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Besançon, le 26 février 1802, lorsque ce siècle avait deux ans et que Rome remplaçait Sparte, que son éducation que son éducation fut faite surtout par sa mère, vendéenne et royaliste de tradition, voltairienne et libérale d'esprit et de raison, pendant que son père, général républicain, commandait au loin un corps d'armée pour le compte de l'homme qui avait tué la république ; · qu'il grandit et étudia un peu partout, à Paris dans le jardin-parc de l'impasse des Feuillantines; en voyage, en Italie, à Rome, à Naples et à Florence, en Espagne, au collége des nobles, puis encore à Paris, dans la rue du Cherche-Midi et à l'institution Cordier, subissant tour à tour l'influence de ces divers milieux et finissant par en dégager la personnalité d'esprit la plus marquée, le génie le plus original des temps modernes.

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D'autres vous diront les premières inspirations lyriques du jeune poëte, ses essais sur les bancs du collége, cès académiques, d'adolescent, le refus de l'Académie de décerner le prix à sa pièce sur les Avantages de l'étude, parce qu'elle se crut mystifiée par la déclaration de l'auteur, qui s'annonçait comme âgé de quinze ans, — le pronostic de Chateaubriand qui le baptisa du nom d'enfant sublime, les espérances que fonda sur lui le parti légitimiste alors triomphant, ses trois prix à trois concours successifs aux Jeux Floraux de Toulouse, mariage, à vingt ans avec Mlle Foucher, dont la famille trouva dès lors que le trimoine de gloire de l'auteur des Odes et Ballades constituait une dot suffisante, sa pension sur la cassette du roi, décernée par Louis XVIII, non au poëte couronné, mais au brave jeune homme, qui avait écrit à la mère d'Édouard Delon pour offrir un asile chez lui à son ami conspirateur, condamné à mort par contumace.

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A cet épisode, toutefois, nous nous arrêtons; il touche au caractère de l'homme et c'est surtout le caractère de Victor Hugo, que nous nous proposons de mettre en relief, pour prouver que son caractère

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J'ignore si votre malheureux Delon est arrêté, j'ignore quelle peine serait portée contre celui qui le recélerait, je n'examinerai pas si mes opinions sont diamétralement opposées aux siennes. Dans le moment du danger, je sais seulement que je suis son ami et que nous nous sommes cordialement embrassés il y a un mois. S'il n'est pas arrêté, je lui offre un asile chez moi; j'habite avec un jeune cousin qui ne connaît pas Delon... Veuillez, Madame, lui faire parvenir cet avis, si vous en avez quelque moyen. Coupable ou non, je l'attends....

Ce fut l'académicien Roger, directeur des postes qui révéla au poëte que sa lettre décachetée et copiée au Cabinet noir, avait été communiquée au roi qui s'était écrié aussitôt C'est d'un brave jeune homme, je lui donne la première pension

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Han d'Islande (1823), Bug-Jargal (1825), le deuxième volume des Odes et Ballades (1826), - Cromwell et sa préface (1827)? Dès ce moment ne voyez-vous pas poindre dans le prétendu royaliste, devenu chef du Cénacle, promoteur des hardiesses de langage, des audaces de toute espèce et des libertés littéraires de toute sorte, proclamées et affirmées dans La Muse française, l'initiateur de la poésie et de la littérature modernes? Son génie de révolutionnaire n'éclate-t-il pas manifestement dans cette préface de Cromwell, cri de révolte contre l'esclavage des règles classiques, véritable Marseillaise de l'art, déclaration des droits de l'homme... lettré, de l'écrivain, impatients du joug académique?

pas logique que la revendication de la liberté dans l'art fût concommittante à la revendication de la liberté politique et sociale?

!

Eh bien par suite d'une de ces étranges contradictions dont l'histoire des partis politiques offre quelques exemples. c'est dans le parti royaliste que ce révolutionnaire de l'art trouve des sympathies, des adhésions, des enthousiasmes, des fanatismes; le parti républicain, le parti bonapartiste, le parti libéral lui déclarent une guerre acharnée. Les routiniers de la politique et de l'absolutisme monarchique et religieux, sont pour l'art libre et nouveau; les novateurs de la politique, lest ardents tribuns de la liberté sociale tiennent pour l'art classique, pour l'inflexible code académique. La Quotidienne, la Gazelle de France, le Drapeau Blanc; le Jour

poète des Odes et Ballades et deviennent les moniteurs du romantisme, tandis que le Journal de commerce, le Courrier Franrais, le Constitutionnel attaquent sans relâche la nouvelle école et appellent même contre elle les rigueurs du pouvoir.

Jeune et plein d'ardeur, animé d'une inspiration originale, il voit cette inspira-nal des Débats chantent la jeune gloire du tion entravée par les liens d'une espèce de code poétique, ses élans comprimés par un pouvoir pour ainsi dire officiel. l'Académie, dont les décisions et les membres sont protégés contre toute attaque par une sorte d'article 75 de la Constitution de l'an VIII littéraire. C'est l'arche sainte, à laTout à l'heure, ce sera le National qui, qu'elle personne n'ose toucher, elle décide par la plume d'Armand Carrel, de Briffault, souverainement de tout ce qui concerne de Rolle, accusera le romantisme de perla poésie, la langue, l'art. C'est contre vertir le goût français et l'attaquera au cette omnipotence caduque que le jeune nom du respect dû aux traditions; ce sera poëte proteste; il veut délivrer la poé- le groupe libéral de la Chambre des désie, il veut délivrer l'art, il veut délivrer putés qui a pour organe le Constitutionnel, la langue. pour orateurs et pour écrivains les Etienne, les Jay, les de Jouy, les Viennet, Dès-lors commence, pour Victor Hugo, qui protestera contre la réception d'Her

son rôle de libérateur.

