gelée, ne leur permet plus de trouver leur nourriture.

Belon est de l'opinion de Buffon, ou plutôt l'illustre naturaliste a emprunté celle de Belon, qui veut qu'à cette époque de l'année, les bécasses n'aient qu'à descendre de leurs

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montagnes, pour gagner leurs stations d'hiver, et se confiner pendant toute la saison froide dans certains bois à leur convenance, où elles attendent des temps plus doux pour retourner vers la montagne. Loin d'être sédentaires dans des endroits qui leur seraient convenables, les bécasses se répandent dans le monde presque entier, et, comme disait Aldrovande: nulla non in regione reperitur hæc avis.

Elles passent alors en France, en Belgique, en Suède, en Norwége, dans la Finlande, en Russie, en Hongrie, en Grèce.

On en trouvé des multitudes en Sibérie au milieu d'une grande quantité d'oiseaux aquatiques de toutes espèces qui y vivent et se rassemblent sur les bords des eaux du fleuve Jeniseï. La bécasse remplit à la fois le nord et le midi; on la rencontre en Perse, en Egypte, au Sénégal, en Chine, au Japon et dans toute l'Amérique.

Ce qui tendrait à prouver que ces oiseaux voyagent beaucoup, c'est le nombre considérable de bécasses qui viennent à chaque saison, en se rendant en Espagne ou en venant aborder nos côtes par les vents du nord-ouest, se briser la tête contre les phares d'Oléron ou du Cordouan.

Il est rare de voir des bécasses dans nos pays avant le commencement d'octobre. Généralement le premier passage n'a lieu qu'à la saint Michel, le 22 octobre, où à la Toussaint. Les chasseurs nomment la pleine lune de novembre la lune des bécasses, car c'est alors qu'on les voit en plus grand nombre; le passage est à son apogée du 1er au 8 novembre.

On remarque aussi un passage vers la saint Thomas, le 21 décembre. C'est encore une opinion controversée, de savoir si ces oiseaux arrivent isolément ou par bandes. Buffon affirme que les bécasses arrivent par couples, et jamais en compagnie.

Tandis que Magnier de Marolle, auteur très estimé, dans son livre de la chasse au fusil, rapporte avoir vu et tenu

dans la main une bécasse tuée dans une bande de cinquante à soixante, et ajoute que Buffon se trompe quand il dit que les bécasses arrivent deux par deux et jamais en troupe. Il n'est pas rare, dit Magnier, au commencement de l'arrivée des bécasses, d'en rencontrer à certains jours quarante, cinquante et quelque fois plus dans le même canton de bois, etil nomme plusieurs chasseurs qui en ont tué deux douzaines dans la même journée. Enfin un habile tireur d'Abbeville, M. de Beaupré, lui a écrit que, le 1er novembre 1754, il en a tué dix dans le bois de Bonance situé à une lieue d'Abbeville, et qu'il n'y arriva qu'au coucher du soleil, sans quoi il en aurait tué quatre fois davantage, tant il y en avait, et que le même jour d'autres chasseurs avaient fait des chasses considérables, entre autres dans le bois de Ponthoile. M. de Beaupré étant retourné le lendemain dans le même bois, espérant retrouver les bécasses qu'il y avait laissées, n'en retrouva plus une seule; il ajoute que, lors du passage, ces sortes de rencontres ne sont pas rares dans ces pays voisins de la mer.

Pour ma part, j'ai plusieurs de mes amis qui chassent dans les environs du Crotoy; ils m'ont assuré avoir vu dans la même journée jusqu'à dix bécasses, à Villers-sur-Mer entre autres, dans des haies, et de petits bosquets qui se trouvent au milieu des marais.

Depuis plus de vingt ans, moi qui écris ces lignes, je chasse dans les bois auprès d'Amiens dans un rayon de 4 à 5 lieues, je n'ai jamais vu que trois de ces oiseaux dans le même jour, et c'était dans le bois de Boves. Jamais plus de deux dans les autres localités.

Je puis affirmer que c'est un oiseau qui devient de plus en plus rare dans notre pays; encore quelques années et il aura disparu, sauf auprès de la mer où on pourra encore le ren

contrer.

Il est difficile de supposer que les Bécasses qui ont été

vues en compagnie aient voyagé isolément et se soient trouvées réunies sur un même point, bien que Cuvier, l'illustre naturaliste, dans son volume du règne animal traitant des oiseaux, page 300, écrive que la bécasse voyage seule ou par paire, surtout par les temps sombres.

On ne peut guère les regarder comme des oiseaux sociables « chacun vit pour soi sans trop s'inquiéter de ses semblables >>.

Ce qui les retient, c'est la localité et non leur instinct de sociabilité. Ils apparaissent au printemps, quand la neige est fondue, ils arrivent isolément, s'accouplent après de longs combats, nichent, et en automne abandonnent leur patrie, isolément comme à leur arrivée. Quand les bécasses arrivent fatiguées d'un long voyage, elles se jettent partout indifféremment, dans les taillis, le long des haies, dans les pépinières, dans les bosquets, et jamais ne restent dans le même endroit plus de quinze jours, à moins que, dans des conditions exceptionnelles, elles ne viennent y nicher, car la bécasse se reproduit quelquefois dans nos pays.

Il a été affirmé à M. Gustave d'Hangest par un garde de la forêt de Compiègne, que, chaque année, plusieurs couples de ces oiseaux faisaient leurs pontes dans les taillis de cette forêt, et qu'il se portait fort de trouver des bécasses pendant toute l'année.

Leur nourriture consiste en vers et en insectes, elles ne touchent jamais aux graines ni aux fruits; ne grattent jamais la terre avec leurs pieds. C'est à l'aide de leurs longs becs. qu'elles fouillent le sol, et éparpillent vivement les feuilles, qu'elles jettent de droite à gauche, pour saisir les vers et les larves qui sont dessous. Elles ont, suivant Buffon, un organe de plus, approprié à leur genre de vie ; la pointe de leur bec est charnue, plutôt que cornée, et paraît susceptible d'une espèce de tact propre à démêler l'élément convenable à leur nourriture dans la terre fangeuse; ce privilège d'or

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