A ce moment même se produisait dans le monde entier et particulièrement en France un mouvement libéral parfaitement accentué, l'humanité reprenait sa marche vers le progrès, suspendue par le despotisme du premier empire et par les tendances rétrogrades de la Restauration; elle sentait que la liberté est l'élément le plus indispensable de toute conquête de l'esprit sur la matière, et que le but final du progrès est, en résumé, l'asservissement des forces de la nature aux besoins et aux volontés du génie de l'homme. N'était-il

nani au Théâtre Français, contre ce qu'il appellera l'invasion des barbares dans notre littérature et s'adressera au gouvernement pour lui demander d'intervenir dans la question. Quels cris d'indignation ils eussent poussés ces libérateurs et ces républicains de la fin de la Restauration, si on leur eût prophétisé qu'un jour viendrait où une reprise d'Hernani serait le signal du réveil de la liberté politique pour le public parisien et que la foule irait y chercher des allusions à la sainteté du serment et aux abus de l'absolutisme monarchique !

L'animosité du parti républicain formaliste contre Victor Hugo ne devait pas s'arrêter là. Elle continua à se manifester pendant tout le règne de Louis-Philippe, malgré les rigueurs dont la censure gouvernementale usa à l'égard du poëte, malgré l'éloquence avec laquelle il défendit, en 1832, devant le Tribunal de commerce, non pas seulement son drame le Roi s'amuse, mais surtout les droits sacrés de la liberté de penser et d'écrire, malgré sa génereuse et heureuse intervention en faveur de Barbès, intervention qui sauva la vie au noble et héroïque chevalier du peuple, malgré ses discours en faveur de la Pologne à la Chambre des Pairs, — malgré la portée démocratique, socialiste, anti-cléricale de la plupart de ses œuvres, de NotreDame de Paris, de Claude Gueux, de Ruy Blas, de Marie Tudor, de Littérature et philosophie mêlées, des Feuilles d'Automne, des Chants du Crépuscule, des Voix intérieures, des Rayons et des Ombres. Après 1848 même, lorsque le poëte devenu tribun, entreprenait cette mémorable campagne contre la peine de mort, qui devait aboutir à la prison pour ses fils, et se déclarait hautement pour l'union des peuples, et la paix universelle, les tirailleurs du parti républicain se livraient encore à des attaques contre Victor Hugo et contre l'école romantique. Il ne fallut rien moins que son attitude ferme et héroïque pendant les jours qui suivirent le 2 décembre 1851, son énergie égale à celle des Michel de Bourges, des Schoelcher, des Madier de Montjau pour convaincre les plus ardents et les plus ombrageux que cette âme profondément pénétrée du sentiment du Droit et de Justice, cette splendide intelligence illuminée des idées de liberté et de progrès, appartenait tout entière à la démocratie.

Ce fut une faute et un malheur que les partis avancés n'aient pas compris, dès la fin de la Restauration que le mouvement. littéraire et artistique provoqué par l'école romantique était un mouvement libé

ral tout aussi bien que le mouvement des idées politiques et sociales. Au lieu de juger les hommes d'après le milieu où ils vivaient, de s'arrêter à leurs études rétrospectices sur le moyen-âge afin d'y trouver un prétexte pour les parquer parmi les admirateurs du passé et de la monarchie absolue, il ne fallait considérer que leurs œuvres ; l'on aurait compris alors que rien n'était mieux fait pour inspirer la haine de la monarchie que le Roi s'amuse, plus propre que Ruy-Blas à pousser au mépris des aristocraties privilégiés qui ruinent et dépouillent les nations, et que Claude Gueux à préparer les esprits à l'étude des grandes questions sociales. On aurait compris de même que Balzac, cet autre génie qu'on s'est plu à classer aussi parmi les royalistes conservateurs et réactionnaires a plus fait, par sa critique de la société contemporaine, que bien des Premiers-Paris de journaux politiques pour hâter l'éclosion du grand mouvement de réforme sociale qui s'est manifesté à la suite de la révolution de 1848.

Plutôt que de tenir ces grands esprits en suspicion et de les éloigner par un parti pris d'hostilités incessantes, n'eût-il pas été plus utile aux intérêts de la démocratie de les revendiquer comme siens, d'attirer avec eux dans le camp révolutionnaire toute la jeunesse et cet innombrable public d'admirateurs qui formait pour ainsi dire la clientèle de leur génie? Qu'on se rappelle ce qu'a semé, dans le monde de germes révolutionnaires la littérature aristocratique de Voltaire, et l'on conviendra que le mouvement littéraire de 1830 a plus ou moins consciemment. contribué our une large part au mouvement politique et social de 1848.

Pourquoi d'ailleurs les partis ont ils tant de peine à comprendre que toutes les libertés se tiennent, que la liberté de l'art appelle la liberté de la pensée, aussi bien que la liberté du commerce comporte la liberté des banques et que la liberté de la presse entraîne la liberté individuelle.

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